"Cardinals Folly s'est résolument
coupé de l'héritage de Reverend Bizarre pour délivrer un poison
bien plus subtil."
CARDINALS FOLLY : Holocaust
Of Ecstasy & Freedom 2016
C'est une tempête. Une folie.
L'eau du ciel se déverse en flot noir et visqueux dans les bouches
d'égout des trottoirs. Il fait nuit, le vent souffle. La douceur est
curieuse au coeur de l'automne. Mais l'humidité fait remonter le
froid dans l'épine dorsale. Il y a désormais du noir dans mon âme,
parce que mon existence ne m'aura rien épargné. Je pensais tout
bien faire, être ce bon gars, ce gendre idéal, discret et effacé
dont rêve les épouses bien sages. La destinée était tracée :
maison, enfant, voiture familiale, dimanche en famille, travail de
bureau.
Et puis on se réveille un matin
avec la sensation d'avoir le pied dans la tombe. Que cette existence
n'a aucun sens. On brise le joli rêve conformiste, et on explose le
schéma entendu. Les conséquences sont souvent impitoyables.
Incompréhension, haine, rancune, c'est le début du cauchemar. L'ex
explorée qui crie vengeance, les dettes qui s'accumulent, les
créanciers qui piétinent, et l'enfer qui commence. L'esprit se
tourmente, il bascule dans un tourbillon d'anxiété, de cauchemars
éveillés, et de psychose intérieure. On se sent traqué, pris au
piège. Quand ce tourbillon de malheurs s'arrêtera-t-il ?
Quelques verres d'alcool
n'apportent guère de réconfort, à part une parenthèse de quelques
heures avant que le galop infernal des chevaux de l'Apocalypse ne
reprenne. Et puis on finit un soir avec toute sa vie dans le coffre
d'une voiture, sans but, sans nulle part où aller. La corde se
resserre autour du cou, la nuit est noire. Les rues sont vides sous
les lampadaires de la ville. On atterrit dans un foyer discret, pour
des employés comme moi, propre et impersonnel, loin des taudis pour
clochards. Mais la sensation de toucher le fond est bien là. Tout à
coup, on relativise l'existence, les priorités de la vie. On se dit
que tout va vite, que l'on n'est pas grand-chose. On distingue tout à
coup toute la misère de ce monde funeste. Il n'y a dans ses
perspectives qu'un bonheur factice. Et lorsque notre pied touche le
fond de la marmite de brouet, on ne distingue que l’imbécillité
de cette vision de la vie.
L'eau s'écoule en ruisseau
visqueux dans l'égout du trottoir devant chez moi. Les bouleaux et
les peupliers italiens devant mes fenêtres tanguent sous les
bourrasques de vent. Je rentre à mon domicile. Je suis seul depuis
quelques temps déjà, mais je crois que tout cela a un sens. Il
était temps pour moi de reprendre pied, de ne plus m'épuiser dans
des existences qui ne me correspondent pas. Je vis au milieu des
livres et des disques. Cet univers me convient parfaitement. Je suis
dans mon univers, celui que j'ai choisi. J'ai l'impression de vivre,
d'être au coeur du réacteur. Je ne vis plus un rôle qui n'est pas
le mien. Dans le vent qui souffle, je ressens le spleen des blonds
vikings de Finlande, ces infernaux guerriers du Doom-Metal dont la
mélancolie et la noirceur est totalement unique.
Au cours de mes pérégrinations
musicales, j'ai découvert ce groupe : Cardinals Folly. Ils sont
un trio, ils sont finlandais. Ils se sont formés au moment là où
le pilier du Traditional Doom Metal, Reverend Bizarre, de Finlande
également, a décidé de se saborder. Cardinals Folly en est
inspiré, c'est une évidence. Pratiquer le Doom-Metal traditionnel
juste après eux est une preuve de succession. Mais Cardinals Folly
n'est pas un suiveur inepte. Comme Robin Trower pour Jimi Hendrix, le
trio porte cette volonté de développer un Doom-Metal certes ancré
dans les racines musicales du genre, mais il lui donne une nouvelle
ampleur.
Les pays du Nord de l'Europe
sont décidément de sidérants viviers de formations noires et
menaçantes. La Norvège donna naissance à la seconde vague du
black-metal, celle de toutes les polémiques, de toutes les
démences : Mayhem, Emperor, Darkthrone, Aura Noir,
Immortal….Dans un halo sulfureux de satanisme, de forêts sombres,
de messes noires, de meurtres, d'églises brûlées et de dérapage
extrémiste, le Nord de l'Europe donna à goûter l'une des musiques
les plus dangereuses de l'histoire. La Suède et la Finlande furent
le terreau d'une scène hard-rock'n'roll et doom-metal
particulièrement vivace. La Suède offrit dans les années 80 et 90
des groupes comme Candlemass et Count Raven pour le Doom,
Hellacopters et Entombed pour le death'n'roll. La Finlande proposa au
monde l'un des groupes les plus intègres et les plus créatifs :
Reverend Bizarre. Ce trio venu de Lohja dans la région de Uusimaa,
fondé en 1995, créa un séisme dans le monde endormi du doom-metal.
Cette musique perdue dans les années 80 se cherchait un second
souffle après le grunge. Reverend Bizarre insuffla une rigueur
artistique éblouissante, et une image intransigeante, qualifiant
leur musique de doom-metal traditionnel. Après trois albums sublimes
et quelques beaux EP, le Reverend se retira, laissant orphelins les
fans de ce heavy-metal noir et massif, imprégné de magie noire et
de riffs obsédants jusqu'à la moelle. Le groupe eut tellement
d'impact que même certains pionniers du black-metal comme
Dartkthrone orientèrent progressivement leur musique vers le doom
afin de retrouver l'essence de leur philosophie originelle.
Le choc Reverend Bizarre ne
dépassa pas la minuscule communauté doom-metal française.
L'hexagone ayant déjà bien du mal à s'ouvrir au rock en général,
il était tout simplement évident que le trio finlandais ne ferait
même pas l'effet d'un clapotis sur une flaque d'eau. En Finlande,
l'impact est bien plus important. Reverend Bizarre a ouvert la voie à
de nouveaux groupes de doom-metal pour qui cette musique sombre et
infernale parle. Vivant loin de tout au gré des cycles rigoureux de
la lumière solaire, cernés de grandes forêts de conifères
enneigées, les jeunes gens vivent au plus profond d'eux ces
sonorités agressives. L'obscurité et le froid permet de s'alimenter
en alcool, en films d'horreur de la Hammer, de romans fantastiques de
HP Lovecraft et Edgar Allan Poe, et de philosophie occulte d'Aleister
Crowley. Lorsque l'on vit enfermé chez soi, on se replie et on crée
son monde. Black Sabbath, Witchfinder General, Budgie, Mercyful Fate,
Pentagram, The Obsessed, Candlemass et Saint-Vitus seront les
mamelles nourricières qui alimenteront le futur cataclysme sonore.
Mikko Kääriäinen alias M.
Karnstein est bassiste chanteur. Il débute au sein d'un groupe de
doom du nom de The Coven à Helsinki, dans la région de Uusimaa. Il
fait la connaissance du batteur Sebastian « Sebbath »
Lindberg. Après deux EP sans succès en 2006, « Beltane »
et « Witching Hour Of The Coven », ils décident de
fonder leur propre groupe. Il sera un pur uppercut de doom-metal
inspiré de Reverend Bizarre, et ne laissera aucune chance à une
quelconque dérive gothique ou dark. Cette nouvelle formation, un
trio, s'appellera Cardinals Folly. Après le révérend, le cardinal.
Jyri Lustig est le premier guitariste, mais la bête est
intégralement dominée par M. Karnstein. C'est sa chose dans la
musique, l'esprit, l'image. Il en écrit les textes, en imprime l'âme
sulfureuse.
Deux EP voient le jour pour
annoncer le début des hostilités : « Heretic's
Hangover » en 2008 et « Orthodox Faces » en 2009.
Les deux EP épuisés seront réunis en 2013 par leur label Shadow
Kingdom : Strange Conflicts Of The Past. Les deux EP sont
de véritables réussites esthétiques et sonores. Si Cardinals Folly
doivent beaucoup à Reverend Bizarre, ils n'en sont absolument pas
les copies carbone. Ils pratiquent eux-aussi un doom-metal offensif
et sans concession, mais ont leur propre identité. Elle est d'abord
vocale, avec un chant incantatoire et sombre. Les morceaux ne
dépassent guère les dix minutes. Cardinals Folly voit sa musique
comme un voyage et non comme une procession. Reverend Bizarre pouvait
pousser au-delà des quinze minutes sur le même riff. Cardinals
Folly crée de l'excitation, des changements de tableaux. Le rythme
peut parfois se montrer rapide, presque thrashy. La Finlande ne vient
pas d'engendrer un honorable suiveur, mais une authentique formation
originale particulièrement talentueuse.
Le label Shadow Kingdom signe
Cardinals Folly en 2011, et un premier vrai album sort en mai de la
même année : Such Power Is Dangerous !. Sami
Rautio prend la guitare. Le disque perturbe par sa sonorité plus
propre. Les réussites sont au programme : « Such Power Is
Dangerous », « Uncharted Seas », « The Secret
War », « The Spear Of Destiny »… Les morceaux
sont longs et massifs. Mais malgré de belles qualités, il manque
l'étincelle de folie des premiers EP.
L'album réunion des deux EP va
créer la transition vers le second disque : Our Cult
Continues ! sorti le 19 août 2014. Cardinals Folly trouve
un guitariste stable en la personne de Juho Kilpelä. Le disque se
fait plus métallique. Après l'effrayante introduction « Chant
Of Shadows », « Morbid Glory » délivre toute sa
puissance. La basse gronde et grince, la charley s'affole, le riff
est presque black-metal. Le thème bascule dans un doom-metal
glaçant. Les réussites se succèdent : les massifs « The
Black Baroness » et « Our Cult Continues ! »,
mais surtout les quatre fantastiques voyages à travers les falaises
rocheuses et les plaines enneigées que sont « Sighisoaran »,
« Walvater Unveiled », « The Lover's Crypt »
et le redoutable « Fallout Ritualist ». Cardinals Folly
s'est résolument coupé de l'héritage de Reverend Bizarre pour
délivrer un poison bien plus subtil. Le disque reçoit de pauvres
critiques, et Cardinals Folly doit se contenter de jouer dans les
clubs finlandais.
Il va falloir attendre deux
années pour que Cardinals Folly délivre sa nouvelle offrande sonore
le 3 juin 2016. Ce sera l'époustouflant « Holocaust Of Ecstasy
& Freedom ». Le titre et la pochette ne sont que pures
provocations, ce qui leur coûtera sans doute une certaine visibilité
médiatique. Mais Cardinals Folly est une hydre souterraine, un
monstre lovecraftien qui ne rugit que pour les amateurs de
doom-metal. La production met mieux en valeur les musiciens, les
compositions sont particulièrement impressionnantes d'efficacité :
« The Poison Test », la tornade « Goats On The
Left », « Her Twins Of Evil » et son riff obsédant…
jusqu'à « La Papesse » et son vertige noir. Juho Kipelä
est un instrumentiste inspiré qui se révèle véritablement sur ce
disque. Ses chorus sont courts mais apportent une vraie plus-value
émotionnelle. L'album est une réussite et va rapidement devenir
indisponible. Il permet à Cardinals Folly de tourner hors de ses
frontières, et de se frotter à la scène doom européenne.
(à suivre)
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