"La
colère règne dans cette tornade de doom-metal psychédélique."
SpaceMetal :
Shroud 2018
Paris
est décidément une grande cité désincarnée. Il suffit de passer
quelques jours dans sa proche banlieue pour comprendre le malaise qui
rampe dans ces rues. Pas la peine d'aller renifler le cliché des
cités en décomposition, une zone intermédiaire éclaire déjà sur
le désenchantement qui règne. Bagneux, Arcueil feront l'affaire,
entre ses petits quartiers pavillonnaires calmes et ses quartiers
d'immeubles de logements sociaux.
La
région parisienne est en travaux constants. De grands chantiers
barrent le paysage en permanence. Des échafaudages barrent la vue,
des camions-toupie déversent des mètres-cubes de ciment dans des
sols sablonneux gorgés de boue et d'eau souillée. Des ouvriers de
toutes origines ethniques s'agitent dans ce bric-à-brac de ferraille
et de béton. Ils extirpent de ce lieu de quoi péniblement nourrir
leurs familles, dans un quelconque appartement de banlieue ou dans un
foyer de migrants. Ces hommes, mais aussi ces femmes de couleur
nourrissent un peuple de laborieux qui fait vivre en cachette les
beaux immeubles de bureaux et les grands magasins. Ils récurent,
bâtissent, surveillent toute la nuit ou le jour à l'abri des
panneaux de chantier, avant de s'enfuir au petit matin ou à la
tombée de la nuit vers leurs quartiers où ils goûtent à une
maigre vie de repos. Ils croisent sur la route, en sens inverse, tous
les cadres supérieurs, les employés de bureau qui partent attaquer
leurs journées de travail, pris dans les bouchons quotidiens.
Paris
et sa région sont une faune hirsute de plusieurs couches de
travailleurs qui se croisent et se détestent cordialement. D'un
côté, il y a les braves parisiens râleurs assommés par leur
quotidien de travailleurs tertiaires consuméristes, et de l'autre il
y a les basanés, ceux que l'ont tolèrent le temps d'une compétition
sportive, mais qu'on haït cordialement parce qu'ils parlent mal le
français, parce qu'ils ont encore profité des généreuses aides
sociales du pays. Il faut les avoir croisé dans la rue, sur un coin
de trottoir, le regard vide, assommés de travail abrutissant, pour
comprendre qu'ils ne sont que les chiens maltraités d'un monde
abject.
Et
ces âmes déracinées errent dans les rues, vaquant à un quotidien
hypnotique, et croisent d'autres fantômes de la société. Ils sont
des personnes âgées, mais aussi des quarantenaires à la dérive.
Leurs vêtements sont totalement démodés, leurs coiffures d'une
autre époque. Ils n'ont pour seul plaisir que l'achat d'un jeu de
grattage ou un paquet de cigarettes à l'emballage répugnant. Leur
espérance se limite à une petite somme d'argent inespérée qui
pourrait améliorer le quotidien. Ils ne sont pas des mendiants, mais
il semble que la frontière entre les deux mondes est extrêmement
mince. Ils marchent encore debout, pendant que des roms font la
manche à genoux, le visage contre le sol, un gobelet devant eux,
dans les rues et les couloirs du métro.
Ils
déambulent au milieu des travailleurs immigrés, entre deux PMU et
deux marchands de sandwiches turques, parmi les chantiers, et les
dépôts de déchets sauvages laissés au bord des rues, entre deux
voitures abandonnées. On sent que la misère est proche. Elle rôde
en permanence dans ce monde banlieusard où tout est devenu triste,
au bord de la rupture. Les jolis immeubles des années 70, jadis
merveilles d'architecture et de confort moderne, sont désormais
sales et mal entretenus. Certains sont déjà tombés dans des
projets de réhabilitation de quartiers. Les petits pavillons des
années 90, avec jardinets et jolies clôtures, sont prisonniers de
cet enfer de bruit, de poussière et de crasse. Certains ont l'air à
l'abandon. Les volets de bois sont délavés, une voiture moisit
devant la porte du garage au milieu d'herbes folles.
Je
déteste cet univers, il me rend triste, mélancolique. On a
l'impression d'être au bord du gouffre. Nous ne sommes qu'à
quelques kilomètres du périphérique, la frontière routière qui
marque le début de Paris l'éternelle, la ville musée grotesque qui
passe son temps à s'extasier sur elle-même. Une poignée de
souillons revendicatifs vient parfois remuer la fange sous les pieds
de la ville lumière, gâchant très momentanément ses belles
perspectives de grands magasins de luxe et de circuits touristiques
branchés. La musique disparaît de ces rues, la littérature se
regarde le nombril, la peinture n'existe plus. Paris est une
caricature autour de laquelle des âmes errantes grouillent pour
faire vivre ce monde industriel et médiatique, bien propre sur lui,
sans avoir le moindre regard pour les laborieux qui peinent à
survivre dans ces cages de béton et d'acier.
Depuis
vingt ans, Paris n'a rien à offrir musicalement. Entre concerts
d'artistes millésimés pour esthètes prétentieux, et pétarades
éphémères de jeunes gens biens, la musique parisienne est un
artefact. C'est la ville de la mode et de l'électro, de la french
touch. Le Rock est mort depuis bien longtemps en ces terres, si tant
est qu'il ait eu une existence tangible. Soyons honnêtes, on crut
beaucoup aux Variations, puis à Téléphone, Little Bob Story et
Trust. Mais le Rock en France est un truc marginal, quelque chose
qu'une poignée d'idéalistes veut faire vivre, et qu'une bande de
corniauds croit utile de souiller pour briller en société.
On
est si loin de la réalité du Rock sur cette planète. Le Rock est
mort, c'est un fait, du moins commercialement. Si l'on regarde le Top
200 du Billboard aux Etats-Unis, ou le Top 100 des charts
britanniques, les deux références absolues en termes de
pop-culture, le Rock a disparu. Il ne survit que par quelques best-of
ou rééditions d'albums mythiques : Beatles, Queen, Rolling
Stones, Bowie…. Les nouveaux artistes font un passage express,
comme Greta Van Fleet ou Queens Of The Stone-Age. Il reste alors les
tournées, sous une forme plus ou moins nostalgiques. On va voir
Aerosmith, Def Leppard, Kiss ou Deep Purple comme on va au musée :
pour voir des vestiges. On fait pareil en France, sauf que les
vieilles pièces se font rares, et sont souvent enterrées :
Hallyday, Bashung...Et sont exhumées avec la même absence de
bienséance que pour les artistes anglo-saxons par disques posthumes
interposés.
Nous
sommes en 2018, et il faut partir à la Nouvelle-Orléans. La ville
porte encore les scarifications de la catastrophe Katrina de 2005.
Cet ouragan aura mis à l'épreuve les ouvrages protégeant la ville
du Mississippi, mais aussi les quartiers les plus vulnérables. Ils
sont désormais des cimetières à ciel ouvert. Les corps sont-ils
tous évacués ? Les personnes victimes sont-elles toutes
relogées ? On n'en sait que peu, parce qu'il s'agissait de ces
basanés américains qui faisaient la richesse de la Nouvelle-Orléans
autant que son terreau raciste. Les quartiers ravagés sont désormais
abandonnés. Leurs habitants ne reviendront pas. Et c'est une partie
de la richesse culturelle de cette ville qui disparaît.
La
Nouvelle-Orléans n'est pas seulement la cité du Jazz du même nom,
festif, et negro-spiritual. C'est certes sa base culturelle. Mais il
ne faut pas oublier la Warehouse, une salle crée en 1968, et qui va,
comme la Grande Ballroom de Detroit, accueillir le meilleur du Rock
des années 70 : Fleetwood Mac, Allman Brothers Band, Grateful
Dead, Led Zeppelin, Humble Pie… la salle a fermé depuis longtemps,
mais a laissé des souvenirs.
Cinq
personnages ont décidé de monter un groupe de Stoner-Metal dans
cette ville. Dans ce paysage sinistré, ces gaillards veulent
défendre le Rock, du moins leur vision, brutale, épique, et sans
concession. Travis Acosta tient le chant, Rob Norton la basse, Chris
Kain la batterie. John Maracich et Chris Trentecosta tiennent les
guitares. Un groupe de plus, soit…..Il s'appelle SpaceMetal, et je
dois avouer avoir dû aller au-delà de ce patronyme tiède pour
découvrir leur musique. Et elle est excellente.
SpaceMetal
pratique un Stoner-Metal saignant, équarri par deux guitares
précises et inspirées, poussées par une rythmique lourde et
puissante. Au-dessus de ce brasier électrique vole une voix
originale, un brin nasillarde, juste, mais absolument pas
hard'n'heavy. Acosta a le timbre presque maniéré. Il a une force
expressive étonnante.
Shroud
est leur second album en deux ans, et il a les caractéristiques
d'un disque fascinant. Le morceau titre est une virulente heavy-song
à l'âme noire. On ressent la douleur des paysages désolées de la
ville ravagée par la boue. « Birthright Baby » affole le
tempo, les guitares se mettent en harmonie, rappelant un Thin Lizzy
des enfers.
Ces
deux belles stèles de granit ouvrent la porte à la pièce
d'exception du disque : « Forest Of Faith ». On
plonge dès le larsen introductif dans un tourbillon de mélancolie
rageuse qui va s'étendre sur huit minutes. Le texte est superbe. Il
dessine des plans cinématographiques de nature froide et détrempée
d'automne, dans les grandes forêts de séquoias à la frontière
canadienne. La rivière qui s'écoule est ce fil de la vie, les
arbres sont les âmes qui hantent nos existences. Les guitares
tissent un tapis d'acier, le chant évoque, martial et suppliant,
cette foi en l'existence qui s'effrite avec les désillusions. Les
soli sont abrasifs, écorchent à vif le coeur. Ils me font tant
penser à cet univers urbain sinistre qu'est la banlieue parisienne,
ces âmes perdues qui errent sans but dans ces espaces sinistres.
« The
Wheel » grogne d'un riff bluesy, Acosta incante. La seconde
guitare pleure. La rythmique fait basculer l'atmosphère en colère
noire. Une saveur zeppelinienne hante le refrain. « Unifier »
est un uppercut heavy plus classique que l'on trouve presque tiède
vue la qualité des morceaux précédents. Mais sous son atour
conventionnel se cache un excellent heavy-boogie furieux.
« Forest
Of Faith » avait placé haut la barre de l'excellence, mais le
disque a encore de fantastiques pièces à révéler. « Cities
Of The Dead » vient sonner la charge infernale. Le titre a un
écho forcément particulier à la vue des origines du groupe. Ces
cités de la mort sont sans doute ces quartiers dévastés et
abandonnés avec leurs âmes perdues. La colère règne dans cette
tornade de doom-metal psychédélique.
« New
Blood » est une construction dantesque de dix minutes faites
d'imbrications de riffs terrifiants de menace. Acosta se transforme
en capitaine de navire au milieu de la tempête. Le groupe soude un
monstre métallique totalement invincible. C'est un déluge d'acier
qui s'abat. Chris Kain est un batteur solide et inventif, ne
rechignant pas aux roulements de toms. Son fidèle second Rob Norton
blinde l'espace de sa basse grondante. Maracich et Trentecosta
arrachent de la poussière de pierre avec leurs guitares. Ils savent
aussi ouvrir l'espace, faire entrer l'air et la lumière par des
accords ouverts ou des chorus épiques. SpaceMetal n'est pas un
nouveau Mastodon, mais bien un groupe à part, avec cette finesse
dans l'accord, ce sens de l'émotion sur des bases très pures.
Shroud
est indubitablement un très grand disque, quasi-parfait de la
première à la dernière note. SpaceMetal a son style, qu'il doit à
ses guitaristes inventif, et beaucoup à son chanteur au timbre
charismatique. Ce quintet a de la ressource, et de nouvelles
merveilles à offrir.
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