" Les
riffs des guitares coupent comme des lames, les chorus gorgés de
wah-wah sonnent comme des sirènes de police dans la nuit. "
IRON
MAIDEN : Iron Maiden 1980
Si
aujourd'hui Iron Maiden est un des derniers grands géants du
Heavy-Metal encore en activité et en bonne santé, emblème
cartoonesque du Rock lourd de la Mort, on a parfois oublié d'où il
vint. Peu de disques d'Iron Maiden méritent d'être évités.
Beaucoup sont devenus de grands jalons musicaux ouvrant la voie à
d'innombrables formations des années 80 à aujourd'hui. Néanmoins,
la faveur va souvent à ceux bénéficiant du talent du chanteur
suprême Bruce Dickinson. Et pour cause, lorsqu'il rejoint Iron
Maiden à la toute fin de l'année 1981, il va immédiatement
enregistrer le premier des mythiques albums du groupe : The
Number Of The Beast. Pourtant, c'est oublier tout le travail
accompli les années précédentes avec leur premier chanteur :
Paul DiAnno. Quelques mordus, dont je fais partie, restent des
admirateurs incorrigibles de ces premières années à la saveur bien
différente de la suite.
Si
Iron Maiden a toujours été un pur groupe de Heavy-Metal, avec Paul
DiAnno il était dangereux. L'arrivée de Bruce Dickinson va apporter
le grand public, une certaine ouverture d'esprit vers des morceaux
plus audacieux, plus progressifs, sans se départir de la férocité
musicale qui était la leur. Dans ses premières années, Iron Maiden
était certes ambitieux et audacieux, mais il restait un pur produit
de la Grande-Bretagne post-Punk des années Thatcher, un groupe
violent, urbain, sombre et noueux. Paul DiAnno en était assurément
le symbole : vêtu de cuir noir, silhouette sportive, bracelets
cloutés, cheveux courts, regard méchant et voix rauque et rageuse,
le regard méchant, il portait sur ses épaules l'image d'un vrai
groupe de Heavy-Metal dur et sans concession.
Iron
Maiden est pourtant bien la chose du bassiste Steve Harris, qui forma
le groupe en 1975. Nous sommes juste avant l'avènement du Punk-Rock.
Steve Harris a le poil long, et il aime autant le Heavy-Metal que
certains groupes de Rock Progressif à tendance Hard : Golden
Earring, Nektar, Beckett, UFO, Budgie…. Iron Maiden est d'abord une
formation balbutiante aux musiciens allant et venant. L'image est un
peu Shock-Rock à la Alice Cooper ou Kiss, un peu progressive. On ne
sait pas trop où cela va visuellement parlant. Mais Steve Harris a
déjà composé quelques futurs morceaux mythiques du groupe.
Pourtant, son orchestre ne fonctionne pas comme il faut. Il s'adjoint
en 1976 un premier guitariste stable, aussi virtuose que son visage
est sympathique et bienveillant : Dave Murray.
Les
années qui suivent vont voir les galères se succéder. Les clubs et
les pubs ne veulent que du Punk. Les groupes de Blues-Rock et de
Heavy-Rock peinent à trouver ne serait-ce que quelques engagements.
Murray partage son temps entre Iron Maiden et Urchin, un autre groupe
de Hard-Rock londonien dont le leader est un certain Adrian Smith.
Harris commence à ne plus supporter de se voir refuser la politesse
par des groupes médiocres techniquement et musicalement, alors que
le sien a déjà un répertoire original, et de l'énergie à
revendre. Il déprime peu à peu, au point de se demander si tout
cela vaut bien la peine. Pourtant, il s'accroche, et Iron Maiden
devient le groupe de passage pour de nombreux musiciens qui feront
les beaux jours du renouveau du Heavy-Metal anglais à venir. Tous ne
s'éternisent pas, car Harris n'est pas du genre commode. Il sait ce
qu'il veut, et personne ne lui impose rien. Il a sa musique en tête,
et ne cherche pas d'autres compositeurs. Il cherche des interprètes
capables de retranscrire ses morceaux comme il l'entend. Dave Murray
a déjà cet honneur, mais il manque encore un chanteur, un batteur
et un second guitariste, car Harris veut des duels de guitares en
harmonie comme dans Wishbone Ash et Thin Lizzy.
Sa
musique se teinte peu à peu de sonorités Punk. Harris aime le Rock
de Detroit : les Stooges, MC5… Mais il côtoie aussi les
Damned, de sympathiques Punks avec qui Iron Maiden partage certaines
affiches. Enfin, il ne reste pas insensible au son plutôt métallique
de l'album des Sex Pistols, Never Mind The Bollocks. Les
rythmiques s'accélèrent, les riffs deviennent teigneux malgré des
structures de morceaux plutôt complexes. Peu à peu, il apparaît
qu'un chanteur comme Robert Plant ou Ian Gillan ne convient pas
vraiment. Il n'est pas question de glamour, mais bien d'énergie
pure, de jouer un Heavy-Metal puissant, cent pour cent adrénaline.
En
1977, il finit par trouver son chanteur : Paul DiAnno. Le poil
court, le caractère teigneux, le jeune homme chante avec un timbre
arrogant et agressif, mais qui sait aussi monter dans les aigus et se
montrer sensible quand il le faut. La formation se stabilise avec
Tony Parsons à la seconde guitare et Doug Sampson à la batterie. Le
mouvement Punk a fait long feu, et une nouvelle vague de groupes de
Heavy-Metal commence à faire du bruit dans les clubs : la New
Wave Of British Heavy-Metal. Les premiers groupes signent sur des
labels dès 1979 : Samson, Tygers Of Pan-Tang, Saxon…. Iron
Maiden, en pionnier du genre, est désormais courtisé par les
maisons de disques. Pourtant, Harris et le manager du groupe, Rod
Smallwood, refusent les offres tant qu'elles ne répondront pas à
leurs exigences. Leur premier maxi est auto-produit : The
Soundhouse Tapes est publié en 1979, et se vend par milliers
d'exemplaires à la sortie des concerts. Iron Maiden a ratissé le
pays, et tient une solide base de fans fidèles. Pour se
différencier, le groupe a créé des effets visuels, dont un ancêtre
de leur mascotte, Eddie The Head. C'est une sorte de momie qui crache
de la fumée au-dessus de la batterie. Le groupe achète du matériel,
un camion, et veut être le plus professionnel possible.
La
major EMI offre à Iron Maiden deux morceaux sur la compilation Metal
For Muthas en 1979, première du genre consacrée à ce nouveau
Heavy-Metal. Pourtant, Iron Maiden hésite encore à signer sur EMI,
car leurs conditions sont celles des plus grands groupes. Comme Led
Zeppelin ou Queen, Iron Maiden veut une totale liberté artistique,
et être propriétaire de ses bandes masters, sans parler d'un joli
pourcentage sur les ventes. EMI tousse, mais finit par lâcher. Le
groupe signe donc. Les premières sessions en studio ont lieu en
décembre 1979 avec un fantastique batteur : Clive Burr, et le
non moins brillant Dennis Stratton à la guitare. Mais l'enthousiasme
est vite refroidi par l'ingénieur du son embauché pour
l'enregistrement : Will Malone. L'homme a bonne réputation dans
le milieu musical, mais pas du tout dans le domaine du Heavy-Metal.
Il a enregistré des disques solo de Pop baroque, a travaillé avec
les Smoke dans les années 60… Il est connu pour son talent
d'arrangeur Pop : cuivres, orchestre à cordes…. Mais n'a
absolument aucun atome crochu pour le Heavy-Metal, qui plus est aussi
brutal que celui d'Iron Maiden. Et l'ambiance est d'autant plus
tendue que Steve Harris sait ce qu'il veut, mais ne connaît rien au
monde du studio. Malone passe son temps à lire le journal les pieds
sur la console de mixage, se contentant de lancer les bandes, et
affichant ostensiblement son mépris pour ces jeunes gens chevelus
qu'il méprise.
Le
résultat révulse encore Steve Harris, qui n'aura de cesse de tenter
d'arranger comme il le peut le son des bandes originelles autant
qu'il le peut avec la technologie moderne. Mais rien n'y fait, le son
du premier album, paru en avril 1980, est nasillard. Il manque de
puissance, de celle dont rêvait tant Harris. Dès le disque suivant,
le bassiste trouvera l'homme providentiel en la personne de Martin
Birch, l'ingénieur du son de Deep Purple et de Black Sabbath. Mais
malgré un son superbe dès le second disque, la production minable
de Malone sur ce premier album est comme une ineffaçable cicatrice.
Pourtant, cela n'empêchera pas l'album d'atteindre la quatrième
place des classements d'albums en Grande-Bretagne, puis de briller
dans toute l'Europe. La pochette du disque fait sensation, avec son
mort-vivant, Eddie, rôdant dans les rues à la nuit tombée.
L'auteur, Derek Riggs, deviendra le dessinateur d'absolument tout
concernant Iron Maiden jusqu'en 1994. Iron Maiden assure la première
partie de Kiss sur leur tournée européenne « Unmasked »,
puis ils repartent en tête d'affiche. Ils triompheront au Festival
de Reading 1980 durant l'été. Puis Stratton sera remplacé par le
pote de Murray, le guitariste de Urchin : Adrian Smith. Les deux
amis vont former un des meilleurs duos de guitaristes de l'Histoire
du Rock, apportant beaucoup dès le second disque : Killers.
Mais
ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que le maître, c'est Steve
Harris. Sur les deux premiers albums, il est l'exclusif compositeur
de tous les morceaux des deux premiers albums, laissant de menus
espaces à ses musiciens. DiAnno apportent quelques textes, Murray
compose la musique de «Charlotte The Harlot » sur ce premier
album. A partir de The Number Of The Beast, il faut tout
composer, et il aura besoin de l'érudition littéraire de Bruce
Dickinson et de la science du riff de Murray et Smith. Et si
finalement, la brutalité musicale initiale n'était finalement pas
celle de Steve Harris lui-même ? Et si ce garçon au regard
sympathique et timide n'était-il pas consumé par une colère
intérieure dont Paul DiAnno fut le brillant porte-voix ? Il est
évident que l'éviction du chanteur pour cause d'excès de drogues
et d'alcool ne fut pas simple. Il fut l'homme providentiel, celui qui
participa à la consécration d'Iron Maiden. Harris fit tout ce qu'il
peut pour le sauver du naufrage, à la limite du sacrifice de son
groupe, avant de capituler devant le programme de tournée prévu et
des perspectives merveilleuses qui s'offraient : 120 concerts en
1980, 180 en 1981, 220 en 1982. C'était DiAnno ou Iron Maiden. Le
chanteur au poil court s'échoua tristement. Sa carrière solo connut
quelques jolis sursauts, mais aussi de tristes naufrages. Il devint
notamment le premier tribute de son ancien groupe, musicien drogué,
délinquant, en totale perdition.
C'est
sans doute déjà un peu de cela qui transpire sur ce premier disque
d'Iron Maiden. Steve Harris semble avoir sauvé un temps DiAnno de la
rue en en faisant la figure de proue de son groupe. Campé fermement
sur ses deux jambes, les dents serrées, les yeux fermés, il ne
bouge que pour accompagner les parties instrumentales du groupe. Il
frappe alors frénétiquement le micro sur sa cuisse, torse nu sous
son perfecto, secouant la tête en rythme avec ses guitaristes, comme
possédé par la musique dont il est la voix. Si Malone a produit ce
premier album éponyme en roue libre, il lui a, avec le temps, offert
un son aride et brutal plus proche du Punk que du Heavy-Metal, ce qui
ne va pas manquer d'inspirer les pionniers du Thrash-Metal. On peut
faire du Heavy-Metal et être Punk, voilà la leçon. Et c'est un
producteur ringard de Pop orchestrale des années soixante qui en
sera à l'origine, grâce à son authentique mauvaise volonté.
Les
rééditions dès 1998 permettent d'apprécier au mieux ce premier
album : les basses ont refait surface, et malgré un son sec, la
basse de Steve Harris claque et vrombit comme un bombardier. Clive
Burr joue avec virtuosité et nervosité. Le son des guitares est
gras et abrasif, la voix de DiAnno est splendide, seul musicien mis
en valeur. Est-ce que Malone lui a reconnu un quelconque talent ?
Le mystère reste entier. Pourtant, dès « Prowler », on
plonge dans les bas-fonds des grandes villes industrielles. Le rôdeur
hante les rues, frôle les murs de briques moites de pluie. Le tempo
est rapide, tendu, violent. Les riffs des guitares coupent comme des
lames, les chorus gorgés de wah-wah sonnent comme des sirènes de
police dans la nuit. Le casque sur le nez dans le Kingsway Studio aux
murs couverts de panneaux de liège décrépis et de boîtes d'oeufs,
Murray décoche des chorus supersoniques doublés par ceux, plus
Blues de Stratton.
« Sanctuary »
est sans aucun doute le morceau le plus Punk de Iron Maiden. Un riff
simple, écrasant, une rythmique pied au plancher, il fut l'un des
morceaux phares sur la compilation Metal For Muthas, au point
que que l'on considéra qu'effectivement, cette nouvelle vague avait
régénéré le Heavy-Metal en incorporant le Punk. Iron Maiden
ouvrit la voie à des groupes bien plus agressifs comme Raven,
Holocaust, Savage et Venom, que l'on peut qualifier très précisément
de Proto-Thrash et de Proto-Black. Iron Maiden, avec ce premier album
rugueux et bancal, ouvrait mine de rien la voie à bien des
formations en germe.
« Remember
Tomorrow » est le prototype de la ballade Proto-Thrash. On
retrouve une jolie mélodie en arpège laidback au début, une voix
sensible et sensuelle, mélancolique, avant que le tempo ne
s'emporte, de manière déraisonnée. Le Hard-Rock avait déjà
offert quelques belles ballades viriles, à commencer par la
magnifique « Stairway To Heaven » de Led Zeppelin. La
douleur du Blues se mêlait alors à la mélancolie du Folk. Puis,
UFO offrit quelques merveilles dont le superbe « Love To
Love ». Puis ce fut le tour de Scorpions, et des hard-rockeurs
mélodiques américains : Blue Oyster Cult, Aerosmith, Journey,
Foreigner…. Tout cela n'avait rien à voir avec la vraie virilité
du Hard-Rock, celle du cuir et des clous, bien que le symbole du
genre, Judas Priest, fut conduit par un chanteur aussi prodigieux que
totalement homosexuel : Rob Halford. Iron Maiden réussit à
piocher l'agressivité de Judas Priest, la délicatesse du Hard-Blues
de Free et Led Zeppelin et de la mélodie de UFO, avant de
l'imprégner d'incandescence urbaine. « Remember Tomorrow »
est une merveille absolue qui disparaîtra du répertoire d'Iron
Maiden avec le départ de DiAnno, Dickinson peinant à en
retranscrire toute la subtilité malgré tout son talent vocal.
« Running
Free » est assurément un étendard d'Iron Maiden en ces années
pubères. Rugueux Heavy-Metal martial, c'est un cri de guerre, Punk
absolu. Il est question de courir libre, de picoler, de défoncer les
soirées Disco et de finir au poste. Les guitares virtuoses sont au
second plan, le vrai leader est le chanteur.
« Phantom
Of The Opera » est le premier morceau réellement épique
d'Iron Maiden. Inspiré du roman de Gaston Leroux, il est une longue
pièce de plus de sept minutes qui installe différents climats.
Steve Harris a été profondément abreuvé de romans policiers et
fantastiques dits de seconde zone, livres de gare sans intérêt.
Pourtant, Iron Maiden est un des groupes de Heavy-Metal dont les
textes sont les plus brillants et intellectuels. DiAnno y apportera
sa culture de la rue, les meurtriers légendaires du 19ème siècle
et du début du 20ème, mais aussi ses connaissances en matière de
conflits mondiaux. Dickinson injectera plus tard sa passion pour
William Blake, l'Egypte Ancienne et l'histoire des Religions.
« Transylvania »
est un instrumental vif inspiré du mythe de Dracula. « Strange
World » est une ballade Blues manquant parfois de relief.
« Charlotte The Harlot » s'inspire d'une prostituée,
Heavy-Punk-Metal aussi brutal qu'intelligent. Car il n'est pas
question de plaisir facile, mais du questionnement de la situation de
cette femme dans la société : pourquoi en est-elle là ?
Voudrait-elle s'en sortir ? Il y a beaucoup de tendresse dans ce
morceau pour cette jeune femme perdue, loin des schémas machistes du
Rock. D'ailleurs, Iron Maiden n'hésitera pas à en donner une suite
sur « 22 Acacia Avenue » sur l'album The Number Of The
Beast.
Le
disque se clôt par un autre classique : « Iron Maiden ».
On retrouve l'histoire du nom du groupe : la jeune fille de fer
est un instrument de torture moyen-âgeux, un sarcophage au visage
plus ou moins angélique dans lequel se trouve des piques en acier,
et que l'on referme sur la victime lentement…. Paul DiAnno déclame
un texte morbide : « Je veux voir ton sang couler ».
Ce sont les prémices des textes morbides du Metal à venir. Mais il
est ici question de Moyen-Age, Steve Harris ayant eu l'idée en
visitant le musée de la Tour de Londres, dans lequel ils poseront
pour une session photo promotionnelle en 1980.
Iron
Maiden apprend la nouvelle de son succès commercial sur la route, en
Italie. Ils sympathiseront avec le groupe français Trust, qu'ils
prendront en première partie en 1980. Ils ouvrent la voie à
plusieurs formations anglaises Heavy-Metal : Def Leppard et
Saxon. D'autres vont échouer, mal entourées, mal managées :
Savage, Diamond Head, Tygers Of Pan-Tang, Angel Witch, Trespass….Ils
ont brillé, ils ont survécu, mais leur âme originelle est partie
avec Paul DiAnno, incorrigible garnement à la voix d'or.
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