mercredi 4 avril 2018

CHICKEN SHACK 1969


"Chicken Shack a en fait une importance musicale historique bien plus importante qu'on ne peut le soupçonner. "



CHICKEN SHACK : OK Ken ? 1969
Incontestablement, le guitariste Stan Webb, originaire de Fulham, est de cette génération de gamins anglais traumatisés par le Rock'N'Roll américain qui débarque sur les ondes britanniques. Stan développe un intérêt plus particulier pour la musique noire américaine, le Rythm'N'Blues et le Blues. Il faut dire que ce dernier genre est en pleine effervescence à Londres. Les prémices du British Blues Boom se forment grâce à des musiciens pionniers comme Alexis Korner et Cyril Davies, qui jouent le Blues devant un public qui n'en a jamais entendu parlé. Le Blues est à l'origine une musique afro-américaine, qui n'a que peu dépassé les frontières américaines. Depuis le début des années soixante, quelques esthètes, également amateurs de Jazz, font tourner en Europe les grands maîtres du Blues noir : John Lee Hooker, Muddy Waters, Lightnin Hopkins, ou Howlin Wolf participent à des revues communes ou à des tournées individuelles.

Peu intéressé par sa scolarité, et bien davantage à la musique, Stan quitte l'école de Kidderminster dans les environs de Birmingham où ses parents ont déménagés quand il était gamin pour se lancer pleinement dans la musique. Il forme plusieurs orchestres de Rythm'N'Blues à destination des clubs : Blue Four, Shades Five, Sound Five et Sounds Of Blue. Nous sommes dans les années 1964 et 1965. Stan s'est constitué une petite équipe de musiciens autour de lui : le chanteur David Yeats, le bassiste Andy Silvester, le batteur Rob Elcock et une pianiste, Christine Perfect. Ils sont également accompagnés d'un saxophoniste : Chris Wood, qui rejoindra deux ans plus tard Traffic. Le groupe reprend du Chuck Berry, du Bo Diddley, ou du Mose Allison. Perfect a fait la connaissance de Sylvester et Stan à l'école des Beaux-Arts de Birmingham, sorte d'écoles-voies de garage où les jeunes gens peu passionnés par les études atterrissent. Beaucoup de futurs grands noms du Rock feront les Beaux-Arts à Londres ou ailleurs : Pete Townshend des Who, Mick Jagger des Rolling Stones…. Le cursus peu intensif permet à tous ces apprentis musiciens de se faire la main dans les clubs. Christine Perfect fut d'abord pressentie pour être bassiste, mais finalement, elle se mettra derrière le piano, Sylvester se chargeant de la potence à quatre cordes.

Sounds Of Blue décroche un engagement régulier, se produisant tous les dimanches. Les musiciens repartent avec trois livres chacun. Ils jouent presque un an ensemble. Stan apprécie cette période, mais Christine Perfect beaucoup moins. Elle trouve Sounds Of Blue limité, et une fois son diplôme de sculpture en poche, elle part dans le Sud de Londres où elle serait étalagiste.
Stan Webb, Andy Silvester, et le batteur Alan Morley décident de faire de la musique sérieusement. Ils se produisent dès le début de l'année 1967 au Star-Club de Hambourg, le célèbre club qui a vu les Beatles se forger leur musique. Le nom de Chicken Shack a plusieurs explications. Selon Webb, il proviendrait d'une chanson de Lightnin Hopkins : « Meet Me At The Chicken Shack », reprise notamment par Jimmy Smith. Une autre anecdote veut que leur nom provienne du morceau de Champion Jack Dupree qu'ils accompagnèrent : « Back At The Chicken Shack ». C'était le nom d'un restaurant. La légende, elle, fut colportée par le producteur Mike Vernon qui les découvrit en 1967. Le groupe, redevenu quatuor avec le retour de Christine Perfect, répétait dans un poulailler situé sur la ferme des parents d'Andy Silvester à Stourbridge, dans le Worcestershire, la campagne autour de Birmingham.

Pour l'heure, Stan Webb, Andy Silvester, et Andy Morley jouent au Star-Club et se font une réputation des plus flatteuses, grâce à des prestations particulièrement puissantes, notamment en termes de volume sonore. Le groupe joue sur des rampes d'amplificateurs Marshall situées derrière eux, une première pour un groupe à l'époque. Ils jouent du Rythm'N'Blues, du Muddy Waters, du Howlin'Wolf. Webb se fait la main, joue soir après soir, affinant son jeu de scène.

Lorsqu'ils reviennent en Grande-Bretagne, Sylvester et Webb croisent Christine Perfect. Ils cherchent un pianiste, et la jeune femme n'en peut plus de sa vie terne de petite employée de magasin. Elle veut faire de la musique sa vie. D'abord mal à l'aise au milieu de ces trois bonhommes, elle finira par trouver sa place, notamment en prenant le chant sur certains morceaux et en composant. Cette dernière a pris le chant afin de permettre à Webb de reprendre son souffle pendant les sets. Le guitariste s'occupe de sa formation musicale, et afin qu'elle saisisse ce qu'il attend d'elle, il lui prête une série d'albums de Freddie King. Le guitariste veut qu'elle s'imprègne du jeu du pianiste de King. Stan Webb en est un immense admirateur, et Chicken Shack accompagnera par ailleurs Freddie King lors de sa venue en Grande-Bretagne.

En avril 1967, Chicken Shack se compose alors de Perfect, Webb, Sylvester et Morley. La réputation du groupe est tellement flatteuse qu'un fan écrit au producteur Mike Vernon, qui vient de monter son label de Blues en 1967 : Blue Horizon. Rapidement, Vernon signe plusieurs groupes anglais ainsi que des musiciens noirs américains qu'il apprécie. Il se déplace peu hors de Londres, mais à la vue de ce courrier enflammé, il fait le déplacement au local de répétition de Chicken Shack à Stourbridge. Il les trouve aussitôt formidable, considérant qu'il s'agit du meilleur groupe jouant du Blues de Chicago depuis les Rolling Stones.
Mike Vernon devient le manager du groupe, et les signe sur son label, peu de temps avant le nouveau groupe de Peter Green, ancien guitariste de John Mayall And The Bluesbreakers : Fleetwood Mac. Rapidement, Alan Morley ne fait pas vraiment l'affaire à la batterie, et il est d'abord remplacé par Alvin Sykes, un américain, ancien batteur de BB King, également chanteur. Malheureusement, son visa n'est pas reconduit et il doit repartir. Finalement, c'est un certain Dave Bidwell qui est recruté. Il ne fait pas l'unanimité dans le groupe au départ, car Bidwell est en cure de désintoxication pour sevrage à la drogue. Mais au fur et à mesure, son traitement fonctionne, et Bidwell se révèle comme un batteur de Blues exceptionnel.

Chicken Shack retourne à Hambourg pour se produire cinq fois par soirée pendant un mois. La réputation scénique du groupe est exceptionnelle, grâce à la présence scénique de Stan Webb. Outre le volume sonore particulièrement impressionnant de sa guitare, il aime à déambuler dans la salle, s'asseyant sur les genoux d'une spectatrice ou buvant un verre tout en jouant un solo. Il dispose d'un câble de soixante mètre qu'un roadie déroule et enroule, suivant le musicien partout dans la salle.

En août 1967, Chicken Shack revient en Grande-Bretagne et se produit au Jazz & Blues Festival de Windsor. Il y font une prestation remarquée qui permet à Vernon de leur décrocher un contrat de management avec le tourneur Harry Simmonds, qui n'est autre que le frère de Kim Simmonds, guitariste de Savoy Brown. A ce même festival, Christine Perfect fait la connaissance du bassiste John McVie, qui deviendra son mari deux ans plus tard. Pour l'heure, McVie n'est pas encore le bassiste de Fleetwood Mac, qui fait une de ses premières apparitions sur scène au festival de Windsor. Outre Green, Fleetwood Mac est alors composé de Mick Fleetwood à la batterie, de Jeremy Spencer à la guitare, et de Bob Brunning à la basse.

Chicken Shack a en fait une importance musicale historique bien plus importante qu'on ne peut le soupçonner. Le quatuor apparaît sur le secteur de Birmingham, ville dont la scène musicale va être capitale dans l'essor du Heavy-Metal. La ville est un véritable vivier d'où sortiront des musiciens essentiels : Black Sabbath, Judas Priest, mais aussi Trapeze avec le bassiste-chanteur Glenn Hughes. Il faut également évoquer deux musiciens discrets jouant alors dans un modeste petit orchestre de Blues, le Band Of Joy : le chanteur Robert Plant et le batteur John Bonham. Ils seront la composante « Made In Birmingham » au sein de Led Zeppelin. Tout le monde se connaît, et la scène musicale de la ville est une grande famille.

Chicken Shack va être une des premières formations bruyantes de la ville à émerger, et sa musique va faire date. Si Eric Clapton est véritablement celui qui a crée le Blues électrique qui préfigure le futur Heavy-Metal sur l'album John Mayall And The Blues Breakers With Eric Clapton en 1966, c'est Chicken Shack et son Blues gonflé aux amplificateurs Marshall qui influence la scène de Birmingham.
Le son puissant de Clapton venait de l'utilisation d'un amplificateur Marshall JTM 45 que le musicien décida d'utiliser en direct dans le studio plutôt que de brancher sa Les Paul Gibson directement dans la table de mixage. Mike Vernon, producteur chez Decca depuis 1963, et chargé des séances finira par accepter cette nouvelle approche suite à l'insistance de Clapton. John Mayall surnommait alors le puissant amplificateur de Clapton le « Blues Breaker », le broyeur de Blues. Cette expression deviendra le nom du groupe de Mayall pour les années à venir. Quant à l'idée de jouer en direct dans le studio, elle sera reprise par tous les groupes de Hard-Rock et de Heavy-Metal.

Stan Webb et Chicken Shack sont passés au niveau supérieur en s'équipant de stacks Marshall, des rampes d'amplificateurs complètes, bien plus puissantes que le simple amplificateur d'Eric Clapton. Cette puissance, couplée au jeu de Webb inspiré de Freddy King et Buddy Guy, font de l'approche du Blues de Chicken Shack une musique agressive et incandescente à l'influence majeure pour les jeunes musiciens de Birmingham qui assistent aux concerts.
John Bonham et Stan Webb resteront de très bons amis, et feront les quatre cent coups, fortement imbibés de divers alcools en très grande quantité. Tous n'oublieront pas l'apport musical décisif de Chicken Shack pour la suite de la musique anglaise. Earth, petit quartet de Blues local, deviendra Black Sabbath, Bonham et Plant rejoindront Led Zeppelin non sans quelques idées en poche, et après un album plutôt Soul, Trapeze optera pour le format trio et le Hard-Blues.

Autre aspect méconnu, ce Blues joué à fort volume va donner des idées à l'une des formations les plus populaires du pays : Status Quo. D'abord psychédélique, le groupe de Francis Rossi et Rick Parfitt va s'orienter vers le Blues-Rock à partir de son troisième album : Ma Kelly's Greasy Spoon en 1970. La formation conserve encore quelques éléments psychédéliques dans sa musique, mais Status Quo mute vers un Blues électrique et dynamique. Dog Of Two Head poursuit sur cette trajectoire en 1971.

En 1970, Status Quo écoute énormément Chicken Shack, qu'ils vont fusionner avec le Rock'N'Roll de Little Richard. Le groupe a eu l'occasion d'accompagner Chicken Shack sur la route alors que Christine Perfect était encore là, et tous les soirs ils assistent à leurs sets. Francis Rossi ce souvient : « On se mettait sur le côté de la scène et Chicken Shack démarrait : « 2...3...4...dunk du dunk du dunk du dunk ». Et une heure et demi plus tard, ils continuaient sur ce même gimmick. Et là on s'est dit : « Mais c'est génial ! Pourquoi on ferait pas ça ? » »
Ce tempo, c'est le Boogie, celui qui va faire la charpente de la musique de Status Quo durant les dix prochaines années. Le Boogie, essence musicale posée par John Lee Hooker et perfectionnée par Chicken Shack et Stan Webb, va devenir la base de la musique vigoureuse en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis : Status Quo, AC/DC, Cactus, Humble Pie….

Le premier album de Chicken Shack, Forty Blue Fingers Freshly Packed And Ready To Serve, est publié en juin 1968. Excellent album de Blues anglais, il lui manque toutefois le relief, la vigueur qui fait la réputation du quatuor sur scène. Le tir est corrigé avec le second disque, OK Ken ?, publié en février 1969. Toujours serti dans une pochette farfelue à l'humour typiquement anglais, spécialité du label Blue Horizon, on découvre un Chicken Shack plus lourd, plus Boogie. La section rythmique est d'abord bien mise en avant. La batterie de Dave Bidwell est puissante, la basse de Andy Sylvester épaisse et entêtante. Le piano de Christine Perfect est grave et lourd, et la guitare de Stan Webb est grasse et sauvage. Quelques cuivres viennent s'ajouter à cette formidable mixture, petite touche Soul empruntée à Freddie King.

On la retrouve d'ailleurs dès le morceau d'ouverture « Baby's Got Me Crying », puis sur le Boogie « The Right Way Is My Way ». le chant de Stan Webb est mieux maîtrisé. Sur le premier album, Webb avait la fâcheuse tendance à vouloir imiter les chanteurs noirs américains, y compris dans les montées en gammes. Mais son timbre coassant et son manque de maîtrise vocale provoquèrent quelques sorties de route auditives. L'homme chante ici de manière plus naturelle, et sa voix est enfin mise en valeur. Car il a du talent, Stan, et n'a pas besoin d'en faire des caisses pour briller. Il alterne bien évidemment les plages avec Christine Perfect, qui se charge du lourd et Boogie « Get Like You Used To Be ». Ce morceau est tout dévoué au talent de Christine Perfect, qui tient seule le morceau, piano et chant. Il n'y a ici pas de trace de guitare, mais juste quelques licks de saxophone.
Stan Webb revient dans le jeu avec le lourd et menaçant « Pony And Trap », superbe instrumental mettant en avant le talent d'improvisateur de Webb. Le morceau se déroule au rythme du pas du cheval. Christine Perfect offre un accompagnement de piano Blues inspiré d'Otis Spann de tout premier ordre.

« Tell Me » est un vrai et pur Boogie électrique dont Status Quo s'inspirera allégrement. La rythmique est appuyée, et Webb gratte un riff de guitare électrique obsédant. Il chante d'une manière forcée, empreinte d'humour. Ses chorus sont sauvages, et vont eux aussi influencer Francis Rossi du Quo, ce son de guitare râpeuse, tendu, dénué de pédales d'effet. La voix de Stan va aussi décomplexer de nombreux musiciens : il n'est pas nécessaire d'être un fantastique hurleur pour être un bon chanteur de Blues-Rock, il suffit d'avoir un timbre de voix bien maîtrisée, sans forcer. Webb déclenche la foudre à chaque solo, véritable festival permettant d'apprécier toute l'étendue de son talent de guitariste.
« A Woman Is The Blues », Blues-Rock au tempo entraînant, permet à Perfect et Webb d'alterner le chant. La guitariste se fend d'un solo subtil, délicat, tout en nuances presque Jazz. « I Wanna See My Baby » est un épais Blues mid-tempo cuivré faussement capté dans un club. La prise est toutefois directe. « Remington Ride » est un frétillant Boogie instrumental qui permet à Webb de disserter à la guitare, faisant état de son feeling impeccable et de sa dextérité.
« Fishing In Your River » est un beau Blues enluminé de cuivres, et chanté par Webb. Le guitariste apporte quelques ponctuations, et se concentre sur le chant, poussant une voix plaintive, pleine de douleur et de sensibilité. Son solo est une superbe envolée semi laidback, poisseuse, portée par les cuivres et le piano de Christine Perfect.

« Mean Old World » est un épais Boogie chanté par Christine. Il est surligné d'harmonica, celui de Walter « Shakey » Horton. La guitare y est très discrète. « Sweet Sixteen » est un superbe Blues de six minutes, parfaite synthèse du talent de Chicken Shack pour ce genre. Webb y est encore impérial à la guitare et au chant, il est magnifiquement accompagné par Perfect, Sylvester et Bidwell. Tout au long de cet album, on retrouve ce tempo caractéristique du Boogie, plus ou moins rapide, plus ou moins lourd. Mais l'assise rythmique sur cet album est impériale, et fait de ce disque bien plus qu'un simple ersatz britannique du Blues américain. On distingue déjà la puissance, la force du Rock anglais imprimée dans le Blues, et qui va donner naissance en janvier 1969 au premier album de Led Zeppelin. Chicken Shack se voulait dans une lignée Blues plus puriste, alors que le quatuor de Jimmy Page optera pour la variante irrévérencieuse portée par Jimi Hendrix et le Jeff Beck Group.

Malgré le cataclysme Led Zeppelin, plusieurs groupes issus du Blues anglais réussiront aux Etats-Unis, comme Savoy Brown ou Fleetwood Mac. Status Quo va pousser la logique du Boogie à son paroxysme pour briller dans toute l'Europe. Quant à Chicken Shack, il va se prendre les pieds dans le tapis. Christine Perfect s'en va après la parution de l'album, et alors que le simple « I'd Rather Go Blind » devient un tube en Europe. Remplacée par le pianiste Paul Raymond, le groupe ne sait pas trop dans quelle voie aller. Il va persévérer dans le Blues-Rock, mais ne va pas rééditer l'exploit de cet album, ni dans l'inspiration, ni dans la puissance sonore. Chicken Shack peine à sortir des albums à la hauteur de ses prestations scéniques, et perd du terrain durant les deux années décisifs pour le Rock que sont 1969 et 1970. C'est finalement, acculé, dos au mur, seul, que Webb sortira son grand œuvre, Imagination Lady, en 1972.

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