lundi 30 octobre 2017

IGGY POP & JAMES WILLIAMSON 1975

"Le blond et le brun se montrent plus taquins, plus finauds, et dévoilent une musique riche, qui va au-delà de la simple démo."

IGGY  POP & JAMES WILLIAMSON : Kill City 1977

En 1977, James Osterberg, alias Iggy Pop, est un grand con dégingandé de trente piges qu'une nouvelle génération de groupes considère comme le parrain de leur mouvement : le Punk. A l'heure où beaucoup de musiciens se posent la question de poursuivre ou d'arrêter les conneries, Iggy continue. Encouragé et soutenu par son vieil ami David Bowie, Iggy va enregistrer en Allemagne deux albums qui feront date dans sa discographie personnelle : The Idiot et Lust For Life. Ces disques lui permettent d'accéder à une notoriété internationale qu'il n'a jamais connu, et les ventes sont suffisantes pour que des labels indépendants essaient de mettre la main sur des bandes où figurent Iggy Pop. Eux aussi veulent participer à la fête, et les albums bootlegs des Stooges fleurissent, transcrivant des concerts à la qualité sonore fort discutable.

Avec l'arrivée de James Williamson à la guitare en 1972, rétrogradant Ron Asheton à la basse, c'est le début d'une longue coda à base d'héroïne qui va empoisonner Iggy Pop et le batteur Scott Asheton. Raw Power, publié en 1973, laisse entrevoir la férocité du nouveau bretteur, mais montre aussi combien les Stooges sont devenus de véritables machines d'autodestruction. Le disque est tellement brutal qu'il disparaît rapidement des radars, ses ventes minables ne permettant aux Stooges que de se produire dans des clubs afin de payer les doses jusqu'au début de l'année 1974. Les Stooges disparaissent dans l'animosité et l'anonymat total. Seuls quelques amateurs éclairés vantent les qualités du groupe, véritable symbole du jusqu'au-boutisme et du nihilisme musical, soit exactement ce que cherchent à exprimer les Punks trois ans plus tard en Grande-Bretagne. Iggy Pop devient un symbole, un précurseur, celui qui avait déjà tout vu au milieu du Progressif de stades.

Lorsque Iggy renaît de ses cendres, le label Bomp va exhumer grâce à l'aide du guitariste James Williamson des bandes datant de 1975. Les deux musiciens avaient travaillé ensemble le temps de capter quelques bandes de démonstration permettant à Williamson de démarcher les labels, pendant que Pop finissait son séjour en hôpital psychiatrique. D'ailleurs les morceaux furent captés les week-ends de sortie autorisée d'Iggy Pop de son institut médical. Rapidement qualifié d'opportuniste et de sans intérêt, ce qui deviendra l'album Kill City passa à la trappe, seulement acheté par les fans purs et durs. Cela permit à Williamson de récupérer seul un peu de cash. Il retravaillera en 1979 avec Iggy Pop pour l'album New Values avant de laisser tomber la musique et de se lancer, clean, dans l'informatique.

Il deviendra un des pontes d'une société internationale d'informatique, avant de prendre sa retraite et de remplacer un Ron Asheton décédé au sein des Stooges reformés pour le bonheur de tous les fans. Fier et confiant, il entreprit également en 2010 de remixer Kill City, comme le fit Iggy Pop avec Raw Power afin de le débarrasser de la production nasillarde de Bowie pour lui redonner les testicules initiaux.

Ce qu'à fait Williamson avec Kill City tient du miracle : il a transfiguré cet album de démos bancales pour en révéler la vraie force. Certains pisse-froids lui reprocheront sa déformation, je fais partie de ceux qui applaudissent. Williamson a fait de Kill City un vrai grand album, sans doute ce qui aurait pu être le quatrième des Stooges, mais pas que. En tout cas, Iggy Pop en fut assez fier pour en déterrer la chanson éponyme pour la tournée des Stooges de 2010-2011.

On a souvent considéré James Williamson comme un guitariste fabuleux doublé d'un personnage froid et calculateur. Sans doute faut-il y voir les effets ravageurs de l'héroïne sur ce comportement erratique et malfaisant. Mais en 1975, les choses sont clarifiées. Williamson survit de sessions pour les autres, et a réduit sa consommation de stupéfiants durs. Iggy Pop tente de s'en débarrasser définitivement, préférant se couper brutalement du monde interlope du Rock underground américain pour retrouver la sérénité et une vie normale. Son corps a souffert de sept années de Stooges qui l'auront vu se battre dans le public, se taillader le torse avec des tessons de bouteille, affronter un public de bikers, et s'être défoncé dans des squats sordides, ne mangeant que quand une charmante groupie l'héberge le temps d'une nuit. L'histoire des Stooges est des plus sordides, bien loin de la lumière noire des trois albums studio impeccables du groupe. Lorsque Williamson vient retrouver Iggy Pop, le chanteur refuse net. Il ne veut pas replonger, il ne veut pas mourir.

Mais le guitariste est persuasif, et Osterberg sait que le musicien est surdoué. Iggy viendra durant ses permissions, tranquillement, Williamson s'occupe de tout. La situation est confortable et sans risque. Les belles photos du livret de l'édition 2010 montrent deux hommes décontractés et complices. Iggy Pop a les cheveux blond platine, mais a perdu son apparence de fantôme squelettique, il a retrouvé le sourire. Williamson n'a plus les joues creusées par la dope. Il fume beaucoup, mais son visage est à nouveau humain. Les deux garnements s'entendent parfaitement musicalement, c'est ce qui a convaincu Pop de l'imposer au sein des Stooges et de forcer Ron Asheton à laisser sa place pour prendre la basse.

Iggy Pop a raison : James Williamson est un superbe guitariste et un excellent compositeur. Totalement libérés de toute contrainte, les deux composent un excellent album de Rock, qui doit bien davantage aux Rolling Stones qu'aux Stooges. La violence sonore n'est pas le principal atout. Williamson ajoute de la guitare acoustique, de l'orgue Hammond, du piano, des cuivres, des choeurs Soul. Certes, il joue toujours comme une teigne, et tient parfaitement le rôle de rythmicien comme celui de soliste avec une aisance rare. Iggy Pop se transforme en Mick Jagger trash, hululant, feulant, rugissant comme rarement il ne l'aura fait. Sa palette vocale complète est mise à contribution, et jamais Iggy Pop ne fut à ce point mis en valeur. Williamson a serti un écrin parfait à son chanteur. Il pose sa voix en fonction des ambiances, gribouillant des paroles relatives à sa vie du moment, ses cauchemars et ses doutes : des filles louches, la nuit, la violence, la drogue, la justice.

Le blond et le brun se montrent plus taquins, plus finauds, et dévoilent une musique riche, qui va au-delà de la simple démo. Pour avoir écouté la version initiale, il est évident que Williamson a transformé ces bandes brutes en un album à part entière, rien qu'en équilibrant les instruments et les musiciens. Il en a aussi conservé l'aspect brut, sans filtre, de l'enregistrement initial. Kill City devient le Exile On Main Street des Stooges, un album poisseux qui largua tout le monde mais révèle au monde onze chansons magnifiques. Iggy Pop n'est pas un simple faire-valoir, il est partie prenante, il compose, autant qu'il le peut, surtout sur les textes qu'il doit chanter, et qu'il refuse qu'un autre le fasse à sa place.

« Kill City » est un mordant Rolling Stones Rock qui rencontre la brutalité des Stooges. Les choeurs Soul sur le refrain reviennent à cette source Blues'N'Soul qui irriguent énormément ce disque. Immédiat, brutal, il montre combien les Stooges auraient pu devenir les Rois du Rock à riffs, quelque part entre le Heavy-Metal et le Blues-Rock, avec cette âpreté caractéristique des banlieues crades. Personnellement, j'adore ces mélodies mélancoliques comme « Sell Your Love ». Il y a tant de douleur, d'amertume. Iggy Pop ne chante pas, il conte, laissant la place aux choeurs pour apporter de la mélodie vocale.

« Beyond The Law » a beaucoup compté pour moi. Cette amertume latente sur un tempo Boogie laisse entrevoir la difficulté derrière le réalisme. Il est suivi de « I Got Nothing », inédit des Stooges correctement capté, et qui confirme la voie musicale suivie par les Stooges en 1974. « Johanna » est un beau Electric Blues-Rock dominé par le saxophone de John Harden. Scott Thurston tient le piano, comme il le fit au sein des Stooges entre 1971 et 1973.

Williamson fait suivre un instrumental en deux parties, aussi surprenant qu'il puise dans les tonalités nocturnes et tribales : « Night Theme ». Le morceau est prenant et angoissant, son ambiance est tribale, sauvage, il n'est pas qu'une simple parenthèse. « Consolation Prizes » qui suit est une véritable démonstration de Rolling Stones à la version Stooges. Puissant, nerveux, sans concession, il n'est pas Hard, il a du nerf et de la virtuosité.


« No Sense Of Crime » est un magnifique morceau électro-acoustique, qui n'est pas sans rappeler …. « Wild Horses » des Rolling Stones. Iggy Pop déclame, sa voix a la profondeur d'un crooner Soul, davantage que Mick Jagger. « Lucky Monkeys » prolonge cette voie, enrichie d'harmonica poussiéreux. L'ambiance est vaporeuse, hantée, rare. « Master Charge » est un épais Boogie-Blues cancéreux tenu à la Pedal-Steel. C'est un instrumental, complété de piano Fender Rhodes, coda cancéreuse qu'illumine quelques chorus de guitare, celle de Williamson. Kill City est un tellement bon album. Enfin doté de sa vraie qualité sonore, il devient le premier vrai album solo d'Iggy Pop, et à mon sens, son meilleur.

tous droits réservés

3 commentaires:

Malvers a dit…

Merci Budgie, ça fait du bien! C'est tout à fait ça, une fusion des stones et stooges! Iggy est plus accessible... ça me manquait, génial!
Roooh et cette sublime photo où ils embrassent le merveilleux fessier d'une jolie brune!

Anonyme a dit…

Oups ! J'ai un train de retard : je ne savais que "Kill City" avait été remixé. Et là, effectivement, la donne est différente ; tout simplement meilleure. Du coup, ça fait un disque à réhabiliter.
Du "stones meets The Stooges". C'est tout à fait ça.

(avec en plus, à mon sens, du Kiss pour "Kill City" et du Alice Cooper pour "Consolation Prizes")

[et encore un article aux p'tits oignons]

Julien Deléglise a dit…

A Aurélien : J'ai toujours beaucoup aimé ce disque, même en version originale. Et j'ai beaucoup de respect pour le jeu de Williamson, qui a à la fois beaucoup d'agressivité et de classe.

A Bruno : je dois t'avouer que j'ai découvert cette version restaurée il y a peu. personne n'en a vraiment parlé, car je pense que la presse Rock est majoritairement contre ces bandes retravaillées, car cela pollue l'esprit originel du disque, fut-il médiocre. La version restaurée de "Raw Power" par Iggy avait un tollé, alors que ce qu'il a fait, c'est restitué le disque tel qu'il aurait dû être, avec toute sa puissance. Ici,Williamson a entrepris le travail de mixage qui n'avait jamais été fait, et le résultat est superbe.