"Le blond et le brun se montrent plus taquins, plus finauds, et dévoilent une musique riche, qui va au-delà de la simple démo."
IGGY POP & JAMES WILLIAMSON : Kill City 1977
En
1977, James Osterberg, alias Iggy Pop, est un grand con dégingandé
de trente piges qu'une nouvelle génération de groupes considère
comme le parrain de leur mouvement : le Punk. A l'heure où
beaucoup de musiciens se posent la question de poursuivre ou
d'arrêter les conneries, Iggy continue. Encouragé et soutenu par
son vieil ami David Bowie, Iggy va enregistrer en Allemagne deux
albums qui feront date dans sa discographie personnelle : The
Idiot et Lust For Life. Ces disques lui permettent
d'accéder à une notoriété internationale qu'il n'a jamais connu,
et les ventes sont suffisantes pour que des labels indépendants
essaient de mettre la main sur des bandes où figurent Iggy Pop. Eux
aussi veulent participer à la fête, et les albums bootlegs des
Stooges fleurissent, transcrivant des concerts à la qualité sonore
fort discutable.
Avec
l'arrivée de James Williamson à la guitare en 1972, rétrogradant
Ron Asheton à la basse, c'est le début d'une longue coda à base
d'héroïne qui va empoisonner Iggy Pop et le batteur Scott Asheton.
Raw Power, publié en 1973, laisse entrevoir la férocité du
nouveau bretteur, mais montre aussi combien les Stooges sont devenus
de véritables machines d'autodestruction. Le disque est tellement
brutal qu'il disparaît rapidement des radars, ses ventes minables ne
permettant aux Stooges que de se produire dans des clubs afin de
payer les doses jusqu'au début de l'année 1974. Les Stooges
disparaissent dans l'animosité et l'anonymat total. Seuls quelques
amateurs éclairés vantent les qualités du groupe, véritable
symbole du jusqu'au-boutisme et du nihilisme musical, soit exactement
ce que cherchent à exprimer les Punks trois ans plus tard en
Grande-Bretagne. Iggy Pop devient un symbole, un précurseur, celui
qui avait déjà tout vu au milieu du Progressif de stades.
Lorsque
Iggy renaît de ses cendres, le label Bomp va exhumer grâce à
l'aide du guitariste James Williamson des bandes datant de 1975. Les
deux musiciens avaient travaillé ensemble le temps de capter
quelques bandes de démonstration permettant à Williamson de
démarcher les labels, pendant que Pop finissait son séjour en
hôpital psychiatrique. D'ailleurs les morceaux furent captés les
week-ends de sortie autorisée d'Iggy Pop de son institut médical.
Rapidement qualifié d'opportuniste et de sans intérêt, ce qui
deviendra l'album Kill City passa à la trappe, seulement
acheté par les fans purs et durs. Cela permit à Williamson de
récupérer seul un peu de cash. Il retravaillera en 1979 avec Iggy
Pop pour l'album New Values avant de laisser tomber la musique
et de se lancer, clean, dans l'informatique.
Il
deviendra un des pontes d'une société internationale
d'informatique, avant de prendre sa retraite et de remplacer un Ron
Asheton décédé au sein des Stooges reformés pour le bonheur de
tous les fans. Fier et confiant, il entreprit également en 2010 de
remixer Kill City, comme le fit Iggy Pop avec Raw Power
afin de le débarrasser de la production nasillarde de Bowie pour lui
redonner les testicules initiaux.
Ce
qu'à fait Williamson avec Kill City tient du miracle :
il a transfiguré cet album de démos bancales pour en révéler la
vraie force. Certains pisse-froids lui reprocheront sa déformation,
je fais partie de ceux qui applaudissent. Williamson a fait de Kill
City un vrai grand album, sans doute ce qui aurait pu être le
quatrième des Stooges, mais pas que. En tout cas, Iggy Pop en fut
assez fier pour en déterrer la chanson éponyme pour la tournée des
Stooges de 2010-2011.
On
a souvent considéré James Williamson comme un guitariste fabuleux
doublé d'un personnage froid et calculateur. Sans doute faut-il y
voir les effets ravageurs de l'héroïne sur ce comportement
erratique et malfaisant. Mais en 1975, les choses sont clarifiées.
Williamson survit de sessions pour les autres, et a réduit sa
consommation de stupéfiants durs. Iggy Pop tente de s'en débarrasser
définitivement, préférant se couper brutalement du monde interlope
du Rock underground américain pour retrouver la sérénité et une
vie normale. Son corps a souffert de sept années de Stooges qui
l'auront vu se battre dans le public, se taillader le torse avec des
tessons de bouteille, affronter un public de bikers, et s'être
défoncé dans des squats sordides, ne mangeant que quand une
charmante groupie l'héberge le temps d'une nuit. L'histoire des
Stooges est des plus sordides, bien loin de la lumière noire des
trois albums studio impeccables du groupe. Lorsque Williamson vient
retrouver Iggy Pop, le chanteur refuse net. Il ne veut pas replonger,
il ne veut pas mourir.
Mais
le guitariste est persuasif, et Osterberg sait que le musicien est
surdoué. Iggy viendra durant ses permissions, tranquillement,
Williamson s'occupe de tout. La situation est confortable et sans
risque. Les belles photos du livret de l'édition 2010 montrent deux
hommes décontractés et complices. Iggy Pop a les cheveux blond
platine, mais a perdu son apparence de fantôme squelettique, il a
retrouvé le sourire. Williamson n'a plus les joues creusées par la
dope. Il fume beaucoup, mais son visage est à nouveau humain. Les
deux garnements s'entendent parfaitement musicalement, c'est ce qui a
convaincu Pop de l'imposer au sein des Stooges et de forcer Ron
Asheton à laisser sa place pour prendre la basse.
Iggy
Pop a raison : James Williamson est un superbe guitariste et un
excellent compositeur. Totalement libérés de toute contrainte, les
deux composent un excellent album de Rock, qui doit bien davantage
aux Rolling Stones qu'aux Stooges. La violence sonore n'est pas le
principal atout. Williamson ajoute de la guitare acoustique, de
l'orgue Hammond, du piano, des cuivres, des choeurs Soul. Certes, il
joue toujours comme une teigne, et tient parfaitement le rôle de
rythmicien comme celui de soliste avec une aisance rare. Iggy Pop se
transforme en Mick Jagger trash, hululant, feulant, rugissant comme
rarement il ne l'aura fait. Sa palette vocale complète est mise à
contribution, et jamais Iggy Pop ne fut à ce point mis en valeur.
Williamson a serti un écrin parfait à son chanteur. Il pose sa voix
en fonction des ambiances, gribouillant des paroles relatives à sa
vie du moment, ses cauchemars et ses doutes : des filles
louches, la nuit, la violence, la drogue, la justice.
Le
blond et le brun se montrent plus taquins, plus finauds, et dévoilent
une musique riche, qui va au-delà de la simple démo. Pour avoir
écouté la version initiale, il est évident que Williamson a
transformé ces bandes brutes en un album à part entière, rien
qu'en équilibrant les instruments et les musiciens. Il en a aussi
conservé l'aspect brut, sans filtre, de l'enregistrement initial.
Kill City devient le Exile On Main Street des Stooges,
un album poisseux qui largua tout le monde mais révèle au monde
onze chansons magnifiques. Iggy Pop n'est pas un simple faire-valoir,
il est partie prenante, il compose, autant qu'il le peut, surtout sur
les textes qu'il doit chanter, et qu'il refuse qu'un autre le fasse à
sa place.
« Kill
City » est un mordant Rolling Stones Rock qui rencontre la
brutalité des Stooges. Les choeurs Soul sur le refrain reviennent à
cette source Blues'N'Soul qui irriguent énormément ce disque.
Immédiat, brutal, il montre combien les Stooges auraient pu devenir
les Rois du Rock à riffs, quelque part entre le Heavy-Metal et le
Blues-Rock, avec cette âpreté caractéristique des banlieues
crades. Personnellement, j'adore ces mélodies mélancoliques comme
« Sell Your Love ». Il y a tant de douleur, d'amertume.
Iggy Pop ne chante pas, il conte, laissant la place aux choeurs pour
apporter de la mélodie vocale.
« Beyond
The Law » a beaucoup compté pour moi. Cette amertume latente
sur un tempo Boogie laisse entrevoir la difficulté derrière le
réalisme. Il est suivi de « I Got Nothing », inédit des
Stooges correctement capté, et qui confirme la voie musicale suivie
par les Stooges en 1974. « Johanna » est un beau Electric
Blues-Rock dominé par le saxophone de John Harden. Scott Thurston
tient le piano, comme il le fit au sein des Stooges entre 1971 et
1973.
Williamson
fait suivre un instrumental en deux parties, aussi surprenant qu'il
puise dans les tonalités nocturnes et tribales : « Night
Theme ». Le morceau est prenant et angoissant, son ambiance est
tribale, sauvage, il n'est pas qu'une simple parenthèse.
« Consolation Prizes » qui suit est une véritable
démonstration de Rolling Stones à la version Stooges. Puissant,
nerveux, sans concession, il n'est pas Hard, il a du nerf et de la
virtuosité.
« No
Sense Of Crime » est un magnifique morceau électro-acoustique,
qui n'est pas sans rappeler …. « Wild Horses » des
Rolling Stones. Iggy Pop déclame, sa voix a la profondeur d'un
crooner Soul, davantage que Mick Jagger. « Lucky Monkeys »
prolonge cette voie, enrichie d'harmonica poussiéreux. L'ambiance
est vaporeuse, hantée, rare. « Master Charge » est un
épais Boogie-Blues cancéreux tenu à la Pedal-Steel. C'est un
instrumental, complété de piano Fender Rhodes, coda cancéreuse
qu'illumine quelques chorus de guitare, celle de Williamson. Kill
City est un tellement bon album. Enfin doté de sa vraie qualité
sonore, il devient le premier vrai album solo d'Iggy Pop, et à mon
sens, son meilleur.
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3 commentaires:
Merci Budgie, ça fait du bien! C'est tout à fait ça, une fusion des stones et stooges! Iggy est plus accessible... ça me manquait, génial!
Roooh et cette sublime photo où ils embrassent le merveilleux fessier d'une jolie brune!
Oups ! J'ai un train de retard : je ne savais que "Kill City" avait été remixé. Et là, effectivement, la donne est différente ; tout simplement meilleure. Du coup, ça fait un disque à réhabiliter.
Du "stones meets The Stooges". C'est tout à fait ça.
(avec en plus, à mon sens, du Kiss pour "Kill City" et du Alice Cooper pour "Consolation Prizes")
[et encore un article aux p'tits oignons]
A Aurélien : J'ai toujours beaucoup aimé ce disque, même en version originale. Et j'ai beaucoup de respect pour le jeu de Williamson, qui a à la fois beaucoup d'agressivité et de classe.
A Bruno : je dois t'avouer que j'ai découvert cette version restaurée il y a peu. personne n'en a vraiment parlé, car je pense que la presse Rock est majoritairement contre ces bandes retravaillées, car cela pollue l'esprit originel du disque, fut-il médiocre. La version restaurée de "Raw Power" par Iggy avait un tollé, alors que ce qu'il a fait, c'est restitué le disque tel qu'il aurait dû être, avec toute sa puissance. Ici,Williamson a entrepris le travail de mixage qui n'avait jamais été fait, et le résultat est superbe.
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