"Il
n'y a pas de lumière en Enfer, et c'est sans doute ce qui carbonisa
ce quatuor venu du Danemark. "
MOONLESS :
Calling All Demons 2012
Il
n'y a pas de lumière en Enfer, et c'est sans doute ce qui carbonisa
ce quatuor venu du Danemark. Il ne reste que bien peu de choses de
leur courte existence, à part ce disque au combien grandiose. Monté
par une petite équipe de fous furieux de Doom-Metal et de vieux
Proto-Metal des années 70, Moonless est un groupe qui n'a aucune
autre prétention que d'offrir une musique jouissive, qu'importe si
sur le papier elle n'apporte rien à la grande Histoire du
Rock'N'Roll.
Moonless
s'inspire de Pentagram, fortement, The Obsessed, et bien évidemment
Black Sabbath. Il ne s'embarrasse pas de tempi ultra-ralentis,
d'atmosphères gothiques, ou de fioritures théâtrales. Il va à
l'essentiel, pour que le groupe comme l'auditeur subissent le shoot
d'adrénaline.
Un
rapide tour des forces en présence s'impose. D'abord, le groupe est
fondé aux alentours de 2010 parmi la modeste scène Heavy-Metal
danoise. Si les voisins norvégiens et suédois sont plutôt bien
dotés en groupes de Rock à haute énergie, le Danemark est un bien
modeste dealer de fulgurances électriques. Néanmoins, on peut y
compter les fantastiques héros Prog-Rock Culpeper's Orchard entre
1970 et 1974, et les noirs chevaliers du Heavy-Metal progressif
satanique : Mercyful Fate. Mais depuis, pas grand-chose de
notable, et on peut l'expliquer, vu la taille modeste du pays, assez
proche de la Suisse, y compris dans l'esprit même de ses habitants.
Les remerciements plus que succincts dans les notes de pochette
montrent combien Moonless dû se forger seul, uniquement soutenu par
une maigre équipe de fanatiques convaincus et basée à Copenhague.
Le
guitariste Hasse Dalgaard et le chanteur Kenni Holmstad Petersen
unissent leurs forces, rejoints par le batteur Tommas Svendsen et le
bassiste Kasper Maarbjerg. Le jus sort rapidement de ses gonades, et
une séminale substance aboutit en l'écriture et la répétition de
six morceaux qui serviront de base à un premier album, support
indispensable pour se faire un nom sur le circuit visé : le
Stoner et le Doom. Le public en question est encore attaché à la
notion d'album, qui doit être défendu comme il se doit sur scène.
Moonless va donc consciencieusement distribuer son album en vinyle et
en cd via un petit label tchèque, Doomentia Records, et va
développer son merchandising : autocollants, tee-shirts…. Il
tourne également en compagnie d'équipages de trois ou quatre
groupes à travers l'Europe : pêle-mêle Suma, Cauchemar,
Bottom Feeder… Les dates restent cantonnées au Nord de l'Europe,
et Moonless ne décrochera pas une première partie plus flatteuse
lui permettant de tourner à travers le continent devant des foules
plus nombreuses. Il brave les intempéries jusqu'en 2014, date de sa
dissolution officielle. Depuis, les musiciens semblent avoir retrouvé
l'anonymat le plus complet, aucun n'ayant poursuivi dans une autre
formation, à ma connaissance toutefois.
Mais
déjà, le parcours de Moonless était truffé d'embûches. En effet,
le disque fut capté au Samsø
Austin Museum en septembre 2010, et ne verra le jour sur Doomentia
Records qu'en 2012. En quelques mois, le groupe avait à sa
disposition une matière musicale d'une qualité assez stupéfiante.
Moonless pratique un Doom fortement imbibé de Stoner-Rock,
c'est-à-dire que la musique est à la fois massive et menaçante, et
doté d'un groove imparable. La voix de Petersen est totalement
parfaite pour cette musique : rugissante, à la fois puissante
et râpeuse, dotée d'un voile rugueux et d'un petit trémolo sur les
notes les plus hautes. La section rythmique est aussi à l'aise sur
les tempi rapides que sur ceux plus lourds. Souple, dynamique, elle
ne fait aucun quartier. Il n'y a pas de démonstration excessive,
juste un sens du rythme exceptionnel. La basse est saturée, elle
vrombit derrière la guitare, pendant que la batterie déclenche la
foudre, enluminée de cymbales fracassées et de roulements de
caisses aussi évidents qu'efficaces et finement apportés.
La
guitare de Hasse Dalgaard mérite aussi son couplet, véritable usine
à riffs et power-chords de génie. L'homme cisèle un tapis sonore
menaçant et grondant, toujours soutenu par la basse. Il se dessine
un fond musical lourd et mouvant, emportant l'auditeur sur une vague
qui ondule au gré des chorus, des ponctuations et des soli qui élève
régulièrement la musique de Moonless vers le ciel. Le groupe a un
tel potentiel que tous les morceaux oscillent entre cinq minutes
trente et sept minutes quarante seconde sans le moindre temps mort.
On retrouve la fluidité de Diamond Head, cette capacité à faire
évoluer l'auditeur au gré des climats sans avoir l'air. Le chorus
est souvent concis, et sert de respiration au sein d'une musique
d'une densité et d'une force rare.
Moonless
n'a pas froid aux yeux et débute l'album par son morceau le plus
long : « Mark Of The Dead ». Arrivant en écho
lointain sur une ligne de basse rappelant un rail métallique, le
riff et la rythmique viennent exploser au visage de l'auditeur
imprudent. Le chant de Petersen est menaçant, sauvage. Une force
considérable s'élève de cette musique. Les mains crispées sur son
pied de micro, Petersen éructe la colère du Monde du Dessous de
Lovecraft, celui des Morts et des Bêtes de l'Ancien Monde. Les
instruments forment une masse compacte, impeccable de dynamique et de
férocité. Les musiciens accélèrent brutalement le tempo afin de
créer une première tempête infernale, et rompre la linéarité du
riff démoniaque. Dalgaard écrase sa pédale wah-wah, et fait
déraper le thème en des hululements d'oiseaux nocturnes obsédants.
« Devil's
Tool » poursuit sur un mid-tempo heurté, au riff en forme de
coup de poing au visage. On imagine les têtes des auditeurs se
secouer en rythme, possédés, couverts de sueur, les yeux fermés et
les mâchoires fermées, ressentant au plus profond de leurs êtres
la musique de Moonless. La guitare malaxe à nouveau le riff initial,
poussée par une rythmique implacable. Daalgard cisèle un solo
épique, véritable décollage vers l'hyper-espace. Pas d'esbroufe
technique, juste une ligne mélodique dérivée du riff initial,
apportant du corps, de la dimension à la musique. Chant et guitare
se complètent admirablement, véritable interaction rappelant Led
Zeppelin.
« Horn
Of The Ram » est un thème plus classique, rappelant énormément
Black Sabbath, sans pour autant crier au plagiat. Il y a une telle
énergie chez Moonless, une telle férocité, une telle envie de
mordre… Daalgard tient la maîtrise de la manœuvre, parfaitement
secondé par la batterie et la basse. Petersen peut à nouveau rugir,
solidement campé sur ses deux jambes et sur un groupe sans faille.
« Calling
All Demons », le morceau-titre, retrouve le swing de « Devil's
Tool », ce pas rapide, qui explose dans un cri sauvage de
Petersen. Le riff est presque Punk dans sa sonorité haute perchée.
La basse improvise à la manière de Geezer Butler de Black Sabbath,
ces lignes qui sortent du rail du riff pour vrombir plus haut en
quelques notes inspirées du Jazz, avant de retourner derrière la
guitare. Le changement de riff est démoniaque, toujours emmené sur
le même tempo massif et obsédant. Puis Moonless se lance dans une
seconde partie en forme de Boogie enclume. Petersen incante les
démons, Daalgard, Svendsen et Maarbjerg propulse le groupe dans la
stratosphère. Daalgard se lance dans un superbe chorus cosmique,
avant de revenir à la brutalité du Boogie démoniaque.
« The
Bastard In Me » est un terrifiant constat personnel, une
violente description de dégoût vis-à-vis de soi. Emmené sur un
tempo rapide, le riff est noir, sans espoir. C'est aussi un cri de
rage, un besoin irrépressible de liberté, quoiqu'il en coûte.
Implacable, granitique, il est illuminé d'un solo de guitare très
inspiré de Jimmy Page de Led Zeppelin.
« Midnight
Skies » clôt l'album de superbe manière. Le riff est magique,
entêtant, à la fois tellurique et héroïque. Le groove massif
s'imprime à nouveau. Petersen hurle comme un damné au milieu de
cette furie électrique. Il y a de la colère, et bien peu d'espoir
au milieu de cette tornade sonore. Il y a une détermination à
avancer coûte que coûte, dans l'obscurité de la nuit.
L'accélération du tempo doublée d'un riff massif et conquérant
vient consolider cette impression. La guitare n'en finit pas
d'équarrir de grondants power-chords avant de faire hululer la
wah-wah dans l'écho fantomatique. Petersen reprend la main, et
poursuit, implacable sa litanie, avant de brutalement stopper ce
torrent de colère.
Il
ne reste aujourd'hui plus grand-chose de Moonless à part ce disque
prodigieux, excitant de la première à la dernière note. Il y a
peu, les musiciens se débarrassaient de leurs derniers éléments de
merchandising, comme on vide une maison après une séparation.
Savent-ils que cet album va sans en douter rejoindre la liste des
disques uniques et cultes comme celui de Black Cat Bones, Leaf Hound,
Granicus, ou Road ? Espérons en tout cas qu'ils auront la
possibilité de remonter ensemble sur scène avant d'avoir atteint la
cinquantaine afin de jouer la musique de Moonless avec tout le jus
nécessaire.
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