"Pourtant,
il a tout d'un immense disque, avec ses imperfections, mais surtout
son âme maléfique incroyable."
SLAYER :
Show No Mercy 1983
La
nouvelle vague du Heavy-Metal anglais, la New Wave Of British
Heavy-Metal, va déclencher à partir de 1980 une escalade de la
violence sonore qui ne prendra fin qu'au milieu des années 90.
Difficile d'identifier la source de cette soudaine poussée
d'agression musicale. Il semble que le mouvement Punk ait fait
revenir au premier plan l'urgence dans le Rock, des chansons de trois
minutes expédiées avec autant d'énergie que de précarité
technique. On assimile le mouvement à un ras-le-bol de la musique
progressive de la première moitié des années 70, ce qui est
assurément une raison valable. Mais il est surtout probable que
cette dite musique, descendante directe du mouvement hippie de la fin
des années 60, ne collait plus avec l'époque, l'arrivée de la
droite dure aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, et une soudaine
remontée des tensions entre Est et Ouest, l'holocauste nucléaire
qui se dessine sur les premières années de crise économique après
les Trente Glorieuses de l'immédiat après-guerre.
Le
Punk, dans sa musique comme dans son attitude, est un défouloir,
l'expression d'une violence et d'une frustration face à un système
qui plus que jamais, n'offre aucune perspective réjouissante à ses
enfants. Et ce ne sont ni les groupes progressifs comme Yes ou
Genesis, ni les guerriers cocaïnés du Hard-Rock comme Led Zeppelin
et Black Sabbath qui sont à même de porter la voix de la révolte.
Si
le Punk est une réponse aux Rolling Stones, aux Eagles ou Yes, le
Heavy-Metal souffre du même malaise identitaire. Led Zeppelin,
Rainbow, Whitesnake ou Black Sabbath sont des groupes de trentenaires
fatigués, déconnectés du monde. Une nouvelle vague de combattants
émergent durant la seconde moitié des années 70, et portent un son
déjà plus agressif : Thin Lizzy, UFO, mais surtout Judas
Priest et Motorhead. Le trio de Lemmy Kilmister va dégoupiller la
grenade de l'agression sonore ultime, accompagnée d'une image tout
aussi sombre qu'ambigüe : jeans noirs, blousons de cuirs,
ceintures de cartouchières, oripeaux nazis, cheveux longs et sales,
bottes de motos. Ils posent dans un milieu urbain des bas-fonds, ou
sur des engins de guerres, loin des chaussures à plate-formes boots
du Thin Lizzy de 1975, et des vestes en satin du Judas Priest de
1977. Motorhead est un alliage fuligineux de Punk et de Heavy-Rock
crasseux et irrévérencieux du début des années 70, celui de
Ladbroke Grove : Hawkwind, Pink Fairies, Third World War.
Une
nouvelle génération de chevelus amateurs de Heavy-Metal va
assimiler l'ancien et le nouveau Heavy-Rock, de Led Zeppelin à
Motorhead, pour offrir une nouvelle palette de groupes dont le point
commun est l'agressivité. Iron Maiden, Saxon, Diamond Head,
Witchfynde, Holocaust, Tygers Of Pan-Tang ou Samson sont les nouveaux
combattants, et tous se tirent la bourre pour remporter le prix du
groupe le plus puissant, tout en maintenant un certain esthétisme
musical. A ce petit jeu, un grain de sable va enrayer la belle
machine : Venom. Le trio de Newcastle va reprendre à son compte
la philosophie Punk et va pousser dans ses retranchements le
Heavy-Metal de l'époque. Ils seront plus affreux, plus rapides, plus
sataniques, plus bruyants, plus fous que tous les autres. Qu'importe
si la technique est totalement approximative, ils sont des Punks du
Heavy-Metal. Ils choisissent des surnoms démoniaques, sont les rois
de la vulgarité et de la déclaration fracassante, et toute la
critique musicale les prend pour des dégénérés. Les soutiens sont
rares, exactement comme Black Sabbath à leurs débuts. L'escalade
des décibels peut vraiment commencer.
Si
Venom ne connaît pas le même succès commercial que Saxon, Iron
Maiden ou Def Leppard, leur réputation grandit de manière
exponentielle à travers la planète via un réseau de fanatiques
aussi rares que profondément convaincus. Pour eux, Venom représente
une sorte d'aboutissement, le Heavy-Metal ultime, la provocation
absolue, le doigt d'honneur parfait à toute la société. Etre fan
de Venom, c'est être fan de Metal extrême. C'est rentrer dans une
société secrète qui fait de vous un être à part, de ceux qui
savent, qui ont un pouvoir occulte entre les mains. Brandir l'album
Welcome To Hell de Venom est une arme qui épouvante les
mécréants.
De
toutes parts apparaissent des groupes dans la lignée de Venom. Deux
autres ingrédients tolérés viennent se mêler à la mixture du
dangereux trio : Motorhead et Judas Priest. Ainsi apparaît la
diabolique Trinité qui alimente Hellhammer puis Celtic Frost,
Mercyful Fate, Destruction, et aux Etats-Unis, Metallica et Slayer.
Le
guitariste Kerry King rencontre en 1981 à l'université le batteur
Dave Lombardo. Nous sommes dans le quartier de Huntington Park, près
de San Francisco, en Californie. Le soleil ne semble pas les
convaincre de jouer de belles mélodies inspirées des Eagles ou de
Fleetwood Mac, mais plutôt d'entreprendre des reprises d'Iron Maiden
et Judas Priest. Ils sont rejoints par le guitariste Jeff Hanneman et
le bassiste-chanteur Tom Araya. Le quatuor écume les clubs du Sud de
la Californie, et finissent par se faire remarquer par Brian Slagel,
un journaliste musical qui vient de fonder son propre label :
Metal Blade Records. Il publie pour l'heure des compilations nommées
Metal Massacre, et sur lesquelles il permet à de jeunes
formations d'enregistrer une première démo de qualité. Slagel
trouve Slayer fantastique, et les retient pour le volume trois de
Metal Massacre.
Nous
sommes désormais en 1983, et Slayer a bien changé. Des pantalons en
spandex et des tee-shirts à rayures inspirés de Judas Priest et
UFO, ils ont opté pour l'uniforme de cuir et de clous inspirés de
Judas Priest et Venom. Hanneman apporte au sein du groupe tout son
répertoire Punk, qui rend un plus incandescent leur musique. Le 25
juillet, Metallica publie son premier album, Kill'Em All, qui
définit un premier alliage de Heavy-Metal issu de la NWOBHM, de Punk
Hardcore US et de Hard-Rock. C'est l'acte de naissance d'un nouveau
son plus agressif, le Thrash-Metal. Fort logiquement, Slayer est un
concurrent direct de Metallica, et va enfoncer le clou de la violence
sonore un peu plus profond.
Slayer
entre en studio en novembre 1983. Metal Blade n'a strictement aucun
budget pour l'enregistrement d'un premier LP, contrairement à
Megaforce pour Metallica. Le premier album sera donc autofinancé
grâce aux économies de Tom Araya, qui travaille comme
kinésithérapeute respiratoire, et à l'argent emprunté par Kerry
King à son père. L'album voit le jour en décembre. Il est emballé
dans une pochette aussi artisanale que satanique, avec un Diable
guerrier, un dessin d'héroic-fantasy. Les photos au verso montrent
les quatre musiciens sur scène, grimé de corpse-paints
embryonnaires, et d'uniformes de cuir et de clous fortement inspirés
de Judas Priest et de Venom. Si les quatre gaillards de Metallica
ressemblaient à une bande de sales gosses un peu branleurs, sortes
de grands frères idéaux, Slayer inspire plutôt la terreur, du
moins à l'époque. Car le temps, la mode, et le coming-out de Rob
Halford, chanteur de Judas Priest, sur son homosexualité, aura tôt
fait d'écorner la virilité implacable de ces tenues.
Show
No Mercy est diversement apprécié avec le temps. Considéré
comme un acte de naissance, il n'est pas encore doté de toute la
haine qui imprégnera Reign In Blood en 1986. Sa production
est des plus rudimentaires, et de ce fait, il n'est sans doute pas
doté de toute la puissance nécessaire pour retranscrire
correctement la violence scénique de Slayer, ce que fera plus
justement le mini-album en direct Live Undead quelques mois
plus tard. Pourtant, il a tout d'un immense disque, avec ses
imperfections, mais surtout son âme maléfique incroyable.
L'album
débute avec le brutal « Evil Has No Boundaries ». C'est
que mes amis de l'Enfer, un disque maléfique prend forme. Il n'y
aura aucune limite. Il n'est plus question de mélodie, d'atmosphère
héroïque. Nous sommes en pleine tornade maléfique. L'objectif de
Slayer est l'agression sonore. Il ne faut toutefois pas sous-estimer
ces gaillards. Là où Venom fit preuve de la violence la plus
gratuite et débridée, portée par une technique musicale plus que
rudimentaire, Slayer n'a que l'apparence d'un groupe de brutes. C'est
que ces quatre-là savent jouer de leurs instruments, et sacrément
bien. Sans esbroufe inutile, sans démonstration gratuite, Slayer
déroule un Heavy-Metal puissant, rapide, torturé, possédé par
l'âme maléfique. Thrash, il en a l'odeur, mêlant avec fierté
Punk-Rock et Heavy-Metal sans concession. Mais Slayer va chercher
plus loin, il veut l'agression sonore pure, une ultra-violence qui
n'existe encore que par bribes. Slayer est l'aboutissement de trois
années de tentatives pour déclencher la foudre métallique.
« Evil
Has No Boundaries », cela est certain. C'est un uppercut
sonore, jetée en pâture au visage d'un public de gamins pulvérisés
par l'ultralibéralisme des années 80, les années fric :
Thatcher, Reagan, Tapie...Il n'y aura désormais aucun compromis. La
musique reste le dernier bastion capable de bousculer un tant soit
peu cette société consumériste et individualiste qui écrase les
faibles, et érige les puissants en exemple. Slayer et le
Thrash-Metal viennent de la rue, ce sont les laissers-pour-compte
d'un monde qui préfère les ignorer.
Alors
Slayer préfère glorifier l'Antéchrist, symbole de ce personnage
libre et indépendant, et dont la puissance individuel lui permet de
contenir les forces malfaisantes de la société. « The
Antichrist » est un cri terrifiant, poussé par un riff rapide
qui explose bientôt en des accords écrasants de puissance. Les
doigts de Jeff Hanneman courent sur sa vieille Les Paul Gibson noire
et sang en des chorus échevelés et possédés d'une folie jamais
atteinte.
L'Antéchrist
fera bientôt mourir les chiens avec l'épée de la sentence
mortelle : « Die By The Sword » est une terrifiante
cavalcade de Metal en fusion. Dave Lombardo tient un tempo d'enfer,
d'une précision époustouflante : pas facile de prendre le
garçon en défaut. Il est la charpente démoniaque de cette créature
du Mal, dopée par les guitares à broyer les os de Hanneman, King et
Araya.
« Fight
Till Death » est un cri infernal, « Metal Storm/Face The
Slayer » une déclaration de guerre. Slayer est capable de
s'éloigner des facilités Punk pour créer des architectures de
morceaux complexes, qui se désintègrent sous la pression de riffs
de guitare aussi efficaces que démoniaques. « Black Magic »
est une incantation possédée, appelant à la force des Ténèbres,
« Tormentor », l'adulation du Vengeur sans merci. « The
Final Command » rappelle nos errements, « Crionics »
est une Apocalypse. Enfin, le morceau éponyme rappelle le mot
d'ordre de l'album : « Show No Mercy ».
Ce
premier album va faire des ravages sur la scène Metal
internationale. Outre ses ventes plutôt conséquentes pour un disque
aussi radical, il va déclencher l'éclosion de groupes toujours plus
furieux et infernaux : Celtic Frost en Suisse, Possessed aux
Etats-Unis, Mayhem en Norvège. C'est le début de la course à
l'armement, de la quête de la furie sonore absolue, comme si quelque
chose de musical pouvait dépasser cet album, sommet ultime de
démence.
Slayer
va poursuivre sa quête, abreuvant sa légende d'albums toujours plus
dantesques : Hell Awaits en 1985, puis l'ultime Reign
In Blood en 1986. Le reste ne sera que circonvolutions ineptes
autour du mythe, car aucun n'atteindra cette profondeur du malaise
avec autant de conviction. Slayer était un groupe de la rue, devenu
fou, les autres ne seront que des caprices de gamins trop gâtés. Il
n'était pas possible de faire mieux, tout simplement.
tous droits réservés
2 commentaires:
a part slayer, personne n'a fait aussi bien que venom a leur début (tois premier lp + warhead mini lp). reign in blood restera une bombe dans l'enfer du trashmetal, South Of Heaven et saisons in abyss auront aussi leurs lots de puissance musical.
j'ai grandi avec tout ça, j'ai 50 balais et encore aujourd hui ça fait du bien par ou ça passé. merci pour tes chroniques sur tout ses groupes aussi interressant les uns que les autres
Merci Rayman pour ton commentaire. Je te souhaite de bonnes lectures à venir.
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