"L'atmosphère est hautement urbaine, grise et bétonnée."
HUSTLER :
Now Or Never 1985
C'est
un fantastique hasard, le genre d'histoire un peu magique. Du haut de
ma petite réputation d'écrivain Rock, je me rends dans un bar à
l'ambiance métallique connu sur la région parisienne avec des amis
afin de dédicacer quelques exemplaires de mon ouvrage sur Fast Eddie
Clarke. L'objectif principal est davantage d'aller descendre quelques
pintes entre amis, mais néanmoins, trois exemplaires m'attendent :
celui du patron, Ritchie, celui d'un de ses amis, et un autre
bonhomme, un certain Jérôme. Ritchie et Jérôme se connaissent
depuis les années 80. Tout deux cinquantenaires, le premier est
chauve, le second chevelu, un peu poivre et sel. Ils se sont connus
dans la file d'attente d'un des premiers concerts de Motorhead sur
Paris en 1979, qu'ils ont vu des dizaines de fois sur scène avant
que le grand Lemmy Kilmister ne nous quitte.
Je
discute bientôt abondamment avec le très sympathique Jérôme,
barbiche, lunettes noires aviateur, bottes de moto et blouson de
cuir. Nous parlons de Fast Eddie Clarke, dissertons sur son jeu de
guitare fabuleux, notre découverte et nos impressions personnelles
sur les albums de Motorhead avec Fast Eddie. La discussion dériva
sur le Hard-Rock français, et le groupe Vulcain qu'il connaissait
personnellement. Un personnage, ce Jérôme, assurément. Le temps
s'écoule, et je crois bien que nous échangeons presque une heure
avant de rejoindre nos amis respectifs. Je rejoins mon petit groupe,
parlons de choses et d'autres et la soirée avance tranquillement
dans la bonne humeur et les vapeurs de bière.
Il
se fait tard lorsque Jérôme revient vers moi après un passage aux
toilettes. L'élocution un peu brouillée par l'alcool, il m'annonce
négligemment qu'il a fait partie d'un groupe dans les années 80 qui
sortit un album. La formation s'appelait Hustler, et Jérôme compara
le résultat studio avec l'album On Parole de Motorhead. Dans
sa tête, il s'agissait d'un disque avec de bonnes chansons mais à
la prise de son comme à l'interprétation sommaire. Il me lança
tout cela avec un air un peu gêné, ce qui pour moi signifiait
clairement qu'il ne s'agissait pas d'un disque inoubliable, ou en
tout cas d'un objet dont il n'était pas particulièrement fier. Nous
plaisantâmes ensemble sur le sujet, et moi le premier, la vanne
facile en bouche. Rapidement, ce fameux disque fantôme était
assurément un sordide objet, une sorte de pochade sonore sans
intérêt, une casserole que Jérôme n'aimait sans doute pas trop
ressortir. Nous riâmes à gorges déployées sur le sujet, mais je
sentais bien au fond que malgré l'apparent manque de fierté, Jérôme
semblait un peu triste.
Quelques
heures plus tard, nous quittâmes les lieux à la fermeture, le
palais épais. Je saluai chaleureusement Ritchie pour son accueil, et
Jérôme pour sa sympathie et la très agréable discussion
passionnée sur Fast Eddie Clarke. J'en profitai au passage pour
avoir quelques informations supplémentaires sur le disque de
Hustler, piqué de curiosité. Il devait être sortir autour de 1985,
il s'appelait Now Or Never, il n'en possédait qu'un
exemplaire chez lui, et un autre chez sa mère, comme il ajouta en
plaisantant. L'objet semblait sans doute introuvable, mais internet
offre bien des surprises, et il n'était pas impossible qu'un fan de
Hard-Rock français obscur en ait mis quelques morceaux piqués sur
le 33 tours en ligne.
Quelques
jours passèrent, et puis je cherchai le groupe, puis le disque. Il
existait bien, le groupe s'appelait bien Hustler, et l'album Now
Or Never, paru en 1985 sur le label Axe Killer. Quelques titres
sont disponibles en écoute sur le net, je me lance. Et c'est la
claque. Hustler n'est pas un groupe risible. Il n'est pas plus un
clone grotesque de Motorhead. C'est un quatuor de Hard-Rock râpeux
totalement atypique, musicalement condamné à l'échec commercial en
1985, pas du tout dans l'air du temps. Mais les quelques morceaux que
j'entends sont stupéfiants de mordant et d'efficacité. Ni une ni
deux, je contacte Ritchie sur un réseau social, et je lui demande de
présenter mes excuses les plus plates à Jérôme pour avoir pris de
haut son groupe et son album, car le résultat n'est en fait pas du
tout risible, bien au contraire.
C'est
Jérôme qui me répondit, ému du compliment, et me donna son numéro
de téléphone. Lui, c'est Jérôme Serapiglia, chanteur-guitariste
de Hustler, quatuor parisien de Hard-Rock tranchant. C'est une
histoire assez classique : quatre garçons de la région
parisienne, fans de Heavy-Metal, et de Motorhead notamment, forment
un groupe. Le Hard-Rock en France est populaire, avec une scène
vivace, et plusieurs groupes qui peuvent se vanter de faire partie de
la grande histoire du Rock : Trust, Océan, Satan Jokers,
Warning, Vulcain, Sortilège, ADX….. Peu en vivent de manière
professionnelle, car le Heavy-Metal en français ne s'exporte pas, et
la France ne tolère pas plus d'un groupe par genre musical. Pour le
Hard, c'est Trust, point final. Les autres n'ont qu'à ramasser des
miettes, supportés à bout de bras par les fans et la presse
spécialisée, dont Best et Enfer, qui assurent la promotion de ses
héros métalliques nationaux. Hustler apparaît dans cet horizon,
mais avec une musique qui d'entrée ne colle pas.
Tous
s'inspirent allégrement des grands noms du Heavy-Metal
international, dans la musique comme dans le look : Judas
Priest, Iron Maiden, Motorhead, Scorpions…. Ce qui leur permet
d'attirer les fans de Metal nationaux, qui retrouvent dans ces
formations françaises ce qu'ils aiment chez les groupes étrangers.
Hustler ne fait pas partie de ce courant. Le quatuor s'inspire certes
de Motorhead, mais de manière assez lointaine, conservant ce côté
Heavy-Metal brut teinté de Punk qui faisait l'âme du trio de Lemmy
sur son premier disque éponyme en 1977. C'est un Rock dur, barbelé,
gavé de Blues psychédélique et de Rock'N'Roll sixties. Hustler y
injecte une énorme dose de Hard-Rock'N'Roll de Detroit, celui de MC5
et des Stooges, sources d'inspiration majeures. On y retrouve aussi
l'atmosphère acide et électrique des pionniers de l'électricité
sauvage et contestataire anglaise, celle de Hawkwind, Pink Fairies et
Stray. Autant dire que les références sont aussi pointues que
totalement anachroniques en 1985. Un autre groupe français portera
ce genre de Rock : Wild Child, avec un premier album un an plus
tôt, Death Trip, mais plus ouvertement teinté de Stooges et
surtout de New York Dolls. La chose manque pourtant de la tripe
fumante qui se dégage de cet album dont le mot d'ordre est
brutalité.
L'atmosphère
est hautement urbaine, grise et bétonnée. C'est le reflet tout à
fait apocalyptique la banlieue parisienne, amoncellement de grandes
barres d'immeubles HLM coincées entre autoroutes et voies ferrées.
Jérôme Serapiglia assure guitare et chant, Phil Marchal la basse,
Olivier Mauer la seconde guitare, et Laurent Lafont la batterie. Ils
sont signés par le label Axe Killer à l'automne 1984 et entre en
studio dans la foulée pour capter ce premier disque qui paraît en
février 1985. Hustler obtient le soutien d'Enfer Magazine qui ne
tarit pas d'éloge sur ce MC5 français.
Le
son de l'album est cru, jeté brutalement sur la bande, sans
fioriture. Il ressemble à ces albums de Heavy-Rock psychédélique
obscurs du début des années 70. « Too Drunk » qui ouvre
le disque, est une brutale entrée en matière, quasi-Punk. La voix
de Jérôme Serapiglia est narquoise, nasillarde, mais toujours
juste. Il décoche un petit solo vif glougloutant de wah-wah fumeuse.
S'en
suit deux merveilles de Hard-Rock'N'Roll : « Weary Girl »
et « No Reason ». Le premier a le tempo vif mais carré,
doté d'un riff méchant, et d'un refrain entêtant. Le solo se cale
sur la ride de la batterie. La guitare rythmique tient le morceau
comme le faisait la basse de Lemmy dans Motorhead pendant que Fast
Eddie partait en solo, jouant une rythmique grondante, tendue. « No
Reason » est un impeccable Heavy-Blues. Mid-tempo, riff majeur,
à l'ambiance sombre mais bravache. Le riff est obsessionnel, on se
prend à le siffloter, les mains dans les poches, bravant la pluie,
battant le pavé, le regard décidé.
« I've
Got Speed » revient sur les terres du Motorhead débutant,
tempo speed, refrain en slogan. Efficace, il ne surpasse pourtant pas
ni son prédécesseur, ni son successeur : « Right On Your
Skull ». Totalement sur les terres des Pink Fairies et de MC5,
le rythme est bien campé sur ses deux jambes. Le riff est équarri
sans pitié, grondant, barbelé, comme une baffe à chaque
powerchord. Le solo s'envole dans la brume du matin, soutenu par une
guitare rythmique géniale qui s'élève aussi vers le ciel, pour
soutenir la montée d'adrénaline. Scandé, « Right To Your
Skull » est une merveille, un immense moment de pur
Hard-Rock'N'Roll.
« Anyway »
est un nouveau petit détour par Motorhead réussi, martelé et
entêtant. « Dead In Shade » est la troisième partie de
la série d'Electric Blues poisseux débutée avec « No
Reason » et « Right To Your Skull ». Il traîne un
spleen obsédant sur ces morceaux ravageurs. Ca sent la moiteur du
métro parisien après la pluie, cette odeur âcre des bas-fonds
urbains. Beaucoup de groupes Punk français de la fin des années 70
ont tenté en vain de se donner un genre, de chercher cette
mélancolie du banlieusard sans jamais toucher au but. Hustler le
fit, quelque part en 1985, à l'écart du temps et des poses.
« One
Of My Friend » sonne comme une chanson de Rythm'N'Blues anglais
du milieu des années 60. Elle rappelle les Pretty Things et les
Troggs. Avec sa guitare à peine saturée, son refrain simple,
faussement enjouée. Le morceau est brutalement lardé d'un chorus
saignant.
« Need
Some Fear » est un morceau hanté, une sorte d'incantation
urbaine, de drug-song rampante, psychédélique, entre Velvet
Underground et Pink Fairies. Il rappelle aussi le premier Proto-Punk
de « Dirt » des Stooges. L'atmosphère est acide, gorgée
d'écho. Le solo est un soleil noir, la lumière blafarde d'un
lampadaire dans une nuit nimbée de brouillard. L'album se clôt sur
le brutal « Methylated ». Nouvelle ode à cet alcool
salvateur qui égaie les soirées des petites gens après une dure
semaine de travail, noyant les chagrins et les angoisses. Le riff
sonne comme une cartouche de chevrotine dans le ciel, tempête dans
le crâne, comme Hawkwind.
C'est
un sacré disque, qui aurait dû avoir un successeur, d'ailleurs
quelques chansons furent composées, en vain. Un tel disque n'avait
aucune chance en 1985, qui plus est en France. Trop rugueux, sans
concession, aux influences trop Proto-Metal, trop pointues, pas assez
évidentes pour le public Metal de l'époque, et trop agressives pour
les fans d'Etienne Daho, Renaud et de Rita Mitsouko. Alors Hustler
disparaîtra comme il vint. Il fera une petite tentative de retour en
2011, par nostalgie, mais sans lendemain. Alors Jérôme joue
toujours de la guitare et chante dans l'anonymat du grand public,
avec dans le coin du coeur ce disque unique. Il me fit l'honneur de
m'en apprendre l'existence, jugeant sans doute que j'étais apte à
en comprendre le sens profond. Balourd, j'ai mal jugé, parce que je
ne l'avais pas écouté. Mais Jérôme m'avait initié, il savait
sans doute que j'irais y jeter une oreille, et que je comprendrais
l'âme de cet album. Merci Jérôme.
tous droits réservés
3 commentaires:
Bonjour
Très bon disque! Je l'ai toujours mais étant passé au laser, je ne l'ai plus écouté depuis la fin des années 80. Je me souviens plus ou moins bien de "anyway" "need some fear" et "Methylated"; mine de rien je l'ai écouté un paquet de fois ce disque...
Larry
Bonne découverte, avec effectivement l'esprit de la Tête de Moteur période On Parole.
Je me souvenais de ce groupe via une chronique parue dans Metal Attack, et franchement pas trop tendre envers le groupe : "musique linéaire qui ressemble à un gros cliché et production ratée... dommage qu'ils ne savent pas chanter en anglais (!)... m'enfin faut aussi savoir écrire de bonne chanson rock... (Gil Tadic, N°25, octobre 1985).
Bref, cela ne donnait pas vraiment envie au kid de 14 ans que j'étais d'en savoir davantage, avec toute la concurrence de l'époque.
Dans le même numéro, se faisait également descendre VOODOO CHILD et son LP Adrenaline, que j'ai récemment découvert, soit plus de 30 ans après : également dispo' sur le net, tu pourrais y trouver une manière de contentement, voire peut-être davantage : je te conseille cet album, qui pourrait mériter un papier de ta part.
Merci pour ton blog, que j'ai plaisir à parcourir !
Kenavo ! Fred.
Merci Fred. Je connais effectivement le LP de Voodoo Child, mais qui a plus à voir avec l'esprit des New York Dolls, moins cradingue que Hustler. ceci étant, cela relève du même esprit, et c'est un très bon disque, un ovni à l'époque en France.
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