dimanche 23 juillet 2017

YELLOW TOWN 2017

"Ce qu'a réussi à faire Yellow Town, c'est de faire mieux. "

YELLOW TOWN : « Yellow Town » EP 2017

Les grands conifères et les châtaigniers plient sous le vent du mois de juin. La montagne du Morvan est verte, libérant ses couleurs sauvages et sa mélancolie profonde. Ses villages vivent dans une quiétude tiède, entre calme et angoisse. Yellow Town poursuit son voyage initiatique à travers les collines de la Nièvre et les plaines du Centre de la France, à la recherche d'un public, qu'il gagne soir après soir, à l'aide de ses sets incendiaires.

Hidden In The Mountain, leur premier album, fut une révélation, mais n'était-ce pas un accident ? Thibault Lavèvre et Pogo n'avaient-ils finalement pas fait que mettre sur disque de trop évidentes influences ? Cette musique n'avait assurément pas beaucoup d'espoir d'avoir une oreille attentive à grande échelle, la France étant trop occupée à s'abreuver d'Electro et de Rap commercial. Il n'aurait été que logique que Yellow Town opère un virage vers des sonorités à la mode pour se faire entendre d'un plus large public et briguer les grandes scènes des festivals d'été. Après tout, les Black Keys firent bien cela. Après quatre albums d'un Blues parfait, formidable résurrection d'un genre que l'on croyait moribond, ils se décidèrent à arrêter, avant d'accepter le compromis. Peu à peu la musique se fit plus Pop, la production fut assurée par un de ses gourous des grandes productions américaines, malaxant autant du Rap que de la Pop avec la même morgue et le même sens de la vacuité. Les Black Keys ne conservèrent que des bribes de leur talent initial : un son de guitare, des références Soul ou Blues, mais plus une once de folie et de rébellion. Ils enchaînent les Grammies depuis trois albums, mais ils ont vendu leur âme.

Yellow Town aurait pu faire pareil, mais il ne l'a pas fait. Le duo décida de maintenir le cap défini sur son premier album, et d'affiner sa musique. Ce EP éponyme représente la suite de leurs aventures avec cinq morceaux pour trente et une minutes de musique. Ce qu'a réussi à faire Yellow Town, c'est de faire mieux.
Incontestablement, ces cinq morceaux sont un grand pas en avant, tant dans l'écriture que dans la capture sonore. Yellow Town a notamment développé une forte dimension cinématographique dans sa musique, atmosphère qu'il n'avait que doucement effleuré sur Hidden In The Mountain, malgré les climats prenant de ses premiers morceaux. Thibault Lavèvre et Pogo prennent le soin de développer les thèmes à leur maximum, n'hésitant pas à dépasser les six minutes si cela est nécessaire. On retrouve le grain de la scène, ce sel qui alimente leur âme.

Ce qui me frappe à l'écoute initiale de ces nouveaux morceaux, c'est la douleur et l'amertume profonde qui s'en dégage, provoquant un malaise terrifiant qui vous retourne les tripes. Il semble que Thibault Lavèvre a mis le doigt là où cela fait mal, collant avec sa musique les images justes correspondant à l'état de votre vie au moment présent. Il est capable de puiser au plus profond de votre âme, et d'en extirper les plus intenses tourments. Cette musique est une vraie expérience sensorielle, qui nécessite d'être prêt à se faire face. Et c'est bien là la grande qualité de la meilleure Rock music. Elle soulève des questions que l'on ne veut pas se poser, elle ouvre des horizons que l'on n'ose rêver imaginer. Elle soulève une tempête intérieure qui nous fait nous remettre en question, et nous met en alerte face au monde.
Thibaut Lavèvre et Pogo poursuivent leurs explorations du monde de Neil Young et de Bob Dylan, mais aussi des Rolling Stones des années d'or. Cinq chansons originales, aux climats différents mais cohérents entre eux. Il n'y a, une fois encore, rien à jeter ou à critiquer, nouveau tour de force d'une demi-heure capté en quelques heures de prise de son.

Le disque s'ouvre avec les accords éthérés de « URSA Major ». L'électricité effleure les doigts de Thibault Lavèvre, qui chante ses mots mélancoliques avec douceur et profondeur. La solitude, la déchirure, l'indépendance, coûte que coûte. Et puis la slide vient peu à peu gorgée de poussière l'atmosphère. La pluie des forêts du Morvan se transforme en collines de pierres rouges. Les bisons courent au loin dans la plaine. Pogo entre dans le cercle, tenant un beat délicat et ferme. Please, Queen Of Soul. Bientôt, la musique explose en une formidable coda de slide et de batterie lourde et ouatée. L'atmosphère se fait onirique, Lavèvre improvise avec le thème, développe ses grands espaces avant de les refermer, dans une dernière bourrasque.

« Dead River » se fait plus immédiat, grande chevauchée sauvage dans les montagnes du Morvan et du Colorado. La rivière morte, constat d'une vie qui s'enfuit, mais peut revenir à tout instant. Chemin initiatique à travers la lande, c'est un parcours personnel qui progresse au gré des accords électriques, et de la bottleneck qui donne une fois encore ce goût de poussière et de grands espaces incroyablement puissant. Thibault Lavèvre n'est pas un adepte de la démonstration guitaristique gratuite, il cherche le fil qui mènera à la jouissance électrique.

Le Blues remonte des entrailles des Enfers avec « Sleep With The Devil ». Décidément très présente, la slide vient ébouriffer les accords de ce Country-Blues émotionnel. Dense, il n'a besoin que de l'appui des percussions magiques de Pogo, qui lui donne une atmosphère païenne, vaudou. Le traitement du son de la voix renforce ce côté Blues rural des années 30. Il y a bien quelques traits de comparaison avec les Whites Stripes. Mais la musique de Yellow Town est incroyablement plus dense, moins maniérée. On sent qu'il vibre ici une magie qui ne résonne que dans les âmes torturées par la vie. « Sleep With The Devil » est obsessionnelle, lente progression sur un sentier de terre avant de chevaucher fougueusement à travers le désert. Country Stomp.

« Fear Of Roars » est assurément la plus cinématographique de toutes les chansons. Percussions et accords de guitare électrique accompagnent un discours politique en fond sonore, un écrin Rock sur un constat brutal de la folie des hommes. Nous avons tous peur de la guerre, de cette falaise abrupte qui se présente parfois à nos pieds, donnant le vertige. Puis Thibault Lavèvre reprend le chant, de sa voix délicate et profonde, en alerte. Comme un appel à l'aide, un enfant perdu dans la nuit. La peur des rugissements du monde. Il sait si bien manier les mélodies avec peu de choses, le chant, une guitare, un friselis de cymbale. Puis l'orage se met à gronder dans le ciel. Le discours de folie reprend, et la tension monte jusqu'à son paroxysme, éclat de douleur et de consternation alors que l'air est encore respirable dans le calme de la province française.

Le EP se clôt par le magnifique « Through My Thoughts ». C'est une perle de Country-Rock alliant l'urgence de Neil Young et le sens de la mélodie de Bob Dylan. Impossible de ne pas faire référence à ces deux géants américains, l'interprétation guitare acoustique-harmonica étant indissociable de leurs univers. Thibault Lavèvre réussit le miracle de produire une chanson nouvelle sans se perdre en caricature franchouillarde. Il a capté l'esprit, la source profonde de cette musique aride, et l'a transposé sur les terres nivernaises. Il n'est qu'accompagner d'un battement de pied lourd comme le coeur des âmes errantes.

Yellow Town EP est plus qu'une transition, c'est une nouvelle étape dans ce voyage musical si singulier. Il ouvre indiscutablement la route d'un second vrai album qui sera, à n'en pas douter, un nouveau disque de très haute volée. Yellow Town en a en tout cas largement la capacité, et a prouvé avec ce nouveau disque qu'il ne vendra pas son âme au Diable. Il reste fidèle au Blues de la Nièvre, les forêts de grands conifères et de châtaigniers ployant sous le vent tiède du mois de juin.

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