"Satan
change à nouveau de nom, et devient Pariah en 1988. "
PARIAH :
Blaze Of Obscurity 1989
C'est
une petite ville du Nord de l'Angleterre, blottie sur les côtes de
la Mer du Nord. Quelques trois cent mille habitants sont fixés au
bord de la rivière Tyne, dans une ville nommée Newcastle, à
mi-chemin entre Leeds et Edimbourg en Ecosse. Cette ville fut
pourtant le terreau de plusieurs formations majeures du nouveau
Heavy-Metal anglais au début des années 80. A commencer par les
terrifiants Venom, eux aussi de Newcastle-Upon-Tyne. Et puis il y eut
un autre groupe fameux, notablement repris par les Thrasheurs
multi-millionnaires de Metallica : Blitzkrieg. Le groupe
original se forme autour du chanteur Brian Ross et du guitariste Jim
Sirotto. Après plusieurs simples, des participations à des
compilations et des cassettes vendus aux concerts, Blitzkrieg
abandonne la partie. Ross forme ensuite un quatuor nommé Avenger,
qu'il quitte au bout d'un simple, le temps de capter un morceau du
répertoire de Blitzkrieg : « Too Wild To Tame ».
De
l'autre côté de la ville, le bassiste de Blitzkrieg, Graeme English
se lie d'amitié avec deux guitaristes : Russ Tippins et Steve
Ramsey. Le batteur Sean Taylor finit de stabiliser le poste de
batteur d'un groupe dont le nom se veut provoquant et dans l'air du
temps : Satan. On est loin néanmoins de Venom, Satan ayant des
capacités techniques autrement plus développées, et une ligne
musicale largement plus ancrée dans le Heavy-Metal de tradition. Le
poste de chanteur reste instable jusqu'à l'arrivée de Brian Ross,
et le quintet est dans sa configuration légendaire. Après une bande
démo vendue aux concerts en 1982, Into The Fire, Satan
enregistre le mythique album Court In The Act en 1983. Le
groupe interprète un Heavy-Metal vif et brutal, que l'on qualifiera
plus tard de Speed-Metal ou Power-Metal, une sorte d'hybride entre le
Heavy-Metal traditionnel d'Iron Maiden et ce qui deviendra
officiellement le Thrash-Metal avec la publication des premiers
albums de Metallica et Slayer aux Etats-Unis.
C'est
que la course à l'armement bat son plein afin de tenir la distance
au moment où la New Wave Of British Heavy-Metal s'essouffle face aux
assauts du Metal noir venu du continent européen : Destruction,
Hellhammer, Mercyful Fate…. Et les débuts fracassants du Thrash
californien. Le mouvement anglais est en bout de course, après avoir
pourtant influencer tout le nouveau Metal mondial de sa fusion de
Heavy-Metal et de Punk. Satan est l'un des derniers groupes
passionnants à émerger avec Savage, Jaguar, Cloven Hoof ou Grim
Reaper. Mais rapidement, l'équilibre du groupe est brutalisé par le
départ de Brian Ross, désireux de relancer son Blitzkrieg. Il est
remplacé pour la tournée européenne par le chanteur Ian Swift, qui
rejoindra ensuite Avenger, l'ancien groupe de …. Brian Ross. Le
travail semble payer, et Satan se forme une base de fans dévouée,
notamment en Hollande et en Europe du Nord.
Lorsque
Swift part finalement pour Avenger en 1984, il faut trouver un
nouveau chanteur. Tippins et Ramsey posent leur choix sur Lou Taylor,
qui fait partie d'un projet monté avec l'ancien guitariste d'Angel
Witch, Kevin Heybourne, et qui se nomme Blind Fury. Lorsque Heybourne
part, Taylor reste seul avec le nom du groupe. Pendant ce temps-là,
le reste de Satan commence à connaître de sérieuses difficultés à
trouver des concerts, handicapés par un patronyme ouvertement
sataniste, et qui les assimile à une nouvelle scène extrême dont
ils ne font assurément pas partie. L'idée germe donc de changer de
nom, d'autant plus que les nouvelles compositions sont plus
mélodiques, notamment grâce à l'apport du chant de Lou Taylor,
moins hanté et agressif. Le choix se porte sur Blind Fury, idée du
chanteur, afin de capitaliser sur la maigre réputation de sa
formation. L'album Out Of Reach paraît en 1985. Si l'album
est plaisant, il n'a rien d'extraordinaire, et a surtout eu le triste
effet de semer la confusion dans l'esprit des fans de Satan comme de
Blind Fury, aucun ne retrouvant son groupe préféré dans ce nouveau
projet.
L'étape
Blind Fury finit par tourner court lorsque de nouvelles compositions
sont lancées pour un second disque : Lou Taylor veut se diriger
sur la voie du Hard-Rock mélodique à la Foreigner, là où Tippins,
Ramsey, et English veulent rester dans une veine Heavy-Metal dure.
Blind Fury prend fin, et en 1986, la petite équipe cherche un
nouveau chanteur. Ils font la découverte d'un inconnu complet :
un certain Michael Jackson. Il n'a bien sûr aucun rapport avec la
star décolorée et déliquescente de la Pop internationale. Jackson
est un rouquin trapu, mais au timbre puissant et râpeux. L'homme a
aussi une plume acérée, capable de composer des textes complexes et
engagés politiquement, ce qui sort la formation des clichés
traditionnels du Heavy-Metal.
Ils
ont pourtant une fausse bonne idée en décidant de se renommer Satan
afin de raccrocher avec leur base. Le groupe a abandonné une
imagerie diabolique typique du début des années 80 pour un look Mad
Max très en vogue en cette seconde moitié des années 80. Le EP
Into The Future paraît en 1986, et le nouvel album, Suspended
Sentence, en 1987. Les deux disques sont d'excellente facture, et
voit Satan orienter leur Speed-Metal hanté vers des horizons quasi
Thrash par moments. La voix puissante de Jackson fait des miracles,
et au Dynamo Open Festival en 1986 aux Pays-Bas, Satan fait un
carton, même en plein jour.
Malgré
tout, les difficultés liées au blase Satan refont surface : à
nouveau assimilé à la scène extrême qui s'est largement développé
avec la naissance du Black-Metal et du Death-Metal, le quintet voit
aussi les portes vers les USA se fermer à cause des ligues de
moralité qui posent bien des tracas à Iron Maiden, Ozzy Osbourne ou
Judas Priest. Quant au carcan littéraire de l'évocation du Mal lié
au nom du groupe, elle limite l'ambition de Jackson, qui voudrait
s'orienter vers des sujets plus divers comme les problèmes sociaux,
les guerres, la politique… Tippins et Ramsey veulent quant à eux
laisser le côté hanté et démoniaque de leur Heavy-Metal
emphatique, pour s'orienter vers une musique à la fois plus
technique et plus directe dans son impact. Le Thrash-Metal devient
clairement une source d'inspiration, et notamment des formations plus
techniques comme Metal Church ou Megadeth.
Satan
change à nouveau de nom, et devient Pariah en 1988. Ils conservent
leur contrat chez le nouveau label allemand du Metal européen :
Steamhammer. Ils publient le moyen The Kindred, qui n'a pas
encore clairement défini son objectif musical. Les morceaux
oscillent entre velléités Thrash et un Heavy-Metal plus massif,
héritage poussif du premier album de Satan. La vraie révélation se
fera un an plus tard, avec Blaze Of Obscurity.
C'est
un album parfait, sans aucun temps mort, sans la moindre faiblesse,
d'une inspiration perpétuelle de la première à la dernière note.
Michael Jackson est vocalement impérial, et y a écrit des textes
d'une incroyable richesse et d'une lucidité politique rare sur son
époque. Sean Taylor, Graeme English, Russ Tippins et Steve Ramsey
bétonnent un Heavy-Thrash-Metal technique de tout premier plan, à
la fois instinctif et incroyablement précis. Il n'y a aucune
démonstration gratuite, aucun effet inutile. La puissance, le
feeling et la technique sont au service de huit morceaux aux
atmosphères brutales mais aux climats bien distincts. Un petit point
technique important : Russ Tippins et Steve Ramsey sont fidèles
aux mêmes guitares depuis leurs débuts. Le premier joue sur une
Fender Stratocaster noire comme le jais, le second sur une Gibson SG
sunburst. Pas de Jackson, Ibanez ou BC Rich en vue, donc aucune usine
à gaz pour thrasheurs lambda pour ces guerriers du son.
L'album
s'ouvre sur l'impérial « Missionary Of Mercy », sans
doute l'une des plus belles pièces de ce fantastique album. Riff
percutant, batterie ravageuse, tempo d'enfer, Jackson hurle la colère
du Thrash de la rue. Le riff démoniaque tournoie avant de s'arrêter
brusquement et laisser place à un intermède massif, plombé, sur
lequel Tippins et Ramsey s'envolent dans un solo de guitares en
harmonie. Le phrasé de Jackson est ultra-efficace, lui permettant de
débiter des textes complexes avec l'aisance d'un excellent rappeur,
le timbre et le talent vocal en plus.
« Puppet
Regime » réédite l'exploit du morceau ravageur, sur un tempo
d'enfer, vif. Sean Taylor abat un travail rythmique impressionnant,
faisant virevolter ses baguettes avec aisance sur ces tempi
farouches. Graeme English est un bassiste efficace, sans fioritures,
liant les guitares omniprésentes et la batterie sauvage. Les chorus
de Tippins sont redoutables, précis, fins, sans démonstration
gratuite, bien construits, apportant toujours un plus au morceau,
secondé le cas échéant par son fidèle lieutenant, Steve Ramsey.
« Canary »
vient mêler tempo matraqué et atmosphère noire et massive. Le
refrain fait des ravages dans le cerveau, empreint de second degré
et d'âpreté. Tippins et Ramsey alternent les soli, créant un
tonnerre de chorus redoutables. L'évolution est tout de même
stupéfiante entre le premier album de Satan en 1983, d'une facture
de Heavy-Metal anglais extrêmement classique, et ce brûlot de
Heavy-Thrash ultra-précis.
« Blaze
Of Obscurity » débute comme une ballade délicate, avant
d'exploser sur un refrain épique. L'accalmie est de courte durée,
mais permet d'alterner les climats, et de ne pas rendre le disque
monotone. C'est qu'il faut plonger dans cette musique mordante, sans
compromis. Pariah aura tenté le coup du vidéo-clip afin d'attirer
la télévision sur le titre le plus facile d'accès à l'heure des
ballades Metal, sans succès.
« Retaliate »
revient dans les climats brutaux de « Canary »,
fulgurance électrique sauvage au tempo matraqué et aux riffs noirs.
« Hypochondriac » reste dans la même veine, unique
composition du seul Russ Tippins. C'est un morceau de Speed-Metal,
tournerie bruyante qui laisse apparaître en son sein un épais break
au riff rageur. Ramsey et Tippins s'envolent dans des cavalcades de
guitares échevelés qui aèrent l'atmosphère étouffante de ce
morceau malsain.
« Enemy
Within » retrouve le brio absolu des deux premiers morceaux de
l'album, cette alternance de climats rapides et mid-tempo, ces
cathédrales de riffs trépidants qui vrillent le cerveau. Le chant
porte une ligne mélodique riche, qui atteint son climax avec le
refrain d'une efficacité brillante, soutenue par un riff tendu en
étendard fier.
« The
Brotherhood » est une longue pièce à la structure complexe.
Riff démoniaque râclant la poussière, rythmique trépidante, et
puis le chant qui démarre sur un tempo rapide mais bien ancré.
Jackson soutient une ligne de chant magnifique, épique, portant
espoir et désespoir conjugués. C'est la violence du combat, les
guitares rebondissent en tous sens avec le chant. Le travail de
cohésion est simplement impressionnant. C'est qu'il faut une sacrée
unité au sein de Pariah pour que ce genre de morceau soit efficace
sans multiplier les ratés. Et nous parlons d'un disque capté en
quelques jours entre mars et avril 1989 dans un studio en Allemagne,
sur la fois de répétitions assidues et de prises en direct.
Blaze
Of Obscurity est un sacré album, brillant de bout en bout, et
qui aurait dû permettre à Pariah, alias Satan, d'enfin trouver la
consécration au sein de la scène Metal de l'époque, à l'heure où
Metallica, Anthrax et Megadeth sont devenus des valeurs sûres de
l'époque. Pourtant, issu de la NWOBHM mourante, la scène européenne
dominée par l'extrême, et le succès commercial squatté par le
Glam-Metal US de Poison, Motley Crue, et WASP, il est bien compliqué
pour Pariah et son parcours complexe de s'imposer. La lassitude des
échecs va faire le reste, et le quintet va se dissoudre. Russ
Tippins va se tourner vers les petits concerts de Blues dans les
clubs, Jackson va abandonner sa carrière de chanteur. Il mourra au
début des années 2000 dans l'anonymat. Quant à Steve Ramsey et
Graeme English, ils vont fonder le populaire groupe de Folk-Metal
Skyclad, goûtant enfin à la reconnaissance. English, Tippins,
Ramsey, Taylor et le chanteur Brian Ross se retrouveront en 2010 pour
reformer Satan dans sa version originale, et vont connaître un
succès critique et public certain qui va leur permettre de jouer
pour la première fois à travers le monde, après des années de
combat Rock sans lumière.
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