"Budgie
est un grondement sourd, une menace sonore créant le malaise,
accentué par la voix aigue et maladive de Burke Shelley, comme celle
d'un enfant perdu au fond d'une forêt sombre."
BUDGIE : Budgie 1971
Burke
Shelley, Ray Phillips et Tony Bourge se retrouvent donc aux Regent
Studios pour mettre sur bande leur première vraie démo, secondés à
la console par Rodger Bain et un jeune ingénieur du son, Tom Allom,
qui deviendra le producteur attitré d'un autre grand du Heavy-Metal,
Judas Priest, au début des années 80. Ce n'est pas la première
vraie démo, puisque Budgie avait enregistré quelques pistes au
Georges Sharland Studios de Cardiff, mais le résultat n'était pas
aussi professionnel que celles avec Rodger Bain. Le séjour de Budgie
à Londres va également être l'occasion de faire quelques concerts
sur place. Le résultat est maigre, à l'image de ce set dans un
petit pub de la capitale, devant à peine une douzaine de personnes.
Pourtant, l'audition avec Bain va faire son effet, car parmi ce
minuscule public se trouve Dave Howells de la major MCA. Lui aussi
est époustouflé par ce qu'il voit, et compare aussitôt Budgie au
trio de Joe Walsh, le James Gang. L'énergie de Ray Phillips à la
batterie, même devant une poignée de spectateurs, le son de la
guitare et de la basse, donne à l'ensemble un charme impie, entre
douceur et fureur. Il aborde les trois musiciens, prend un bout de
serviette en papier, et leur annonce : « je vais vous
rédiger sur le champ un contrat. »
Comme
la plupart des groupes de l'époque, Budgie va signer une série de
contrats en forme de montage financier. Un contrat d'édition est
signé avec Essex Music International, co-propriété de Rodger Bain,
et qui a également en son sein les droits de Wishbone Ash et Black
Sabbath. Puis, un autre est validé avec Hummingbird Productions,
appartenant à Rodger Bain, qui va négocier celui avec MCA. Grâce à
cela, une myriade d'intermédiaires va se commissionner au passage
sur le dos des groupes, ne leur laissant que des miettes sur les
ventes de disques. Ils seront à l'origine de nombreux procès
lorsque les groupes découvriront que malgré des ventes
conséquentes, ils ne touchent quasiment rien, et que leur producteur
s'est acheté une voiture de sport ou une nouvelle maison. Mais
l'enthousiasme et la naïveté sont telles chez les jeunes musiciens,
trop heureux de signer un contrat et sortir un album, qu'ils vont
foncer tête baissée dans le piège. De toute façon, peu auront
l'opportunité de pouvoir négocier les pourcentages de droits
d'auteur avant de pouvoir enregistrer leur premier disque.
Les
contrats signés, rendez-vous est pris pour février 1971 aux
Rockfields Studios avec Rodger Bain pour enregistrer le premier album
de Budgie. Pour l'heure le groupe se lance dans la recherche de
concerts à travers le pays afin de préparer l'arrivée du
trente-trois tours dans les bacs. Un premier concert est assuré au
Marquee de Londres. Un autre à Nottingham, au Boat Club. Mais alors
que le groupe est sur la route pour un de ses tout premiers concerts
hors du Pays de Galles, Tony Bourge se tourne vers son roadie, Peter
White, et lui demande si il a bien remis la précieuse Gibson ES-345
dans son étui. Moment de flottement, la camionnette s'arrête, et
l'on vérifie, pour constater, déçu, que l'instrument n'y est pas.
La camionnette est maintenant trop loin de Cardiff pour faire
demi-tour et revenir à temps au concert : la prestation est
annulée, un crève-coeur pour les musiciens.
C'est
également entre fin 1970 et début 1971 que le trio va s'appeler
sporadiquement Six Ton Budgie. Le qualificatif de « Six Ton »
fut ajouté afin de mieux décrire le son de la musique du groupe,
après que des spectateurs leur aient soufflé l'idée. Pourtant ce
qualificatif trop évidemment Heavy-Metal n'était pas du goût de
Budgie, qui voulait conserver sa liberté artistique.
Finalement,
c'est en février 1971 que Budgie rejoint le Rockfield Studio. C'est
un ancien corps de ferme transformé en studio d'enregistrement,
situé près de Monmouth, dans le sud du Pays de Galles. Rodger Bain
est aux manettes, accompagné de l'ingénieur du son Pat Moran.
Durant cette même période, Rodger Bain
capte le troisième album de Black Sabbath, Masters
Of Reality,
aux studios Island à Londres. Il partage son temps entre les deux
enregistrements, sans la moindre difficulté. Contrairement à ce que
les musiciens de Budgie pensaient, Bain n'est pas un producteur avec
un air arrogant et un gros cigare. C'est un homme agréable,
passionné, qui se met entièrement à la disposition des formations
qu'il enregistre. Et c'est une chance pour Budgie, qui ne pouvait
rêver mieux comme contexte d'enregistrement. L'ambiance générale
en studio est très agréable. Les trois musiciens vivent dans un
bungalow de quatre chambres situé à côté du studio. C'est dans le
champ juste à côté que sera prise la photo du verso de l'album de
Budgie et du cheval galopant autour d'eux.
Le
trio effectuera cinq jours de sessions afin de finaliser ce premier
album, capté sur un enregistreur huit-pistes. L'enregistrement
coûtera au groupe la somme de 450 livres sterling de l'époque. Les
musiciens sont impressionnés, un peu perdus au milieu des murs
capitonnés du Rockfield Studio. Pourtant, ils ne perdent pas leurs
repères de scène. A commencer par Ray Philips, qui ne perd jamais
de vue le visage et le pied droit de Burke Shelley, repère autant
rythmique que de satisfaction musicale. Budgie est la chose de
Shelley, le groupe est sa vision, sa chose. Philips et Bourge en sont
deux composantes élues, qui vont contribuer à accoucher de l'idée
sonore de Shelley. L'influence musicale de Led Zeppelin est
indéniable, en particulier le jeu de batterie de John Bonham.
Shelley veut retrouver le souffle de cette batterie, et invite Ray
Philips à se propulser dans cette dynamique de force et de groove.
Il l'encourage à taper toujours plus fort, mais cela ne sera pas la
clé. Jimmy Page expliquera que la profondeur du son de batterie de
John Bonham était due au placement des micros dans le studio.
Ceux-ci captait le son d'ensemble, avec l'écho naturel de la pièce,
afin de conserver la nature organique de l'acoustique des fûts de
Bonham. Page, en tant que musicien de studio professionnel savait
tout cela, Burke Shelley, sûrement pas.
Pourtant,
avec l'aide de Rodger Bain, ils vont produire un son mat, brutal,
massif, qui n'aura d'équivalence qu'avec les forgerons de
Birmingham : Black Sabbath. Alors que Budgie et Black Sabbath
partage le même producteur, aucun n'a eu d'influence sur l'autre,
alors ces derniers ont déjà deux albums au compteur, tout deux
arrivés en tête des classements internationaux. C'est assez
difficile à croire, mais c'est bien la vérité. L'analyse fine des
deux musiques est révélatrice. Black Sabbath fut aussi grandement
influencé par Led Zeppelin et John Bonham. Tony Iommi, le
guitariste, avait pour source d'inspiration le Blues, dont le premier
album en est fortement imprégné. Mais il faut aussi rappeler que le
son de guitare de Black Sabbath est le résultat d'un accident. Alors
Iommi travaille encore comme ouvrier sidérurgique, il effectue ses
derniers jours à la presse pour couper les tôles avant de quitter
définitivement son emploi et devenir musicien professionnel. Il
laisse deux secondes de trop ses doigts sous la presse, qui lui
découpe les phalanges du majeur et de l'annulaire de la main droite.
C'est un drame, d'autant plus qu'étant gaucher, cette main lui
permettait d'appuyer et de tirer les cordes sur le manche. Durant sa
convalescence, il se remonte le moral en écoutant le guitariste de
Jazz Django Rheinhart, lui-même handicapé de la main suite à un
incendie. Iommi se fabrique deux embouts de cuir, et détend
l'ensemble de ses cordes pour pouvoir pratiquer facilement les bends,
ses effets de cordes tirés assurant la tenue des notes ou le
trémolo. Il utilise également une Gibson SG avec des micros
ultrasensibles. Le tout passé à travers un mur d'amplificateurs
Marshall donne un son grave et saturé, dont même les chorus aux
tonalités Jazz semblent hantés. Le batteur Bill Ward compense, tout
comme Ray Philips, ses lacunes techniques en frappant comme un
dément, pousser par la basse elle aussi très influencée par le
Jazz de Terence « Geezer » Butler.
Tony
Bourge n'a absolument pas détendu son accordage pour obtenir le son
de Tony Iommi. Il a lui-même façonné sa sonorité. D'abord, il a
fait l'acquisition d'une guitare électrique demi-caisse, à la
sonorité profonde, nécessitant pour être audible d'un équipement
en amplificateurs également conséquent. L'influence majeure de Tony
Bourge est le Blues, et en particulier Eric Clapton, Peter Green, et
Dave Edmunds, dont l'interprétation du « Sabre Dance »
de Mussorski laisse pantois les musiciens amateurs. Jimi Hendrix a
aussi son apport, dans les accélérations de notes saturées
typiques de ses chorus. Burke Shelley est doté d'une voix aigue
qu'il tente d'utiliser comme Robert Plant dans les morceaux
agressifs, et davantage comme Paul MacCartney sur les morceaux
acoustiques. Son jeu de basse est plus ancré dans le rythme, plus
profond et massif, ne s'envolant qu'avec parcimonie dans des lignes
Jazz-Blues. Shelley a bien compris que dans un trio, ce qui rend la
musique lourde et puissante, c'est sa section rythmique campée sur
le tempo. Le risque que guitare et basse partent toutes deux en solos
simultanés provoquent des dérapages délicats à rattraper. Même
les meilleurs, comme le Jimi Hendrix Experience ou Cream se sont
plantés avec cette propension du bassiste à vouloir concurrencer le
guitariste. Shelley se contente donc avant tout de suivre la ligne
mélodique, et de ne pas en déroger afin de maintenir le cap. Ray
Philips frappe donc ses fûts, mais avec davantage de groove que Bill
Ward, dont l'influence est certes John Bonham, mais aussi Carmine
Appice de Vanilla Fudge, formation américaine de Rock symphonique
lourd. Ce quatuor de New-York fut la sensation de Londres en 1967 au
même titre que Jimi Hendrix. Deep Purple s'en inspirera grandement
sur ses trois premiers disques, et ils tourneront aux USA en
compagnie de Led Zeppelin. Les deux formations vont à ce point
sympathiser que Appice va prêter son matériel à John Bonham, qui
va, pour les uniques fois de sa carrière, jouer sur un kit double
grosse caisse. Carmine Appice aimait appuyer le tempo au maximum afin
d'accentuer la dramaturgie du morceau. Vanilla Fudge s'était
spécialisé dans les reprises grandiloquentes de morceaux des
Beatles ou de Soul Motown, à l'instar de leur tube : « You
Keep Me Hangin' On ». Bill Ward s'inspira de cette logique pour
l'appliquer au Blues anglais, appuyant et ralentissant les tempi pour
les rendre encore plus mortifères, enfoncer toujours plus profond la
douleur du Blues dans la chair de l'auditeur. Ray Philips est un
batteur puissant, qui suit le rythme, mais l'appuie de toutes ses
forces, persuadé comme beaucoup que la puissance de frappe est la
clé.
Black
Sabbath va être un cataclysme dans l'univers de la Rock Music. Le
son d'outre-tombe, la puissance magnétique de la guitare de Tony
Iommi doublée par la voix fantomatique d'Ozzy Osbourne va briser le
carcan des groupes de Hard-Rock virtuoses. Face à Led Zeppelin et
Deep Purple, Black Sabbath sont de bien piètres techniciens. Mais
ils ont ont une sonorité et un univers unique, plus noir et plus
sombre que ses frères de Metal lourd. Black Sabbath rend accessible
l'excitation musicale du genre, et leurs chansons serviront de
terreau fertile à la quasi-totalité du Heavy-Metal à venir. Ils
sont l'aboutissement d'une escalade de la violence commencé au
milieu des années soixante avec les Yardbirds, et qui atteindra un
premier paroxysme avec Cream et Jimi Hendrix. Led Zeppelin donnera
une nouvelle estocade, mais Black Sabbath est assurément le groupe
le plus méchant. Qui plus est, il est haï par la presse musicale,
qui n'en voit qu'une bande de demeurés jouant pour des demeurés
sous acide. Le succès commercial de Black Sabbath démontrera que
les gamins les adorent et veulent de ce Rock massif et brutal pour
conjurer leurs frustrations. Il semble qu'il ne puisse y avoir plus
agressif et sans concession que le quatuor de Birmingham. Pourtant,
Budgie va être l'autre gang de meurtriers du son.
Le
premier album éponyme de Black Sabbath impressionna par son
atmosphère de château hanté, à l'image de sa pochette maléfique.
Ils poussèrent le Blues dans ses derniers retranchements, avant de
le muter frontalement avec le second, Paranoid.
Quelques morceaux délicats vinrent estomper un temps soit peu la
violence de l'ensemble, mais il ne s'agissait que de quelques
respirations pour mieux replonger dans un Heavy-Metal intransigeant.
Budgie
sera encore plus impitoyable. C'est un torrent de napalm, insondable,
gorgé de fureur. La guitare de Tony Bourge vrombit, grésille de
saturation. Elle dessine une masse sonore oscillant au gré des coups
de boutoir de Ray Philips, aux accords saturés et tendus, parfois à
la limite du Punk avant l'heure. Le Blues n'y est pas si évident que
sur le premier album de Black Sabbath. Il ne transparaît que dans la
sonorité de la guitare. Budgie est déjà loin de l'évidence de cet
idiome, bien qu'il y revienne parfois sciemment. Budgie est un
grondement sourd, une menace sonore créant le malaise, accentué par
la voix aigue et maladive de Burke Shelley, comme celle d'un enfant
perdu au fond d'une forêt sombre.
Cette
atmosphère lugubre transparaît totalement dès le premier morceau :
« Guts ». Le titre lui-même est un choc : les
boyaux. Les textes sont une particularité qui participe à la
dimension agressive de Budgie. Surréalistes, hyper-violents, ils
préfigurent déjà tout le Thrash et le Death avant l'heure. Cet
aspect est difficile à expliquer autrement que par la fertilité du
cerveau de Burke Shelley. L'extrême violence de la musique se
traduit aussi dans les textes, poussant l'auditeur aux confins de la
démence. Black Sabbath est un film d'épouvante de la Hammer. On
tente de se rassurer en se disant que tout cela n'est que du cinéma.
Budgie est la violence crue d'une scène de guerre. C'est la
fascinante beauté de l'horreur dans toute sa réalité. « Guts »
est un uppercut, mid-tempo, écrasé par une guitare-drone, et une
batterie matraquant le tempo poussé par une basse lourde. Shelley
semble être abandonné, seul, au bord de la route. Les tripes
sont-elles les siennes qui se vrillent de douleur à cause d'une
rupture amoureuse, où celles de l'être féminin éparpillées sur
le sol par un meurtrier psychopathe ? Difficile de le dire, car
Burke Shelley ne transcrit jamais à l'écrit ses paroles, les
conservant pieusement en mémoire, et conservant pour lui le sens
exact de certains vers que son accent du Pays de Galles rend
mystérieux. Bien malheureux seront ceux qui reprendront un morceau
de Budgie, devant réécrire certaines lignes sur lesquelles planent
un doute. Ainsi, aucune reprise n'aura les mêmes paroles que
l'original, voire même aucune reprise de la même chanson n'aura le
même texte. On pourrait ainsi dire la même traduction, celle de la
langue de Shelley.
Musique
violente, paroles obscures, voilà un cocktail démoniaque. Est-ce de
lui même dont parle Burke Shelley dans « The Author » ?
Ces trois gaillards de Cardiff n'ont pas cette prétention,
assurément. Pourtant, il est indéniable que le bassiste a eu une
vision, et qu'elle a abouti dès ce premier album. La production sans
fard de Rodger Bain accentue ce noir dessein. Il semble que l'homme
ait tenu dans ses mains un aboutissement sonore, puisque l'on
retrouvera ce son sans concession sur Masters
Of Reality
de Black Sabbath. Mais c'est Budgie qui en aura la primeur, son album
éponyme paraissant au mois de juin 1971, alors que le troisième
opus des hommes de Birmingham ne verra le jour que fin juillet.
Curieux parallèle que ces deux groupes qui jamais ne se croisèrent
ni ne s'inspirèrent mutuellement. Il n'y eut jamais de course à la
surenchère sonore, à part peut-être dans la presse spécialisée,
qui vit arriver en deux courtes années Led Zeppelin, Grand Funk
Railroad, Black Sabbath et Budgie.
Mais
ces derniers ne sont pas uniquement de violents garnements. Dès le
second morceau, « Everything In My Heart », on découvre
l'autre facette de Budgie : la délicatesse. Elle est
quasi-exclusivement l'oeuvre de Burke Shelley. L'ensemble des
morceaux sont signés à trois, et le processus est souvent commun :
Shelley et Bourge improvise quelques accords dans la salle de
répétition, sur lesquels Ray Phillips y ajoute un rythme de
batterie. Pour les douceurs acoustiques comme « Everything In
My Heart », il s'agit de création de Shelley. Ce dernier aime
à composer pour lui de belles ballades inspirées du Folk anglais,
aux paroles délicates, mais qu'il préfère dans un premier temps
garder pour lui. Lorsque Phillips l'entend en jouer une, il le
convainc de l'enregistrer sur le premier disque, comme un intermède
doux entre deux tornades soniques. Mais contrairement à Black
Sabbath, ce ne sont pas de simples intermèdes acoustiques, mais de
vraies chansons. Certaines vont parfois fusionner avec une seconde
partie électrique. Mais pour l'heure, Shelley se contente de deux
ébauches de morceaux : « Everything In My Heart »
et « You And I ». Cette seconde chanson est déjà dotée
de la beauté fragile dont se pare la musique acoustique de Budgie.
Elle est empreinte d'une grande mélancolie, et teintée de doute et
de rêve d'adolescent mal dans sa peau.
« The
Author » est une première expérience d'alternance de douceur
et de violence. Des arpèges de guitare électrique doublée
d'acoustique installe un climat de calme avant la tempête. Un riff
vrombit, ponctuant les couplets. On retrouve ce son sale, overdrivé,
tonnant comme un orage au loin. Puis le morceau s'emballe. Phillips
frappe un rythme heurté, presque tribal, pendant que Bourge râcle
le bois de Gibson en un riff incantatoire. La poésie de l'auteur en
question semble maudite, possédée par un démon intérieur.
« Nude
Desintegrating Parachutist Woman » est le parfait exemple des
titres de chanson aussi fascinant que farfelu de Budgie. Le morceau
débute en arrivant dans l'air sur la pointe des pieds avant de rugir
violemment. Morceau mid-tempo, entêtant, violent, les trois
musiciens déverse une cascade de riffs et rythmes d'acier. L'air est
saturé de puissance. Durant huit minutes et quarante secondes,
Budgie enfonce le crâne de l'auditeur, puis l'emporte dans une
accélération enivrante, comme pris dans une spirale démoniaque.
Tony Bourge fait tournoyer ses chorus, dont certains flirtent avec le
Jazz.
« Rape
Of The Locks » débute comme un solo de guitare furieux
achevant un concert, aux accents presque Free. Puis, Tony Bourge
gratte un Boogie hanté, suivi de ses deux compères. Massif, sans
concession, c'est un morceau rapide, bien brisé par une nouvelle
accélération furieuse pour le solo de guitare, Boogie effréné
comme une course folle. Puis Tony Bourge fait ronfler un riff
violent, rageur, héroïque, avant que le morceau ne revienne à son
thème initial.
« All
Night Petrol » est un morceau sale, le riff perdu résonnant
dans le lointain. Obsédant malgré sa relative linéarité, il
brille par un solo magique de Tony Bourge, injectant un venin malsain
dans les veines de l'auditeur. Un climat désespéré et mortifère
s'installe, soutenu par la basse très en avant et squelettique de
Burke Shelley.
L'album
se clôt sur le grand sommet : « Homicidal Suicidal ».
Le riff est un étendard, arrogant et puissant. Shelley pousse ses
cordes vocales pour évoquer son histoire de perdant sur fond de
meurtres et de désespoir. Ray Phillips tient un rythme massif, que
les trois s'empressent de culbuter sur un pont rendant l'atmosphère
un peu plus irrespirable. Alternant changement de climats, chorus de
guitare, Budgie revient toujours à ce riff terrifiant, déjà bien
loin du Hard-Rock classique de son époque pour évoquer le
Doom-Metal du début des années 80. Soundgarden en fera une reprise
au début des années 90, démontrant l'impact de ce premier album
jusque sur la Côte Ouest des Etats-Unis, dans la grisaille de
Seattle. « Homicidal Suicidal développe déjà toutes les
qualités du Budgie des premiers albums : basse abrupte, guitare
rauque et furieuse, batterie lourde et matraquée, le coeur sortant
de la poitrine sous les coups de double grosse caisse.
Le
disque est orné d'une pochette dessiné par David Sparling, qui
représente le « Budgieman » sur un cheval. Elle débute
une série de pochettes de disques, d'affiches et d'objets
promotionnels ornés de ce personnage dans des situations, des
costumes, des époques et des apparences fort variés, contribuant à
l'univers magique de Budgie. Cette trouvaille visuelle fera date.
Elle inspirera un autre tout aussi mythique, le fameux zombie Eddie,
qui ornera de la même manière tous les objets du groupe Iron
Maiden, dont le leader, Steve Harris est un fan proclamé du trio
gallois. Sur ce premier album, le « Budgieman » a encore
l'apparence d'une perruche. Il se muera parfois en oiseau plus
agressif, proche de l'oiseau de proie.
La
presse musicale accueille ce disque favorablement lorsqu'elle
l'évoque bien sûr, mais la presse spécialisée reste coi devant
la violence du disque, au-delà de tout ce qui a été entendu
jusque-là. Néanmoins, Budgie ne fait pas l'objet des critiques
acerbes qui accompagnèrent les albums de Black Sabbath ou Grand Funk
Railroad, juste jugés inaudibles. Budgie conserve le respect des
formations spécialisées vivant dans l'underground musical, et ne
subit pas le courroux et la jalousie exacerbée des formations qui
dominent les classements musicaux nationaux. Le groupe part en
tournée en Grande-Bretagne : quatre dates sont programmées en
première partie du groupe d'Afrobeat Osibisa, puis ils tente
quelques incursions dans d'autres pays européens, leurs premières
hors de Grande-Bretagne. La première expérience aura lieu en
Allemagne en juin et juillet 1971 pour trois semaines, dont une série
de concerts dans un club de Munich, à raison de six sets d'une
demi-heure par soir. Ce rythme aussi frustrant qu'éreintant devait
être le point de départ d'une vraie tournée européenne qui n'aura
pas lieu. Néanmoins, à Munich, les trois musiciens sont témoins du
racisme de certains soldats américains postés en Allemagne,
première expérience de la réalité du monde hors du Pays de
Galles. Budgie revient en Grande-Bretagne pour deux dates en juillet
et août, avant de jouer deux dates en France début septembre :
le Malaval Pop, Folk et Jazz Festival de Bourgs-En-Bresse, et le
Gibus Club à Paris. Le trio bénéficie du soutien de Radio
Luxembourg, qui diffuse le disque sur ses ondes captées en France,
en Allemagne, en Belgique et dans le duché même.
Un
morceau supplémentaire est capté durant les sessions de ce premier
disque, et qui fera l'objet du premier quarante-cinq tours du trio :
« Crash Course In Brain Surgery ». Morceau court, rapide,
tendu, aux paroles gores, il deviendra l'un des grands étendards de
Budgie, repris notamment par Metallica en 1987 sur un EP devenu
culte, « Garage Days Re-Revisited», puis un album de 1998 :
« Garage Inc », vendu à cinq millions d'exemplaires.
Cette reconnaissance aussi inattendue que justifiée assurera des
revenus plaisants aux trois musiciens de Budgie, eux qui ne
connaîtront pas la fortune du temps de leur existence.
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