"C'est
une musique qui défoule, qui parle au public instantanément."
STACK
WADDY : Bugger Off ! 1972
Quelques
raccourcis historiques et intellectuels voudraient que le Rock sale
et méchant soit apparu avec le Punk vers 1977. Et qu'auparavant, les
fans de Rock n'étaient tous que des néo-hippies enfumés écoutant
des doubles ou des triples albums de Rock Progressif plus ou moins
Hard, Led Zeppelin, Yes, King Crimson, ELP….les petits frères et
petites sœurs écoutant quant à eux le Glam de Sweet et Marc Bolan.
Si certes l'ensemble de ces groupes étaient de loin les plus gros
vendeurs de disques au monde, il n'est pas exclu que d'autres choses
se passèrent dans le monde. A commencer par plusieurs formations
refusant de perdre le contact avec les racines du Blues et du
Rock'N'Roll : Status Quo en Grande-Bretagne, AC/DC en Australie,
Savoy Brown et Foghat aux Etats-Unis. Le public anglo-saxon était
bien plus attaché qu'on ne le pense au Blues et au Rock'N'Roll. Il
n'y a qu'à voir le succès scénique de groupes aussi puissants
qu'orthodoxes dans leurs influences : le Quo bien sûr, mais
aussi Humble Pie, le Jeff Beck Group, Cactus…. Une partie du public
était attaché à cette musique retranscrivant la dureté de la vie,
les galères quotidiennes, la vie des petits.
Il
y eut des milliers de groupes undergrounds à travers le monde. La
Grande-Bretagne ne fut pas épargnée, et vit naître nombre de ces
héritiers du British Blues-Boom. Certains partirent sur la voix
progressive, d'autres sur la voix Hard, et certains restèrent
attachés à une certaine rusticité sonore. Stack Waddy en fit
partie. Quatuor fondé en 1965 par le chanteur John Knail, le
bassiste Stuart Barnham, le guitariste Mick Scott, et le batteur
Steve Revell, les quatre jouèrent d'abord du Blues électrifié.
Apparu dans la grise banlieue de Manchester, ils étaient des purs
produits du prolétariat anglais, nés au milieu des cités faites de
maisons de brique rouge et les grandes usines crasseuses. Le seul
refuge était le pub, unique endroit où il faisait bon rire et
oublier la misère du quotidien. Imprégné de cette rudesse locale,
Stack Waddy va développé un Hard-Blues râpeux, sans aucune
concession.
Leur
musique va finir par attirer l'attention d'un personnage influent :
le présentateur radio de la BBC, John Peel. L'homme a du flair, et
diffuse depuis plusieurs années du Rock sur les ondes, enregistrant
les formations qu'il juge dignes d'intérêt en direct sur scène
devant un petit public. Ses Peel Sessions vont devenir mythiques, et
serviront de matériaux à plusieurs disques en concert et comme
morceaux bonus pour des rééditions pour des centaines de groupes de
Rock de toutes les époques.
John
Peel n'aime pas particulièrement le Rock Progressif. Il aime
l'audace dans un Rock qui ne soit pas prétentieux. Il sera un
soutien important pour des formations aussi underground que capitales
musicalement : Andromeda, Pink Fairies, Hawkwind….Les grosses
machines l'ennuie, aussi, il décide de prendre en main les choses en
créant son propre label, Dandelion, et va utiliser son émission
pour les encourager. John Peel cherche le vrai Rock là où il se
cache, loin de Londres de la hype. Il va donc tomber sur Stack Waddy,
et va adorer le groupe. Les quatre de Manchester intègrent donc
l'écurie Dandelion, et bénéficie d'un vrai écho radio en jouant
sur les ondes de la BBC.
Le
premier album paraît début 1971, et dévoile ce qu'est Stack
Waddy : un groupe de Blues-Rock hargneux, sans fioriture, doté
du gosier grognant de Knail, qui n'est pas sans rappeler Captain
Beefheart. Stack Waddy entame le circuit des clubs à travers le
pays, se professionnalisant dans l'espoir inespéré de percer et de
vivre de leur musique, et éviter la chaîne d'usine.
Afin
de maintenir l'intérêt, un second disque est mis en boîte :
Bugger Off !. Publié en 1972, il est plus tranchant,
plus Hard que son prédécesseur. Comme pour le premier, Stack Waddy
ne s'embarrasse pas de compositions originales. Il n'y en a qu'une
sur douze morceaux, le reste étant des reprises de Blues, de
Rock'N'Roll, mais aussi de Rock anglais du milieu des années
soixante : Kinks, Pretty Things…
Bugger Off !, c'est en fait un set brillant de ce que
l'on appellera quelques années plus tard le Pub-Rock. Les anglais le
pratique en fait depuis plusieurs années. Cela correspond en fait au
Rock joué dans les pubs anglais, basé sur le Blues, le Rock'N'Roll,
le Boogie. C'est une musique qui défoule, qui parle au public
instantanément. Beaucoup de musiciens se sont faits les dents dans
ces salles enfumés sentant les frites trop grasses et la bière
pression, à commencer par plusieurs héros du Punk : Nick Lowe,
Joe Strummer, Ian Dury….
Stack
Waddy défouraille un Hard-Blues rageur, sale et méchant. Débuté
par une version à la paille de fer de « Rosalyn » des
Pretty Things, le disque se poursuit sur un morceau surprenant :
« Willie The Pimp » de Frank Zappa. Le groupe n'en a
conservé que le riff lourd, et développe une jam de guitare
brutale, sans aucune mesure avec la virtuosité inhérente à Zappa.
Mais Mick Scott se défend, et décide d'en développer sa propre
version, ne retenant que le riff, et la structure couplet-refrain. La
voix de Knail est évidemment parfaite, puisque l'originale était
chantée par … Captain Beefheart. Avec ce morceau, Stack Waddy
rejoint le cercle des pionniers du Heavy Sound anglais du début des
années soixante-dix, ces héros underground qui influenceront la
seconde génération de sidérurgistes du Heavy-Metal comme le Punk :
Stray, Crushed Butler, Iron Claw….
L'album
possède d'autres merveilleux coups d'éclats. La reprise Heavy
Garage « You Really Got Me » fut une idée piquée au
groupe Mott The Hoople pour lequel Stack Waddy ouvrit. Les Hoople en
jouaient une version instrumentale, et le guitariste Mick Ralphs
enseigna le riff à Mick Scott. Les Waddy décidèrent d'en faire une
version chantée, et dont le son est encore plus crue que celle de
Mott The Hoople.
Stack
Waddy déroule tout son tapis Blues et Rock'N'Roll : « Hoochie
Coochie Man », « It's All Over Now », « Long
Tall Shorty », version personnelle de « Long Tall
Sally ». Le sommet est atteint avec l'excellent et trépidant
« Repossession Boogie », puissante déflagration Boogie
sur laquelle le groupe déroule son savoir-faire pour maintenir
l'excitation constante sur un riff aussi éculé et usé que celui du
Boogie, déjà largement utilisé par Status Quo ou Canned Heat. La
section rythmique tabasse dru, Knail souffle dans son harmonica, et
Scott crée un orage noir avec sa Les Paul Gibson.
On
entend les musiciens discuter entre chaque morceau, preuve que
l'album fut capté en direct en studio en quelques heures. Le morceau
« Meat Pies 'Ave Come Band's Not Here Yet » est l'exemple
même de la composition crée de toutes pièces en studio, jam
électrique folle sur un simple rythme presque tribal et un tout
petit accord. Scott fait des merveilles à la guitare, faisant
hululer sa six-cordes sur un tempo obsédant. Le groupe était rôdé
par la scène, et était capable de jouer n'importe quoi avec brio,
du moment qu'il s'agissait de Blues et de Rock'N'Roll.
Scott
clôt l'album par une reprise acoustique de « Girl From
Ipanema », visiblement elle aussi totalement improvisée, mais
conservée car d'une fraîcheur et d'une honnêteté confondante. Ce
second disque aura été capté avec la même spontanéité que le
premier, mais a davantage de fureur. Malheureusement, ce sera aussi
le dernier. Dandelion est un label amateur, et John Peel n'est pas un
très bon manager, ni un très bon homme d'affaire. Le label se
délite, pendant que Stack Waddy s'épuise à écumer les clubs et
les pubs de tout le pays, en vain, et pour des clous. Le quatuor
finira par se dissoudre, puis se reformera par intermittence, en 1973
et 1976, sans résultat.
Ce
second album sera complété dans sa version en disque compact par
une précieuse session BBC qui avait été jusque là été
considérée comme perdue. Mais surtout, il a été ajouté la
captation en studio du morceau de Bo Diddley : « Mama Keep
Your Big Mouth Shut ». Ce titre avait été inclus sur une
compilation promotionnelle du label Dandelion : There Is Some
Fun Going Forward. Le morceau mérite presque à lui seul l'achat
du disque, parfait concentré de Heavy-Blues crasseux et violent,
d'une férocité rare, aboutissement ultime du British Blues avec le
Chicken Shack d'Imagination Lady la même année 1972.
Avec
Bugger Off !, Stack Waddy aura enregistré une pierre
angulaire de Heavy-Rock underground qui fascine par sa violence et
son brio musical. Ce pan du Rock anglais, totalement ignoré mais
bien aussi génial que les grands groupes populaires de l'époque,
contribuera à maintenir l'intérêt magique véhiculé par le Rock
des années 70 jusqu'à nos jours. Les groupes comme Stack Waddy
m'encourageront en tout cas à chercher dans les recoins des bacs de
disques afin d'y trouver ces pépites géniales, fascinant reflet de
ce qu'était la richesse musicale de la Grande-Bretagne à l'époque.
tous droits réservés
2 commentaires:
J'avais eu une version mp3 de ce "Burger Off !" et ... presque dans la foulée, je m'étais précipité sur le premier album qui m'avait quelque peu déçu. Un peu irrité par la voix du chanteur.
Totalement d'accord avec ton introduction. Cette histoire de 1977 me paraît finalement un gros coup de marketing. Notamment dans le sens où c'est ce qu'il fallait écouter à ce moment là ... pour être un rebelle ... alors que du coup, tout l'monde suivait un courant imposé à un certain genre d'auditeur.
Certains critiques font remonter le Punk, ou du moins ce qui peut s'y apparenter, aux années 60.
Effectivement, on parle de proto-Punk pour les Stooges, MC5 ou les Pink Fairies. Ces mêmes groupes que l'on qualifie également de proto-Metal, comme quoi les points de vue....
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