samedi 18 mars 2017

DIRE STRAITS 1980

"...Mais j'ai décidé de parler du troisième parce que je l'aime comme un ami. "

DIRE STRAITS : Making Movies 1980

Lorsque j'écoutais Téléphone gamin, mon esprit divaguait toujours en France. Cela peut paraître évident ou idiot, mais les paroles comme la langue française me fixaient indiscutablement dans l'Hexagone. Je partais sur la route en France, j'étais un héros flegmatique en France, je montais sur scène devant des foules immenses en France…. Pourtant, j'avais déjà eu la chance de partir ailleurs : au Pays de Galles, en Espagne, en Allemagne…. Mon imagination connaissait d'autres routes, réservoir d'images également alimenté par les films et séries américaines faisant la part belle aux vastes autoroutes, paysages désertiques et poussiéreux. Mais assurément, Téléphone n'en était pas la bande-son idéale.

Lorsque retentit le riff de « Money For Nothing » de Dire Straits dans mon petit cerveau encore poreux, la gifle est double : je découvre le Rock international et le riff méchant. Quelque chose me dérange pourtant, c'est cette batterie un peu terne, surtout comparée à celle, volubile, de Richard Kolinka. Il y a ce son qui claque, gorgé de Fairlight, tellement années 80. l'album Brothers In Arms sera la porte ouverte sur le monde magique de Dire Straits, dont les quatre premiers albums sont assurément le grand œuvre à tout jamais.

Les deux premiers sont enregistrés dans la configuration originale : Mark Knopfler à la guitare et au chant, son frère David à la guitare rythmique, John Illsey à la basse, et Pick Withers à la batterie. La musique est encore fortement ancrée dans une musique Blues et Folk au sens large, piochant dans JJ Cale, Eric Clapton, Allman Brothers Band, Bob Dylan, Grateful Dead, Chet Atkins, Chuck Berry. C'est un groupe de petits anglais au teint palot et rêvant d'Amérique. Leur musique pioche allégrement dans ces sources musicales essentiellement transatlantiques. Et ils vont rapidement le traverser, l'Océan Atlantique, pour enregistrer et connaître le succès international. D'ailleurs, Mark Knopfler participe comme musicien de session dès 1979 à un album de Bob Dylan, Slow Train Coming, juste reconnaissance de son talent montant.

Le rythme des concerts s'accélère, et le leadership de Mark devient massif, au point que David finira par partir pour mener sa carrière solo paisible, loin des projecteurs. Pour l'heure, à sonn entrée en studio en juillet 1980, Dire Straits est toujours un quatuor, mais avec comme seul maître à bord le guitariste-chanteur. On sentait déjà que, dès le second album, Mark Knopfler avait de l'ambition. Les mélodies se perfectionnent, et s'éloignent doucement du riche bouillon initial qui donna naissance au premier album. Avec ce troisième album, Dire Straits fait un pas de géant au niveau des compositions. Il en écrira seul toutes les chansons.

Mark va développer son talent de conteur magnifique, créant de petites scènes cinématographiques. « Tunnel Of Love » et « Romeo And Juliet » en sont les pièces les plus représentatives, dépassant toutes deux les six minutes. Surtout, elles sont dotées de rebondissements musicaux, changeant de climat, quittant le thème initial pour poser une nouvelle séquence conduisant au final, séquence enluminée de très beaux chorus apportant tout le lyrisme nécessaire pour soutenir l'atmosphère recherchée. Ce travail aboutira sur le disque suivant, Love Over Gold, et notamment sur des morceaux comme « Telegraph Road », atteignant les quinze minutes.

Mark Knopfler est un conteur, et ce depuis le début. Sur le premier disque, son champ d'observation se limite à la citée londonienne, les petits travers de la société : les galeries d'art sur « In The Gallery », une balade en bateau sur « Down On The Waterline ». Il y a pourtant un vrai besoin d'espace : le groupe de Jazz imaginaire de « Sultans Of Swing », et déjà le Grand Ouest sur « Six Blade Knife ». L'album Communiqué ne fera que confirmer cette nécessité d'horizon : « Once Upon A Time In The West », « Follow Me Home »….. Knopfler voyage dans sa tête, et c'est sans doute cette connexion qui s'est faite entre la musique de Dire Straits et moi, même si je ne comprenais pas un traître mot du texte. Mais déjà, la musique en dit beaucoup.

Il faudrait que je vous parle du Country-Blues du premier album, la lumière du soleil couchant à travers les eucalyptus qui illumine le second album, la chevauchée héroïque du quatrième album, mais j'ai décidé de parler du troisième parce que je l'aime comme un ami. Making Movies est un disque au timing compact, et se déroulant en deux temps : les trois premiers titres en forme de récit cinématographique, dotés de rebondissements aussi fins que brillants, et les autres titres, plus compacts, plus directement Rock, basés sur des riffs puissants, plus proches du premier album.

Preuve de l'ambition artistique indéfectible de Mark Knopfler, l'album débute par « Tunnel Of Love », odyssée de plus de huit minutes. Une mélodie à l'orgue suranné laisse la place à un riff tendu. Le groupe fait d'ailleurs pour la première fois appel à un clavier, musicien extérieur du nom de Roy Bittan, rien de moins que le pianiste du E Street Band derrière Bruce Springsteen. On retrouve d'ailleurs dans les atmosphères d'Amérique profonde des similitudes avec l'album de Springsteen qui paraît fin 1979-début 1980 et qui sera double : The River. Knopfler et le Boss partage ce goût pour le peuple oublié de l'Amérique, celui qui se contente de joies modestes et doit affronter les difficultés de la vie. Comme Springsteen, Knopfler chante avec son timbre éraillé d'homme qui en a déjà vu d'autres.

Le thème principal se déforme peu à peu pour annoncer le final, qui rebondit sur un premier chorus aux tonalités presque Funk. Pick Withers abat un magnifique travail à la batterie, faisant courir ses baguettes sur ses caisses avec une précision et une aisance totalement réjouissante. « Tunnel Of Love » est ensuite doté d'un pont délicat en partie centrale, interprétation feutrée du thème précédent, ouvrant sur une chevauchée électrique et dynamique que le groupe fait monter doucement, appuyant peu à peu sur l'accélérateur, comme la route qui s'ouvre devant soi. On est emporté par l'incandescence de la guitare de Knopfler. Il est aussi un conteur par ses six-cordes, ne faisant jamais parler la technique mais toujours le feeling, sélectionnant la note qui apporte l'émotion au bon moment.

« Romeo et Juliet » débute comme un thème Country-Blues joué au dobro. C'est une chanson délicate, douce amère. Elle débute comme une belle romance, lumineuse, aux reflets sépias d'une photo des jours heureux. Puis elle verse peu à peu dans l'amertume et la désillusion, histoire d'amour complexe et contrariée ne pouvant que se terminer dans la douleur. Le thème aérien et lancinant, obsédant, qui clôt le morceau ne se fait que l'écho de la déception se perdant au loin dans la lande, ponctué de quelques notes de guitare âcres.

« Skateaway » est une chanson dynamique, rapide, vive. Porté sur un train d'enfer, funky en diable, Knopfler raconte l'histoire de cette fille, une roller-girl. Elle survit en faisant de petits boulots pas très passionnants, et ne se défoule qu'en patinant à toute vitesse tout en écoutant du Rock'N'Roll pour s'échapper de sa médiocrité quotidienne. La construction du morceau est plus simple, Knopfler déformant le thème, mais conservant le tempo énergique. La coda monte en puissance avant de s'envoler dans les airs comme la roller-girl, au bord de la plage, au soleil couchant, soutenu par les notes liquides et rêveuses de la guitare de Knopfler.

Brutal changement d'ambiance, « Expresso Love » est une violente embardée électrique, porté par un riff méchant, soutenu par le piano de Bittan. Le climat est plus noir, évoquant une prostituée, le rythme harassant de son travail, l'ambiance glauque dans laquelle elle vit, le torrent d'émotions contradictoires qui l'assaille jour après jour. La guitare rugit, rauque, râpeuse. Le solo est une respiration dans cette poussière âcre, à la mélancolie intense.

Petite respiration après cette cascade d'électricité, « Hand In Hand » est une belle ballade dylanienne en diable, soutenue de piano et de guitare acoustique. La mélodie est typique de Dylan, authentiquement imprégnée de ce Folk typiquement américain des années 60. C'est une chanson fière, au refrain enthousiasmant. « Solid Rock » est un retour au Rock le plus dur, le plus âpre. Trois minute trente au compteur de pur adrénaline, juste retour des petits anglais aux pionniers américains : Chuck Berry, Eddie Cochran… Il y a toujours cette teinte americana caractéristique, mais le riff est particulièrement inspiré du Rock américain séculaire, non sans un petit détour par le Creedence Clearwater Revival pour l'électricité et la rudesse musicale. « Solid Rock » servira de final aux concerts de Dire Straits pour les cinq années à venir, parfaite conclusion de show pouvant atteindre plus de deux heures.

« Les Boys » est une chanson hommage aux soldats américains partis en France affrontés les Nazis. Elle a une petite saveur surannée, chanson à la couleur Country-Folk, et dont la mélodie s'inspire des chansons des années 40, sur laquelle Knopfler greffe ses chorus de guitare laidback. Malgré une ligne mélodique efficace, elle reste la chanson la moins inspirée du disque, riche en somptueuses merveilles électriques.


Durant l'enregistrement, en août 1980, David Knopfler ne supporte plus l'omnipotence de son frère sur le disque et décide de claquer la porte. Bien que ses parties de guitare rythmique aient été captées par le producteur Jimmy Lovine, Mark Knopfler les effacera et les ré-enregistrera toutes. Making Movies connaît à nouveau le succès international, bien que Dire Straits n'arrive toujours pas à rééditer l'exploit de la seconde place atteinte par le premier disque dans les ventes d'albums aux USA. Néanmoins, Dire Straits est dans le Top Ten dans toute l'Europe, et classe ce troisième disque dans le Top 20 américain. Il assoit un peu plus sa réputation de grand du Rock à l'aube des années 80, loin des modes musicales du moment, et poursuit sa progression musicale qui va culminer avec le disque suivant : Love Over Gold.

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