"Le vieux lion a toujours des
choses à dire."
FAST
EDDIE CLARKE : Make My Day – Back To The Blues 2014
Le
Rock des années 70 disparaît progressivement du paysage musical au
rythme des décès et des problèmes de santé. Black Sabbath,
Motorhead, David Bowie, Status Quo… tous jettent l'éponge de gré
ou de force, laissant un vide immense que le business tente de
combler avec de l'électro incolore, du Pop mou, et du Hip-Hop
délavé.
Les
quelques survivants poursuivent leur carrière bon gré mal gré. Ils
ne sont souvent que l'ombre d'eux-mêmes, septuagénaires et usés
par des années d'excès en tous genres. Uriah Heep, Bob Dylan, Who,
Rolling Stones, AC/DC…. poursuivent leur carrière devant des
salles combles, pour des spectateurs qui vont désormais les voir
comme on va au musée contempler des vestiges historiques d'une
époque passée, et devenant parfois les groupes tributes
d'eux-mêmes. Ils restent de fantastiques chansons, jouées
poussivement par des interprètes fatigués. Certains, pourtant,
résistent plutôt bien. Neil Young a encore quelques belles
fulgurances, tout comme les vétérans du Heavy-Blues Cactus, dont le
dernier disque est plutôt savoureux.
Fast
Eddie Clarke fut le guitariste magique de Motorhead entre 1976 et
1982. Il en fut le principal compositeur, et l'homme qui en créa le
son si spécifique. Son exclusion précipitée et maladroite enterra
une bonne part de l'âme de Motorhead, qui ne sut s'en relever que
partiellement, à tel point que la formation Kilmister-Clarke-Taylor
reste à jamais la plus mythique, la plus magnétique.
Notre
homme se remit plus ou moins bien de ce départ forcé. Il forma le
très bon groupe de Hard-Blues Fastway, dont l'incarnation de
1983-1984 est l'un des fleurons du Rock de cette époque.
Malheureusement, Clarke succomba à la pression de la maison de
disque et à l'appel du succès Pop ultime. Les ventes du premier
album ayant été aussi conséquentes qu'inattendues aux USA, Fastway
fut sommé de faire mieux, CBS pensant que le quatuor était capable
d'atteindre les sommets des classements, moyennant quelques
concessions toutefois.
La
suite sera une série d'albums médiocres, dont les derniers entre
1988 et 1990 voient Clarke y être totalement absent artistiquement.
Il faut dire que la vie de guitariste de Motorhead a laissé des
traces. On ne joue pas tous les soirs et on n'enregistre pas un
disque tous les dix mois sans quelques excitants. Le speed et surtout
l'alcool était utilisés en grande quantité, et c'est cette
dernière qui devint la compagne de Fast Eddie. A la fin des années
80, son organisme dit stop, et il va passer l'essentiel de son temps
entre l'hôpital et la clinique de désintoxication.
Son
retour aux affaires sera modeste, avec un premier disque solo très
Hard-Rock sur lequel on trouve une participation de Lemmy. Il sera
suivi d'un silence de plus de dix ans avant une reformation de
Fastway en 2007, avec un nouveau disque seulement en 2011.
Entretemps, Clarke commença à bricoler dans son coin un disque solo
avec Bill Sharpe, pianiste de Jazz dont le groupe principal est
Shakatak. Les premiers travaux datent de 2009, mais le disque ne se
concrétisera qu'en 2014.
Le
guitariste n'est alors plus qu'un souvenir pour amateurs de Classic
Rock. Pas sûr que le bonhomme évoque grand-chose aux spectateurs
qui vinrent assister aux concerts de Motorhead les dernières années
dans les grands festivals internationaux. Motorhead, c'était Lemmy,
point final. L'histoire de la musique, c'est pour les pinailleurs
dans mon genre, ou pour les sexagénaires médiatiques comme Philippe
Manoeuvre ou Francis Zegut. Et avec le temps et la disparition de la
mémoire, l'histoire est réécrite à grands coups de raccourcis
sentencieux. Le Rock se résume à quelques figures charismatiques
comme Keith Richards, Bruce Springsteen, David Bowie, Iggy Pop, et
Lemmy Kilmister, le reste est de l'ordre du détail.
Fast
Eddie Clarke vit donc paisiblement dans sa petite maison de l'Ouest
de l'Angleterre, continuant à gratouiller dans son petit home-studio
des mélodies et des riffs pour son petit chien. Devenu un
quasi-inconnu hormis pour quelques fanatiques irréductibles du
Motorhead historique, Clarke sort de son anonymat pour une poignée
d'interviews à quelques magazines de Classic Rock et des webzines de
Heavy-Metal. Ce sont eux qui évoqueront la publication de cet album
dont je ne connaîtrai l'existence qu'un an après sa sortie, malgré
ma grande admiration pour Fast Eddie Clarke et l'ensemble de sa
musique.
L'objet
fait un peu peur au premier abord. La pochette est ornée d'une photo
de route américaine sur fond de soleil couchant digne d'une mauvaise
compilation de musique West-Coast pour routiers, et l'album a été
enregistré pour un label on ne peut plus minimaliste avec un
pianiste, Bill Sharpe, connu pour jouer du Jazz Smooth que l'on
qualifiera de musique d'ascenseur ou de piano-bar. Il était pourtant
hors de question que je ne jette pas une oreille sur cet objet
sonore, Clarke le présentant comme un authentique album de Blues.
Blues
et Fast Eddie sont depuis longtemps liés. Les racines musicales du
musicien en sont toutes issues : Humble Pie, Eric Clapton et les
Yardbirds, Jeff Beck Group, John Mayall And The Bluesbreakers, Led
Zeppelin, Peter Green's Fleetwood Mac, Jimi Hendrix Experience….
C'est ce Blues électrique anglais qui a servi à accoucher de
Motorhead et d'albums comme Overkill. Sous un déluge
d'électricité se cachait le Rock'N'Roll de Little Richard cher à
Lemmy, mais aussi tout ce Blues incandescent et psychédélique qui
inspira tant Clarke, en particulier sur ses chorus.
Décidé
à ne plus courir après les chimères d'un éventuel retour en grâce
par le Heavy-Metal, qu'il soit lié à Motorhead ou à Fastway, il
s'est lancé dans la composition d'une musique chère à son coeur et
à ses aspirations profondes. Le résultat est pour le moins
déconcertant pour qui attendait de Fast Eddie un nouveau disque de
Hard-Rock.
Sous
ses atours peu engageants, Make My Day – Back To The Blues est
un excellent album. Au premier abord, on est un peu rebuté par
l'orgue Hammond, les choeurs féminins, et l'approche effectivement
très Blues que l'on serait tenter de rapprocher d'une mauvaise
parodie de BB King. Mais il n'en est rien, parce qu'Eddie Clarke a la
référence musicale sûre, l'humilité des grands hommes, et le
talent des meilleurs musiciens. Il est aussi un vrai compositeur, et
propose donc dix morceaux originaux.
Une
écoute attentive révèle les vraies qualités de l'album : la
voix de Clarke, ainsi que son jeu de guitare ressemblent furieusement
à ceux de Stan Webb de Chicken Shack. Eddie n'a plus ce timbre Punk
teigneux. Sa voix s'est voilée, elle a vieilli, et il coasse non
sans une certaine profondeur d'homme mûr. Il chante juste le bougre,
et avec une vraie personnalité. Finies également les grands riffs
Hard, Clarke use d'un toucher et expressif digne de Billy Gibbons et
Eric Clapton. Quelques saillies et attaques des cordes rappellent que
notre homme fut un cavalier de l'Apocalypse, un sidérurgiste du
riff.
Les
interventions de Bill Sharpe à l'orgue Hammond et les choeurs
féminins menés par Jill Sanward, chanteuse de Shakatak, apportent
une tonalité Soul à plusieurs morceaux. Elles ne sont pas sans
rappeler Humble Pie sur l'album Eat It de 1973, et la
mélancolie si particulière qui s'en dégage. Autre influence en
filigrane, celle des albums de Joe Walsh, avec ces compositions de
guitare emplies d'espace.
C'est
Chicken Shack et Stan Webb
qui a servi de référence pour l'excellent Blues-Rock introductif :
« Nothing Left ». Les
notes sont fluides, le phrasé moins survitaminée. Le jeu d'Eric
Clapton est très nettement une grande influence. Sur les suivants,
l'attaque se fait plus mordante, et ressemble davantage à Stan Webb
et Billy Gibbons.
Le
magnifique Blues qui succède s'appelle « Mountains To The
Sea ». Eddie atteint une sorte de pinacle musical. Puisant dans
le Blues anglais comme dans celui de BB King, Freddy King et Muddy
Waters, il développe un long thème poignant enluminé de petits
chorus expressifs. Sharpe assure d'excellentes parties de piano et
d'orgues, créant un bon contrepoint à la guitare de Clarke. C'est
le morceau le plus empreint de cette âme Soul.
« Make
My Day » suit le même tempo. Clarke assure de petits chorus
légers, davantage dans la lignée des albums d'Eric Clapton de la
fin des années 70, plus laidback, et moins démonstratifs. Le
morceau sera le prétexte à une vidéo de promotion pour le disque
que l'on qualifiera gentiment de cheap, montrant notre homme sur une
plage, au soleil couchant. On le sent mal à l'aise dans cet
exercice, bien inutile en termes de publicité.
« Heavy
Load » revient à des sonorités plus Heavy en prise directe
avec Fastway. Eddie fait rugir sa Les Paul blonde. Il paraît assez
probable que ce titre aurait pu terminer sans souci sur Eat Dog
Eat de Fastway. Les choeurs féminins le connectent encore à
Humble Pie avec sa mélodie épique et Soul.
« Fast
Train » est un excellent Boogie-Blues typique des groupes
anglais du genre de la fin des années 60 : Peter Green's
Fleetwood Mac, Savoy Brown, Love Sculpture, Chicken Shack….
Enthousiasmant, c'est un fantastique morceau. Le chant voilé et
râpeux de Clarke est impeccable et sied à merveille à ce type de
musique. La guitare est omniprésente, subtile, rageuse, suintant le
Blues par tous les pores. La rythmique n'est pas sans rappeler le
riff de « Bad Boy Boogie » d'AC/DC.
« Walking
Too Slow » revient à des sonorités plus agressives, celles de
All Fired Up de Fastway. Mid-Tempo, la rythmique les jambes
bien campées dans le bitume, Clarke déroule un Heavy-Blues
incandescent soutenu par l'orgue Hammond de Bill Sharpe. Son chant se
fait narquois, la guitare s'enflamme de toutes parts.
« Haven't
Got The Time » est un bon vieux Boogie entraînant sur laquelle
Eddie joue avec la sonorité de sa wah-wah sur une guitare laidback,
lui donnant un phrasé ondoyant. Il ponctue ses paroles comme le font
les grands bluesmen électriques. Une fois encore, son touché est
subtil et inventif.
« One
Way » est un extraordinaire instrumental Heavy-Blues imprégné
de Chicken Shack, Jimi Hendrix et Peter Green. C'est du grand art,
les soli sont expressifs, véritable œuvre d'art de la jam
électrique. Le son est purement Blues, mais l'on retrouve le langage
de Clarke, cette capacité à raconter une histoire sur quelques
mesures. Le Heavy-Blues se poursuit avec « My New Life ».
Plus Stan Webb que jamais, Clarke coasse son texte empreint d'humour,
faisant rugir l'électricité de ses cordes sur le piano de Bill
Sharpe.
L'ultime
morceau est une pièce instrumentale de guitare acoustique soutenue
par quelques nappes de claviers. Délicat, lumineux, « Ethereal
Blue » fait se croiser Blues, Rock Progressif, et Folk. Il y a
du John Martyn là-dedans, mais aussi le Santana de Caravanserai,
ces atmosphères de voyages lointains, loin du monde.
Eddie
Clarke a su avec cet album se démarquer de ce qui était devenu un
carcan musical. On attendait de lui un éternel successeur aux albums
de Motorhead et Fastway, au point que le guitariste avait fini par se
brider artistiquement et à ne plus savoir quoi dire. En coupant les
ponts avec son passé pour revenir à ses sources, il a su évoluer
sans rompre avec sa personnalité, et offrir un disque captivant,
sans aucun doute l'un des tous meilleurs disques de Blues électrique
de ces dernières années. Le vieux lion a toujours des choses à
dire.
tous droits réservés
6 commentaires:
Ouaip ... Content de voir que Fast Eddie n'est pas oublié de tous et que certains l'apprécient à sa juste valeur.
Cependant, pour ma part, j'ai été plutôt déçu par ce disque. Non pas parce qu'il était Blues - au contraire même, j'attendais cela depuis des lustres - mais simplement à cause du chant. La musique elle, est plutôt d'un bon niveau.
J'ai toujours adoré le jeu d'Eddie Clarke, et son sens de la composition. De même que le personnage qui, même aux temps les plus forts de Motörhead et de Fastway, restait toujours humble. A mon sens, Lemmy a beaucoup perdu lorsque Fast Eddie, excédé, a claqué la porte.
Toutefois, Eddie Clarke n'est pas un bon chanteur, et malheureusement ce disque et "It's Ain't Over till it's Over" en pâtissent. Même s'il a fait de considérables progrès, il aurait dû se réserver en tant que "choriste", ou simplement en tant que chanteur occasionnel. Ses faiblesses vocales peuvent avoir un certain charme. Sur quelques morceaux, ça passe assez bien (comme du temps de Motörhead), mais pas sur la majeure partie d'un album.
Et "All Fired Up" ? Il sent le faisandé ? C'est encore du grand Fast Eddie non ?
Salut Bruno,
Ah mais "All Fired Up" ne sent pas le faisandé, bien au contraire ! Il est même chroniqué dans ces pages, tout comme le coffret live de quatre cd, "Steal The Show".
Pour ma part, je trouve son chant plutôt sympathique, un peu Punk, un peu râpé, ça colle bien avec ce qu'il fait, surtout sur ce dernier disque. Il a par ailleurs délivré une fantastique version de "Stone Dead Forever" sur la version Deluxe de l'album "Bomber". Originellement, c'est lui qui tenait le chant sur ce morceau, et ça ressemble carrément à du James Hetfield !
Quant à son départ de Motorhead, c'est un peu plus compliqué. Mais pour être tout à fait clair, sache que je viens de finaliser une biographie complète de Fast Eddie Clarke à paraître chez Camion Blanc d'ici un ou deux mois.
Et sur "Bomber", il s'empare du micro sur "Step Down". Et là, par contre, j'ai toujours adoré sa prestation vocale qui se mariait si bien à ce Heavy-Blues halluciné. Au point où j'ai toujours amèrement regretté que le père Lemmy ne l'ait pas plus laissé s'exprimer seul au micro.
Une bio sur Eddie Clarke ?? Vraiment ? It's a bad joke ? Sinon, j'ai hâte de voir ça.
D'autant plus que je ressors de temps à autre ton premier essai - bien que, évidemment, je ne sois pas d'accord sur tout -, et qu'un seconde volume du genre ne serait pas pour me déplaire (sauf si l'on fait un gros "forcing" sur l'autre "bassiste" de Newcastle-Upon-Tyne ...)
Non non, c'est bien vrai, et adoubée par Mr Clarke lui-même :)
Pour un second volume, c'est également au programme, d'ici quelques mois. ;)
Merci en tout cas pour ton soutien sans faille.
Super! Avec l'approbation de mister Fast Eddie Clarke. Incrédibeule ! Cela doit être foncièrement gratifiant. La classe. Congratulations ! Rock'n'Roll !!
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