dimanche 7 août 2016

THE VELVET UNDERGROUND 1968

"Velvet Underground est davantage dans l'agression."

 
VELVET UNDERGROUND : White Light/White Heat 1968

Un nuage de brume s’élève sur l’Hudson River. C’est un peu la même que celle de la Tyne dans le Sussex ou sur les marais poisseux de la Somme. Cette impression de forge du démon, gueule béante de la bête du monde intérieur. La sensation qu’il y ait un monde nocturne et possédé sous nos pieds fascine. Nous aimons sentir le danger par moments, juste pour nous rappeler que nous sommes vulnérables. Mais aussi que nous avons de bas instincts, et que nous passons notre temps à nous battre avec toute notre existence. La sexualité perverse, l’alcool, la drogue, le tabac... tous ces plaisirs coupables et malsains, qui nous mettent en péril entre exaltation et enfer des dépendances, comme une mise à l’épreuve. Une manière de rejeter ce quotidien trop bien réglé, ce discours politiquement correct hygiéniste, prônant le sain et la sécurité à l’extrême, au point de nous faire oublier que nous sommes vivants, et que la vie ne vaut d’être vécue que si l’on en fait quelque chose d’exaltant.

L’exaltant est venu de toutes part, de Grande-Bretagne comme des USA, du Rythm’N’Blues de Memphis et Detroit, de la Pop anglaise de Londres et du Rock psychédélique de la baie de San Francisco. Des fleurs, de l’acide, de la chemise en soie, de l’herbe, du patchouli, la paix dans le monde et l’amour pour tous. La tentaculaire New York était plutôt le théâtre des déjantés, des écrivains et des peintres torturés. Clubs SM, travestis, homosexualité, drogues dures... New York était l’Hades des Etats-Unis, une ville pourrie par les artistes dégénérés la nuit, la finance et le monde des affaires le jour.

Le monde de la musique était lui aussi très élitiste, axé sur des compositeurs contemporains : Terry Riley, Erik Satie, La Monte Young. La Pop n’avait guère le droit de citer, considéré comme une musique adolescente commerciale purement opportuniste. L’image du Rock changea vers 1965, lorsque les Beatles et les Stones tentèrent la connexion artistique avec la littérature de Kerouak ou Burroughs et la peinture de Warhol. Des passerelles furent lancées. Autour du peintre fantasque se développe une petite clique d’artistes diverses, pop comme la peinture du maître, danseurs et musiciens, dont les ex-Warlocks, Lou Reed, John Cale, et Sterling Morrison. Moe Tucker, modeste percussionniste, remplaça Angus McLise, ancien batteur qui rebaptisa le quatuor Velvet Underground avant de partir, du nom d'un roman fétichiste. Ce petit monde répéta à la Factory, le laboratoire artistique de Warhol, et ce dernier ajouta au groupe un ancien mannequin allemand, Nico. Le premier album à la banane fut un choc redoutable dans le monde du Rock de l’époque. Alors que l’état d’esprit était à la paix, à l’amour, et aux lendemains qui chantent, une bande de névrosés new-yorkais faisait remonter aux narines du monde l’odeur du stupre des bas-fonds.

Passé le dégoût initial, il y avait bien une beauté à ce Rythm’N’Blues rugueux, et à ces mélodies obsédantes et hantées, à ces chansons peuplées de cette faune noctambule, dealers, prostituées, homosexuels dépravés, fétichistes …. La critique perçut la beauté venimeuse de ce premier disque, pas le grand public, choqué, qu’on lui montre cette vérité trop crue. Warhol était content, il avait réussi son coup médiatique.

Seulement voilà, le Velvet Underground était bien un grand groupe de musique, doté de deux grands compositeurs qu’étaient Lou Reed et John Cale. Aussi le coup médiatique ne les intéressait guère. Voire les embarrassait, car les voilà catégorisé formation jetable une fois la performance warholienne passée. Il fallait donc que le Velvet existe en tant que groupe, et se détache de cette Factory devenue trop encombrante. A commencer par Nico. La seconde étape fut l’enregistrement de ce disque noir comme le jais. Paru en janvier 1968, il atomise son prédécesseur dans toute sa dimension obscure.

Si Velvet Underground with Nico avait d'indéniables côtés sombres, de part ses évocations de la drogue ou des bas-fonds avec « Heroin » ou « Venus In Fur », le groupe était resté dans un cadre plutôt pop et arty. White Light/White Heat se libère totalement de toutes les contraintes idéologiques. La musique y est brute, sans concession, d'une violence inconnue pour l'époque. On ne parle pas d'un strict point de vue vocale ou guitaristique. Les Yardbirds, Jimi Hendrix Experience, Cream ou les Who avaient déjà atomisé quelques amplificateurs. Mais la violence musicale était avant tout au service du défoulement adolescent et de la virtuosité sans égale de ses musiciens. Une forme de lyrisme par la puissance sonore.

Velvet Underground est davantage dans l'agression. Tout sonne comme capté en une prise dans le studio. Le son sature, et les chansons semblent jeter sans ménagement sur le vinyle. Les interprétations ne laissent guère place à la technique instrumentale et à la démonstration. Moe Tucker n'est pas une batteuse au sens classique du terme, mais une percussionniste à la technique rudimentaire. Morrison, Cale, et Reed plaquent des accords obsessionnels et furieux, râclant le bois de leurs guitares jusqu'à la transe hypnotique. La basse claque en de furieux riffs qui annoncent à des kilomètres le Punk américain des Heartbreakers.

Les phases de douceur ne sont qu'illusions, provoquant un malaise profond entretenu par les stridences du violon de Cale et les textes tordus de Reed. Poésie Beat, musique contemporaine, spoken-word, Free-Jazz.... rien n'échappe au Velvet Underground, qui démontre l'étendue de ses influences artistiques et culturelles.

La chanson titre est typiquement Reedienne, avec son riff sur deux accords portant une mélodie vocale au timbre un peu traînant. S'en suit « The Gift », un spoken-word de Cale porté par des guitares soloisant à l'envie. « Lady Godiva Operation » est un long nuage de brume sur lequel chante Cale. On sent ce dernier très impliqué dans l'interprétation comme dans la composition sur ce second album. Il paraît évident que Reed et Cale se livrent un duel fratricide pour le contrôle du groupe.

« Here She Comes Now » est une scorie squelettique de la mélodie du morceau précédent, chanté par Lou Reed, obsédante et désincarnée. « I Heard Her Call My Name » est une démence électrique totale, speedfreak totale, préfigurant autant le Psychédélisme des Stooges, des Pink Fairies ou de Hawkwind qu'une partie de la folie du Heavy-Metal lui-même.

Ce qui fera assurément tout le sel de cet album est la longue transe électrique et incantatoire qu'est « Sister Ray ». Soutenue par un riff retors qui se tord sous les doigts de Reed et Cale, elle se déroule sous le phrasé nonchalant de Lou, qui chante cette fille de la lumière qui ne semble être qu'un flash de drogue. C'est une scansion, une obsession totale. Elle se déforme comme la vision hallucinée du drogué qui voit le monde se perdre sous l'effet de la substance. Difficile de croire que cet album, paru le 30 janvier 1968, mais enregistré en septembre 1967, était à ce point novateur.

Sa noirceur, sa violence, son absence d'harmonie futile le mit directement au pilori en cette période de hippisme optimiste, qu'aucun rabat-joie ne devait détruire. Après tout, la jeunesse américaine ne cherchait-elle pas de l'espoir plutôt que du nihilisme ? Elle comprendrait, bien des années plus tard, toute la force de cette musique. Le Punk ne retranscrirait qu'une infime goutte de ce poison à l'amertume terrifiante.

Toute la scène Punk et alternative y piocherait sa matière première, sans pouvoir en restituer totalement l'âme noire. Elle saura par contre en faire éclore d'autres fleurs du Mal, qui changeront à jamais le visage de la musique dominée par le Progressif, le Jazz-Rock et le Hard-Rock initial. Une fois John Cale débarqué, le Velvet ne sera plus vraiment le même. Il perdra cette folie inhérente à l'amateur de musique contemporaine, pour devenir le véhicule de Lou Reed et sa poésie noire. De belles mélodies, des textes sans concession, certes, mais il n'y aura plus cette violence nihiliste qui était l'apanage de Cale.

Curieusement, le bonhomme enregistrera des disques bien plus délicats que cette éclair électrique et rugueux, préférant le symphonisme et une certaine forme de romantisme noir inspiré des Romantiques du dix-neuvième et du début du vingtième siècle. Paris 1919 en est le parfait exemple, en 1973. Sa violence transpirera de nouveau sur Sabotage Live en 1979, lorsqu'il s'agira de rappeler qui fut le pionnier du Punk.


Avant de se plonger dans son œuvre personnelle, il produira en 1969 en compagnie de Nico le premier album d'un quartet qui lui semblait être le digne successeur du Velvet Underground tel qu'il l'imaginait : The Stooges.

tous droits réservés

5 commentaires:

Malvers a dit…

Je ne savais pas que le coté bancal malsain et poisoneux de leur musique venait de John Cale... Je pensais juste que Lou reed avait perdu sa véhémence avec la fin des années 60... N'empêche le Velvet... c'est le premier vinyl que je me suis payé, celui à la banane... Ce son a empoisonné une bonne partie de mes nuits et dès que j'entends les premiers grincement de Vénus in furs les courbes affriolantes d'une copine apparaissent soudainement entrain de danser! Quand on me demande un échantillon de rock hippies (oui on me le demande de plus en plus!)... Je pense automatiquement à eux et puis je me ravise... je donne jefferson airplane ou les Doors... je ne supporterais qu'on m'en dise du mal et puis leur son et si particulier! Mais comme tu le dis si bien dans ta chronique, ce que j'adore avec le velvet c'est la crudité de la réalité, l'envers des espérances des autres groupes de l'époque (j'adore opposer le violon du velvet à ceux du groupe it's a Beautifull Day), c'est un peu la claque avant l'heure de la jeunesse désillusionée des led zep, black sabbath, mc5...et n'empêche, les hippies reviennent fort en ce moment enfin... la mode hippies... les jolies filles en lunettes ronde avec de beaux colliers hétéroclites, des chemisiers ajourés et travaillés des sarouels pleins de motifs hindous... des cheveux lâchés, de jolies bouches...et ciel un smartphone pour se prendre en selfies et de l'éléctro pop dégueu en guise de fond sonore... et "je ne sais pas aligner deux mots de français" de toute façon ça sert à rien tant que tu suces!!! ah oui c'est le look, sans la culture... enfin bref... le Velvet, le Violon, la rythmique droguée, femme vénérienne et rock'n'roll... merci

Julien Deléglise a dit…

Je vois qu'il y a du vécu ah ah. Mais pour répondre à ces fameuses demoiselles hippie-chic, je pense plutôt aux paroles de Lemmy Kilmister, ou plus graveleux encore, celles de David Coverdale avec Whitesnake.
Le Velvet est un pendant noir et intello de la musique psychédélique des années 60. Ils étaient de New York, ville violente et désoeuvré par excellence. La violence se traduit dans la musique, comme elle le fera à Detroit avec les Stooges, MC5 et Ted Nugent.
Nous vivons une époque merveilleuse où des blaireaux appuyant sur "Play" sur une console sont désormais considérés comme des musiciens : les David Guetta, Daft Punk et compagnie. Ils ne font qu'assembler des bouts de soupe piqués sur des disques Disco à la con, et se vantent de faire avancer la musique alors que ce ne sont que des pillards. Les sons Electro sont aujourd'hui ce que furent les synthés dans les années 80 : un cancer qui ravage tout.

Malvers a dit…

Un autre groupe américain complètement noir et empoisonné - je crois légèrement plus vieux - mais qui chez moi occupe un peu la même place que le Velvet, à savoir épouvantail enténébré et provocateur des années 60, ce sont Les Seeds! Ceux dont Muddy Waters parlait il me semble en tant que: la version américaine des Stones... Je ne sais pas si tu connais et si tu apprécies le rock psyché/garage de La"Nuggets" mais leurs deux premiers albums sont impeccables et les suivants sont moins uniformes mais parfois très blues comme les hippies savaient le jouer! Je trouve que tous les actuels nouveaux groupes "garage surf" de Californie genre AllahLas sont de pâles copies édulcorées de ce que faisaient les Seeds... Aaaaah les Seeds, chemise à jabot, plumes amérindiennes et cheveux longs...Daryl le pianiste bicentenaire et Sky Saxon qui part à Hawaï enregistrer et dédier ses derniers morceaux à ses chiens...Leur musique leur désillusion avant l'heure et leur sens de la dérision... Les rythmiques singulières, la guitare toujours sale... Enfin bref, c'est confus brouillon lancinant, mais qu'est ce que c'est bon!

Julien Deléglise a dit…

Je connais les Seeds et j'adore le Garage américain. Ma préférence va aux Sonics et à Nazz. Ils sont effectivement de grosses influences pour le Rock hype du moment. Tout est garage et psychédélique en ce moment.

Julien Deléglise a dit…

Je connais les Seeds et j'adore le Garage américain. Ma préférence va aux Sonics et à Nazz. Ils sont effectivement de grosses influences pour le Rock hype du moment. Tout est garage et psychédélique en ce moment.