"Blackfoot
va être d'évidence séduit par la prestation de Budgie sur la scène
du Festival de Reading."
BLACKFOOT :
Siogo 1983
En
1982, Blackfoot est le plus grand groupe de Rock sudiste. Il vient
d'enregistrer trois albums aux pochettes animalières entre 1979 et
1981, tous impeccables, et suant autant le Hard-Rock que le Blues du
Bayou. Un disque en direct nommé Highway Song Live fut capté
durant la triomphale tournée européenne du quartet en 1982.
Blackfoot croise le fer avec la fine fleur du Heavy-Metal de
l'époque. Ils feront la première partie de Scorpions et Iron
Maiden, et seront de l'affiche du prestigieux Festival de Reading de
cette année-là après avoir été à celle des Monsters Of Rock
l'année précédente. Ils partagent l'affiche avec, outre Iron
Maiden, Diamond Head, Budgie, Y&T, Tygers Of Pan Tang, Gary Moore
et Trust. Le quatuor connaît une immense reconnaissance
internationale auprès de l'ensemble de la scène Rock, et peu de
formations se hasardent à les choisir comme première partie
tellement ils sont bons.
Seulement
voilà, le Dieu Dollar n'est pas satisfait. Tout cela est bien beau,
mais les ventes de disques de Blackfoot à l'internationale ne sont
pas exceptionnelles. Aux Etats-Unis, le groupe est au minimum dans le
Top 40, et il vient de percer dans le Top 30 anglais avec Marauder.
Voilà qui semble de bonne augure, mais dans l'esprit du manager et
producteur Al Nalli, Blackfoot est en train de louper le coche. Le
son Heavy-Blues sudiste est mort et enterré avec Lynyrd Skynyrd, les
autres ne sont que des survivances de cette fin des années 70 qui se
consume avec le Rock AOR, ou Hard-FM. Journey, Boston, Foreigner ou
Heart sont les nouveaux champions Rock des classements
internationaux. A cela s'ajoute le nouveau Glam-Metal porté par
Quiet Riot et Motley Crue. Alors le vieux Hard-Rock Southern à jeans
et santiags de Blackfoot n'a aucune chance, c'est obligatoire.
C'était oublié que l'un des plus gros vendeurs de disques dans le
domaine du Hard-Rock s'appelle AC/DC, et en Europe, il s'agit de
Motorhead. Bref, aucun des deux n'est du genre à donner dans le sexy
et le consensuel. Mais comme Al Nalli est mariée avec la responsable
du label ATCO, qui a signé Blackfoot, il a sans aucun doute raison.
Il
faut procéder à une modernisation d'urgence du groupe. Blackfoot
opte donc pour l'apport d'un clavier. Bien évidemment, nos gaillards
ne vont pas opter pour des rois du synthétiseur, mais plutôt pour
des orfèvres de l'orgue Hammond. Deux noms paraissent évidents :
Jon Lord, mythique organiste de Deep Purple, mais il est en poste au
sein de Whitesnake depuis 1978. L'autre s'appelle Ken Hensley. Ancien
clavier et guitariste de Uriah Heep, il a quitté son vaisseau en
1980, et s'est lancé dans une modeste carrière solo sans grande
envergure. C'est ce deuxième nom qui s'impose, mais il reste à le
contacter. Et il est difficile à approcher, le bougre. Tous les
circuits classiques n'apportent rien, Hensley est injoignable. Il
faudra passer par un de ces amis, qui va être chargé de lui
transmettre une fausse annonce pour un orgue Hammond B3. Ce rare
instrument de qualité intéresse le pianiste qui appelle le numéro,
et tombe donc sur Al Nalli. L'équipe réussit à le convaincre de se
joindre à Blackfoot pour le prochain album et la tournée qui suit.
En échange, il aura droit à l'orgue Hammond B3 ayant servi d'alibi.
Blackfoot
renforcé par Ken Hensley se retrouve à Ann Arbor près de Detroit
pour travailler sur le nouveau disque. Rapidement, des clans se
créent : d'un côté le guitariste Charlie Hargrett et le
bassiste Greg T Walker, de l'autre le batteur Jakson Spires secondé
par le guitariste-chanteur Ricky Medlocke et Hensley. Les premiers
poursuivent leur écriture orientée vers un Hard-Rock bluesy, les
autres vers un Heavy-Metal mélodique et chromé plus en vogue. Le
résultat va être pour le moins surprenant.
Rapidement
classé album Hard-FM commercial, trente-trois tours de vendus, Siogo
n'est pas l'album putassier tel que l'on a bien voulu le réduire.
C'est en fait un fantastique disque de Heavy-Metal, d'une férocité
et d'une finesse exceptionnelles. Ce qui dérange finalement, c'est
qu'il n'a strictement rien à voir avec ses prédécesseurs. Les
traces du passé sudiste sont rares, à part sur le fin « White
Man's Land » et l'ébouriffant « Driving Fool ».
Tous les autres morceaux sont construits sur de redoutables chapelles
de riffs héroïques et lyriques, soutenus par un orgue Hammond
plutôt discret dans l'ensemble.
La
réputation de Siogo va en fait se faire sur ses deux titres
phares qui serviront de base aux deux vidéo clips utilisés pour la
chaîne musicale MTV : « Send Me An Angel » et
« Teenage Idol ». Tous deux sont d'abord introduits par
des nappes de synthétiseur typiques des années 80. Et leurs
accroches mélodiques flirtent avec le Hard-Rock de Journey.
Pourtant, et à mon sens, il ne s'agit pas vraiment de la bonne
référence. A l'écoute de ce disque dans son ensemble, la référence
musicale frappante ayant servi pour ce nouvel album est … Budgie.
En 1982, Budgie cherche lui aussi à percer de manière massive sur
le marché européen, après dix albums et autant d'opportunités
ratés. La maisons de disques RCA encourage ses poulains à se
tourner vers le Hard-Rock mélodique afin de séduire un plus large
public. Après une tentative Heavy-Funk avec Impeckable en
1978 pour séduire le marché américain, Budgie revient en
Grande-Bretagne fracasser de la gencive avec le redoutable Power
Supply en 1980, sans doute l'album le plus violent de la New Wave
Of British Heavy-Metal avec le premier Iron Maiden. Le suivant en
1981, Nightflight, est une première approche vers un
Heavy-Metal plus chromé et mélodique, mais reste sévèrement
massif. Le coup de poker se joue avec Deliver Us From Evil en
1982. Budgie intègre un clavier, Duncan MacKay, un ancien du groupe
progressif Camel, pour ajouter de l'orgue et des synthétiseurs sur
les nouveaux morceaux mélodiques du trio. L'album est même concept,
puisque tournant autour des thématiques du Bien et du Mal. Comme
pour Nightflight, le producteur et ingénieur du son américain
Don Smith officie derrière la console, et donne à Budgie un son
puissant mais très produit, prompt à séduire les radios. Bien
évidemment, ce nouveau disque ne fera guère mieux que les
précédents, accédant à une laborieuse 62ème place dans les
classements britanniques, avec pourtant le soutien inconditionnel de
la presse musicale. Il faut dire que Budgie reste Budgie, et malgré
de très claires concessions vers une approche plus mélodique, la
musique reste vive et massive, bien loin des standards du grand
public. Il n'y avait donc aucune chance que cet album ne puisse faire
un quelconque carton dans les classements : incapable de séduire
le grand public, il s'aliène aussi une partie de ses fans
historiques, qui le trouvent trop consensuel.
Blackfoot
va être d'évidence séduit par la prestation de Budgie sur la scène
du Festival de Reading. Le trio joue pour la première fois en tête
d'affiche, et s'offre un spectacle digne de cette position sur
l'affiche, avec guitare géante descendant du ciel, fumigènes à
gogo et uniformes futuristes en cuir noir, rouge et blanc. Mais il
est évident qu'aucun n'est à l'aise avec tous ces oripeaux suggérés
avec insistance par la maison de disques. Le bassiste-chanteur Burke
Shelley abandonne le pantalon de son uniforme une heure avant le set
pour un bon vieux jean, trop mal à l'aise. On ne les refera pas, et
Blackfoot non plus. Ces derniers vont d'évidence trouver génial
cette approche, qui leur paraît à la fois assez commerciale, mais
encore très Heavy. Sauf que cela ne marchera pas, comme Budgie. En
prenant un virage musical encore plus brutal que le trio gallois, ils
vont perdre leur ancien public sans en convaincre de nouveau. L'album
n'accroche qu'une modeste 82ème place dans les classements
américains, et une encourageante 28ème place en Grande-Bretagne.
Je
serai comme bien d'autres, à avoir d'abord rejeté en bloc ce disque
trop ouvragé et pas assez brut pour mes oreilles d'adolescent avide
de décibels. Pourtant, je me souviens que le morceau d'ouverture, le
majestueux « Send Me An Angel » m'avait terriblement plu.
Je le trouvai puissant et accrocheur, formidablement mélancolique.
Cette cavalcade de guitare sur ses harmonies de guitares en tierce,
inspirées de Thin Lizzy, soutenue par cette batterie puissante,
m'avait littéralement transporté. Pourtant, ce n'était pas
Blackfoot, mais une trahison. Mon esprit plus ouvert de trentenaire
me poussa à découvrir au-delà de cette pourtant formidable
première chanson.
Et
il faudrait être sourd pour ne pas fondre devant la violence amère
de « Crossfire ». Un riff rugissant, une rythmique
puissante, un solo carbonisant, un chant magnifique, un refrain
addictif, tout est parfait. Ce morceau se hisse au niveau du nom
moins somptueux Slide It In de Whitesnake Le groupe de David
Coverdale servira aussi de référence à Blackfoot, bien que cet
album du serpent blanc, lui aussi plus accrocheur, paraîtra
seulement à la fin de l'année 1983.
« Heart's
Grown Gold » débute par un riff doublé de grandes nappes de
synthétiseur digne des meilleurs films américains de l'époque,
Rocky et compagnie, et a tendance à gâcher la chanson plus
qu'à l'améliorer. Sa mélodie très accessible suffisait bien
largement pour ne pas appuyer davantage avec des claviers. « We're
Going Down » est un brutal retour à un Heavy-Metal d'une
agressivité totale. Il semble même que Blackfoot n'ait jamais été
aussi violent musicalement auparavant. On retrouve une couleur très
Deep Purple/Whitesnake. Mais ce morceau rappelle également « Don't
Cry » de Budgie sur Deliver
Us From Evil. Le duel guitare-orgue y contribue notamment,
et se montre redoutable chez Blackfoot comme chez Budgie.
« Teenage
Idol » devait être le tube de l'album, mais il n'en sera rien.
C'est pourtant une excellente chanson, au refrain accrocheur et
fédérateur, qui devait marcher en radio, c'était inéluctable. Il
n'en sera rien, à cause de la voix rugueuse et puissante de
Medlocke, loin des standards des hurleurs de l'époque de David Lee
Roth à Steve Perry. Et une fois encore, la brigade de l'industrie
lourde a fait son office : Hargrett, Walker et Spires bétonnent
massivement derrière la voix de Medlocke et les synthétiseurs de
Hensley. Pourtant, quelle chanson, mes aïeux, majestueuse et
efficace à souhait. Le vidéo clip aura aussi fait des blessés.
Celui de « Send Me An Angel » avec ses stripteaseuses
ultra délurées ne devait pas être du goût de MTV, mais celui de
« Teenage Idol » est presque une blague. Medlocke en
jeune homme de la campagne cherchant fortune dans la musique à la
grande ville est presque crédible, jusqu'à ce que ses trois
comparses aux looks sudistes se pointent pour faire les choeurs à
l'écran et fassent tourner le clip à la boutade complète. Il est
évident que Blackfoot n'est pas à l'aise dans l'exercice, et que
seul Medlocke semble y trouver son compte, largement mis en avant.
« Going
In Circles » est une autre Hard song Purple-Whitesnake-Budgie
redoutable, au refrain entêtant. « Run For Cover » fait
dans le même registre, en un peu moins efficace toutefois. « White
Man's Land » est une curieuse réminiscence du passé sudiste
de Blackfoot. On retrouve le mordant de Marauder, avec des
paroles tout aussi fracassantes évoquant le sort des Indiens aux
Etats-Unis. Le riff est original et bien trouvé, finaud, à la
tonalité très indienne, rappelant une incantation de cérémonie
avant d'exploser sous les coups de boutoir des guitares. Il n'y a
rien à redire, on est juste heureux de rentrer à la maison avec
Blackfoot.
La
suite est une pure merveille de Heavy-Metal mélodique, directement
inspiré de Budgie : « Sail Away ». Le riff est
redoutable, le son luisant de chrome, la batterie puissante poussent
vers les cieux une atmosphère amère et mélancolique, désenchantée,
et qui ne trouve la lumière que sur le refrain. Les chorus de
Hargrett et Medlocke sont superbes, luisant comme des diamants noirs
sous la lune. Cette superbe pépite mérite à elle seule l'achat du
disque. Ce dernier se termine par le furieux « Driving Fool »,
symbolisant la folie de la vitesse sur les highways américaines. On
retrouve en filigrane le Blackfoot sudiste de Marauder, une
fois encore, mais que l'orgue de Hensley camoufle quelque peu. C'est
une redoutable pièce de Hard-Metal sans concession, et qu'il est
définitivement difficile de classer dans la catégorie Hard-FM.
Siogo
sera à l'origine de terribles conflits au sein de Blackfoot. Charlie
Hargrett déplore ce choix artistique qu'il trouve stupide, alors
qu'il est convaincu que ce qui plaît au public de Blackfoot, c'est
leur nature férocement Hard-Blues sudiste sans concession, étanche
à la mode. Le fait de courir après un hypothétique succès
commercial, en suivant les chimères du Hard-FM alors qu'aucun
d'entre eux n'en a le moindre soupçon d'attribut autant physique que
musical, lui est purement et simplement absurde. Et les résultats
commerciaux de Siogo ne feront que confirmer l'échec de la
tentative. Mais pour Al Nalli, Blackfoot n'est pas allé assez loin
d'une part, et Hargrett a un look et un jeu trop vieille école pour
séduire le jeune public de Van Halen. Il réussit à convaincre les
autres musiciens de cette situation et va isoler le guitariste
jusqu'à son départ forcé. Hargrett fera pourtant bien des efforts,
allant jusqu'à céder à la mode des pantalons en spandex comme
Medlocke et Walker. Son seul achat se soldera le soir même par un
pantalon largement déchiré à l'entrejambe après un grand saut
extatique en plein solo. Hargrett finira la chanson en se cachant
l'intimité derrière sa guitare avant de sauter dans un jean entre
deux morceaux derrière les amplificateurs.
Le départ du guitariste précipitera Blackfoot à l'échec le plus
total. Le disque suivant, Vertical Smiles, est un épouvantable
étron de Rock synthétique sans âme et aux sonorités affreusement
datées. Il semble peu à peu évident à Spires et Walker que Nalli
œuvre pour que Medlocke entame une carrière solo, ce dernier étant
le seul à avoir le charisme et le physique nécessaire pour en faire
une Rock-Star de vidéo clip. Ce sera un nouvel échec cuisant, mais
qui aura précipité à la perte d'un des plus fabuleux groupes de
Rock américain. Siogo aura été un disque de transition
aussi différent de ses prédécesseurs que brillant dans sa qualité
sonore et mélodique, une sorte de pinacle avant l'implosion.
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4 commentaires:
Plus trop de souvenirs de "Siogo", à l'exception de "Send Me a Angel" (une réussite). Cependant, la K7 a souvent été joué (même si on regrettait tous la "période animalière").
Blackfoot avait réussi à faire du Rock FM non sirupeux, sans vraiment renier son passé. Au contraire de "Vertical Smiles" (terme qui désigne ... les petits minous).
Au sujet de Ken Hensley, on avait pu lire que son aptitude à jouer de la guitare, a fortiori de la slide, avait été déterminant.
Pour Vertical Smiles, le groupe était au bord de la mort, coupé en deux. Hensley n'a pas eu tant d'impact que cela sur la composition. Le producteur Al Nalli a poussé Medlocke pour qu'il devienne une star, parce qu'il était la belle gueule du groupe. Il visait le genre Bon Jovi. Mais Ce qui faisait la force du groupe, c'était les quatre musiciens soudés. Dès le guitariste Charlie Hargrett parti, l'équilibre a été rompu. D'ailleurs, les disques sans lui ont été des échecs commerciaux cuisants.
Medlocke en Bon Jovi ... on a de la peine à l'imaginer ; ça semble inconcevable. D'ailleurs, certains ont regretté son incorporation au sein de Lynyrd Skynyrd parce qu'il l'estimait trop "Hard-Rock", trop bourrin.
On parle souvent de "Medecine Man" (avec Neal Casal) comme de la dernière réussite de Blackfoot ; un dernier sursaut. Cependant, le disque est difficile à trouver.
Les deux derniers sont albums au début des années 90 sont un retour au Hard bluesy. C'est de bonne facture, un peu plan plan et ça sonne parfois gros son US. Néanmoins, c'est largement meilleur que "Vertical Smiles".
Il y a une tentative Bin Jovi : l'album Rick Medlocke's Blackfoot de 1987. le clip "Saturday Night" est une bouse FM intersidérale, un ramassis de clichés navrant au milieu duquel notre apache en veste à franges et guitare Ibanez tente de faire le beau gosse rebelle. La zone quoi.
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