"Ils
étaient les grands frères un peu branleurs mais rigolos, qui
boivent de la bière et bricolent des bagnoles."
METALLICA :
Kill’Em
All
1983
Ah,
j’ai parfois eu la dent dure avec Metallica. Non pas que je n’aime
pas ces garçons, mais je dois avouer avoir beaucoup de mal avec leur
Metal de stade pour bouffeurs de donuts qu’ils nous servent depuis
maintenant vingt-cinq ans. Je fais partie de ces intégristes qui
considèrent que Metallica est mort avec Cliff Burton, quelque part
sous un bus en Suède une nuit de 1986. Si le quatuor conserva un
temps le son métallique forgé sur leurs trois premiers albums, ils
perdirent la folie et une certaine inspiration, qui elle s’envola
définitivement depuis le début des années 90, Metallica tournant
invariablement en rond depuis cette période. Je dois aussi avouer
que je n’aime pas suivre le mouvement général. J’aime aller à
l’encontre du goût du grand public, même quand le Rock avait
encore ses faveurs en ces temps reculés que sont le début des
années 90.
Nous
sommes en 1993, j’ai quatorze ans, et je suis dans la cour de mon
nouveau collège dans le Sud-Ouest de la France. Le Grunge de Nirvana
fait fureur, tout comme le Rap-Metal de Rage Against The Machine.
Metallica est une valeur sûre
du Metal avec les Guns’N’Roses, maîtres des stades du monde
entier avec les Rolling Stones et AC/DC. Le quatuor de San Francisco
surfe sur l’immense succès commercial de son Black Album paru en
1990, et pour lequel ils tournent encore. La radio diffuse « Enter
Sandman » et la ballade qui fait fondre le cœur des filles
comme des jeunes boutonneux à blousons Rip Curl : « Nothing
Else Matters ». Personnellement, tout cela me gonfle
prodigieusement. Moi qui carbure à Led Zeppelin et aux Who à hautes
doses, j’ai bien du mal à adhérer à ce gros Metal bourrin à
jean slim, moustaches et baskets montantes. Surtout, je n’aime pas
ce
que
tout le monde aime, en particulier mes camarades qui écoutent aussi
bien cela que de la grosse Dance pourrie comme Ace Of Base, Two
Unlimited ou Dr Alban. Pour moi, le Rock est un truc sacré, avec un
feeling, une âme. C’est une rébellion, mais aussi un truc
d’esthète, qu’on ne laisse pas entre les mains d’une bande de
gros beaufs yankees.
Metallica
était alors partout, dans tous les magazines de musique. Il y avait
des hors-séries qui leur étaient consacrés dans tous les rayons du
marchand de journaux, contant leur fabuleuse saga, celle d’une
bande de potes, partis de rien, qui devinrent les rois du monde, non
sans avoir laissé l’un d’entre eux derrière, destin tragique
apportant encore un peu de sel à cette histoire décidément
parfaite. Parmi les articles que je lisais quand même, toujours
avide de comprendre, il y avait ceux consacrés aux influences du
groupe. C’est grâce à cela que je fis la connaissance de la New
Wave Of British Heavy-Metal, et découvris Iron Maiden, Savage ou
Diamond Head. J’achetai ainsi une compilation de cette époque
assemblée par le batteur de Metallica lui-même, Lars Ulrich, et
célébrant les vingt ans de cette vague du Heavy-Metal anglais. Je
découvris également Budgie, Motorhead, Judas Priest, ou encore
Mercyful Fate. Les influences musicales de Metallica étaient un
vivier de groupes géniaux, mais j’étais toujours dans
l’incapacité de partager l’enthousiasme collectif, préférant
les originaux à la copie.
L’usure
psychologique fit pourtant son effet, et je finis par céder à la
tentation d’acheter un disque de Metallica. Mais à ma façon.
L’écoute du Black Album ne m’avait pas convaincu, je décidai
donc d’attaquer la montagne par un autre flanc : son histoire.
J’avais en fait déjà parcouru une partie du chemin en me jetant
sur les albums qui servirent de terreau initial à leur musique.
Leurs débuts remontant à 1981, ils avaient joué à une époque où
le Heavy-Metal était d’une grande qualité. Leur premier disque
datait de 1983, il faisait toujours partie de cet âge d’or.
J’attaquai donc par cet album : Kill’Em
All.
Il
est à ce stade intéressant de rappeler quelques faits historiques
sur Metallica. Le fondateur du groupe est le batteur Lars Ulrich,
fils du tennisman professionnel d’origine danoise Torben Ulrich. Ce
dernier était par ailleurs musicien de Jazz, et le parrain du petit
Lars n’est autre que Dexter Gordon. En 1973, les Ulrich assistent
au concert de Deep Purple au stade de Copenhague, et c’est la
révélation. Le jeune Lars veut devenir batteur de Hard-Rock comme
Ian Paice. Ce premier choc va être suivi de la découverte quelques
années plus tard du nouveau Heavy-Metal anglais, qui va totalement
le fasciner, au point de suivre son groupe préféré, Diamond Head,
sur une bonne partie des dates de leur tournée anglaise de 1981. La
famille Ulrich ayant émigré aux Etats-Unis, Lars revient sur le
continent américain fonder
son propre groupe, et passe une petite annonce dans un magazine afin
de trouver des partenaires partageant les mêmes goûts musicaux,
plutôt pointus en Californie. Un jeune guitariste-chanteur répond,
il s’appelle James Hetfield. Un nom est trouvé : Metallica,
et la bande devient un quatuor stable avec l’arrivée du bassiste
Ron McGovney et d’un jeune soliste rouquin du nom de Dave Mustaine.
Plusieurs morceaux originaux font leur apparition, mais le répertoire
est encore massivement composé de reprises de Savage et de Diamond
Head. Hetfield apporte plusieurs idées de morceaux, ainsi que
Mustaine, qui s’impose comme un leader musical. McGovney parti, il
est remplacé définitivement lorsque Hetfield et Ulrich tombe sur le
bassiste d’une formation concurrente du nom de Trauma : Cliff
Burton. Son look de hippie et son jeu de wah-wah sur sa grosse basse
Rickenbaker fascinent, et il finit par rejoindre Metallica après un
intense harcèlement. Tout semble se présenter pour le mieux :
le quatuor a une base de fans solides gagnée grâce à ses nombreux
concerts et ses enregistrements sur plusieurs compilations
underground comme Metal
Massacre.
Ils
obtiennent bientôt un budget pour enregistrer un premier vrai album.
Les chansons sont prêtes, le studio réservé. Il reste quelques
concerts à assurer avant le premier jour de studio, mais le
comportement de Dave Mustaine devient de plus en plus complexe à
gérer. Si tout le monde picole pas mal, ce dernier est un homme
excessif, et devient violent et mégalomaniaque une fois imbibé.
Garçon mal dans sa peau, il consomme la boisson en alcoolique, et
fricote avec les drogues dures, dont l’héroïne. Il manque de tuer
les musiciens en conduisant le van du groupe complètement raide, et
certains concerts commencent à souffrir de ses excès. Une violente
dispute entre Hetfield et Mustaine, qui en viennent aux mains, scelle
le destin du guitariste. Il est viré sans ménagement, et disparaît
de tout crédit sur le premier disque alors qu’il cosigna plusieurs
morceaux originaux. Sa contribution musicale s’étendrait même
selon lui jusqu’à un morceau de
Master Of Puppets,
troisième disque de Metallica. Cet oubli aussi volontaire que
forcené, allié au licenciement sec à quelques jours de
l’enregistrement du premier disque restera une profonde blessure
pour Mustaine. Il en conservera une rancune tenace envers Metallica,
qu’il ne solda qu’en 2010, lorsqu’il put s’entretenir enfin
en tête à tête avec Ulrich du sujet. Dans le cadre d’une
thérapie menée par Hetfield et Ulrich afin de régler leurs
différends, et alors que Metallica est au bord de la rupture totale,
ils vont s’engager à évoquer de tous les sujets douloureux de
leurs vies avec un psychiatre et les principaux intéressés. Le tout
fera l’objet d’un film du nom de Some
Kind Of Monster.
Dans l’extrait nous intéressant, Mustaine y reconnaît ses propres
erreurs, mais aussi la dureté du comportement de ses amis d’alors
et la souffrance terrible qu’il garda des années durant.
Toujours
est-il qu’il sera remplacé par le guitariste d’Exodus, Kirk
Hammett, alors que ceux-ci allaient
également enregistrer leur premier album quelques semaines plus
tard : Bonded
By Blood.
Le quatuor magique de Metallica est alors réuni, et capte sur bandes
ses premiers morceaux. Même si ces derniers ont été abondamment
étrennés sur scène, on ne peut
pas dire que le groupe ait eu vraiment le temps de se souder sur
scène, Burton et Hammett étant entrés en scène entre quelques
semaines à quelques jours au sein de Metallica. Les chansons sont
donc éprouvées, mais le quatuor vient d’être revitalisé, avec
la part d’inconnu que cela conditionne. Pourtant, la cohésion de
Metallica saute aux oreilles.
Je
ne m’extasiai pas vraiment au premier abord, tant ce disque me
semblait réchauffer par rapport à tout ce que j’avais pu entendre
en matière de Heavy-Metal anglais des années 1979-1981.
Ce disque est en effet est une véritable synthèse de tout ce
qu’entendit le batteur Lars Ulrich durant ces mêmes années, lui
qui était un fan de cette même musique. C’est la grande force de
Metallica : avoir réussi à capter le meilleur de chaque gimmick
entendu et les restituer en dix chansons jouées avec conviction à
un plus large public. Les Américains ne connaissaient pour ainsi
dire pas ce Heavy-Metal anglais nouveau, brutal et underground. Il en
restitua le meilleur, sous la forme d’un quatuor soudé, jeune et
sympathique. Ils étaient les grands frères un peu branleurs mais
rigolos, qui boivent de la bière et bricolent des bagnoles. Ils
apportèrent un souffle nouveau à un Heavy-Rock américain
sur-produit, celui de Journey, Foreigner ou Blue Oyster Cult, et dont
les sonorités visaient un peu trop les filles. Metallica rendit à
nouveau le Heavy-Metal affreux, sale et méchant, ce que l’on
qualifia de Thrash-Metal lorsque débarquèrent d’autres groupes
comme Slayer, Anthrax ou Metal Church. Mais les Metallica avaient
pour eux ce je-ne-sais-quoi en plus qui les fit plus largement
accrocher le grand public que leurs camarades de la Bay Area.
Ce
premier album est une succession de riffs retors, de batterie
brutale, et de grosse basse vrombissante. « Hit The Lights »
est sans conteste le parfait exemple de l’esprit de ce Thrash-Metal
nouveau, son couplet speedé, puis son soudain changement de riff
annonçant un refrain plombé, avec ce titre en forme de slogan Rock
impeccable. C’est du Heavy-Metal avec une approche Punk, pas du
tout arrogant, mais au contraire entre le jmen-foutisme et une forme
de nihilisme. « The Four Horsemen » et son riff percutant
donnera le surnom des quatre cavaliers de Metallica. L’influence de
Motorhead est indéniable, même dans les titres de chansons :
« No Remorse », « Motorbreath »… mais cette
naïveté juvénile offre une telle débauche d’énergie salvatrice
que ces quelques défauts sont bien vite dépassés pour laisser la
place à l’implacable poigne de ce groupe.
« Seek
And Destroy » sera le grand riff qui résonne encore aux
concerts actuels de Metallica, pourtant, avec le morceau d’ouverture,
l’autre brûlot est le final et définitif « Metal Militia »,
martial, dément, furieux, emportant tout sur son passage, laissant
l’auditeur exsangue, et l’adolescent repu de cette violence
salvatrice et gentiment basse du front. Cliff Burton n’est pas
encore très impliqué dans le processus de composition, se
contentant d’apporter son feeling et son jeu de basse
impressionnant sur l’instrumental « (Anesthesia) Pulling
Teeth ». Il sera décisif sur l’album suivant, faisant
accomplir à Metallica un pas de géant avec Ride
The Lightning,
disque décisif de maturité et d’ambition musicale, laissant
derrière lui une bonne partie de la scène Thrash derrière eux pour
devenir un des grands de la scène Heavy-Metal mondial.
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1 commentaire:
mouais .... c'est mieux que Venom ...
La première fois que je les ais écouté, je croyais qu'un poto me faisait une mauvaise blague en passant le 33 tours en accéléré (en vitesse "45 tours"). Il s'agissait de l'album "Kill 'em All".
Quelques temps plus tard, à force d'articles élogieux et d'amateurs enthousiastes (il y avait aussi les cas inverses), j'empruntais trois de leurs disques ("Ride the Lightning", "Master..." et "And Justice for", j'crois) pour réaliser une sélection (un Best-Of perso). Il y avait de bons trucs, c'est indéniable (dont, de mémoire, un truc du genre "Sanatorium"). Malheureusement, je n'avais pas trouvé assez de matière - à mon goût - pour remplir une K7 de 60 minutes...
(Bon ... j'vais pas me faire de copains mais restons honnête)
Par contre, "Load" m'avait interpellé. En l’occurrence, il était agréable de voir un groupe s'essayer à autre chose après un disque qui avait cartonné.
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