mardi 7 juin 2016

METALLICA 1983

"Ils étaient les grands frères un peu branleurs mais rigolos, qui boivent de la bière et bricolent des bagnoles."

METALLICA : Kill’Em All 1983

Ah, j’ai parfois eu la dent dure avec Metallica. Non pas que je n’aime pas ces garçons, mais je dois avouer avoir beaucoup de mal avec leur Metal de stade pour bouffeurs de donuts qu’ils nous servent depuis maintenant vingt-cinq ans. Je fais partie de ces intégristes qui considèrent que Metallica est mort avec Cliff Burton, quelque part sous un bus en Suède une nuit de 1986. Si le quatuor conserva un temps le son métallique forgé sur leurs trois premiers albums, ils perdirent la folie et une certaine inspiration, qui elle s’envola définitivement depuis le début des années 90, Metallica tournant invariablement en rond depuis cette période. Je dois aussi avouer que je n’aime pas suivre le mouvement général. J’aime aller à l’encontre du goût du grand public, même quand le Rock avait encore ses faveurs en ces temps reculés que sont le début des années 90.

 Nous sommes en 1993, j’ai quatorze ans, et je suis dans la cour de mon nouveau collège dans le Sud-Ouest de la France. Le Grunge de Nirvana fait fureur, tout comme le Rap-Metal de Rage Against The Machine. Metallica est une valeur sûre du Metal avec les Guns’N’Roses, maîtres des stades du monde entier avec les Rolling Stones et AC/DC. Le quatuor de San Francisco surfe sur l’immense succès commercial de son Black Album paru en 1990, et pour lequel ils tournent encore. La radio diffuse « Enter Sandman » et la ballade qui fait fondre le cœur des filles comme des jeunes boutonneux à blousons Rip Curl : « Nothing Else Matters ». Personnellement, tout cela me gonfle prodigieusement. Moi qui carbure à Led Zeppelin et aux Who à hautes doses, j’ai bien du mal à adhérer à ce gros Metal bourrin à jean slim, moustaches et baskets montantes. Surtout, je n’aime pas ce que tout le monde aime, en particulier mes camarades qui écoutent aussi bien cela que de la grosse Dance pourrie comme Ace Of Base, Two Unlimited ou Dr Alban. Pour moi, le Rock est un truc sacré, avec un feeling, une âme. C’est une rébellion, mais aussi un truc d’esthète, qu’on ne laisse pas entre les mains d’une bande de gros beaufs yankees.

Metallica était alors partout, dans tous les magazines de musique. Il y avait des hors-séries qui leur étaient consacrés dans tous les rayons du marchand de journaux, contant leur fabuleuse saga, celle d’une bande de potes, partis de rien, qui devinrent les rois du monde, non sans avoir laissé l’un d’entre eux derrière, destin tragique apportant encore un peu de sel à cette histoire décidément parfaite. Parmi les articles que je lisais quand même, toujours avide de comprendre, il y avait ceux consacrés aux influences du groupe. C’est grâce à cela que je fis la connaissance de la New Wave Of British Heavy-Metal, et découvris Iron Maiden, Savage ou Diamond Head. J’achetai ainsi une compilation de cette époque assemblée par le batteur de Metallica lui-même, Lars Ulrich, et célébrant les vingt ans de cette vague du Heavy-Metal anglais. Je découvris également Budgie, Motorhead, Judas Priest, ou encore Mercyful Fate. Les influences musicales de Metallica étaient un vivier de groupes géniaux, mais j’étais toujours dans l’incapacité de partager l’enthousiasme collectif, préférant les originaux à la copie.

L’usure psychologique fit pourtant son effet, et je finis par céder à la tentation d’acheter un disque de Metallica. Mais à ma façon. L’écoute du Black Album ne m’avait pas convaincu, je décidai donc d’attaquer la montagne par un autre flanc : son histoire. J’avais en fait déjà parcouru une partie du chemin en me jetant sur les albums qui servirent de terreau initial à leur musique. Leurs débuts remontant à 1981, ils avaient joué à une époque où le Heavy-Metal était d’une grande qualité. Leur premier disque datait de 1983, il faisait toujours partie de cet âge d’or. J’attaquai donc par cet album :  Kill’Em All.

Il est à ce stade intéressant de rappeler quelques faits historiques sur Metallica. Le fondateur du groupe est le batteur Lars Ulrich, fils du tennisman professionnel d’origine danoise Torben Ulrich. Ce dernier était par ailleurs musicien de Jazz, et le parrain du petit Lars n’est autre que Dexter Gordon. En 1973, les Ulrich assistent au concert de Deep Purple au stade de Copenhague, et c’est la révélation. Le jeune Lars veut devenir batteur de Hard-Rock comme Ian Paice. Ce premier choc va être suivi de la découverte quelques années plus tard du nouveau Heavy-Metal anglais, qui va totalement le fasciner, au point de suivre son groupe préféré, Diamond Head, sur une bonne partie des dates de leur tournée anglaise de 1981. La famille Ulrich ayant émigré aux Etats-Unis, Lars revient sur le continent américain fonder son propre groupe, et passe une petite annonce dans un magazine afin de trouver des partenaires partageant les mêmes goûts musicaux, plutôt pointus en Californie. Un jeune guitariste-chanteur répond, il s’appelle James Hetfield. Un nom est trouvé : Metallica, et la bande devient un quatuor stable avec l’arrivée du bassiste Ron McGovney et d’un jeune soliste rouquin du nom de Dave Mustaine. Plusieurs morceaux originaux font leur apparition, mais le répertoire est encore massivement composé de reprises de Savage et de Diamond Head. Hetfield apporte plusieurs idées de morceaux, ainsi que Mustaine, qui s’impose comme un leader musical. McGovney parti, il est remplacé définitivement lorsque Hetfield et Ulrich tombe sur le bassiste d’une formation concurrente du nom de Trauma : Cliff Burton. Son look de hippie et son jeu de wah-wah sur sa grosse basse Rickenbaker fascinent, et il finit par rejoindre Metallica après un intense harcèlement. Tout semble se présenter pour le mieux : le quatuor a une base de fans solides gagnée grâce à ses nombreux concerts et ses enregistrements sur plusieurs compilations underground comme Metal Massacre.

Ils obtiennent bientôt un budget pour enregistrer un premier vrai album. Les chansons sont prêtes, le studio réservé. Il reste quelques concerts à assurer avant le premier jour de studio, mais le comportement de Dave Mustaine devient de plus en plus complexe à gérer. Si tout le monde picole pas mal, ce dernier est un homme excessif, et devient violent et mégalomaniaque une fois imbibé. Garçon mal dans sa peau, il consomme la boisson en alcoolique, et fricote avec les drogues dures, dont l’héroïne. Il manque de tuer les musiciens en conduisant le van du groupe complètement raide, et certains concerts commencent à souffrir de ses excès. Une violente dispute entre Hetfield et Mustaine, qui en viennent aux mains, scelle le destin du guitariste. Il est viré sans ménagement, et disparaît de tout crédit sur le premier disque alors qu’il cosigna plusieurs morceaux originaux. Sa contribution musicale s’étendrait même selon lui jusqu’à un morceau de Master Of Puppets, troisième disque de Metallica. Cet oubli aussi volontaire que forcené, allié au licenciement sec à quelques jours de l’enregistrement du premier disque restera une profonde blessure pour Mustaine. Il en conservera une rancune tenace envers Metallica, qu’il ne solda qu’en 2010, lorsqu’il put s’entretenir enfin en tête à tête avec Ulrich du sujet. Dans le cadre d’une thérapie menée par Hetfield et Ulrich afin de régler leurs différends, et alors que Metallica est au bord de la rupture totale, ils vont s’engager à évoquer de tous les sujets douloureux de leurs vies avec un psychiatre et les principaux intéressés. Le tout fera l’objet d’un film du nom de Some Kind Of Monster. Dans l’extrait nous intéressant, Mustaine y reconnaît ses propres erreurs, mais aussi la dureté du comportement de ses amis d’alors et la souffrance terrible qu’il garda des années durant.

Toujours est-il qu’il sera remplacé par le guitariste d’Exodus, Kirk Hammett, alors que ceux-ci allaient également enregistrer leur premier album quelques semaines plus tard : Bonded By Blood. Le quatuor magique de Metallica est alors réuni, et capte sur bandes ses premiers morceaux. Même si ces derniers ont été abondamment étrennés sur scène, on ne peut pas dire que le groupe ait eu vraiment le temps de se souder sur scène, Burton et Hammett étant entrés en scène entre quelques semaines à quelques jours au sein de Metallica. Les chansons sont donc éprouvées, mais le quatuor vient d’être revitalisé, avec la part d’inconnu que cela conditionne. Pourtant, la cohésion de Metallica saute aux oreilles.

Je ne m’extasiai pas vraiment au premier abord, tant ce disque me semblait réchauffer par rapport à tout ce que j’avais pu entendre en matière de Heavy-Metal anglais des années 1979-1981. Ce disque est en effet est une véritable synthèse de tout ce qu’entendit le batteur Lars Ulrich durant ces mêmes années, lui qui était un fan de cette même musique. C’est la grande force de Metallica : avoir réussi à capter le meilleur de chaque gimmick entendu et les restituer en dix chansons jouées avec conviction à un plus large public. Les Américains ne connaissaient pour ainsi dire pas ce Heavy-Metal anglais nouveau, brutal et underground. Il en restitua le meilleur, sous la forme d’un quatuor soudé, jeune et sympathique. Ils étaient les grands frères un peu branleurs mais rigolos, qui boivent de la bière et bricolent des bagnoles. Ils apportèrent un souffle nouveau à un Heavy-Rock américain sur-produit, celui de Journey, Foreigner ou Blue Oyster Cult, et dont les sonorités visaient un peu trop les filles. Metallica rendit à nouveau le Heavy-Metal affreux, sale et méchant, ce que l’on qualifia de Thrash-Metal lorsque débarquèrent d’autres groupes comme Slayer, Anthrax ou Metal Church. Mais les Metallica avaient pour eux ce je-ne-sais-quoi en plus qui les fit plus largement accrocher le grand public que leurs camarades de la Bay Area.

Ce premier album est une succession de riffs retors, de batterie brutale, et de grosse basse vrombissante. « Hit The Lights » est sans conteste le parfait exemple de l’esprit de ce Thrash-Metal nouveau, son couplet speedé, puis son soudain changement de riff annonçant un refrain plombé, avec ce titre en forme de slogan Rock impeccable. C’est du Heavy-Metal avec une approche Punk, pas du tout arrogant, mais au contraire entre le jmen-foutisme et une forme de nihilisme. « The Four Horsemen » et son riff percutant donnera le surnom des quatre cavaliers de Metallica. L’influence de Motorhead est indéniable, même dans les titres de chansons : « No Remorse », « Motorbreath »… mais cette naïveté juvénile offre une telle débauche d’énergie salvatrice que ces quelques défauts sont bien vite dépassés pour laisser la place à l’implacable poigne de ce groupe.

« Seek And Destroy » sera le grand riff qui résonne encore aux concerts actuels de Metallica, pourtant, avec le morceau d’ouverture, l’autre brûlot est le final et définitif « Metal Militia », martial, dément, furieux, emportant tout sur son passage, laissant l’auditeur exsangue, et l’adolescent repu de cette violence salvatrice et gentiment basse du front. Cliff Burton n’est pas encore très impliqué dans le processus de composition, se contentant d’apporter son feeling et son jeu de basse impressionnant sur l’instrumental « (Anesthesia) Pulling Teeth ». Il sera décisif sur l’album suivant, faisant accomplir à Metallica un pas de géant avec Ride The Lightning, disque décisif de maturité et d’ambition musicale, laissant derrière lui une bonne partie de la scène Thrash derrière eux pour devenir un des grands de la scène Heavy-Metal mondial.

tous droits réservés

1 commentaire:

Anonyme a dit…

mouais .... c'est mieux que Venom ...
La première fois que je les ais écouté, je croyais qu'un poto me faisait une mauvaise blague en passant le 33 tours en accéléré (en vitesse "45 tours"). Il s'agissait de l'album "Kill 'em All".
Quelques temps plus tard, à force d'articles élogieux et d'amateurs enthousiastes (il y avait aussi les cas inverses), j'empruntais trois de leurs disques ("Ride the Lightning", "Master..." et "And Justice for", j'crois) pour réaliser une sélection (un Best-Of perso). Il y avait de bons trucs, c'est indéniable (dont, de mémoire, un truc du genre "Sanatorium"). Malheureusement, je n'avais pas trouvé assez de matière - à mon goût - pour remplir une K7 de 60 minutes...
(Bon ... j'vais pas me faire de copains mais restons honnête)

Par contre, "Load" m'avait interpellé. En l’occurrence, il était agréable de voir un groupe s'essayer à autre chose après un disque qui avait cartonné.