"C'est
l'apanage des plus grands de réaliser un tel exploit."
GRAND MAGUS :
The Hunt 2012
Grand Magus est un
trio suédois qui comme beaucoup entretient la flamme du Stoner-Doom
Metal. Janne « JB » Christoffersson est à la guitare et
au chant. Fox Skinner tient la basse. Ludwig Witt en est le batteur
depuis 2012. Il est le Cozy Powell du Stoner, ancien batteur du
miraculeux Firebird notamment. Grand Magus existe depuis 1996. Son
patronyme provient d'une expression du grand mage Aleister Crowley,
qui inspira pêle-mêle Jimmy Page, Ritchie Blackmore ou Ozzy
Osbourne. Le trio joue un Heavy-Doom Metal à résurgence Blues, qui
brille par la voix de son guitariste, JB. Progressivement, le trio
explore le Metal, et se montre plus agressif, moins psychédélique.
On les classe trop rapidement dans la catégorie du Metal du Nord de
l'Europe, viril et Viking. Jusqu'à ce disque.
Grand Magus est un
stakhanoviste du Heavy-Metal Stoner, publiant depuis 2001 un disque
tous les deux ans environ, ce disque étant le sixième. Tous
méritent d’être écoutés et appréciés, mais celui-ci est sans
aucun doute le plus immédiatement efficace. Le Magus a d’abord
exploré les tréfonds d’un Heavy-Stoner-Blues noir, avant de
métalliser progressivement son propos. Les résultats exceptionnels
abondent, dont le magique Iron Will en 2008, un des sommets de
cette démarche aplatissante. Pourtant, The Hunt est leur
grand œuvre, le disque de Heavy-Metal définitif du vingt-et-unième
siècle. Les morceaux sont des hymnes tendus, de furieux cris de
guerre Rock, impeccables de bout en bout.
Au départ, écouter
Grand Magus nécessitait une certaine culture musicale des années 70
et 80, pour comprendre et saisir toute la force de leur musique. Il
fallait s’être imprégné de Black Sabbath, Ozzy Osbourne, UFO,
Thin Lizzy, Iron Maiden, Judas Priest, Motorhead, Mercyful Fate et de
Cactus. Les trois cavaliers de l’Apocalypse n’avaient pas décidé
d’être consensuels, voulant à tout prix jouer de la musique pour
eux, pourfendre cette culture de la facilité artistique. Ils
décidèrent d’être des despérados, de ne pas céder à l’air
du temps. Et de ce fait, leur parcours ne fut pas des plus simples.
Tous eurent des groupes parallèles et des jobs alimentaires afin de
faire chauffer la marmite. JB assurera notamment le poste de simple
chanteur au sein des Spiritual Beggars, groupe de Stoner-Rock plus en
vogue que son propre groupe. Ils tournèrent dans le monde entier, et
les concerts de Grand Magus furent parfois bien rares. Mais comme ils
n’avaient lieu que dans de petits clubs, et que la presse ne
s’enflammait guère pour leur Heavy-Metal, le trio poursuivit son
odyssée dans l’ombre, comme un projet devenu presque secondaire.
Pourtant, il était
l’âme, le sang de Christoffersson et Fox, ce dernier n’ayant
d’ailleurs que peu fait d’infidélités musicales. Aussi, JB
décide de quitter le confort de Spiritual Beggars, alors en sommeil,
pour se consacrer totalement à Grand Magus à partir de 2010. Les
tournées s’intensifient de nouveau. En 2012, Sebastian Sippola,
qui tient la batterie, quitte le groupe. C’est le second batteur
qui rompt avec le Mage. JB et Fox on besoin d’un batteur doué,
près à se fondre dans un groupe avec cinq disques au compteur, et
dix ans d’existence, un musicien capable de leur apporter un
nouveau souffle, et devenir le vrai troisième mousquetaire de Grand
Magus. JB se souvient alors de Ludwig Witt au sein des Spiritual
Beggars. Il se souvient de son groove, de sa frappe efficace, et de
sa sympathique bonhomie. Il serait parfait, et comble de chance, il
accepte bien volontiers le poste de forgeur d’épées.
Est-ce son arrivée
qui va tout déclencher, engendrant la véritable maestria de cet
album au-dessus de tous ses prédécesseurs pourtant brillants ?
Sans doute, et aussi un bon paquet de concerts ensemble, qui va
forger l’acier de The Hunt. Les premières démos font
trembler les murs du petit local de répétition de Stockholm. Les
loups, habitués à hurler sur la colline neigeuse au-dessus de la
ville, préfèrent se réfugier dans les noires forêts de résineux,
les oreilles et la queue basse face au grondement du Marteau de Thor.
Ses fameuses bandes ont été d’ailleurs ajoutées sur la première
édition cd de cet album. La musique vrombit de plaisir, les
premières compositions sont d’une efficacité mélodique totale.
« Sword Of The Ocean » et sa cavalcade trépidante est un
miracle de Hard’N’Metal à l’efficacité équivalente au Black
Sabbath de 1980 avec Ronnie James Dio. Lyrique mais brutal, la
musique souffle un vent de colère sur le monde engourdi par vingt
années de Rap-Are’N’Bi américain.
Le morceau
d’ouverture, « Starlight Slaughter », ne vrombit pas du
même carburant que ses prédécesseurs. Quelques accords mélodiques
annoncent un riff menaçant, et une ligne de chant héroïque, glaive
à la main. Par cette subtile approche Hard-Rock typée Rainbow-Black
Sabbath-UFO-Thin Lizzy, Grand Magus poursuit sa quête de
Stoner-Metal implacable, mais s’ouvre musicalement un public plus
large. Le morceau sonne comme un hymne Rock immédiat, tout en
conservant la rudesse de toujours.
S’enchaîne avec
maestria la version définitive de « Sword Of The Ocean »
et son riff magnétique. Là encore, la ligne mélodique du refrain
est implacable, luisant au soleil comme la lame des héros. On
retrouve la brutalité du « Neon Knights » de Black
Sabbath, dont Grand Magus sont les grands héritiers, remettant sur
l’échiquier de la musique des années 2010 un Heavy-Metal
rugissant et implacable. La voix de JB est impeccable de puissance,
de lyrisme, et de ce grain Blues rugueux qui écarte d'entrée Grand
Magus de la clique Speed-Metal symphonique. Je n’en ai pas encore
parlé, mais il est déjà temps de dire que Ludwig Witt abat un
travail de rythmicien impeccable, entre tempos proche de Led
Zeppelin, et accélérations de grosse caisse oscillant entre Deep
Purple et Iron Maiden. Très polyvalent, il apporte des influences
très Rock, qui donne du souffle à la musique de Grand Magus.
« Valhalla Rising » est un hymne guerrier, au tempo
massif. Mais la voix de JB ainsi que sa guitare très mélodique
élèvent le morceau vers des cimes de poésie Viking. Le chorus
s’inspire de ceux de Michael Schenker au sein de UFO, impression
confirmée par l’utilisation par Christoffersson d’une guitare
Gibson Flying V blanche. Les soli sont très écrits, réduits à
l'efficacité la plus pure. Les digressions sont absentes, écartant
tout temps mort ou redescente d'adrénaline. Avec ces trois premiers
morceaux, Grand Magus a déjà terrassé l'auditeur.
« Storm
King » poursuit une quête Viking, les thèmes du Nord de
l'Europe étant chers à ces redoutables Suédois. Léger écart de
conduite, Grand Magus a parfois eu tendance à digresser vers le
Metal guerrier de Manowar, ce qui selon moi n'est pas une référence
de très grande qualité. Le quartet américain de True Metal fut en
effet l'une des pires caricatures de l'univers Heavy-Metal, gag
spinal-tapien trop sérieux pour être réellement risible. Cette
musique est une science, dont les racines profondes viennent du
Blues, du Boogie et du Rock'N'Roll. En oublier les fondamentaux
musicaux en résumant le genre à une poignée de disques à partir
de 1970 est une erreur fondamentale, synonyme d'une profonde bêtise.
« Storm King » possède une dynamique magique, une
atmosphère menaçante des hommes montant au combat. On retrouve les
univers chers à Ronnie James Dio, ce lyrisme de cathédrale lorsque
le feu ravage la ville.
« Silver
Moon » est un puissant obus de Heavy-Metal, impeccable de bout
en bout, de ses changements de rythme, à l'urgence de son riff
majestueux. Les roulements de Ludwig Witt se rapprochent de plus en
plus de ceux de John Bonham. Le refrain rappelle UFO, encore une
fois, pour mon plus grand plaisir, mais celui du début des années
80, empreint de cette mélancolie si particulière. « The
Hunt » est une sombre cavalcade sous la Lune d'Argent, débutée
par une merveille acoustique. C'est une morsure, un impact. Martial,
noir, la chasse est ouverte. La voix de Christoffersson y est pour
beaucoup dans ce supplément d'âme musicale qui fait toute la
différence. Lui et ses hommes, imprégnés de Heavy-Rock :
Witt, entre Bonham et Steve Williams de Budgie, Fox, au jeu de basse
entre Martin Ain de Celtic Frost et Burke Shelley de Budgie.
D'ailleurs,
puisqu'il est question de Budgie, le dernier morceau, « Son Of
The Last Breath » est un épique rappelant fortement le superbe
« Napoleon Bona Part I and II » de Budgie, avec son
introduction acoustique et son accélération électrique. Nos hommes
du Nord ont opté pour une introït aux relents celtiques, avant
l'explosion aux saveurs symphoniques. « Iron Hand »est un
Heavy-Metal rapide, brutal et sans concession. La basse, le riff de
guitare et la batterie sont un coup de poing au visage fulgurant. Il
préfigure l'ultime « Draksadd », terme suédois pour le
drakkar. Massif morceau de Heavy-Metal guerrier, son riff est très
Hard-Rock, mais n'a pas la qualité de ses prédécesseurs. Il clôt
pourtant très agréablement ce superbe disque.
L'apport des démos
des premiers morceaux est un bel ajout à ce disque majeur. On y
retrouve Grand Magus dans son local de répétition, brut, imprécis,
mais totalement possédé par sa musique. La version de « Sword
Of The Ocean », disais-je plus haut, est d'une brutalité aussi
digne que celle de sa version finale. Et la voix de JB, pure, ne
démontre qu'une chose : ce bonhomme est fantastique.
Grand Magus vient
de signer avec The Hunt un
album majeur, qui à mon sens est un tournant dans sa déjà
conséquente carrière musicale, déjà empreinte de nombreux très
bons disques. Il a réussi à sortir du bois du Heavy-Metal obscur
pour spécialistes à une musique plus riche et plus accrocheuse,
tout en conservant ton son nerf et sa personnalité. C'est l'apanage
des plus grands de réaliser un tel exploit.
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