mardi 14 juin 2016

GRAND MAGUS 2012

"C'est l'apanage des plus grands de réaliser un tel exploit."

GRAND MAGUS : The Hunt 2012

Grand Magus est un trio suédois qui comme beaucoup entretient la flamme du Stoner-Doom Metal. Janne « JB » Christoffersson est à la guitare et au chant. Fox Skinner tient la basse. Ludwig Witt en est le batteur depuis 2012. Il est le Cozy Powell du Stoner, ancien batteur du miraculeux Firebird notamment. Grand Magus existe depuis 1996. Son patronyme provient d'une expression du grand mage Aleister Crowley, qui inspira pêle-mêle Jimmy Page, Ritchie Blackmore ou Ozzy Osbourne. Le trio joue un Heavy-Doom Metal à résurgence Blues, qui brille par la voix de son guitariste, JB. Progressivement, le trio explore le Metal, et se montre plus agressif, moins psychédélique. On les classe trop rapidement dans la catégorie du Metal du Nord de l'Europe, viril et Viking. Jusqu'à ce disque.

Grand Magus est un stakhanoviste du Heavy-Metal Stoner, publiant depuis 2001 un disque tous les deux ans environ, ce disque étant le sixième. Tous méritent d’être écoutés et appréciés, mais celui-ci est sans aucun doute le plus immédiatement efficace. Le Magus a d’abord exploré les tréfonds d’un Heavy-Stoner-Blues noir, avant de métalliser progressivement son propos. Les résultats exceptionnels abondent, dont le magique Iron Will en 2008, un des sommets de cette démarche aplatissante. Pourtant, The Hunt est leur grand œuvre, le disque de Heavy-Metal définitif du vingt-et-unième siècle. Les morceaux sont des hymnes tendus, de furieux cris de guerre Rock, impeccables de bout en bout.

Au départ, écouter Grand Magus nécessitait une certaine culture musicale des années 70 et 80, pour comprendre et saisir toute la force de leur musique. Il fallait s’être imprégné de Black Sabbath, Ozzy Osbourne, UFO, Thin Lizzy, Iron Maiden, Judas Priest, Motorhead, Mercyful Fate et de Cactus. Les trois cavaliers de l’Apocalypse n’avaient pas décidé d’être consensuels, voulant à tout prix jouer de la musique pour eux, pourfendre cette culture de la facilité artistique. Ils décidèrent d’être des despérados, de ne pas céder à l’air du temps. Et de ce fait, leur parcours ne fut pas des plus simples. Tous eurent des groupes parallèles et des jobs alimentaires afin de faire chauffer la marmite. JB assurera notamment le poste de simple chanteur au sein des Spiritual Beggars, groupe de Stoner-Rock plus en vogue que son propre groupe. Ils tournèrent dans le monde entier, et les concerts de Grand Magus furent parfois bien rares. Mais comme ils n’avaient lieu que dans de petits clubs, et que la presse ne s’enflammait guère pour leur Heavy-Metal, le trio poursuivit son odyssée dans l’ombre, comme un projet devenu presque secondaire.

Pourtant, il était l’âme, le sang de Christoffersson et Fox, ce dernier n’ayant d’ailleurs que peu fait d’infidélités musicales. Aussi, JB décide de quitter le confort de Spiritual Beggars, alors en sommeil, pour se consacrer totalement à Grand Magus à partir de 2010. Les tournées s’intensifient de nouveau. En 2012, Sebastian Sippola, qui tient la batterie, quitte le groupe. C’est le second batteur qui rompt avec le Mage. JB et Fox on besoin d’un batteur doué, près à se fondre dans un groupe avec cinq disques au compteur, et dix ans d’existence, un musicien capable de leur apporter un nouveau souffle, et devenir le vrai troisième mousquetaire de Grand Magus. JB se souvient alors de Ludwig Witt au sein des Spiritual Beggars. Il se souvient de son groove, de sa frappe efficace, et de sa sympathique bonhomie. Il serait parfait, et comble de chance, il accepte bien volontiers le poste de forgeur d’épées.

Est-ce son arrivée qui va tout déclencher, engendrant la véritable maestria de cet album au-dessus de tous ses prédécesseurs pourtant brillants ? Sans doute, et aussi un bon paquet de concerts ensemble, qui va forger l’acier de The Hunt. Les premières démos font trembler les murs du petit local de répétition de Stockholm. Les loups, habitués à hurler sur la colline neigeuse au-dessus de la ville, préfèrent se réfugier dans les noires forêts de résineux, les oreilles et la queue basse face au grondement du Marteau de Thor. Ses fameuses bandes ont été d’ailleurs ajoutées sur la première édition cd de cet album. La musique vrombit de plaisir, les premières compositions sont d’une efficacité mélodique totale. « Sword Of The Ocean » et sa cavalcade trépidante est un miracle de Hard’N’Metal à l’efficacité équivalente au Black Sabbath de 1980 avec Ronnie James Dio. Lyrique mais brutal, la musique souffle un vent de colère sur le monde engourdi par vingt années de Rap-Are’N’Bi américain.
Le morceau d’ouverture, « Starlight Slaughter », ne vrombit pas du même carburant que ses prédécesseurs. Quelques accords mélodiques annoncent un riff menaçant, et une ligne de chant héroïque, glaive à la main. Par cette subtile approche Hard-Rock typée Rainbow-Black Sabbath-UFO-Thin Lizzy, Grand Magus poursuit sa quête de Stoner-Metal implacable, mais s’ouvre musicalement un public plus large. Le morceau sonne comme un hymne Rock immédiat, tout en conservant la rudesse de toujours.

S’enchaîne avec maestria la version définitive de « Sword Of The Ocean » et son riff magnétique. Là encore, la ligne mélodique du refrain est implacable, luisant au soleil comme la lame des héros. On retrouve la brutalité du « Neon Knights » de Black Sabbath, dont Grand Magus sont les grands héritiers, remettant sur l’échiquier de la musique des années 2010 un Heavy-Metal rugissant et implacable. La voix de JB est impeccable de puissance, de lyrisme, et de ce grain Blues rugueux qui écarte d'entrée Grand Magus de la clique Speed-Metal symphonique. Je n’en ai pas encore parlé, mais il est déjà temps de dire que Ludwig Witt abat un travail de rythmicien impeccable, entre tempos proche de Led Zeppelin, et accélérations de grosse caisse oscillant entre Deep Purple et Iron Maiden. Très polyvalent, il apporte des influences très Rock, qui donne du souffle à la musique de Grand Magus. « Valhalla Rising » est un hymne guerrier, au tempo massif. Mais la voix de JB ainsi que sa guitare très mélodique élèvent le morceau vers des cimes de poésie Viking. Le chorus s’inspire de ceux de Michael Schenker au sein de UFO, impression confirmée par l’utilisation par Christoffersson d’une guitare Gibson Flying V blanche. Les soli sont très écrits, réduits à l'efficacité la plus pure. Les digressions sont absentes, écartant tout temps mort ou redescente d'adrénaline. Avec ces trois premiers morceaux, Grand Magus a déjà terrassé l'auditeur.

« Storm King » poursuit une quête Viking, les thèmes du Nord de l'Europe étant chers à ces redoutables Suédois. Léger écart de conduite, Grand Magus a parfois eu tendance à digresser vers le Metal guerrier de Manowar, ce qui selon moi n'est pas une référence de très grande qualité. Le quartet américain de True Metal fut en effet l'une des pires caricatures de l'univers Heavy-Metal, gag spinal-tapien trop sérieux pour être réellement risible. Cette musique est une science, dont les racines profondes viennent du Blues, du Boogie et du Rock'N'Roll. En oublier les fondamentaux musicaux en résumant le genre à une poignée de disques à partir de 1970 est une erreur fondamentale, synonyme d'une profonde bêtise. « Storm King » possède une dynamique magique, une atmosphère menaçante des hommes montant au combat. On retrouve les univers chers à Ronnie James Dio, ce lyrisme de cathédrale lorsque le feu ravage la ville.

« Silver Moon » est un puissant obus de Heavy-Metal, impeccable de bout en bout, de ses changements de rythme, à l'urgence de son riff majestueux. Les roulements de Ludwig Witt se rapprochent de plus en plus de ceux de John Bonham. Le refrain rappelle UFO, encore une fois, pour mon plus grand plaisir, mais celui du début des années 80, empreint de cette mélancolie si particulière. « The Hunt » est une sombre cavalcade sous la Lune d'Argent, débutée par une merveille acoustique. C'est une morsure, un impact. Martial, noir, la chasse est ouverte. La voix de Christoffersson y est pour beaucoup dans ce supplément d'âme musicale qui fait toute la différence. Lui et ses hommes, imprégnés de Heavy-Rock : Witt, entre Bonham et Steve Williams de Budgie, Fox, au jeu de basse entre Martin Ain de Celtic Frost et Burke Shelley de Budgie.

D'ailleurs, puisqu'il est question de Budgie, le dernier morceau, « Son Of The Last Breath » est un épique rappelant fortement le superbe « Napoleon Bona Part I and II » de Budgie, avec son introduction acoustique et son accélération électrique. Nos hommes du Nord ont opté pour une introït aux relents celtiques, avant l'explosion aux saveurs symphoniques. « Iron Hand »est un Heavy-Metal rapide, brutal et sans concession. La basse, le riff de guitare et la batterie sont un coup de poing au visage fulgurant. Il préfigure l'ultime « Draksadd », terme suédois pour le drakkar. Massif morceau de Heavy-Metal guerrier, son riff est très Hard-Rock, mais n'a pas la qualité de ses prédécesseurs. Il clôt pourtant très agréablement ce superbe disque.

L'apport des démos des premiers morceaux est un bel ajout à ce disque majeur. On y retrouve Grand Magus dans son local de répétition, brut, imprécis, mais totalement possédé par sa musique. La version de « Sword Of The Ocean », disais-je plus haut, est d'une brutalité aussi digne que celle de sa version finale. Et la voix de JB, pure, ne démontre qu'une chose : ce bonhomme est fantastique.


Grand Magus vient de signer avec The Hunt un album majeur, qui à mon sens est un tournant dans sa déjà conséquente carrière musicale, déjà empreinte de nombreux très bons disques. Il a réussi à sortir du bois du Heavy-Metal obscur pour spécialistes à une musique plus riche et plus accrocheuse, tout en conservant ton son nerf et sa personnalité. C'est l'apanage des plus grands de réaliser un tel exploit.

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