"Il n'apporte rien à la musique Rock,
il est même complètement à la ramasse en 1980."
JOE PERRY PROJECT : « Let
The Music Do The Talking » 1980
1979. Aerosmith publie « Night
In The Ruts » dans la plus grande douleur. Le quintet de Boston
est au bout du rouleau. Drogues, alcools, filles, tournées sans fin
depuis 1971, tout le cocktail classique a eu raison du meilleur
groupe de Rock américain de la fin des années 70. Steven Tyler est
tellement empoisonné par l'héroïne qu'il va commencer une longue
série de concerts durant lesquels il va systématiquement s'évanouir
sur scène.
Michael Schenker, en rupture de UFO en 1980, et complètement à côté de ses pompes psychologiquement parlant, remplacera Perry quelques semaines, avant que le manager du groupe ne fasse une blague stupide en faisant passer tous les allemands pour des nazis.... alors que Schenker est allemand. Jimmy Crespo et Rick Dufay prendront les guitares dans Aerosmith durant la pire période du groupe. Tyler vit dans une chambre d'hôtel à côté de chez lui, incapable de se souvenir de son adresse la plupart du temps. Quant à la section rythmique, Tom Hamilton et Joey Kramer, ils épongent toutes les bouteilles à la portée de leurs mains.
On pense alors que Joe Perry est sauvé de ce marasme, mais pas tout à fait. L'homme est encore dépendant aux drogues, et connaît de gros problèmes financiers, vivant sur le canapé de son manager. Mais musicalement, l'homme revit. Il a désormais les mains libres pour monter son propre groupe, ce qu'il va faire dés la fin de l'année 1979.Il embauche rapidement une poignée de musiciens capables sur Los Angeles : Ronnie Stewart à la batterie, David Hull à la basse et Ralph Morman au chant. Ce sont tous des inconnus, ce qui permettrait à Perry de rester maître de sa formation. Enfin presque. Morman fit partie de Bux, petit groupe de hard-rock pouliné par Jack Douglas, le producteur d'Aerosmith.
Suite à l'échec du groupe, Morman deviendra ouvrier sur les chantiers de construction de Los Angeles. Il réussit néanmoins à rencontrer les musiciens d'Aerosmith en coulisses d'un concert en 1979. Et dit à Joe Perry en partant : « si tu connais un groupe qui a besoin d'un chanteur, n'hésites pas à m'appeler. » Trois semaines plus tard, ce sera chose faite, lorsque Perry lui annonce qu'il vient de quitter Aerosmith pour monter son Project.
Un autre point important dans ce nouveau groupe, il est le seul guitariste, et a donc les mains totalement libres pour jouer ce qu'il veut, comme il le veut, sans avoir à tenir compte d'une ligne rythmique quelconque.
Cette configuration n'est en fait pas
innocente. C'est celle des groupes de ses références musicales :
le Jeff Beck Group avec Rod Stewart, et Jimmy Page et son Led
Zeppelin. Joe Perry chante également, et en cela, il forme un vrai
trio comme le Jimi Hendrix Experience. Il joue d'ailleurs sur une
Fender Stratocaster de gaucher qu'il inverse, comme le fit Hendrix
avec la même guitare en modèle droitier. Voilà des références
bien audacieuses me direz-vous, mais en fait le premier album du Joe
Perry Project est un vrai grand disque de guitares, et les vraies
racines musicales de ce disque sont à chercher là, dans les fines
lames de la fin des années 60. Aerosmith a toujours été un vrai
groupe de blues-rock charnu, imprégnant parfois sa musique de funk
poisseux. Le Rock anglais des années 1967-1970 est un moteur
essentiel dans la musique de Perry depuis le début. Il en a tiré le
son unique de sa guitare, les plans provenant autant de Beck et Page,
période Yardbirds et leur « Train Kept A Rollin' »
incendiaire dont Perry fut très marqué, que de Jimi Hendrix, en
particulier dans l'approche funk électrique qui vient donner du
groove au hard-rock d'Aerosmith.
Lorsque Joe Perry quitte le quintet de
Boston, il part avec sa guitare et ses riffs qu'il va aussitôt
réinjecter dans son Project. Et cela est vrai dés le morceau
éponyme inaugural. Il définit la nature de cet album : du
Hard-Rock Blues saignant, à la facture très classique, proche des
meilleurs morceaux d'Aerosmith. Il est inutile de chercher ici la
moindre influence du Heavy-Metal anglais de la fin des années 70 ou
du début des années 80, ni même du hard mélodique calibré
américain.
Autre élément qui saute aux
oreilles : la voix de Morman. Le jeune homme a une voix éraillée
proche de celle de Rod Stewart. Il est brillant dés ce premier
morceau, qu' Aerosmith reprendra quelques années plus tard lorsque
Perry reviendra, les couilles bluesy en moins. Le jeu de slide de ce
dernier est poisseux, sale et méchant. Absolument incapable de
déchiffrer une partition, totalement autodidacte, il compense par un
feeling hors pair.
Il y a donc du hard-rock charnu, mais
aussi du funk. Comme ce « Rockin' Train » arrogant, aussi
Black que Parliament ou Funkadelic. Morman rappe presque par moments,
à la manière de James Brown. Mais Perry y injecte de l'électricité,
et l'on retrouve la puissance et le groove d'Hendrix sur « Freedom ».
Le solo s'envole sur la rythmique bien carrée à deux reprises. On
sent le musicien libre, inspiré. Hull slappe presque sur sa basse et
Stewart ajoute des timbales. On retrouve cette ambiance avec une
injection de hard-rock serré sur « Discount Dog ». On se
rapproche dans l'esprit de Mother's Finest dans cette fusion funk et
hard guitar.
Perry prend le micro à trois reprises
sur cet album : « The Mist Is Rising » avec son riff
dissonnant, à l'ambiance inquiétante et déglinguée, et « Conflict
Of Interest », un bon hard-rock à la tonalité sombre. Et
enfin sur le rapide et blues « Shooting Star ». La voix
de Perry sonne juste, un peu lointaine. L'apport de Morman n'était
donc pas une erreur. Mais comme le guitariste est le patron, il fait
bien comme il veut. Néanmoins, sa voix fragile de gamin furieux
donne une impression de malaise plus profond à des morceaux à la
mélancolie plus ou moins en filigrane. Le hard-rock blues de Joe
Perry est bravache et fier, mais il y a une fêlure. Il y met ses
tripes, il s'accroche à sa guitare comme on s'accroche à la vie. Il
ne lui reste plus que ça. Il n'a plus rien, plus un rond. Il a perdu
le groupe de sa vie, celui qui l'a emmené au succès, et cette
blessure restera une plaie ouverte jusqu'à la reformation du quintet
original en 1984. En attendant, Joe Perry donne tout ce qu'il a dans
son groupe, et le fait avec sincérité.
C'est ce qui fait l'une des grandes
qualités de ce disque. Il n'apporte rien à la musique Rock, il est
même complètement à la ramasse en 1980. Mais c'est un album d'une
grand honnêteté, sans prétention, joué avec le cœur. C'est cela
qui bat sous le bon vieux hard-blues boogie de « Life Is A
Glance » ou « Ready On The Firing Line » et son
tempo du bayou. Perry se fait plaisir avec l'instrumental « Break
Song ». Il y interprète son boogie à lui, comme Jeff Beck ou
Buck Dharma de Blue Oyster Cult. Pur éclair de génie musical devant
autant au blues-rock anglais qu'au Texas Blues, il ouvre la voie à
Stevie Ray Vaughan.
Mine de rien, avec son disque dont
tout le monde se fout, Joe Perry fait la démonstration de son
immense talent de musicien, tout en offrant un vrai travail de
groupe, de gang soudé. Publié par Columbia, qui rêve secrètement
de faire revenir Perry dans un Aerosmith moribond pour reconstituer
la poule aux œufs d'or du Rock américain, l'album se vendra à
250000 exemplaires aux USA. Un bon score qui permet au quartet de
tourner à travers tout le pays.Malheureusement, la belle aventure s'enraye lorsque Ralph Morman commence à poser problème à cause d'une consommation galopante d'alcool. Le petit prolo, propulsé sans préparation devant les foules d'Aerosmith juste après quitter son job d'ouvrier, perd pied. Joe Perry se voit contraint de le virer en juin 1980. Joey Mala finira la tournée avant qu'un remplacement stable soit trouvé avec Charlie Farren. Morman réapparaîtra quelques mois plus tard au sein de Savoy Brown, un groupe à la taille et à l'histoire moins lourde à porter. Il enregistrera deux albums avant de retourner à l'anonymat.
Joe Perry Project poursuivra sa route
avec un second album, « I've Got The Rock'N'Roll Again »,
aussi bon que son prédécesseur. Les set-lists des concerts restent
en grande partie occupées par les morceaux d'Aerosmith. Perry
considère qu'il se doit de garder le lien avec son ancien groupe, le
public l'ayant suivi. Et il annoncera également clairement qu'il est
l'auteur de toute la musique d'Aerosmith, et que donc, il est
légitime de la jouer.
Joe Perry Project vivra donc plutôt
bien dans un contexte Hard et Metal en pleine évolution. Les grands
du genre de la fin des années 70 se font dépasser en vitesse et en
violence musicale par une nouvelle génération anglaise, la NWOBHM,
puis américaine, avec le Thrash : Iron Maiden, Def Leppard,
Venom, Raven, Metallica, Slayer …Beaucoup se lanceront dans des productions à la limite du racolage. Kiss bien sûr, avec « I Was Made For Loving you » puis l'insipide « Unmasked ». On peut aussi parler du moyen « Scream Dream » de Ted Nugent, ou du tiède « Mirrors » de Blue Oyster Cult. Bref Joe Perry est sans doute celui qui s'en sort le plus fièrement en ce crépuscule des seventies. Il n'a en tout cas rien renié de ses racines, de ses premiers amours musicaux. « Let The Music Do The Talking » dit-il. Et cet album mérite bien une écoute attentive.
tous droits réservés
6 commentaires:
Voilà un grand disque. Le meilleur de Joe Perry depuis "Rocks" ("Draw the Line" ?), et jusqu'à "Permanent Vacation".
Quel dommage que Norman ait déconné, et qu'il ne soit pas resté dans ce groupe. Les titres, qu'il chante ici, sont d'une force tellurique transcendante.
(j'voulais justement faire une p'tite chro sur ce disque inégal, mais tellement attachant et tout de même doté un bon lot de pièces intemporelles)
"Scream Dream" ? Je trouve que c'est un des meilleurs opus du frappa-dingue de Detroit. Indéniablement, celui faisant le plus preuve d'humour.
"Rock in a Hard place" ? Non, pas un des meilleurs des Duponds-volants, mais certainement bien mieux que leurs deux (trois ?) précédents opus studio.
Encore aujourd'hui, c'est un album qui tient la route ; au contraire de "Night in the Rust".
"Scream Dream" n'est pas un mauvais disque, mais on sent qu'il tourne un peu en rond. je lui préfère de loin le live "Intensities In Ten Cities", vraiment excellent.
Pour "Rock In A Hard Place", il n'est pas mauvais dans l'absolu, et même bien meilleur que la suite (je ne peux pas encadrer Aerosmith après 1980), mais il manque le feeling de Perry, qui fait énormément.
Il est vrai que l'on peut regretter l'absence de Perry sur "Rock in a Hard Place". D'ailleurs, Jimmy Crespo lui-même lâchera l'affaire, n'arrivant pas à retrouver le feeling du Aerosmith millésimé 70's. Il conseillera tout simplement à Tyler de renouer avec le célèbre binôme d'origine.
Euuuhhh.... Je pense que l'on ne doit pas avoir le même "Scream Dream". Car le mien trempe un coup dans le Funk-lourd, déroute une fois la Country pour l'enduire d'un alliage propre au Motor City Madman, délivre un Rock'n'Roll épileptique, fait un Hard-rock-Horror-show kitch mais jouissif, crée un hymne glam (qui servira de bande son à une célèbre émission de radio dans les années 80), chante l'amour avec une rage d'homme des cavernes affamé.
Un défaut tout de même : le titre éponyme.
C'est mon avis ; à chaud.
Rock'n'Roll
Je n'en ai pas un souvenir très marquant et je le préfère quand il rugit le heavy-blues. Ceci étant je suis en phase de réécoute de ses albums, je te dirai si je me suis planté ou pas Lol.
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