vendredi 10 avril 2015

JOE PERRY PROJECT 1980

"Il n'apporte rien à la musique Rock, il est même complètement à la ramasse en 1980."

JOE PERRY PROJECT : « Let The Music Do The Talking » 1980

1979. Aerosmith publie « Night In The Ruts » dans la plus grande douleur. Le quintet de Boston est au bout du rouleau. Drogues, alcools, filles, tournées sans fin depuis 1971, tout le cocktail classique a eu raison du meilleur groupe de Rock américain de la fin des années 70. Steven Tyler est tellement empoisonné par l'héroïne qu'il va commencer une longue série de concerts durant lesquels il va systématiquement s'évanouir sur scène.
Les relations entre le chanteur lippu et le guitariste Joe Perry s'aggravent à un point que les deux hommes en viennent aux mains. Les Toxic Twins, comme on les surnomme, les nouveaux Jagger-Richards du Rock américain, se sont durablement fâchés. Perry finit par partir, suivi dans l'année qui vient par l'autre six-cordiste Brad Whitford. Aerosmith est exsangue, mais va pourtant lamentablement continuer, produisant péniblement un nouvel album, « Rock In A Hard Place » en 1982.
Michael Schenker, en rupture de UFO en 1980, et complètement à côté de ses pompes psychologiquement parlant, remplacera Perry quelques semaines, avant que le manager du groupe ne fasse une blague stupide en faisant passer tous les allemands pour des nazis.... alors que Schenker est allemand. Jimmy Crespo et Rick Dufay prendront les guitares dans Aerosmith durant la pire période du groupe. Tyler vit dans une chambre d'hôtel à côté de chez lui, incapable de se souvenir de son adresse la plupart du temps. Quant à la section rythmique, Tom Hamilton et Joey Kramer, ils épongent toutes les bouteilles à la portée de leurs mains.
On pense alors que Joe Perry est sauvé de ce marasme, mais pas tout à fait. L'homme est encore dépendant aux drogues, et connaît de gros problèmes financiers, vivant sur le canapé de son manager. Mais musicalement, l'homme revit. Il a désormais les mains libres pour monter son propre groupe, ce qu'il va faire dés la fin de l'année 1979.Il embauche rapidement une poignée de musiciens capables sur Los Angeles : Ronnie Stewart à la batterie, David Hull à la basse et Ralph Morman au chant. Ce sont tous des inconnus, ce qui permettrait à Perry de rester maître de sa formation. Enfin presque. Morman fit partie de Bux, petit groupe de hard-rock pouliné par Jack Douglas, le producteur d'Aerosmith.
Suite à l'échec du groupe, Morman deviendra ouvrier sur les chantiers de construction de Los Angeles. Il réussit néanmoins à rencontrer les musiciens d'Aerosmith en coulisses d'un concert en 1979. Et dit à Joe Perry en partant : « si tu connais un groupe qui a besoin d'un chanteur, n'hésites pas à m'appeler. » Trois semaines plus tard, ce sera chose faite, lorsque Perry lui annonce qu'il vient de quitter Aerosmith pour monter son Project.
Un autre point important dans ce nouveau groupe, il est le seul guitariste, et a donc les mains totalement libres pour jouer ce qu'il veut, comme il le veut, sans avoir à tenir compte d'une ligne rythmique quelconque.
Cette configuration n'est en fait pas innocente. C'est celle des groupes de ses références musicales : le Jeff Beck Group avec Rod Stewart, et Jimmy Page et son Led Zeppelin. Joe Perry chante également, et en cela, il forme un vrai trio comme le Jimi Hendrix Experience. Il joue d'ailleurs sur une Fender Stratocaster de gaucher qu'il inverse, comme le fit Hendrix avec la même guitare en modèle droitier. Voilà des références bien audacieuses me direz-vous, mais en fait le premier album du Joe Perry Project est un vrai grand disque de guitares, et les vraies racines musicales de ce disque sont à chercher là, dans les fines lames de la fin des années 60. Aerosmith a toujours été un vrai groupe de blues-rock charnu, imprégnant parfois sa musique de funk poisseux. Le Rock anglais des années 1967-1970 est un moteur essentiel dans la musique de Perry depuis le début. Il en a tiré le son unique de sa guitare, les plans provenant autant de Beck et Page, période Yardbirds et leur « Train Kept A Rollin' » incendiaire dont Perry fut très marqué, que de Jimi Hendrix, en particulier dans l'approche funk électrique qui vient donner du groove au hard-rock d'Aerosmith.
Lorsque Joe Perry quitte le quintet de Boston, il part avec sa guitare et ses riffs qu'il va aussitôt réinjecter dans son Project. Et cela est vrai dés le morceau éponyme inaugural. Il définit la nature de cet album : du Hard-Rock Blues saignant, à la facture très classique, proche des meilleurs morceaux d'Aerosmith. Il est inutile de chercher ici la moindre influence du Heavy-Metal anglais de la fin des années 70 ou du début des années 80, ni même du hard mélodique calibré américain.
Autre élément qui saute aux oreilles : la voix de Morman. Le jeune homme a une voix éraillée proche de celle de Rod Stewart. Il est brillant dés ce premier morceau, qu' Aerosmith reprendra quelques années plus tard lorsque Perry reviendra, les couilles bluesy en moins. Le jeu de slide de ce dernier est poisseux, sale et méchant. Absolument incapable de déchiffrer une partition, totalement autodidacte, il compense par un feeling hors pair.
Il y a donc du hard-rock charnu, mais aussi du funk. Comme ce « Rockin' Train » arrogant, aussi Black que Parliament ou Funkadelic. Morman rappe presque par moments, à la manière de James Brown. Mais Perry y injecte de l'électricité, et l'on retrouve la puissance et le groove d'Hendrix sur « Freedom ». Le solo s'envole sur la rythmique bien carrée à deux reprises. On sent le musicien libre, inspiré. Hull slappe presque sur sa basse et Stewart ajoute des timbales. On retrouve cette ambiance avec une injection de hard-rock serré sur « Discount Dog ». On se rapproche dans l'esprit de Mother's Finest dans cette fusion funk et hard guitar.
Perry prend le micro à trois reprises sur cet album : « The Mist Is Rising » avec son riff dissonnant, à l'ambiance inquiétante et déglinguée, et « Conflict Of Interest », un bon hard-rock à la tonalité sombre. Et enfin sur le rapide et blues « Shooting Star ». La voix de Perry sonne juste, un peu lointaine. L'apport de Morman n'était donc pas une erreur. Mais comme le guitariste est le patron, il fait bien comme il veut. Néanmoins, sa voix fragile de gamin furieux donne une impression de malaise plus profond à des morceaux à la mélancolie plus ou moins en filigrane. Le hard-rock blues de Joe Perry est bravache et fier, mais il y a une fêlure. Il y met ses tripes, il s'accroche à sa guitare comme on s'accroche à la vie. Il ne lui reste plus que ça. Il n'a plus rien, plus un rond. Il a perdu le groupe de sa vie, celui qui l'a emmené au succès, et cette blessure restera une plaie ouverte jusqu'à la reformation du quintet original en 1984. En attendant, Joe Perry donne tout ce qu'il a dans son groupe, et le fait avec sincérité.
C'est ce qui fait l'une des grandes qualités de ce disque. Il n'apporte rien à la musique Rock, il est même complètement à la ramasse en 1980. Mais c'est un album d'une grand honnêteté, sans prétention, joué avec le cœur. C'est cela qui bat sous le bon vieux hard-blues boogie de « Life Is A Glance » ou « Ready On The Firing Line » et son tempo du bayou. Perry se fait plaisir avec l'instrumental « Break Song ». Il y interprète son boogie à lui, comme Jeff Beck ou Buck Dharma de Blue Oyster Cult. Pur éclair de génie musical devant autant au blues-rock anglais qu'au Texas Blues, il ouvre la voie à Stevie Ray Vaughan.
Mine de rien, avec son disque dont tout le monde se fout, Joe Perry fait la démonstration de son immense talent de musicien, tout en offrant un vrai travail de groupe, de gang soudé. Publié par Columbia, qui rêve secrètement de faire revenir Perry dans un Aerosmith moribond pour reconstituer la poule aux œufs d'or du Rock américain, l'album se vendra à 250000 exemplaires aux USA. Un bon score qui permet au quartet de tourner à travers tout le pays.
Malheureusement, la belle aventure s'enraye lorsque Ralph Morman commence à poser problème à cause d'une consommation galopante d'alcool. Le petit prolo, propulsé sans préparation devant les foules d'Aerosmith juste après quitter son job d'ouvrier, perd pied. Joe Perry se voit contraint de le virer en juin 1980. Joey Mala finira la tournée avant qu'un remplacement stable soit trouvé avec Charlie Farren. Morman réapparaîtra quelques mois plus tard au sein de Savoy Brown, un groupe à la taille et à l'histoire moins lourde à porter. Il enregistrera deux albums avant de retourner à l'anonymat.
Joe Perry Project poursuivra sa route avec un second album, « I've Got The Rock'N'Roll Again », aussi bon que son prédécesseur. Les set-lists des concerts restent en grande partie occupées par les morceaux d'Aerosmith. Perry considère qu'il se doit de garder le lien avec son ancien groupe, le public l'ayant suivi. Et il annoncera également clairement qu'il est l'auteur de toute la musique d'Aerosmith, et que donc, il est légitime de la jouer.
Joe Perry Project vivra donc plutôt bien dans un contexte Hard et Metal en pleine évolution. Les grands du genre de la fin des années 70 se font dépasser en vitesse et en violence musicale par une nouvelle génération anglaise, la NWOBHM, puis américaine, avec le Thrash : Iron Maiden, Def Leppard, Venom, Raven, Metallica, Slayer …
Beaucoup se lanceront dans des productions à la limite du racolage. Kiss bien sûr, avec « I Was Made For Loving you » puis l'insipide « Unmasked ». On peut aussi parler du moyen « Scream Dream » de Ted Nugent, ou du tiède « Mirrors » de Blue Oyster Cult. Bref Joe Perry est sans doute celui qui s'en sort le plus fièrement en ce crépuscule des seventies. Il n'a en tout cas rien renié de ses racines, de ses premiers amours musicaux. « Let The Music Do The Talking » dit-il. Et cet album mérite bien une écoute attentive.
tous droits réservés

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà un grand disque. Le meilleur de Joe Perry depuis "Rocks" ("Draw the Line" ?), et jusqu'à "Permanent Vacation".
Quel dommage que Norman ait déconné, et qu'il ne soit pas resté dans ce groupe. Les titres, qu'il chante ici, sont d'une force tellurique transcendante.

(j'voulais justement faire une p'tite chro sur ce disque inégal, mais tellement attachant et tout de même doté un bon lot de pièces intemporelles)

Anonyme a dit…

"Scream Dream" ? Je trouve que c'est un des meilleurs opus du frappa-dingue de Detroit. Indéniablement, celui faisant le plus preuve d'humour.

"Rock in a Hard place" ? Non, pas un des meilleurs des Duponds-volants, mais certainement bien mieux que leurs deux (trois ?) précédents opus studio.
Encore aujourd'hui, c'est un album qui tient la route ; au contraire de "Night in the Rust".

Julien Deléglise a dit…

"Scream Dream" n'est pas un mauvais disque, mais on sent qu'il tourne un peu en rond. je lui préfère de loin le live "Intensities In Ten Cities", vraiment excellent.
Pour "Rock In A Hard Place", il n'est pas mauvais dans l'absolu, et même bien meilleur que la suite (je ne peux pas encadrer Aerosmith après 1980), mais il manque le feeling de Perry, qui fait énormément.

Anonyme a dit…

Il est vrai que l'on peut regretter l'absence de Perry sur "Rock in a Hard Place". D'ailleurs, Jimmy Crespo lui-même lâchera l'affaire, n'arrivant pas à retrouver le feeling du Aerosmith millésimé 70's. Il conseillera tout simplement à Tyler de renouer avec le célèbre binôme d'origine.

Anonyme a dit…

Euuuhhh.... Je pense que l'on ne doit pas avoir le même "Scream Dream". Car le mien trempe un coup dans le Funk-lourd, déroute une fois la Country pour l'enduire d'un alliage propre au Motor City Madman, délivre un Rock'n'Roll épileptique, fait un Hard-rock-Horror-show kitch mais jouissif, crée un hymne glam (qui servira de bande son à une célèbre émission de radio dans les années 80), chante l'amour avec une rage d'homme des cavernes affamé.
Un défaut tout de même : le titre éponyme.

C'est mon avis ; à chaud.
Rock'n'Roll

Julien Deléglise a dit…

Je n'en ai pas un souvenir très marquant et je le préfère quand il rugit le heavy-blues. Ceci étant je suis en phase de réécoute de ses albums, je te dirai si je me suis planté ou pas Lol.