ELDER : « Live At Roadburn
2013 » 2013
Le grand malheur du Stoner-Rock est,
en conséquence de sa modeste diffusion, l'absence où le faible
nombre de disques enregistrés en concert. Ce genre Rock, pourtant
tellement brillant sur scène, doit se contenter d'une diffusion
artisanale d'albums studios.
La raison, disais-je, est sa portée
extrêmement modeste, de ce fait, la faiblesse du nombre de concerts
possibles, et la taille de ceux-ci. Souvent dans de petites salles ou
clubs spécialisées, ils ne peuvent être le matériau adéquat à
une bonne captation scénique. Les moyens techniques nécessaires
limitent encore plus les opportunités, la captation sur scène étant
un exercice périlleux et coûteux du fait de l'obligation, pour un
résultat optimal, d'enregistrer plusieurs sets afin d'obtenir un
album live de qualité.
Il y a pour cela plusieurs
possibilités : soit une série de concerts dans la même salle,
à l'acoustique réputée et au public réactif ou conquis d'avance,
ou alors la prise de son itinérante sur plusieurs dates d'une
tournée. Seuls les grands artistes assis en matière de notoriété
peuvent se permettre ce genre d'enregistrement. Pour le Stoner, seuls
quelques groupes rôdés au public suffisamment nombreux et aux
tournées suffisamment conséquentes peuvent se le permettre. Où
alors une opportunité rare se présente, que le groupe concerné se
doit de profiter. C'est souvent le cas dans quelques festivals du
genre reconnus, qui bénéficient de moyens de diffusion et
d'enregistrement significatifs. Samsara Blues Experiment eut cette
chance grâce à l'émission allemande de concert retransmis à la
télévision : Rockpalast. Le concert au Crossroads Festival de
Berlin fut enregistré et diffusé sur disque par le groupe. Le
résultat est exceptionnel, et il faudra que je vous en reparle.
Un autre, voir l'autre et unique canal
de diffusion est le festival majeur du genre Stoner-Doom-Psyché :
le Roadburn Festival à Tilburg aux Pays-Bas. Plusieurs groupes
eurent cette chance, les vidéos des prestations étant retransmises
toutes ou parties sur le net. Stone Axe publia un live au Roadburn il
y a quelques années de cela.
Le souci de ce genre de captation est
son caractère exceptionnel et unique. Et qu'en gros, le groupe n'a
pas intérêt à se louper ce soir-là. Il s'agit d'une pression
supplémentaire, car jouer au Roadburn est déjà un honneur, et
l'assurance de se faire connaître et reconnaître dans le monde du
Stoner de manière optimale, et donc de sortir de l'anonymat qu'une
diffusion aussi passionnée que minimaliste ne peut qu'offrir.
Elder est un prodigieux trio de New
York, qui publia notamment un second disque en 2011, « Dead
Roots Stirring », totalement insurpassable dans le domaine du
Heavy-Rock stoner et épique. Invités à se produire au Roadburn
Festival en 2013, il leur fut proposé d'enregistrer ce rare concert
hors de leurs frontières américaines.
La pression est immense, car leur
album se tailla une réputation plus que flatteuse auprès des
amateurs, et il fallait qu'Elder prouve si il était capable de
retranscrire la musique intense et passionnée qui est la leur à
trois sur une scène. Nicholas DiSalvo à la guitare et au chant,
Jack Donovan à la basse, et Matthew Couto à la batterie ont donc
une pression immense sur les épaules. Ce qui va être saisi dans la
chaleur de la salle ce soir-là est une bien une immense
démonstration des capacités de Elder à jouer sur scène et à y
développer sa musique.
J'ai longtemps hésité à acquérir
ce disque. Les quelques extraits sur le net ne laissaient
transparaître qu'un set un peu brouillon, et où la voix de DiSalvo
manquait cruellement de coffre. Mais je me trompais totalement.
Encore bouleversé par la beauté de leur second album, et la
formidable tenue de leur premier, ce live ne pouvait être que
parfait, encore plus incroyable que tout ce qu'ils avaient pu publier
jusque-là. Et c'est en fait parfaitement vrai. J'avais juste omis
deux ou trois points à prendre en considération.
En premier lieu, on ne plonge dans
leur musique aussi facilement que l'on pourrait le croire, même si
le répertoire est sur le papier familier pour l'essentiel. Le
concert est une réinterprétation constante des morceaux enregistrés
en studio, et même si les variations ne sont pas d'une grande
importance, elles nécessitent de la concentration et de l'ouverture
d'esprit.
En second lieu, il s'agit d'un
enregistrement en concert sans aucun overdub. Cela signifie donc que
la musique livrée ici est telle qu'elle a été jouée et entendue
ce soir-là, sans la moindre modification postérieure studio, comme
cela se fera couramment, notamment sur de désormais mythiques
enregistrements en public comme le « Live And Dangerous »
de Thin Lizzy ou « Unleashed In The East » de Judas
Priest. Il n'est donc pas à prendre comme le disque live parfait du
trio new-yorkais, mais bien le témoignage sonore d'un concert
d'importance dans leur carrière. Il est donc à appréhender tel
quel.
Enfin, le dernier paramètre est plus
personnel. « Dead Roots Stirring » fut le compagnon des
pires heures de ma vie. Il est magnifique, sublime, et je l'écoute
toujours avec délectation. Mais immanquablement, il remue une fange
morale douloureuse.
Et me voilà à trébucher de nouveau à cause
de ce lourd passé, moralement épuisé par tant de rebondissements
sordides afférents. Aussi, replonger dans cette musique dans de
telles conditions relève presque du suicide. Mais finalement, me
voilà à redécouvrir la musique de Elder sous un jour nouveau.
Car cet album en concert est
prodigieux, totalement saisissant par sa densité musicale. Que le
chant soit par moments un peu noyé dans le mixage est totalement
contrebalancé par la force de l'interprétation. Et que nous
puissions profiter de l'enregistrement de concert est déjà une
chance immense. C'est que Walter Jurgen, l'organisateur du Roadburn
savait combien Elder est une bête de scène qui ne demande qu'une
salle et des conditions techniques adéquates pour donner le maximum
de son potentiel.
Le set débute par deux morceaux du
dernier album en date : « Gemini » et « Dead
Roots Stirring ». Ces deux interprétations restent fidèles à
leurs versions originales, mais avec un grain d'agressivité et une
corrosivité supplémentaire. Ce qui est admirable, c'est que malgré
la complexité des morceaux, Elder arrivent à les retranscrire sur
scène sans ajout de bandes sonores, où de
musiciens additionnels sur scène afin
de jouer les parties rythmiques ou les chorus en tierce. Le trio joue
sa propre musique, aux structures et aux harmonies riches. Ces deux
pièces de musique étaient déjà denses, Elder ne fait que les
étirer quelques peu par un ou deux soli supplémentaires.
Et puis intervient « Spires
Burn ». Ce titre fut publié sur un EP uniquement disponible en
vinyl en 2013. Le trio déclenche une véritable tempête sonique sur
scène. Le son de la guitare se fait mordant. DiSalvo semble jongler
avec une vague d'électricité, une matière mouvante sous ses
propres doigts, qu'il sculpte. Tout démarre dans un larsen
surmontant un riff de basse grondant. Puis la guitare fait tomber la
foudre à travers les rampes d'amplis Marshall. Le son est organique,
les dissonances et la distorsion prennent aux tripes. C'est un texte
sur une bataille mythologique. Les flèches brûlent. La six-corde
hulule sous les coups de wah-wah avant de grogner comme une bête
démoniaque, rampante, menaçante, vers sa proie prise au piège. La
dimension épique de cette furieuse odyssée transporte l'auditeur
hors de son propre organisme. Cette pièce de musique est tout
simplement magique, elle atteint les sommets auxquels peu accèdent.
Il me vient à l'esprit « The Rover » ou « In My
Time Of Dying » de Led Zeppelin, mais avec une furie
démultipliée, comme si Jimmy Page avait fréquenté d'un peu trop
près Robin Trower et Tony Iommi.
Derrière ce somptueux obélisque de
Heavy-Rock suient « The End ». En introduction, Nick
DiSalvo explique combien ce concert au Roadburn est important pour le
groupe, et qui les sort du merdier du job alimentaire quelques heures
durant. Cette heure de scène permet aux trois modestes gaillards de
s'exprimer totalement artistiquement parlant, loin de l'étroitesse
du quotidien. « The End » s'amplit de la furie encore
chaude de « Spires Burn ». « The End »
bénéficie d'un traitement de choc qui va être aussi celui de tous
les morceaux suivants. Le solo est ici splendide. Elder joue avec une
intensité surnaturelle. DiSalvo n'a de cesse d'écraser sa wah-wah
pour déformer encore et encore la matière électrique, poussée par
une basse et une batterie faisant totalement corps avec leur leader.
Couto a une utilisation des cymbales assez proche de celle de Keith
Moon, et une frappe entre Jerry Shirley d'Humble Pie et John Bonham
de Led Zeppelin. La cohésion musicale dans un trio doit être
totale. Si le guitariste dirige souvent les opérations, il est
indispensable que la section rythmique soit créative pour lui
permettre de développer ses idées. Ce qu'on appelle l'émulation.
Donovan et Couto sont de ceux-là.
La preuve en est encore faite sur le
magnifique « Knot ». C'est pour moi le sommet de l'album
« Dead Roots Stirring ». Cri de douleur désenchanté, il
résonne de rage brûlante. Elder met un soin maniaque à le rendre
encore plus intense, plus oppressant. Chaque couplet, chaque séquence
appuie un peu plus sur la plaie béante de nos âmes. La voix de
DiSalvo se perd dans le mur du son, comme un appel à l'aide au
milieu des éléments déchaînés. Cette alternance entre riffs
massifs et arpèges grésillants de feu intérieur sonne comme le
tocsin de l'enfer. Le groupe fait monter l'intensité jusqu'à
l'explosion des deux chorus finaux, magistraux, concis, où chaque
note est pesée.
Le set se termine par un extrait du
premier album, paru il y a bien longtemps, en 2007. Alors très
inspiré par Sleep, Elder développait un Heavy-Rock très doom, y
compris dans le chant martial et monocorde similaire à celui de Al
Cisneros. « Riddle Of Steel Part 1 » faisait partie des
longues pièces épiques de ce premier disque. Le riff introductif
est une lente procession possédée, rappelant énormément Matt
Pike. Le résultat est génial, saturé. Puis le tempo s'emballe.
Nouvel orage électrique. Chorus, retour au riff bavant de
distorsion. Puis dans un larsen, la basse redémarre soutenue par la
batterie dans une ligne roulant comme les eaux noires d'un torrent.
DiSalvo égrène quelques chorus de notes claires suspendus dans
l'air lourd, entre jazz et blues. Puis la distorsion éclate à
nouveau, gonflant le riff sale, poisseux.
L'air résonne encore de la musique de
Elder lorsque le public applaudit le trio à la fin de sa prestation.
Il vient de confirmer tout son potentiel artistique, largement
au-dessus de la moyenne de la scène stoner-doom, pourtant riche. Et
ne parlons pas de la moyenne musicale en général.... Totalement
hors de portée, Elder est une fulgurance. Ces trois-là utilise tout
le potentiel de leur formation, de leurs instruments, et de ce que le
Rock dur offre de meilleur. En tout cas, si cette musique possède
encore de la substance de nos jours, c'est bien grâce à des groupes comme
Elder.
tous droits réservés
2 commentaires:
Budgie,
as-tu jeté une oreille au dernier Elder studio en date ?
"Lore" qui à mon sens surpasse carrément leurs précédents opus.
Non je n'ai pas encore eu cette chance. J'ai prévu de le commander rapidement et j'ai hâte.
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