"Le son cradingue du premier album va
être mis de côté pour davantage de subtilité."
BUDGIE : « Squawk »
1972
En 1971, le Heavy-Metal est déjà
bien installé. Un seul forgeron va à lui seul établir les codes du
genre : Black Sabbath. Son troisième album, « Master Of
Reality », est sans aucun doute l'album le plus violent, le
plus noir de la jeune discographie du quartet de Birmingham.
L'ouvrier de l'ombre derrière cette machine du Diable s'appelle
Roger Bain. Il a produit les deux premiers disques du groupe, et au
niveau violence sonore, ce troisième album est le pinacle absolu.
Rien ne semble désormais désarçonner Black Sabbath, qui est le
Prince des Ténèbres du Heavy-Rock. Led Zeppelin et Deep Purple
jouent dans une autre cour, plus subtile, plus virtuose aussi. Et si
leurs compositions sont sans doute plus inventives, plus complexes,
plus fouillées, rien ne peut égaler le Marteau des Dieux qu'est le
Sabbat Noir.
Jusqu'à ce que Roger Bain découvre
un trio de Cardiff du nom de Budgie. Trois épouvantails à
gonzesses, entre le bassiste-chanteur binoclard Burke Shelley, le
boudiné à moustache Tony Bourge à la guitare, et un semi
beau-gosse aux faux airs hispano, Ray Philips, à la batterie. Ces
trois-là on commencé à faire du Blues-Rock vers la fin des années
60, comme tout le monde, et on alourdit la formule en appuyant où ça
fait mal, comme Black Sabbath. D'ailleurs leur nom d'origine est Six
Ton Budgie. Tout un programme.
Il défouraille un premier album
éponyme en 1971 qui assourdit littéralement les malheureux qui
l'écouteront. Produit par Roger Bain, il égale en puissance le
meilleur Black Sabbath. Mais il y a ce quelque chose de maladif, de
tordu chez Budgie, que ce soit dans les mélodies comme dans la voix
haut perchée et malingre de Shelley. Le son est dégueulasse,
violent, sans concession, massif. Le disque se vend plutôt bien,
soutenu par le DJ Kid Jensen de Radio Luxembourg, qui passe le disque
régulièrement à l'antenne. MCA a son groupe de Heavy-Metal.
« Master Of Reality » paraîtra quelques mois plus tard,
avec un son compact curieusement relativement similaire. Il n'est pas
improbable que ce premier disque de Budgie fut une influence pour
cette pierre angulaire que fut le troisième album de Black Sabbath .
Mais cela, seuls ceux qui connaissent Budgie le savent.
1972. Black Sabbath décide de sortir
de son carcan de brute épaisse et de développer son Heavy-Metal. Il
y avait bien quelques morceaux planants ou acoustiques chez Black
Sabbath, mais ils servaient plus ou moins d'interlude entre deux
pièces d'artillerie lourde. « Vol.4 » va aller chercher
sur les terres de Led Zeppelin en développant des morceaux plus
complexes. Un évident complexe se fait jour au sein du quatuor,
constamment éreinté par la presse musicale qui les traite de
bourrins.
Budgie, encouragé par les bonnes
ventes de son premier disque, retourne en studio avec Roger Bain et
avec le soutien de MCA. « Squawk », avec sa superbe
pochette à l'avion-oiseau crée par Roger Dean, l'homme des
pochettes de Yes notamment, va faire date. Le son cradingue du
premier album va être mis de côté pour davantage de subtilité. Ce
qui va se mettre en place est véritablement la personnalité du trio
gallois. Une alternance de morceaux lourds à tiroirs avec des
changements d'atmosphère brusques, et des morceaux délicats, aux
mélodies émouvantes. Et parfois les deux à la fois.
Enfin quand je dis que Budgie a laissé
tomber le son crade.... disons que l'on y trouve davantage de
nuances. Car les morceaux les plus violents sont réellement brutaux.
Mais là ou le premier album, comme les albums de Black Sabbath
fixent la violence musicale dans des riffs lourds et monolithiques,
« Squawk » va développer une atmosphère plus sournoise,
presque Punk avant l'heure.
« Whiskey River » voit la
basse jouée au médiator râcler le plancher, et Philips matraquer
le rythme de sa double grosse-caisse, annonçant des mètres-cube de
Thrash-Metal en vinyl. Il fut encouragé dans cette démarche par
Bain, qui poussa Budgie à être le nouveau groupe de méchants de la
scène Rock alors que Black Sabbath l'avait abandonné pour le soleil
de Los Angeles et d'autres horizons. La voix de Shelley est
menaçante, vicieuse, comme un gamin en colère, psychopathe. Bourge
délivre des riffs sales, mais les notes vont davantage chercher du
côté du Blues-Rock anglais et de Blue Cheer. Il est un digne
héritier du jeu à la fois léger et furieux de Leigh Stephens.
Bourge se cale derrière la basse, et appuie encore et encore le
riff, comme des claques dans la gueule. Cette même méthode
qu'utilisera 90 % du Punk anglais de la fin des années 70. Le chant
de Shelley volant au-dessus du tapis de bombes n'est pas sans
annoncer ce que fera Cronos au sein de Venom dix ans plus tard, y
compris le « Oooh Waoooh » introductif.
« Rocking Man » retrouve
le ton sale et cradingue du premier album, mais la mélodie se veut
plus boogie. Comme « Whiskey River », on sent pointer en
filigrane l'influence de la musique américaine, celle du Allman
Brothers Band et de Neil Young en particulier.
L'autre vraie force de Budgie, et qui
éclate particulièrement sur « Squawk », c'est la beauté
de ses morceaux doux et acoustiques. Ils sont tellement superbes
qu'ils égalent ceux du « III » de Led Zeppelin. « Make
Me Happy » est d'une mélancolie profonde, entre lumière et
tristesse. Là où Black Sabbath aura l'air con en laissant Ozzy
Osbourne chanté sur un morceau au piano avec « Changes »,
Budgie transcende par une instrumentation montant en crescendo avec
de petits chorus de guitare jazz, et piano. La voix de Shelley sait
réellement se faire délicate.
Ce joli morceau aboutit sur « Hot
As A Docker's Armpit », et son riff de guitare épais. Ce genre
de titre de chanson sera une autre des caractéristiques de Budgie :
longs et à tiroirs, certes, frisant le plus souvent l'absurde le
plus total. On peut citer « Nude Desintegrating Parachtist
Woman » sur le premier album, ou encore le mythique « Crash
Course In Brain Surgery » repris par Metallica. « Hot As
A Docker's Armpit » était au départ une phrase de Steve
Marriott lue dans un journal par Shelley. Marriott était connu pour
ses expressions imagées dans ses interviews. En l'occurrence,
celle-ci explicitait l'ambiance des concerts de Humble Pie de
l'époque. Shelley trouva ça tellement drôle qu'il en fit.... une
chanson d'amour. On ose imaginer Steve Marriott dans Budgie. Les
titres de chansons auraient valu le détour. « Hot As A
Docker's Armpit » est un boogie nerveux et subtil, s'envolant
brusquement dans un solo de Bourge poussé par un mellotron tournant
en vrille comme un avion en perdition.
C'est au tour de Bourge de décocher
un riff noir râclant le sapin avec « Drugstore Woman ».
Shelley hurle comme un damné qu'il ne veut pas d'une nana
porte-manteau. Il semble qu'il ait été exaucé. Il est temps de
s'arrêter un peu sur le jeu de Tony Bourge. Si il fut souvent
comparer à un Tony Iommi du pauvre, ce n'est qu'injustice. Il y a
quelques similitudes, outre la moustache. D'abord les gros riffs
distordus accordés bas. Et Puis les soli en descente de manche, aux
influences jazz à la Django Rheinhardt. Budgie ne s'est jamais caché
de l'influence que le groupe a reçu de la musique de l'époque, et
en particulier le Heavy-Metal naissant. C'est ce qui va faire muter
Budgie d'un groupe de Blues-Rock mal dégrossi à un bombardier
heavy. Mais là ou Iommi installe des climats lourds et angoissants
sur des tempos massifs, définissant le Doom, Bourge et Budgie joue
sur un rythme plus rapide, rarement en-dessous du mid-tempo. Ils sont
par contre plus heurtés, et guitare et basse font mur là où Geezer
Butler brode derrière les riffs de Iommi. Bourge est un guitariste
inventif faisant corps avec son groupe, à son service, brodant des
enluminures de chorus blues et jazz sur les rythmiques de plomb,
oscillant entre poésie et malaise.
Le soleil se lève au-dessus de la
Vallée du Mekong, éblouissant le pilote de bombardier revenant de
mission après le pilonnage en règle des lignes vietcongs. C'est
« Young Is The World », tout en douceur acoustique doublé
de mellotron. Puis Bourge déclenche la foudre de sa guitare
électrique pour se lancer dans un solo épique à la mélancolie
adolescente qui annonce un autre grand morceau de Budgie,
« Parents ». Il joue avec ce gimmick hendrixien avant de
revenir sur la fraîcheur d'un arpège sur le mellotron et la voix
délicate de Shelley.
« Stranded » qui clôt ce
disque est la pièce maîtresse de « Squawk ». Un riff
brutal, un chorus s'envolant dans l'air pendant que la basse double
la rythmique, et Philips qui percute sa double grosse-caisse de plus
en plus fort. Et puis le morceau démarre, avec Shelley et Bourge qui
chante en choeur sur chaque couplet « Stranded ! »
comme un manifeste Punk.
La guitare et la basse décochent un
son baveux, malsain. Philips tape comme un sourd. Ce garçon avait de
la fougue. Sorte de double radical de Bill Ward de Black Sabbath, il
ne se laissa jamais dicter sa conduite, et resta maître de son
instrument. Ward suivit son groupe, Philips apporta de la création
au trio. IL rompit notamment avec la batterie classique, inspirée de
Buddy Rich. Il créa un jeu massif, méchant, puissant. Il contribua
à ce son dégueulasse, thrash avant l'heure, qui fut l'une des
références du futur Metal.
Budgie fut soutenu par le DJ John Peel
de la BBC, qui leur fit enregistrer des sessions pour Radio One. Mais
cela ne suffit pas à faire du trio de Cardiff l'un des nouveaux
princes du Heavy-Metal. Leur touche de loser ne fut pas pour rien
dans cette désillusion. Surtout, on s'arrêta sur le son, en les
classant comme de vulgaires suiveurs de Black Sabbath. Personne ne
comprit combien ces trois-là avaient de l'humour, et une
personnalité propre. On ne distingua guère les magnifiques
pochettes de leurs albums, pas plus que l'humour de leurs titres de
morceaux. Et on ne vit encore moins le talent intrinsèque de leurs
mélodies. On retint les photos de promotion, assis devant un
bulldozer. Exactement comme le fit Metallica en 1983. Ou Spooky Tooth
en 1969.
Ce superbe album assied Budgie dans le
paysage musical, mais on les cala rapidement dans le créneau
d'Humble Pie et de Grand Funk Railroad, sans trop chercher ailleurs
si le groupe avait davantage à proposer. « Squawk »
permit à Budgie d'avancer musicalement vers un premier pincle que
sera le troisième album, sur lequel on trouvera un classique absolu
du Heavy-Metal : « Breadfan ».
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6 commentaires:
Budgie, groupe sous-estimé ? Absolument. Si le groupe n'est guère exempt de défauts, les critiques dont il a fait souvent l'objet sont injustifiées, voire un rien exagérées.
Déjà, Tony bourge est un très bon guitariste, capable d'autant de finesse que de coup de massue ; toujours avec musicalité. C'est peut-être même le meilleur élément du trio. Et lorsqu'il partit ce fut un coup dur dont le groupe ne se relèvera jamais vraiment.
(Actuellement, c'est tout de même le Californien Graig Golby, (l'ex-Dio, Giuffria et Rough Cutt), qui le remplace.
Quant à Shelley, il n'est pas non plus manchot à la basse.
L'handicap de Budgie, outre leur physique pouvant manquer d'attraits, c'est la voix singulière de Shelley ; et plus particulièrement sur les titres Heavy. Les premières écoutes peuvent être fatales lorsque l'on ne veut pas faire l'effort d'aller plus loin.
A mon sens, Budgie libère tout son potentiel avec "Never turn your back on a friend" et "In for the Kill" (où Bourge semble aussi s'être affuté en matière de soli). La production me paraît même meilleure. C'est l'apogée avant la descente progressive.
Pour reparler de "Squawk", il me semble que l'on retrouve l'ombre des Beatles sur "Whiskey Man" et "Rolling Home Again", ainsi que du Deep Purple Mark I sur ce dernier (un clin d'œil ?).
N'oublions pas non plus l'excellent "Bandolier" de 1975, avec "Napoleon Bona Part 1 & 2", première cavalcade de guitare métallique du nom.
J'aime aussi bien la période avec John Thomas à la guitare. "Power Supply" est vraiment un disque de heavy-metal dantesque, ultra-brutal. Et "Nightflight" dispose de superbes morceaux hard et mélodique, dont le fantastique "She Used Me Up".
Oui, "Bandolier" a encore de beaux restes ; toutefois, je trouve que c'est un premier pas vers leur déclin. Ce qui ne signifie nullement qu'il faille l'ignorer.
"Napoleon Bona Part 1 & 2", effectivement (superbe intro). Mais aussi, à mon sens, "Breaking All the House Rules" qui rien d'autre que de l'excellente NWOBHM avant l'heure, et l'éthéré "Slipaway".
J'avais entendu parler de ce "Power Supply". Il me semble que c'est cet album dont on (me) parlait dans les 80's, et qui leur permit d'avoir un petit regain d'intérêt. (Ou peut-être Est-ce "Nightflight" ? C'est loin). Mais les disques étaient introuvables.
J'avais parcouru ces disques sur le net et je trouvais que, malheureusement, la production et le mixage ternissaient l'ensemble, qu'elles avaient un arrière goût de "synthétique". (Mais, bon le net est rarement le support idéal)
"Il défouraille un premier album éponyme en 1971 qui assourdit littéralement les malheureux qui l'écouteront. Produit par Roger Bain, il égale en puissance le meilleur Black Sabbath." Que je te rejoins là mon cher Budgie, la première fois que j'ai entendu le morceau Guts, j'ai pris pris une sévère mandale. Ne connaissant pas leur deuxième méfait je vais vite réparer cette lacune. Leur album Never turn your back on a friend est tous simplement magique, une pièce maitresse du hard rock des années 70. L'album Bandolier est pas mal dans le genre aussi. Encore un groupe qui n'a pas eu la reconnaissance qu'il aurait du avoir. El chuncho
Merci à toi El Chuncho. Toi qui aime ce qui tabasse, je te conseille chaleureusement "Power Supply ". Je l'ai chroniqué dans ces pages. Il est entre AC/DC et Savage.
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