"Cette précision faite, « Friends
Of Hell » est un excellent album."
WITCHFINDER GENERAL : « Friends
Of Hell » 1983
On a souvent une vision fausse de la
vie des musiciens. On connaît les anecdotes les plus drôles, les
plus pathétiques, ou les plus pornographiques de nombre de grands
groupes célèbres : les Rolling Stones, Beatles, Led Zeppelin
et autre Motley Crue. Tout cela a été raconté en long, en large et
en travers, pour le plus grand plaisir de notre côté voyeur.
Mais pour une poignée d'entre eux qui
connaîtra la grande vie délirante des stars, combien ont fini dans
l'oubli, retrouvant une vie calme et tranquille, loin de leurs années
de jeunesse, voire de leurs espérances ?
Phil Cope poussa sans doute longtemps
son caddie dans les allées du grand magasin à côté de chez lui en
compagnie de sa femme avant de découvrir par internet que lui et son
groupe sont des légendes. Sensation étrange d'ailleurs pour cet
homme, qui doit encore avoir grand peine à réaliser l'impact des
deux albums de Witchfinder General sur une majeure partie du
Heavy-Metal au sens large du terme. C'est incontestablement une
immense fierté pour lui, et je suis l'un des premiers à penser que
ce n'est que justice.
Des groupes fondateurs du genre dit
Doom Metal hérité de l'oeuvre du grand Black Sabbath, il y en a
quelques-uns, et des très bons, Pentagram et The Obsessed en premier
lieu. Mais si Black Sabbath fut une immense influence sur le
Heavy-Metal, peu de groupes revendiquèrent directement la filiation.
Lorsque la New Wave Of British Heavy-Metal débarqua vers 1979, le
son de la guitare de Tony Iommi était bien présent, mais il s'était
dilué dans les influences progressives et punk. Et on préférait
parler de Led Zeppelin, Jimi Hendrix et Deep Purple, ça faisait plus
virtuose, même si le son de la guitare, lui, était bien celui du
grand Tony.
Witchfinder General osa le pari fou de
reprendre la musique du Sabbat Noir et d'en créer une sorte de suite
logique, une forme revisitée. Du Black Sabbath, mais totalement
personnel, une influence majeure, mais jamais une copie.
Le problème c'est que le Heavy-Metal
était en quête de vitesse. Aussi la musique lourde et obsédante du
quartet de Birmingham n'était plus trop dans l'air du temps en 1979.
D'ailleurs, Ozzy se fit virer après deux albums progressifs qui se
vendirent plutôt mal. Le Madman forma de son côté un quatuor au
son ultra moderne avec Rhandy Rhoads à la guitare, et Iommi
poursuivit Black Sabbath en incorporant Ronnie James Dio au chant
pour deux albums aux morceaux souvent bien plus dynamiques qu'au
début des années 70.
Witchfinder General, en jeune groupe
plein d'énergie, décida d'en donner sa vision. Il en conserva le
côté sombre et morbide, les ambiances hantées, et les murs de
riffs de Gibson SG accordée très bas, la voix proche de celle
d'Ozzy Osbourne. Et les rythmiques ultra-plombées. Ce qui n'était
donc et d'entrée de jeu pas vraiment dans le ton de l'époque. Le
quatuor attaque son histoire sur des bases particulièrement
difficiles.
Après un premier simple du nom de
« Burning A Sinner » en 1981 et le fantastique album
« Death Penalty » de 1982 avec sa superbe pochette gore
starring Joanne Latham, playmate du Sun, il est temps pour
Witchfinder General de s'imposer.
La formation rame copieusement, jouant
de petits concerts dans des clubs partout en Grande-Bretagne, des
rades de motards, des pubs, devant des audiences souvent clairsemées.
La pochette dénudée du premier album est une idée de Paul Birch,
patron du label du groupe Heavy-Metal Records, qui signa le quatuor.
Elle fera son petit effet dans les journaux de l'époque, symbole
d'un Metal glauque, sataniste et sexiste, prompt à corrompre la
jeunesse britannique qui par ailleurs se paluchait déjà sûrement
sur les playmates du Sun.
Mais les ventes du disque restent
confidentielles. Niveau visuel, aucun beau gosse à l'horizon qui
pourrait rendre le groupe un brin sexy auprès du grand public.
Tygers Of Pan-Tang a recruté Jon Deverill au chant et John Sykes à
la guitare, Diamond Head a Sean Harris et Brian Tatler. L'image de
Witchfinder General n'est pas particulièrement vendeuse :
quatre gamins de la banlieue de Londres, en jeans et tee-shirts,
dont un chanteur un peu épais, qui posent dans des cimetières. Mais
la formation bénéficie néanmoins de quelques bonnes critiques, et
d'un public fidèle. Pourtant, le groupe loupe la première partie de
la tournée britannique de Saxon lors d'une audition à cet effet.
Suite aux départs successifs du batteur Steve Kinsell et du bassiste
Toss MacReady, le duo Phil Cope à la guitare et Zeeb Parkes au chant
recrute rapidement Graham Ditchfield à la batterie et Rod Hawkes à
la basse. Mais ce dernier n'a pas suffisamment de temps pour répéter,
et Witchfinder General rate une opportunité importante de se faire
connaître. Il n'y aura donc aucun concert pour promouvoir « Death
Penalty ».
Le temps disponible leur permet
d'enregistrer un second album, mis en boîte en mars 1983. L’ambiance
des sessions se tend rapidement, le batteur se montrant de moins
en moins assidu aux répétitions et aux séances d'enregistrement.
Cope, très impliqué dans son groupe, ne peut tolérer ce
comportement, et le climat en studio finira par en souffrir au point
que le batteur sera viré à la fin des sessions et remplacé par
Dermot Redmonds pour les concerts. Paul Birch invite à nouveau
quelques copines du Sun pour une pochette de disque comico-sexy
sponsorisé au verso par le garage Renault local, et voilà l'album
paru juste avant les premières dates de la tournée.
Sauf que le groupe rame à nouveau.
Cope, toujours aussi motivé, travaillera sur de nouvelles
composition en vue d’un troisième disque, avec des ébauches de
morceaux qu'il sait de très bonne facture. Mais les difficultés
commencent à s'accumuler en cette fin 1983. Le groupe tente de
quitter Heavy-Metal Records qui n'investit plus un rond pour
Witchfinder General. A l'été 1984, Parkes vient annoncer à Cope
qu'il quitte le groupe afin de se trouver un vrai boulot. Le blond
guitariste tente quelques répétitions avec un autre chanteur, mais
Witchfinder General se disloque après avoir cherché en vain une
maison de disques. Il pensera un temps rejoindre une autre formation,
mais dégoûté, il se retire de la musique et ne touchera plus une
guitare pendant vingt-deux ans.
A l'écoute de ce second album, on est
en droit de se demander si il ne s'agit pas d'un immense gâchis,
tant Witchfinder General était un très bon groupe. Réellement.
Leur musique était inspirée, bien écrite, bien jouée, pleine de
passion et de feeling. On ressent toute la ferveur que porte ces
quatre garçons pour le Heavy-Metal, qu'il ne s'agit pas d'un simple
passe-temps, mais bien d'une envie profonde de créer de la musique.
Sans doute le fait qu'ils se soient disloqués si prématurément
après deux albums et une poignées de simples parfaits a ajouté au
mythe. D'ailleurs Cope eut le malheur de reformer Witchfinder General
en 2008 pour un album, « Resurrected », très moyen. On
ne retrouve pas sa jeunesse.
Le seul petit bémol par rapport à
« Death Penalty » est qu'ils n'aient pas retrouvé ce son
profond de batterie et de basse qui donnait une impression de
puissance et de malfaisance à toutes les compositions de ce premier
disque au combien parfait. Cette précision faite, « Friends Of
Hell » est un excellent album.
Les compositions se révèlent plus
dynamiques que sur le premier opus : les tempos sont pour la
plupart plus rapides, moins massifs, à l'exception de « Shadowed
Image » et « Quietus Reprise ». On se rapproche
davantage du Heavy-Metal dans la structure que du Doom. Les
structures sont plus variées, moins pesantes. C'est ce qui fait que
sans doute ce second album est un peu moins apprécié des amateurs.
Cependant, les différences ne sont pas majeures non plus : la
voix particulière de Zeeb Parkes est bien là, la guitare rugissante
de Phil Cope aussi. Le chant se montre même plus maîtrisé, les
tonalités vocales sont plus variées, et permettent de découvrir
que Parkes était bien plus qu'un simple clone d'Osbourne. Il est en
tout cas évident que Witchfinder General s'affirme davantage sur ce
disque.
«Love On Smack » qui ouvre
l'album louche par moments vers le Judas Priest de « Killing
Machine ». C'est en tout cas une entrée en matière
impressionnante, mordante. Le pont central et le solo ramènent
néanmoins rapidement Witchfinder General sur ses terres
Sabbathiennes. Il est suivi de la cavalcade métallique nommée
« Last Chance ». Ce puissant brûlot est l'enchaînement
parfait, et devait donner tout son potentiel sur scène. J'ai
toujours adoré ce morceau. Il y a un côté désespéré et épique
particulièrement prenant qui définira une autre facette du Doom
Metal, qui ne rimera donc plus exclusivement avec lenteur mortifère.
Et puis survient la première
curiosité du disque : « Music ». Ou quand
Witchfinder General décide d'écrire un tube. Du moins, sans doute
dans leur esprit : des paroles simples, un refrain que l'on
qualifiera d'entraînant avec même quelques notes de piano en fond
(si si!) derrière un épais tapis de Gibson SG (quand même), un
pont à la « We Will Rock You » de Queen, un tempo que
l'on qualifiera de dansant. Mais le groupe reste fidèle à lui-même,
et ce morceau irrésistible est en fait une excellente chanson Rock à
l'ambiance moins sombre qu'à l'accoutumée. « Friends Of
Hell » ramène rapidement l'auditeur en territoire connu, avec
un riff puissant. Mais la structure se veut plus aventureuse :
les arpèges électriques introductifs, la montée en puissance du
riff, puis la coda finale où Cope expose tout son talent de
guitariste soliste dans une ambiance angoissante. On y distingue des
réminiscences de « Am I Evil » de Diamond Head dans
cette seconde partie, que ce soit dans les riffs, les chorus et même
la voix de Parkes.
« Requiem For Youth »
ramène Witchfinder General sur les terres Priestiennes du début de
l'album, mais avec un riff lourd et un trémolo tout à fait digne de
Tony Iommi. « Shadowed Image » revient aux ambiances
possédés du premier album, premier tempo ralenti du disque. « I
Lost You » est un bref morceau acoustique où Parkes tente de
se montrer romantique, et avouons-le tout net, c'est un échec
complet. Un peu comme quand Black Sabbath se lançait dans les
morceaux acoustiques et délicats, genre « Changes ». On
sent que ces garçons ont du talent et de la sensibilité, mais elle
ne s'exprime pas de cette façon.
« Quietus Reprise » clôt
l'album de bien belle façon, c'est-à-dire sur un tempo ultra-lourd,
lente procession désespérée, du moins en introduction. Witchfinder
General alterne tempo lent et riff granitique et accélération aux
frontières du Thrash. Cope varie les atmosphères, explore les
riffs, révélant combien son écriture s'est affinée, et que son
groupe n'est semble-t-il qu'au début d'un processus musical que l'on
souhaite long et fructif.
Ce ne sera malheureusement pas le cas,
et cet album sera le testament précoce d'un très grand groupe,
contribuant à définir le Doom Metal, et dont la destinée semble
maudite, comme tous les maîtres pionniers du genre.
Tous retrouveront une vie normale dans
la grise Angleterre, replongeant dans l'anonymat dont ils ne
ressortiront que grâce à l’héritage d’une poignée de disques
géniaux et à la foi de quelques amateurs acharnés.
tous droits réservés
4 commentaires:
Toujours excellentes et inspirées tes chroniques.
"Witchfinder General", groupe aux compositions carrées mais efficaces n'a jamais connu la notoriété de son vivant mais cela change quelque peu aujourd'hui. Bon nombre de musicos de groupes Doom ou Heavy arborent des T-shirts "Witchfinder General" et leur musique est enfin reconnue comme un opus majeur du Doom.
Dans la même veine, on peut citer les excellents "Pagan Altar" qui eux, vieillissent mieux. Leurs derniers albums en date supplantent même en qualité ceux des années 80.
Merci d'apprécier mes écrits. Je n'ai pas encore bien exploré Pagan Altar. Leurs enregistrements vintage ne m'avaient pas trop convaincu, mais le dernier en date m'avait plutôt bien plu.
Encore bravo pour l'article, ça change de pas mal de chroniqueurs avec 2 ou 3 références. On sent vraiment le passionné. Je vais vite fait me réécouter Friends of hell qui contrairement au très bon premier album ne m'a pas laissé un grand souvenir (le refrain de la chanson Music m'avait bien fait rire).
El Chuncho
Merci à toi. Tu sais, il ne faut pas s'attendre à une grande finesse de la part de Witchfinder General, mais leur doom-metal, ils le font bien et honnêtement, et c'est cela l'essentiel. Il faut se laisser happer par le côté implacable de leurs morceaux, un peu comme sur les premiers albums de Budgie.
Enregistrer un commentaire