mercredi 4 mars 2015

UFO 1982

"Comme si les musiciens sentaient arriver la fin d'une époque, et qu'ils avaient franchi un cap, cette trentaine qui sonne le glas de l'insouciance des jeunes années."

UFO : « Mechanix » 1982

En 1979, Phil Mogg, le chanteur de UFO, voit les huissiers lui saisir tout ce qu'il croit posséder au retour d'une tournée américaine pourtant triomphale : sa maison, sa bagnole, ses instruments de musique. Et lorsqu'il se précipite à la banque pour voir l'état de son compte, il découvre avec stupeur qu'il est vide. Et la situation est la même pour tous au sein du groupe. Et il n'est même pas question de leurs consommations galopantes d'alcool et de drogues qui les font tenir depuis dix ans entre disques et tournées mondiales. Un contrat et des managers foireux, tout cela aura eu raison du petit génie de la guitare qui les emmena pourtant au firmament : Michael Schenker. Le jeune prodige allemand aura perdu la boule dans ce maelström de hard-rock chromé, d'alcool, de drogues, de filles et de décalages horaires. UFO a aligné entre 1971 et 1979 sept albums quasi-parfaits. Tous trouvèrent les charts, du Japon et l'Allemagne pour les premiers, à la Grande-Bretagne et aux USA pour les derniers. Les plus grandes salles sont pleines, UFO jouent en tête d'affiche. Mais les musiciens n'ont pas un rond. Baisés comme des cons, les gaillards, alors embrumés dans des vapeurs de dope et de gnôle.
Le guitariste prodige est vite remplacé par un solide garçon du nom de Paul Chapman, surnommé Tonka comme les jouets incassables. Puis en août 1980, c'est l'homme à tout faire, claviers et guitare rythmique, Paul Raymond, qui se fait la malle. Il est remplacé par Neil Carter, qui apportera un peu de sang neuf niveau compositions. Le quintet régénéré sort l'excellent « The Wild, The Willing And The Innocent » en 1981, puis en février 1982, celui-ci. « Mechanix » est un excellent album, celui d'un groupe qui ne veut pas mourir.

UFO tourne encore et toujours à travers l'Europe et les Etats-Unis, l'Hammersmith Odeon de Londres est toujours plein à leur venue, mais le monde a changé. Les corps des plus anciens sont usés : Pete Way le bassiste est ravagé par sa dépendance à l'héroïne, Andy Parker est alcoolique au dernier degré, et Phil Mogg un peu tout ça. Paul Chapman picole avec tout le monde, et Neil Carter tente de tirer son épingle du jeu de cette institution du hard-rock anglais dont les albums et les prestations scéniques restent de très haut niveau. « The Wild, The Willing And The Innocent » avait enfin permis à UFO de démontrer que sans Schenker, il était capable de produire une musique efficace.
Ce qui différencie l'ère Schenker de l'ère de celle avec Chapman, c'est que ce dernier n'est pas un virtuose, mais un musicien intégré dans un groupe. On sent une vraie cohésion, pas de guerre d'égos, ce qui était le cas avec l'ange blond. Et ce d'autant plus que outre son jeune âge, l'homme ne parlait pas un traître mot d'anglais, ce qui rendait toute communication avec les autres difficiles, la traduction étant uniquement faite par la compagne de Schenker. Et ce dernier, sous l'emprise de la dope et de l'alcool, de se demander ce que pouvait bien se dire ses compagnons de route dans son dos. Une situation qui le rendit paranoïaque au point d'envenimer une situation déjà difficile.

Chapman, qui avait déjà pallié en 1977 sur la tournée américaine à l'absence du guitariste, est donc un brave garçon besogneux et pas prétentieux pour un sou. Cela permet donc à UFO de décoller de nouveau.
Mais l'univers musical a bien changé. Le Punk et la New Wave sont passés par là. La NWOBHM aussi, avec Iron Maiden, Saxon, et les groupes les plus acérés en embuscade comme Judas Priest et Motorhead. UFO n'appartient ni à cette nouvelle vague métallique plus agressive, ni à celle plus mièvre du Hard-FM, car sa musique est bien trop hard. Mogg et Way traînent bien avec quelques Punk au Speakeasy de Londres, mais musicalement, l'impact est nul. Les deux vieux renards du hard-rock anglais ont leur idée de la musique, et ils n'ont pas envie d'en changer. Du moins pour le moment. Car des tensions naissent.

Carter veut injecter plus de claviers et de synthétiseurs, et Mogg voit cela d'un bon œil pour loucher vers Foreigner. Et ce n'est pas du goût de Way, qui lui veut rester dans le hard-rock pur, plutôt soutenu par Chapman. C'est donc un album encore tenu par la ferme volonté Rock de Pete Way que « Mechanix » est aussi bon. Il y a bien quelques concessions à son vieux pote Mogg, comme cette reprise de « Somethin' Else » d'Eddie Cochran pour faire plaisir à la copine du chanteur, et qui sera un petit tube en Grande-Bretagne, mais le reste est de tout premier ordre. Ce qui fait la particularité de ce disque, c'est la mélancolie sous-jacente qui y vit. Comme si les musiciens sentaient arriver la fin d'une époque, et qu'ils avaient franchi un cap, cette trentaine qui sonne le glas de l'insouciance des jeunes années. Et puis il y a les désillusions, les sales coups, ces années de route, toute cette musique laissée derrière eux sans avoir réussi à briller de manière définitive. Leur succès est fragile, et sans une présence permanente sur vinyl ou sur scène, le groupe est mort. Et tous le savent. Et que faire à plus de trente ans ? Recommencer à zéro avec un nouveau groupe ou poursuivre sous le nom de UFO jusqu'à la fin, au risque de se retrouver enfermé dans un nom et un cadre musical trop restrictif ?
C'est sans doute cela que traduit le morceau introductif « The Writer ». Un riff en demi-teinte, un peu âpre, rèche, et cette histoire d'écrivain dans la loose, qui cherche un scoop, un truc qui le sortira de l'anonymat. On y distingue aussi l'empreinte plus marquée de Carter sur l'écriture, avec un solo de synthétiseur et de saxophone, entre lesquels s'interpose la guitare de Chapman en des soli bluesy. C'est le morceau de hard-rock désenchanté parfait pour une virée dans la Chevrolet Camaro 1975, la nuit sur les grands boulevards de Los Angeles, une cigarette à la bouche, les yeux fixés sur le bitume. Hard to handle baby.

Après la version sympathique de « Somethin' Else » s'en suit une belle chanson Rock lumineuse, empruntant au Blues et et à ce country-folk américain typique de Bob Seger et Bruce Springsteen : « Back Into My Life ». C'est une ballade d'homme mature, qui en a déjà vu pas mal, et qui demande juste un peu d'amour et de douceur dans sa rude existence. Curieusement, on peut soupçonner une association d'idée entre cette chanson et la suivante : « You'll Get Love », qui parle d'amour, mais avec un ton désenchanté et sombre. Gorgé de Blues, le riff très boogie, soutenu de piano, voit Chapman faire des merveilles sur son solo, entre slide et chorus épique. La recherche du bonheur, trouvé un soir auprès d'une fille croisée dans un bar, et aussi furtif qu'illusoire. On sent le vécu des musiciens de UFO, la route, l'absence d'attaches, et ce manque après toutes ces années d'un peu de stabilité, d'une personne sur qui compter lorsque la vie de rockstar s'arrête. D'ailleurs Mogg est plein de bonnes intentions, avec « Doing It All For You ». On y trouve l'envie de s'engager, d'être présent, d'enfin distinguer l'amour et cette existence dissolue de routard de la musique. De ne plus simplement vivre la fête permanente des tournées, l'insouciance des excès de jeunesse, mais de mettre de la profondeur dans son existence, la maturité en somme.

La maturité, on la trouve aussi dans les morceaux les plus puissants. L'enchaînement « We Belong To the Night » et « Let It Rain » est un exemple parfait de ce hard-rock chromé dont UFO a seul le secret. Le quintet y est à la fois mélodique et redoutable d'efficacité, sans jamais tomber dans le mièvre. Le premier des deux est particulièrement rentre-dedans, hymne aux guerriers de la nuit, qui vivent dans l'ombre. Il n'y a pas uniquement de référence aux fêtards du samedi soir, comme on serait tenté de le penser avec les soiffards de UFO.
C'est une description plus sordide de la nuit, la prostitution, la violence, un regard plus noir sur ce monde nocturne, et sur les travers des musiciens qui ont trop souvent traîné dans cet univers. « Let It Rain » demande alors Mogg. Laisses tomber, ce sont des conneries. Il est passé à autre chose, Il sait qu'il y a bien plus important que toute cette merde. On sent toujours la dualité entre la cavalcade de guitare du couplet et la lumière du refrain, que les hommes de UFO sont à un tournant, que le Rock leur a tout apporté, tout repris, et que l'important est sans doute ailleurs. Mais ils ont cela dans les veines, alors la musique évolue avec eux. De l'Adult Oriented Rock, mais pas au sens du hard-FM américain, quelque chose de plus profond, de plus sombre aussi.
Puisque l'on parle de rock mélodique commercial, « Terri » est une ballade romantique portée par des violons et un guitare en arpège, dont certains accents rappellent ce que fera Scorpions deux ans plus tard avec « Still Loving You ». Mais UFO injecte toujours l'énergie Rock nécessaire pour ne pas tomber dans la ballade fade., même si ce morceau est un peu le point faible du disque. Le niveau remonte aussitôt d'un cran grâce au puissant et hard « Feel It », classique good-time song efficace. Le refrain un peu facile ne fera pas de ce pourtant bon morceau un classique indémodable de UFO, mais j'en connais quelques uns qui aimeraient bien avoir quelques chansons de ce type à leur répertoire.
L'album se clôt sur le brillant « Dreaming ».
Cette hard-song est un obus musical redoutable. Riff puissant, batterie implacable rebondissant en roulements, basse épaisse, et mélodie épique. Rythmique rapide, course effrénée contre le temps, à la recherche des rêves qui nous traversent tous l'esprit. Ce besoin d'évasion, d'amour, de vivre vite et de profiter enfin de chaque respiration, cet oxygène que l'on nous bouffe par mètre cube entier pour nous faire rentrer dans le rang. L'envie de vivre, comme une promesse. Jamais le hard-rock mélodique n'aura aussi bien porté son nom, archétype total de ce que cette musique doit toujours être.

Sur cette fureur de vivre, l'album se clôt. Après la tournée mondiale de rigueur, Pete Way partira. Dans un premier temps, il rejoindra Fast Eddie Clarke en rupture de Motorhead pour fonder Fastway, puis il partira sur la route avec Ozzy Osbourne, avant de fonder Waysted. UFO continuera encore un album davantage imprégné de synthétiseurs, et aux couleurs commerciales : « Making Contact », en 1983. Un dernier grand morceau en sortira, « Blinded By A Lie » : aveuglé par un mensonge.... Puis le groupe se dissolvera..... avant de se reformer en 1985 sous l'impulsion du seul Phil Mogg pour deux albums ultra-FM de très mauvaise facture. Continuer sous un nom connu, ou tout recommencer.... toujours ce vieux dilemme.
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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Et bien voilà, j'apprend encore des trucs.

Je m'étais arrêté à "No Place to Run" (sympathique mais bien moyen en comparaison du rutilant "Obsession"), avant de remettre le couvert à partir de "You are here", suivit de "The Monkey Puzzle". Deux excellents opus qui m'ont incité à revoir mon jugement et d'acquérir en conséquence "The Wild, the willing..." et les deux de la reformation d'avec Schenker (intéressants, même si la version Vinnie Moore joue dans al catégorie supérieure - enfin, jusqu'en 2007-).
Mais avec la déception engendrée par l'ennuyeux "The Visitor", j'ai préféré en rester là.

On va faire une exception avec ce "Mechanix".

Julien Deléglise a dit…

UFO sans un guitariste vraiment brillant et inspiré comme Schenker, c'est toujours moins bien. D'ailleurs, le groupe avant son arrivée n'avait rien d'exceptionnel. Schenker a permis à Mogg et Way d'affiner leur style et leur écriture et il y a donc eu quelques beaux sursauts, comme ce disque. Mais ils seront certainement moins rutilants malgré tout. On ne remplace pas un prodige facilement.

Anonyme a dit…

Essayes "The Monkey Puzzle". Vinnie Moore, qui a l'origine était pourtant un shredder, semble avoir tout compris de l'essence du groupe et lui redonne alors tous ses galons.
il parvient même à lui insuffler des parfums bluesy.
Mogg paraît retrouver une seconde, et dernière, jeunesse.