"Glenn Hughes est à Los Angeles pour se
refaire une santé après des années difficiles."
HUGHES/THRALL : « Hughes -
Thrall » 1982
Lorsque Deep Purple s'éteint en 1976,
Glenn Hughes, bassiste-chanteur est une épave. Embauché fin 1973
aux côtés de David Coverdale pour remplacer Ian Gillan et Roger
Glover, ils vont directement créer le Mark III, incarnation de Deep
Purple dont le succès commercial aux USA sera le plus conséquent.
Et ce dés le premier album, le fantastique « Burn ».
Ses
huit millions d'exemplaires vendus rien qu'en terre américaine va
les emmener dans des tournées mondiales à la hauteur du grand
cirque Rock'N'Roll de l'époque : Boeing 747 privé au nom du
groupe, groupies à gogo, stades en tête d’affiche complets alcool
et beaucoup de cocaïne. Fort de ce succès phénoménal, Deep Purple
va enchaîner avec un second album en 1974, « Stormbringer ».
Ses ventes seront moindres, mais conséquentes.Il est bien copain avec Hughes. Et pour cause, il s'agit d'une recrue toxique. En effet si tout le monde touche à la cocaïne, Hughes plonge littéralement dedans, et Bolin tâte de l'héroïne. Ce sera la spirale infernale : le nouvel album, « Come Taste The Band », est très bon, mais le guitariste a du mal à faire oublier le grandiloquent prodige qu'est Blackmore. De plus, empoisonné par la dope, il se met à rejouer à sa sauce les soli de son prédécesseur sur des morceaux que les fans considèrent comme intouchables : « Smoke On The Water », « Highway Star », « Burn ».... Et sa santé décline rapidement, au point que plus en plus fréquemment, la qualité des concerts en pâtit sérieusement. Pas moins d'un gig sur deux est foiré, Bolin étant incapable d'aligner deux notes.
Excédé, Coverdale quitte Deep Purple à la fin du dernier morceau à Liverpool en mars 1976. Lord et Paice décident officiellement d'arrêter les frais en juillet 1976, et Deep Purple s'éteint alors que le Rainbow de Blackmore prend son envol avec sa formation mythique réunissant notamment Ronnie James Dio au chant et Cozy Powell à la batterie. Bolin meurt d'une overdose en décembre de la même année. Il ne rentrera même pas dans le cercle des génies du Rock morts à 27 ans, il en avait à peine 26....
Glenn Hughes reformera brièvement son
trio d'origine, Trapeze, avec Mel Galley et Dave Holland. Une tournée
US est montée, et un album sur le point d'être enregistré, fin
1976. La mort de Bolin change les plans, et Hughes perd totalement
pied, ravagé par la mort de son ami. Il enregistre un mésestimé
disque de Funk, « Play Me Out » avec néanmoins la
participation de Galley et Holland, pas rancuniers.
L’album est un
énorme succès commercial au Japon,en Grande-Bretagne et en
Allemagne, mais il a le malheur d'avoir un défaut : être aussi
désincarné que son auteur. Hughes devient un fantôme, et plonge
irrémédiablement dans une existence de junkie accro à la cocaïne
comme le sera Miles Davis entre 1975 et 1980. Il vivote alors en
réalisant quelques éparses sessions. On le retrouve ainsi sur le
projet disco « Four On The Floor » de Al Kooper, et sur
l’album du G-Force de Gary Moore.
Pat Thrall est un jeune guitariste
ayant rejoint le Band du canadien Pat Travers aux côtés de Tommy
Aldridge à la batterie et Mars Cowling à la basse. Le quartet va se
faire un nom en Amérique du Nord. Le garçon avait auparavant fait
parler de lui dans des formations plus pointues, comme le Stomu
Yamashta’s Go et Automatic Man, aux côtés de l’ancien batteur
de Santana Michael Schrieve, ou Steve Winwood. Sa réputation est
donc bien établie dans le circuit musical américain. Travers
dissous son band en 1980, et Thrall se retrouve seul.
Glenn Hughes est à Los Angeles pour
se refaire une santé après des années difficiles. Le garçon n'a
rien perdu de son coffre et veut enregistrer de nouveau. En 1980, il
doit monter un projet pour Atlantic avec le guitariste Ray Gomez et
le batteur Narada Michael Walden, tous deux dans la sphère
jazz-rock. A New York, Gomez double tout le monde et signe pour
Columbia. Une année plus tard, Gomez rappelle Hughes pour
enregistrer ensemble, mais l’histoire tombe encore à l’eau. La
maison de disques Epic demande si Hughes n’aurait pas un guitariste
en tête avec qui remonter le projet. La réponse est Pat Thrall. Le
courant passe immédiatement entre les deux musiciens et ils écrivent
rapidement des morceaux originaux. Ils enregistrent ce premier album
co-produit par Andy Jones avec l'aide de trois batteurs : Gary
Ferguson, Gary Mallaber du Steve Miller Band et Frankie Banali, futur
Quiet Riot et WASP. Peter Schless tient les claviers. Le disque
éponyme paraît en août 1982.Contrairement à tous les anciens membres de Deep Purple ayant repris une carrière postérieure dans le monde du Hard-Rock, Glenn Hughes a opté pour une musique plus ouverte, moins directement liée à ce genre. La principale caractéristique est l'utilisation majeure de synthétiseurs, instrument nouveau, et de lignes mélodiques plus accessibles à l'oreille du grand public. « Hughes-Thrall » reste néanmoins un disque énergique, principalement occupé par la guitare, des riffs énergiques, et la voix puissante de Hughes. On peut parler de Hard-Rock grand public, voir de Hard-FM, mais curieusement, je n'arrive pas à mettre ce disque dans le même case que Foreigner et Journey. Sans doute parce que Hughes et Thrall ne sont pas tombés dans la ballade sirupeuse et tous les clichés commerciaux de ces formations, mais ont gardé un fond solide de Rock anglais.
C'est d'ailleurs ce pendant qui ouvre
le disque, avec l'énergique « I Got Your Number ».
Finement, Thrall tresse des arpèges mélodiques autour des accords
de synthétiseur, mais c'est la guitare qui domine. Puis au premier
couplet, notre homme écrase la distorsion. On retrouve un riff
overboosté et serré, qui permet à Glenn Hughes de faire la
démonstration de toute sa puissance vocale. Le refrain retrouve les
arpèges mélodiques de départ et des choeurs très californiens,
avant que Pat Thrall sorte de sa six-corde un subtil et concis solo.
« I Got Your Number » est une vraie démonstration de
force, et révèle que Hughes et Thrall ne se refuseront rien en
terme de mélange des genres, entre électricité rageuse et
prouesses mélodiques et harmoniques.
Soyons clair, on ne peut pas écouter
« Hughes-Thrall » sans sourire sur la production et le
son des claviers typique des 80's. Mais les chansons sont tellement
brillantes, et le fond Rock toujours bien présent, que l'on ne peut
résister à son efficacité. Oui, sur « Beg, Borrow And
Steal », il y a cet accord syncopé de synthé à un doigt, qui
prêtera tant à sourire lorsque toute la production musicale s'y
mettra, y compris en France avec Indochine. Mais il est contrebalancé
par un puissant riff de guitare sur le refrain, et une mélodie
agréable.
Sur « Where Did The Time Go »,
les claviers explorent des rivages asiatiques. Une idée de ligne
musicale qui sera copiée à moult reprises dans des génériques de
série TV et de musique de films quelques années plus tard. C'est un
titre mélancolique, à la mélodie superbe. Sur un tempo moyen,
Hughes chante finement sans pousser sa voix, laissant sonner son
vibrato naturel, tout en sensibilité. « Muscle And Blood »
revient de plein pied dans le Heavy-Metal. Un riff puissant,
électrique, menaçant, sur un morceau viril. On ne peut s'empêcher
d'imaginer ces clips surannés avec un type en marcel blanc et jean,
marchant dans un club de billard glauque envahi de bikers, et qui se
voit dévisager par une jolie fille assise au bar avec une mini-jupe
panthère, un brushing « doigts dans la prise » et un
maquillage outrancier de voiture volée, lui lançant un regard d'une
vulgarité rare, ne laissant pas de doute sur ses intentions.
Plaisanterie mise à part, « Muscle And Blood » est un
excellent morceau de hard-métal, sur lequel Hughes utilise sa voix
de manière très fine : il ne pousse pas systématiquement dans
les aigus, mais modulent énormément, comme un récit. La mélodie
réside en fait dans son chant, Thrall faisant résonner l'orage
derrière lui. La batterie de Frankie Banali appuie encore cette
impression de puissance, comme un marteau sur une enclume.
« Hold Out Your Life » est
un énergique funk-rock moderne. Le tempo est entraînant, rapide. Le
synthétiseur du couplet soutient un arpège de guitare gorgé
d'écho, avant d'accélérer sur le refrain avec un riff énergique.
On y distingue l'influence de Mother's Finest, ce mélange de
hard-rock et de funk, la distorsion appuyant le groove. Ce morceau
est irrésistible, et le solo de Thrall somptueux, nerveux et
expressif. « Who Will You Run To » suit le même style,
entre funk et hard-rock. Sur l'emprunt funk, on sent l'influence de
Rick James. On trouve sur ce morceau le petit riff de guitare claire
syncopé accompagnant la basse et la batterie qui fera des ravages
sur tous les morceaux rock simili-funk à venir. Mais le côté un
peu amer de la mélodie rappelle aussi le David Bowie funk du milieu
des années 70, celui de « Golden Years ».
« Coast To Coast » est un
empreint de Hughes à son premier groupe : Trapeze. La version
originale parut sur l'album « You Are The Music, We're Just The
Band » en 1972, qui ne permit malheureusement pas au trio de
percer au-delà du Texas et les états limitrophes où il était
extrêmement populaire. Glenn Hughes redonne donc une seconde chance
à ce titre, sa superbe mélodie collant à merveille au Rock
luxuriant et californien de cet album.« Hughes-Thrall » se clôt pourtant sur un crépuscule. « Fisrt Step Of Love » est un morceau à la mélodie rampante, au ton frisant la folie contenue, avant qu'elle n'explose sur le refrain, où Hughes utilise toute sa puissance vocale. On balance entre frustration, colère et désenchantement, les climats s'alternant dans cet ordre à chaque couplet. La guitare y est rageuse, le synthétiseur en nappes d'accompagnement. Le solo de Thrall a une couleur bluesy héroïque. Et c'est dans un dernier maelstrom d'électricité que se clôt ce disque.
Il ne se vendra malheureusement pas,
malgré des critiques élogieuses, n'accrochant ni le public
hard-métal, ni le grand public, qui le trouve trop rock. Hughes et
Thrall partent sur la route pour une série de concert en première
partie de Santana avec Tommy Aldridge à la batterie et Jesse Harms
aux claviers à la fin de l'année. Début 1983, le cap est fixé
avec un nouvel album, la rumeur parlant même que le premier devait
en fait être double. Une tournée semble planifiée, avec des dates
au Japon et les festival en été. Mais l'échec du disque, et la
consommation ahurissante de cocaïne de Hughes comme de Thrall
envenime les choses, et le duo se sépare. Il se retrouvera en 1985
pour composer un morceau qui devait servir de titre principal à la
bande original du film « Ghostbuster », mais il ne sera
pas retenu. Les deux musiciens tenteront de retravailler ensemble,
mais leur rythme respectif semblant fondamentalement différent, ils
n'arriveront pas à finaliser le second album, débuté en 1997, et
jamais terminé.
Hughes entamera un long purgatoire de
dix années pour se remettre de ses addictions d'alcool et de
cocaïne. Il ne publiera de nouvel album qu'en 1994. Quant à Thrall,
il retournera dans l'ombre des autres, accompagnant Asia, Elton John,
Tina Turner ou Beyoncé. Il reste ce disque novateur, flashy, dont
les idées avant-gardistes seront allégrement pompés par de très
nombreux groupes. Mais jamais personne ne retrouvera ce subtil
équilibre entre hard-rock, mélodie accrocheuse, new-wave et
post-punk. Hughes et Thrall avaient fait sauter des verrous, mais
beaucoup ne comprirent jamais la subtilité de cet album. A commencer
par le public.
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2 commentaires:
En voilà encore un sur lequel je souhaitais faire une bafouille. C'est une bombe. Raffiné, certes, mais une bombe.
Pourtant, à la première écoute, chez le disquaire, je l'avais mal appréhendé, les claviers m'ayant quelque peu rebutés. Et puis, j'y suis revenu, une fois, deux fois, pour enfin comprendre que Glenn Hughes avait peut-être enfin trouvé son Graal.
Quoi que dans le cas, bien particulier, du monsieur, il y en ait eu plusieurs : "You are the Music... We're the Band", "Burn", "Stormbringer", "Seventh Star".
Je trouve personnellement qu'il s'agit du meilleur exemple d'alliage entre sononrités mélodiques quasi-FM et hard-rock, le tout avec une touche de funk. Il n'y a rien de vulgaire ni d'outrancier, paradoxalement à la voix puissante de Hughes, la production luxuriante et les effets de guitare. Les chansons sont vraiment superbes. Pourtant il me rebuta un peu à la première écoute, mais je fus convaincu par ce mélange entre lumière luxuriante californienne et pâleur crépusculaire avant l'orage. Curieusement, les quelques inédits promis pour faire partie de ce qui devait être le second album a perdu une partie de ces qualités.
Quant à "You're The Music..." il aura droit à sa chronique, je le trouve merveilleux, comme "Stormbringer" d'ailleurs.
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