Une clope, un whisky. L’affaire est sérieuse. Parler de Soft Machine, c’est se risquer à affronter l’intelligentsia du Rock et du bon goût en osant s’attaquer à un mythe, un groupe culte, et surtout se louper sur les références jazz de rigueur.
Le vrai défi, c’est de s’imprégner de cette musique géniale, et d’en ressortir intact. Car on n’affronte pas « Third » avec une oreille désinvolte. Double album de quatre morceaux, on passe par différentes humeurs, toutes introspectives et rugissantes, combustions intérieures de l’esprit. Il faut d’abord affronter ce « Facelift » enregistré live, musique carbonique et heurtée, coltranienne en diable, arrachant du cerveau des visions noires et visqueuses. L’orgue de Mike Ratledge attise la bave aux lèvres avant que le sax d’Elton Dean vous décolle du sol et vous fasse tournoyer dans l’air. On passe de la colère à la peur, et de la plénitude à l’angoisse. Car ici point de guitare riffue : Mike Ratledge au claviers, Hugh Hopper à la basse, Elton Dean au sax, et Robert Wyatt à la batterie et au chant.
De la lave en fusion de « Facelift », on s’immerge dans la beauté organique de « Slightly All The Time ». Un titre superbe, jazz cool traînant son spleen sur plus de dix minutes. Ce titre magnifique est une réussite totale, permettant un enchaînement de soli magnifiques de cuivre et claviers, cet orgue rugissant et rugueux, celui de Ratledge. Ecouter « Slightly All The Time », c’est se perdre dans ses propres pensées, c’est se sentir empli d’un bien-être et d’une mélancolie que peu de titres apportent à ce point. J’ai toujours profondément aimé ce morceau, parce qu’il est pour moi comme une sorte de catalyseur d’humeur, quand tout fout le camp et qu’il est tant de revenir à l’essentiel.
« Moon In June » est une affaire sérieuse. Sans doute parce que c’est l’un plus beaux titres chantés par Wyatt (et le seul sur ce disque). Etrange comptine voguant sur un nuage, mélodie vaporeuse et éthérée, cette lune de juin est la contemplation d’un enfant. La voix de Wyatt est d’ailleurs très enfantine, fragile et douce. Chantant la mélodie tout au long du morceau, elle suit par les paroles les heurts et les ambiances de la musique. Beauté bizarre, « Moon In June » est de loin le morceau le plus pop, vestige des deux premiers albums, hautement recommandés également.
Quand vient « Out Bloody Rageous », on retrouve l’atmosphère jazz de « Slightly All TheTime ». Le travail de batterie de Wyatt est proprement ébouriffant, tapis de percussions roulant comme les galets le long des plages de la Manche. Autre rêverie heurtée, alternant orages et éclaircies, cet autre titre rappelle certains Sonny Rollins. Le clavier déroule une partition minérale, chantant comme des cristaux de glace dans le vent. Derrière grogne l’Hammond, éternel rugissement rauque rappelant que ce disque se fait hautement introspectif. La colère dans l’âme derrière une apparente douceur.
Par la suite, Soft Machine plongera définitivement dans le jazz-rock sérieux, perdant ainsi une partie de sa personnalité, cette poésie douce amère, qui différencie la pop de Canterbury du rock pour intellos frigides. Pourtant, parfois, une étincelle de folie irradie certains titres, rappelant que Wyatt n’était pas le seul illuminé du groupe. Ratledge et Hopper contribueront énormément à l’ascension puis à la chute de la Machine.
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