"McPhee
veut également exploiter le potentiel du trio au maximum. "
THE
GROUNDHOGS : Thank Christ For The Bomb 1970
Le
soleil écrase les rues de la ville. Le goudron bout, les arbres se
dessèchent sur pied. Les feuilles roussissent comme en automne, en
plein mois d'août. La lumière brûle la peau, la blancheur pâle du
ciel est aveuglante. Chaque geste provoque la transpiration, chaque
objet en plein soleil brûle les doigts. Je rêve d'un orage
dantesque. Je veux voir les éclairs se déchaîner dans le ciel, le
vent humide et frais courir à travers les fenêtres grande ouverte
de mon appartement surchauffé, et me caressant la nuque comme un
bienfait miraculeux. La pluie abreuverait alors les sols jaunis par
la folie exterminatrice de ce soleil de plomb devenu une menace. Le
soleil est devenu un enfer. Lui qui était source de vie, qui abreuve
nos corps en vitamines, joue sur nos humeurs, est en train de
carboniser sur place.
Nous
sommes des êtres naïfs, n'écoutant pas la vigilance, ne comprenant
pas comment cet astre pourrait devenir une menace pour l'homme. Et
puis les vieillards se meurent de soif, les hommes et les femmes
transpirent à grosses gouttes dans leur salon aux volets fermés,
cherchant un peu de répit, s'inquiétant pour ses jeunes enfants
insouciants.
On
attend la pleine Lune, celle qui marque le pas de la nuit. Elle est
le signe du repos, de l'apaisement des organismes surchauffés. Le
gamin de la pleine Lune est un mythe. C'est celui de la forêt, le
môme rejeté, la gamine sauvageonne. Ce sont les récits des
légendes de Claude Seignolles. La rouquine maudite, les Hauts Vents,
les fermes perdues dans les marais, les pouvoirs obscurs, les
guérisseurs.
Le
Blues est le nutriment de ce sentiment de brûlure intérieure. Les
musiciens anglais en ont offert une version tellement incandescente,
elle brûle comme ce soleil d'août. Les Noirs américains avaient
l'authenticité, ce touché rustique, la force du propos. Ils
vivaient cette misère avec une telle violence que le Blues était
forcément leur musique. Mais les Anglais surent se l'approprier,
bien plus que les Américains blancs. Ils en firent leur musique de
prolétaires, celles des ouvriers des mines, de la sidérurgie… Pas
étonnant que des villes comme Birmingham soient des creusets du
Blues lourd anglais, ce qui va générer le Hard-Rock à venir.
J'ai
découvert les Groundhogs totalement par hasard. Quand j'y repense,
je n'avais que quinze ans, on était en 1994, et j'achète un double
cd des Groundhogs : quel curieux gamin j'ai pu être en fait.
Mes parents et moi allions acheter des vêtements à Toulouse, toute
proche d'Albi. Il y avait un disquaire à proximité de l'endroit où
nous garions systématiquement la voiture familiale, et j'étais déjà
un passionné patenté de Rock. Il avait dans ses stocks un nombre
considérable d'albums, et notamment des rééditions en cd d'albums
des années 70. J'y ai découvert Mountain, Savoy Brown, Taste…. Il
y avait une une grosse boîte en plastique qui m'interpellait à
chaque visite, ainsi se présentait les boîtiers double cd. La
pochette montrait un type moustachu et dégarni devant un mur
d'enceintes, et au-dessus, Groundhogs 1969-1972. Pour moi, la
période était doré, et je constatai qu'il s'agissait d'un trio
guitare-basse-batterie. Je me décidai à en faire l'acquisition. Et
je découvris un univers magique qui m'obsède encore aujourd'hui.
Ce
qui me frappa, c'est l'incroyable sensibilité des mélodies
derrières un Blues lourd et rustre. Les Groundhogs sont un groupe du
British Blues-Boom et un des meilleurs, ayant accompagné par trois
fois John Lee Hooker en tournée anglaise, et les deux suivantes à
sa demande même. Ce terreau Boogie frustre reste la charpente du
Blues-Rock des Groundhogs. Mais il vit grâce au cerveau génial de
son guitariste et chanteur, Tony McPhee. L'homme est d'une discrétion
et d'une modestie absolue. Je me souviens avoir eu la chance de
l'interviewer pour un magazine de Blues. J'étais fou de joie, mais
ses réponses furent laconiques. L'homme était incapable de parler
de sa musique. C'était un tourment intérieur. McPhee avait une vie
des plus banales, il avait un physique peu avantageux, mais était
pétri d'une inspiration magique qui lui fit composer de fantastiques
albums. Son jeu de guitare est à plus d'un titre exceptionnel, entre
Blues rustique, et exploration électrique Hard-Progressive. Le
succès commercial fut là durant la période dorée 1969-1972, avant
que le groupe ne se fasse casser les pattes par la presse anglaise,
et par son échec aux Etats-Unis malgré une tournée des plus
prometteuses en 1972.
Les
Groundhogs avaient déjà enregistré deux albums en 1970, deux
disques de Blues-Rock anglais charnus et dotés de la patte
pince-sans-rire de McPhee. Les Groundhogs étaient alors un quatuor,
avec un chanteur-harmoniciste : Steve Rye. Curieusement, sur la
pochette du second album, il figure mort dans un cercueil pendant que
McPhee est en révérend, et que le batteur Ken Pustelnik et le
bassiste Pete Cruickshank sont en croque-morts. Le nom de l'album
annonce d'ailleurs l'évolution à venir : Blues Obituary.
Rye
disparaît, en désaccord avec l'évolution musicale du groupe.
McPhee a pris le contrôle des compositions, et les enrichit de ce
qu'il capte autour de lui. Vivant une vie paisible et modeste avec
son épouse, il lit beaucoup, sort peu, et écoute du Jazz, du Blues
et les groupes de Rock qu'il croise en tournée. Il apprécie
notamment l'approche de Jethro Tull, qui a évolué du groupe de
Blues initial vers une musique plus riche, piochant dans le Folk et
la musique classique.
Thank
Christ For The Bomb est le troisième album des Groundhogs.
Totalement en trio, McPhee a de grands projets. Il veut se couper de
cet héritage Blues obligatoire. Il va rester présent dans le sang
du trio, mais le guitariste a des choses à dire. Il s'intéresse à
la politique, et veut évoquer les marchands d'armes, et les dégâts
des guerres sur les populations civiles. Pour cela, il envisage une
sorte de concept-album, comme Tommy des Who, une série de
chansons autour d'un sujet unique.
McPhee
veut également exploiter le potentiel du trio au maximum. Il ne veut
pas voguer sur l'improvisation, mais construire une musique où les
trois instruments interagissent. Pour cela, McPhee va aller jusqu'à
écrire les parties de basse de Cruikshank afin qu'elles complètent
parfaitement les lignes de guitare.
Le
disque sort en mai 1970, et atteint la neuvième place des
classements de meilleures ventes d'albums en Grande-Bretagne. Le
sujet est pourtant controversé, et la pochette ne fait aucune
concession : les trois musiciens figurent en soldats anglaise de
la Première Guerre Mondiale, et le titre même du disque n'a rien de
commercial : Thank Christ For The Bomb.
Pourtant,
les Groundhogs deviennent des Pop-stars, bien malgré eux. Ils
continuent leur ratissage consciencieux du pays, et défendent leur
disque sur scène. Désormais, les nouveaux morceaux sont l'occasion
pour Tony McPhee de développer des improvisations redoutables sur sa
Gibson SG qu'il porte à l'épaule, comme John Lee Hooker.
Thank
Christ For The Bomb est un album de fer et de sang. Comme ses
musiciens en soldats éprouvés par le combat, où sa pochette
intérieure avec cet avion et sa coulée rouge sang qui le suit,
c'est un album polémique, bien plus violent et contestataire que
n'importe quel disque de Punk. D'ailleurs les Groundhogs développent
un Blues-Rock barbelé, violent, brutal, frontal. Leur musique est un
choc sonore. Les mélodies sont superbes, emplies d'une sensibilité
exceptionnelle, presque cinématographique. Mais se trame aussi les
violentes embardées de guitare de McPhee. Violent, teigneux, il
agresse l'auditeur, utilisant le Blues comme un cri d'horreur.
Thank
Christ For The Bomb est une œuvre d'où se distingue des
merveilles sonores multiples et enthousiasmantes. Le Boogie ivre de
« Strange Town » ouvre le disque avec une curieuse bonne
humeur, mais les paroles font bien vite tomber le sourire.
« Soldier » est un hommage poignant aux hommes au combat,
ces Tommies, ces Poilus… Je n'arrive pas à conserver mon bon
jugement avec « Garden ». La mélodie est d'une telle
beauté, imprégnée de mélancolie, fleurant bon le jardin anglais
alors que tombent au loin les bombes. On retrouve cette beauté
mélancolique sur le sublime et acoustique titre éponyme, mêlant
Blues et Folk.
« Eccentric
Man » m'a interpellé bien plus tard. Son acidité retors est
un choc sonore. On n'approche pas ce genre de pièce musicale avec
dilettantisme. La batterie fracasse des caisses comme les vagues sur
les rochers. Basse et guitare ne font qu'un pour provoquer un agrégat
de fer rouillé qui déchire les chairs. Les versions live à venir
subliment ce matériau magique.
McPhee
offrira des versions ahurissantes en première partie des Rolling
Stones en 1971, ou sur la tournée du grand retour en 1974. Les
Groundhogs vont se séparer brièvement en 1972 après le départ de
Ken Pustelnik. Mais la force créatrice de McPhee est trop forte.
Pourtant, il est lié au nom des Groundhogs, qui vont voir leurs deux
disques entre 1971 et 1972 en tête des classements en
Grande-Bretagne.
Mais
le guitariste n'a que faire de ce vedettariat. Il est toujours le
même homme, et le contrat avec Liberty ne leur apporte pas vraiment
la fortune malgré le succès. Tout est relatif, tout est fragile.
Mais les Groundhogs viennent de produire un disque exceptionnel.
Puissant, contestataire, profondément Blues anglais dans l'âme, il
ouvre la voie à un album encore plus novateur et brillant à
venir...
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3 commentaires:
Belle Chronique sur le heavy blues des Groundhogs, Rory, Mcphee, stan Weeb... que serais-je devenu sans leur muusique....Belle chronique comme de très beaux albums sur la platine en ce moment, DE la furie du led zep 1 a celle de Bakerloo... Et le trop précieux Peter Green... de la musique qui échauffe, élève l'âme la réconforte profondément! Et oui le soleil va devenir Dangereux, le sol va s'imperméabiliser à force de sécheresse et les pluies ne pénètreront plus et feront de belles inondations sur le sol macadamé et bétonné des belles métropoles, alors résonnera la voix de Peter green The End of the game!
Paroles de sudiste!
Bonnes vacances Budgie,si tu en as! longue vie à john lee hooker!
D'ailleurs Budgie existe-t-il un autre live ou des parties complémentaires que le live Hooker & The Hogs?!
Merci d'avance
Salut Malvers,
Je viens de prendre connaissance de tes sympathiques commentaires. Concernant John Lee Hooker et les Groundhogs, il n'existe malheureusement aucune autre bande disponible. Elle a été déclinée en "And Seven Nights" et "On The Waterfront", tartiné de cuivres. Mais il s'agit toujours du même enregistrement.
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