THE YARDBIRDS : 68 2017
Au
début de l'année 1968, Keith Relf et Jim MacCarthy font connaître
leur lassitude de la musique des Yardbirds. Devenu un groupe de
Blues-Rock lourd, ils sont en concurrence directe avec deux
formations exceptionnelles : Jimi Hendrix Experience et Cream.
Relf et MacCarthy ont un projet de musique Folk et symphonique. Jimmy
Page et Chris Dreja les convainquent de poursuivre quelques mois de plus,
car Page a quelques idées à développer sur scène, ce qu'il veut
faire avec les Yardbirds.
Le
quatuor part donc en tournée en Europe : la France, la
Scandinavie, l'Allemagne. Et puis c'est le départ pour les
Etats-Unis au mois de mars. Les Yardbirds comme leur label sont
conscients qu'il s'agit de la dernière tournée du groupe. Le 30
mars, le concert au Anderson Theatre de New York est enregistré,. La
captation est rustique. Il s'agit d'un magnétophone Grundig quatre
pistes, technique déjà totalement dépassée en 1968. Chris Dreja
se souvient de cet enregistrement en 1968 : « Nous savions
qu'il s'agissait de la tournée des Yardbirds, et il n'y avait plus
aucune pression. Nous avons très bien joué tout au long de ces
concerts. Nous ne jouions que dans de belles salles moyennes, des
universités ou des salles de fêtes psychédéliques. Et puis notre
label Epic a eu vent de notre séparation programmée. Basé à New
York, les responsables ont décidé de capter le concert sur place,
par pure question pratique. Ce fut à l'Anderson Theatre. Cela aurait
pu être partout ailleurs, au Shrine Auditorium ou à San Francisco,
mais ce fut là. Nous détestions l'Anderson Theatre. C'était une
salle froide et impersonnelle. Pour ne rien arranger, Vanilla Fudge
jouait le même soir au Fillmore East. Et comme cela ne suffisait
pas, les gens d'Epic ne savaient pas comment nous enregistrer. Ils
ont mis des micros un peu n'importe comment, branchés sur ce
magnétophone. Quand ils ont découvert le résultat sur les bandes,
ils en ont fait n'importe quoi. ».
Les
Yardbirds jouent le 31 mai et le 1er juin au Shrine
Auditorium de Los Angeles, puis les 4 et 5 juin au festival Spring
Fair sur Montgomery International Speedway en Alabama. Le 12 juin,
Relf et McCarthy quittent officiellement le groupe pour former
Renaissance. Dreja part quelques temps plus tard pour se consacrer à
la photographie. Page se retrouve seul pour assurer une tournée
organisée à la fin de l'été 1968 en Scandinavie. Il pense à
Steve Marriott des Small Faces puis Terry Reid au chant, mais tous
deux refusent. Reid suggère au guitariste le nom d'un jeune homme de
Birmingham : Robert Plant. Ebloui par le jeune chanteur, Page le
recrute. Il manque un batteur, et plusieurs sont auditionnés :
BJ Wilson de Procol Harum, ou Clem Cattini, un batteur de session. Un
organiste, joueur de mellotron, est envisagé, pour seconder la
guitare, mais l'idée est abandonnée. Plant suggère un ancien
membre comme lui du Band Of Joy pour les caisses : John Bonham.
Le percussionniste est dur à convaincre, il vient de signer pour une
tournée avec Tim Rose. Il accepte à force de persévérance de Page
et Plant. Le bassiste sera un ami des studios : John Paul Jones.
Après avoir participé à l'enregistrement de l'album With A
Little Help From My Friend de Joe Cocker et Hurdy Gurdy Man de
Donovan, le trio de musiciens plus Robert Plant part en Scandinavie
assurer la tournée prévue sous le nom de New Yardbirds. Ils
joueront encore au Marquee de Londres sous ce nom en décembre 1968
avant de devenir Led Zeppelin. Le nom vient d'une expression de Keith
Moon, le batteur des Who ; lorsqu'un projet ou un concert tombe
à plat, il qualifie la chose comme « tombant comme un
dirigeable de plomb ». C'est exactement ce qui va arriver au
projet de super-groupe de Jeff Beck et Jimmy Page en mai 1966. Alors
que Beck enregistre un premier simple en solo, il fait appel à son
ami Page à la seconde guitare. La section rythmique doit être tenue
par celle des Who : Keith Moon à la batterie et John Entwistle
à la basse. Les Who sont alors au bord de l'explosion, les simples
ne se vendent plus, Moon et Entwistle envisagent un autre projet.
Pour cette session, Entwistle arrivera totalement en retard. Pressé
par l'horaire de studio, il est remplacé par un musicien que Page
connaît : John Paul Jones. Ils enregistreront « Beck's
Bolero », une interprétation libre et Rock du « Bolero »
de Ravel. L'affaire se dégonfle rapidement peu après, et tombera
« comme un Zeppelin de plomb ». Page enlève le A de
lead, et conserve Led Zeppelin. Mais c'est le début d'une autre
histoire.
Le
concert du 30 mars 1968 des Yardbirds est donc en boîte et oublié.
Mais lorsque Led Zeppelin devient un groupe majeur, Epic se souvient
des bandes du concert à New York. Le label publie l'album « Live
Yardbirds Featuring Jimmy Page » en janvier 1971. Le son du
disque est épouvantable : rien n'a été mixé, et des
applaudissements type stade géant de football ont été ajoutés au
débotté. Le résultat est épouvantable, tellement minable que Page
s'oppose publiquement à la parution du disque qui doit être retiré
de la vente. Ainsi semble se terminer l'histoire des Yardbirds, entre
conflit juridique et indifférence.
Le
plus triste dans cette affaire, c'est que la prestation des Yardbirds
au Anderson Theatre ne semble pas si médiocre que cela. Au
contraire, on distingue une formation jouant avec conviction et
passion. Seulement il y a ce son exécrable. Et puis la rumeur
enfle : les bandes originales sont perdues. Conservées chez
Epic, moult fois déménagées, peut-être jetées, on finit par
perdre l'espoir que ce document réapparaisse un jour magnifié. Même le
guitariste, qui a pourtant accumulé affiches, photos, articles de
presse, et bandes en studio, a perdu l'espoir de sortir un jour un
disque en concert des Yardbirds à la hauteur du talent du groupe.
Et
puis en fouillant ses archives accumulées depuis cinquante ans, il
tombe sur une bobine marquée : « Yardbirds'68 ». Il
se plonge dans l'écoute, et découvre l'enregistrement intact du set
de l'Anderson Theatre du 30 mars 1968. C'est qu'à la conclusion du
procès l'opposant à Epic sur la sortie du disque Live Yardbirds
Featuring Jimmy Page en 1971, on lui restitua les bandes. C'est que Jimmy Page était le guitariste de Led Zeppelin, il venait de sortir
IV avec « Stairway To Heaven », son manager était
Peter Grant, homme brillant, protecteur pour ses artistes et
intransigeant avec le respect des musiciens. Epic s'est fait massacré
par les avocats de Page, les bandes ne furent qu'une simple
compensation parmi d'autres. Le guitariste avait simplement oublié
qu'il avait cela sur une étagère.
Et
le miracle s'est accompli. Il se remémora toute cette époque,
découvrit la vraie qualité des bandes. Malgré l'enregistrement
frustre, il retrouve le groupe dont il fut le guitariste lead en
1968. Il décide de remixer les bandes avec le plus grand soin, comme
il le fit avec celles de Led Zeppelin. Il fait appel aux deux seuls
survivants des Yardbirds de l'époque : Chris Dreja et Jim
McCarthy. Il leur fait découvrir le résultat, et les deux hommes
sont stupéfiés. Il y a une courte vidéo qui circule, où l'on voit
les trois hommes, le cheveu blanc, feuilletant le livret regroupant
les archives. On les sent émus, impressionnés du résultat. Dreja
fera le commentaire officiel : « Nous pensions ces bandes
perdues, mais nous les avons redécouvert, et remixé. Elles ont une
importance historique. Leur publication est capitale. ».
Ces
bandes sont effectivement fabuleuses, car elles révèlent tout
simplement l'enregistrement d'un groupe formidable. Les Yardbirds
furent un jalon majeur de la Rock music, mais on ne les retint que pour la
présence de leurs guitaristes majeurs. On oublie que ce fut un
groupe qui fit de la musique, qui enregistra, qui tourna, et qui le
fit avec brio. La tournée ultime de 1968 fut exceptionnelle à plus
d'un titre: elle fut la dernière, la pression s'évapora, et la
musique qui y fut jouée préparait totalement Led Zeppelin.
68
est totalement le reflet des Yardbirds de l'époque, malgré le fait
que la captation soit courte : ils partageaient l'affiche avec
deux autres formations. Il s'agit de quarante-cinq minutes de set
imprégné de passion, auxquels s'ajoutent des sessions en studio qui
révèlent un groupe passionné malgré les dissensions artistiques.
Elles sont inopérantes ici. Page domine le propos de la tête et des
épaules, mais est superbement secondé par un groupe magnifique.
Relf n'est pas Robert Plant, McCarthy est un batteur très
Rythm'N'Blues et pas assez Heavy-Blues comme Bonham. Dreja est un
bassiste linéaire mais efficace. Mais l'ensemble est incroyable de
concision. Le groupe qui semble au bord de l'implosion, en perte de
vitesse commerciale, s'avère une formation de scène exceptionnelle.
Le mixage réalisé par Jimmy Page avec le concours de Dreja et
McCarthy est éblouissant. Malgré des applaudissements lointains, en
réalité non captés par les micros, on découvre un groupe au
sommet de son art. Ce fameux set au Anderson Theatre est un miracle
sonore. Il commence par une version de « The Train Kept A
Rollin ». L'interprétation est serrée, sans concession. Relf
souffle dans son harmonica comme un bluesman du Delta, et Page fait
rugir sa Fender Telecaster dans des amplificateurs Fender branchés
sur des haut-parleurs Marshall. Il explore la pédale wah-wah, la
fuzz, la boîte d'écho.
« The
Train Kept A Rollin » est magnifié. La guitare enlumine
l'espace à grands renforts d'accords luisant de saturation et de
psychédélisme. Relf souffle dans son harmonica, pendant que Dreja
et McCarthy imprime une rythmique carrée, Rythm'N'Blues, alors que
leur guitariste est déjà sur d'autres rivages. Page brille tout au
long de cet album en direct : c'est lui qui imprime le tempo, le
son, l'ambiance. Il virevolte entre la saturation grasse, et des
chorus aux saveurs délicatement nord africaines et psychédéliques.
La
set-list voit les Yardbirds revisiter leur répertoire entre
Blues-Rock et Pop psychédélique : « Mr, You're A Better
Man Than I », magnifique et poignante, « Heart Full Of
Soul », « My Baby », « Over Under Sideways
Down »…. Ils expérimentent une reprise de « Dazed And
Confused » de Jack Holmes, une chanson de 1967 sur laquelle
Page entreprend un solo de guitare à l'aide d'un archet de violon.
Si l'idée fut déjà testé par le groupe The Creation en 1967, Page
expliquera que cette expérimentation lui aurait été suggéré par
le violoniste David McCallum alors que le jeune guitariste était
encore musicien de session. Les arrangements des Yardbirds apportent
un pathos plus important au morceau, une angoisse rampante liée au
solo grinçant, et à la rythmique lourde et entêtante durant
celui-ci, jusqu'à l'emballement final.
Page
a également droit à son morceau en solo : « White
Summer ». Cet instrumental est fortement teinté de musique
nord africaine et de Folk anglais. Certains accords sont directement
inspirés du prodige anglais Davy Graham, qui avait déjà
expérimenté ces influences dans sa musique dès 1967. Bert Jansch
et John Renbourn de Pentangle seront deux autres sources
d'inspiration d'importance pour Page. Il est sobrement accompagné
par MacCarthy, en des percussions tribales soutenant avec efficacité
les improvisations du guitariste.
Le
disque se ferme au bout de quarante-cinq petites minutes, affiche partagée
oblige, sur « I'm A Man », qui permettait auparavant à
Jeff Beck de s'envoler dans un long final de guitare frénétique.
Page fait de même, rivalité latente entre les deux hommes. L'album
est complété de prises en studio d'anciens morceaux de démos qui
n'auront aucun avenir, puisque les Yardbirds se séparent à la fin
de tournée. Toutefois, un instrumental acoustique interpelle : il s'agit de la version embryonnaire d'un futur morceau de Led Zeppelin, "Tangerine", que l'on retrouvera sur le III en 1970. Page lance ses New Yardbirds, et deviendra le maître du
monde. MacCarthy et Relf fonde le groupe de Folk-Rock Renaissance, et
Dreja se consacre donc à la photo. Relf meurt en 1975,
laissant Dreja, Page et MacCarthy seuls héritiers de l'aventure
Yardbirds. Le guitariste offre un superbe testament à son ancienne
formation.
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