mardi 12 juin 2018

THE YARDBIRDS 1968 PART 2


"Et puis la rumeur enfle : les bandes originales sont perdues. "

THE YARDBIRDS : 68 2017

Au début de l'année 1968, Keith Relf et Jim MacCarthy font connaître leur lassitude de la musique des Yardbirds. Devenu un groupe de Blues-Rock lourd, ils sont en concurrence directe avec deux formations exceptionnelles : Jimi Hendrix Experience et Cream. Relf et MacCarthy ont un projet de musique Folk et symphonique. Jimmy Page et Chris Dreja les convainquent de poursuivre quelques mois de plus, car Page a quelques idées à développer sur scène, ce qu'il veut faire avec les Yardbirds.

Le quatuor part donc en tournée en Europe : la France, la Scandinavie, l'Allemagne. Et puis c'est le départ pour les Etats-Unis au mois de mars. Les Yardbirds comme leur label sont conscients qu'il s'agit de la dernière tournée du groupe. Le 30 mars, le concert au Anderson Theatre de New York est enregistré,. La captation est rustique. Il s'agit d'un magnétophone Grundig quatre pistes, technique déjà totalement dépassée en 1968. Chris Dreja se souvient de cet enregistrement en 1968 : « Nous savions qu'il s'agissait de la tournée des Yardbirds, et il n'y avait plus aucune pression. Nous avons très bien joué tout au long de ces concerts. Nous ne jouions que dans de belles salles moyennes, des universités ou des salles de fêtes psychédéliques. Et puis notre label Epic a eu vent de notre séparation programmée. Basé à New York, les responsables ont décidé de capter le concert sur place, par pure question pratique. Ce fut à l'Anderson Theatre. Cela aurait pu être partout ailleurs, au Shrine Auditorium ou à San Francisco, mais ce fut là. Nous détestions l'Anderson Theatre. C'était une salle froide et impersonnelle. Pour ne rien arranger, Vanilla Fudge jouait le même soir au Fillmore East. Et comme cela ne suffisait pas, les gens d'Epic ne savaient pas comment nous enregistrer. Ils ont mis des micros un peu n'importe comment, branchés sur ce magnétophone. Quand ils ont découvert le résultat sur les bandes, ils en ont fait n'importe quoi. ».
Les Yardbirds jouent le 31 mai et le 1er juin au Shrine Auditorium de Los Angeles, puis les 4 et 5 juin au festival Spring Fair sur Montgomery International Speedway en Alabama. Le 12 juin, Relf et McCarthy quittent officiellement le groupe pour former Renaissance. Dreja part quelques temps plus tard pour se consacrer à la photographie. Page se retrouve seul pour assurer une tournée organisée à la fin de l'été 1968 en Scandinavie. Il pense à Steve Marriott des Small Faces puis Terry Reid au chant, mais tous deux refusent. Reid suggère au guitariste le nom d'un jeune homme de Birmingham : Robert Plant. Ebloui par le jeune chanteur, Page le recrute. Il manque un batteur, et plusieurs sont auditionnés : BJ Wilson de Procol Harum, ou Clem Cattini, un batteur de session. Un organiste, joueur de mellotron, est envisagé, pour seconder la guitare, mais l'idée est abandonnée. Plant suggère un ancien membre comme lui du Band Of Joy pour les caisses : John Bonham. Le percussionniste est dur à convaincre, il vient de signer pour une tournée avec Tim Rose. Il accepte à force de persévérance de Page et Plant. Le bassiste sera un ami des studios : John Paul Jones. Après avoir participé à l'enregistrement de l'album With A Little Help From My Friend de Joe Cocker et Hurdy Gurdy Man de Donovan, le trio de musiciens plus Robert Plant part en Scandinavie assurer la tournée prévue sous le nom de New Yardbirds. Ils joueront encore au Marquee de Londres sous ce nom en décembre 1968 avant de devenir Led Zeppelin. Le nom vient d'une expression de Keith Moon, le batteur des Who ; lorsqu'un projet ou un concert tombe à plat, il qualifie la chose comme « tombant comme un dirigeable de plomb ». C'est exactement ce qui va arriver au projet de super-groupe de Jeff Beck et Jimmy Page en mai 1966. Alors que Beck enregistre un premier simple en solo, il fait appel à son ami Page à la seconde guitare. La section rythmique doit être tenue par celle des Who : Keith Moon à la batterie et John Entwistle à la basse. Les Who sont alors au bord de l'explosion, les simples ne se vendent plus, Moon et Entwistle envisagent un autre projet. Pour cette session, Entwistle arrivera totalement en retard. Pressé par l'horaire de studio, il est remplacé par un musicien que Page connaît : John Paul Jones. Ils enregistreront « Beck's Bolero », une interprétation libre et Rock du « Bolero » de Ravel. L'affaire se dégonfle rapidement peu après, et tombera « comme un Zeppelin de plomb ». Page enlève le A de lead, et conserve Led Zeppelin. Mais c'est le début d'une autre histoire.
Le concert du 30 mars 1968 des Yardbirds est donc en boîte et oublié. Mais lorsque Led Zeppelin devient un groupe majeur, Epic se souvient des bandes du concert à New York. Le label publie l'album « Live Yardbirds Featuring Jimmy Page » en janvier 1971. Le son du disque est épouvantable : rien n'a été mixé, et des applaudissements type stade géant de football ont été ajoutés au débotté. Le résultat est épouvantable, tellement minable que Page s'oppose publiquement à la parution du disque qui doit être retiré de la vente. Ainsi semble se terminer l'histoire des Yardbirds, entre conflit juridique et indifférence.
Le plus triste dans cette affaire, c'est que la prestation des Yardbirds au Anderson Theatre ne semble pas si médiocre que cela. Au contraire, on distingue une formation jouant avec conviction et passion. Seulement il y a ce son exécrable. Et puis la rumeur enfle : les bandes originales sont perdues. Conservées chez Epic, moult fois déménagées, peut-être jetées, on finit par perdre l'espoir que ce document réapparaisse un jour magnifié. Même le guitariste, qui a pourtant accumulé affiches, photos, articles de presse, et bandes en studio, a perdu l'espoir de sortir un jour un disque en concert des Yardbirds à la hauteur du talent du groupe.
Et puis en fouillant ses archives accumulées depuis cinquante ans, il tombe sur une bobine marquée : « Yardbirds'68 ». Il se plonge dans l'écoute, et découvre l'enregistrement intact du set de l'Anderson Theatre du 30 mars 1968. C'est qu'à la conclusion du procès l'opposant à Epic sur la sortie du disque Live Yardbirds Featuring Jimmy Page en 1971, on lui restitua les bandes. C'est que Jimmy Page était le guitariste de Led Zeppelin, il venait de sortir IV avec « Stairway To Heaven », son manager était Peter Grant, homme brillant, protecteur pour ses artistes et intransigeant avec le respect des musiciens. Epic s'est fait massacré par les avocats de Page, les bandes ne furent qu'une simple compensation parmi d'autres. Le guitariste avait simplement oublié qu'il avait cela sur une étagère.
Et le miracle s'est accompli. Il se remémora toute cette époque, découvrit la vraie qualité des bandes. Malgré l'enregistrement frustre, il retrouve le groupe dont il fut le guitariste lead en 1968. Il décide de remixer les bandes avec le plus grand soin, comme il le fit avec celles de Led Zeppelin. Il fait appel aux deux seuls survivants des Yardbirds de l'époque : Chris Dreja et Jim McCarthy. Il leur fait découvrir le résultat, et les deux hommes sont stupéfiés. Il y a une courte vidéo qui circule, où l'on voit les trois hommes, le cheveu blanc, feuilletant le livret regroupant les archives. On les sent émus, impressionnés du résultat. Dreja fera le commentaire officiel : « Nous pensions ces bandes perdues, mais nous les avons redécouvert, et remixé. Elles ont une importance historique. Leur publication est capitale. ».
Ces bandes sont effectivement fabuleuses, car elles révèlent tout simplement l'enregistrement d'un groupe formidable. Les Yardbirds furent un jalon majeur de la Rock music, mais on ne les retint que pour la présence de leurs guitaristes majeurs. On oublie que ce fut un groupe qui fit de la musique, qui enregistra, qui tourna, et qui le fit avec brio. La tournée ultime de 1968 fut exceptionnelle à plus d'un titre: elle fut la dernière, la pression s'évapora, et la musique qui y fut jouée préparait totalement Led Zeppelin.
68 est totalement le reflet des Yardbirds de l'époque, malgré le fait que la captation soit courte : ils partageaient l'affiche avec deux autres formations. Il s'agit de quarante-cinq minutes de set imprégné de passion, auxquels s'ajoutent des sessions en studio qui révèlent un groupe passionné malgré les dissensions artistiques. Elles sont inopérantes ici. Page domine le propos de la tête et des épaules, mais est superbement secondé par un groupe magnifique. Relf n'est pas Robert Plant, McCarthy est un batteur très Rythm'N'Blues et pas assez Heavy-Blues comme Bonham. Dreja est un bassiste linéaire mais efficace. Mais l'ensemble est incroyable de concision. Le groupe qui semble au bord de l'implosion, en perte de vitesse commerciale, s'avère une formation de scène exceptionnelle.
Le mixage réalisé par Jimmy Page avec le concours de Dreja et McCarthy est éblouissant. Malgré des applaudissements lointains, en réalité non captés par les micros, on découvre un groupe au sommet de son art. Ce fameux set au Anderson Theatre est un miracle sonore. Il commence par une version de « The Train Kept A Rollin ». L'interprétation est serrée, sans concession. Relf souffle dans son harmonica comme un bluesman du Delta, et Page fait rugir sa Fender Telecaster dans des amplificateurs Fender branchés sur des haut-parleurs Marshall. Il explore la pédale wah-wah, la fuzz, la boîte d'écho.
« The Train Kept A Rollin » est magnifié. La guitare enlumine l'espace à grands renforts d'accords luisant de saturation et de psychédélisme. Relf souffle dans son harmonica, pendant que Dreja et McCarthy imprime une rythmique carrée, Rythm'N'Blues, alors que leur guitariste est déjà sur d'autres rivages. Page brille tout au long de cet album en direct : c'est lui qui imprime le tempo, le son, l'ambiance. Il virevolte entre la saturation grasse, et des chorus aux saveurs délicatement nord africaines et psychédéliques.
La set-list voit les Yardbirds revisiter leur répertoire entre Blues-Rock et Pop psychédélique : « Mr, You're A Better Man Than I », magnifique et poignante, « Heart Full Of Soul », « My Baby », « Over Under Sideways Down »…. Ils expérimentent une reprise de « Dazed And Confused » de Jack Holmes, une chanson de 1967 sur laquelle Page entreprend un solo de guitare à l'aide d'un archet de violon. Si l'idée fut déjà testé par le groupe The Creation en 1967, Page expliquera que cette expérimentation lui aurait été suggéré par le violoniste David McCallum alors que le jeune guitariste était encore musicien de session. Les arrangements des Yardbirds apportent un pathos plus important au morceau, une angoisse rampante liée au solo grinçant, et à la rythmique lourde et entêtante durant celui-ci, jusqu'à l'emballement final.
Page a également droit à son morceau en solo : « White Summer ». Cet instrumental est fortement teinté de musique nord africaine et de Folk anglais. Certains accords sont directement inspirés du prodige anglais Davy Graham, qui avait déjà expérimenté ces influences dans sa musique dès 1967. Bert Jansch et John Renbourn de Pentangle seront deux autres sources d'inspiration d'importance pour Page. Il est sobrement accompagné par MacCarthy, en des percussions tribales soutenant avec efficacité les improvisations du guitariste.
Le disque se ferme au bout de quarante-cinq petites minutes, affiche partagée oblige, sur « I'm A Man », qui permettait auparavant à Jeff Beck de s'envoler dans un long final de guitare frénétique. Page fait de même, rivalité latente entre les deux hommes. L'album est complété de prises en studio d'anciens morceaux de démos qui n'auront aucun avenir, puisque les Yardbirds se séparent à la fin de tournée. Toutefois, un instrumental acoustique interpelle : il s'agit de la version embryonnaire d'un futur morceau de Led Zeppelin, "Tangerine", que l'on retrouvera sur le III en 1970. Page lance ses New Yardbirds, et deviendra le maître du monde. MacCarthy et Relf fonde le groupe de Folk-Rock Renaissance, et Dreja se consacre donc à la photo. Relf meurt en 1975, laissant Dreja, Page et MacCarthy seuls héritiers de l'aventure Yardbirds. Le guitariste offre un superbe testament à son ancienne formation.

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