"Jeff
Beck suggère un nom : Jimmy Page."
THE
YARDBIRDS : 68 2017
Jimmy
Page est un homme précieux. Non seulement il fut le talentueux
guitariste des Yardbirds puis de Led Zeppelin, mais il a toujours été
un archiviste compulsif. Imaginez un peu que l'homme a tout
enregistré des concerts de Led Zeppelin sur la table de mixage, afin
de pouvoir les réécouter, récupérer les idées d'improvisation
pour de nouveaux morceaux, voir la réaction du public, et améliorer
les points faibles du spectacle de son groupe. Il perdit
malheureusement bon nombre de ses bandes lors de son divorce. Alors
noyé dans l'héroïne, sa femme partit avec les bandes, et les
revendit à toutes sortes de labels pour se faire une peu d'argent
sur le dos d'un homme pas loin d'être ruiné et incapable de prendre
en main sa vie personnelle. Les bandes fleurissent depuis sur le net,
et révèlent des concerts exceptionnels. Néanmoins, Jimmy Page a
encore beaucoup de choses dans son grenier, et il a retrouvé cette
bobine l'an dernier : un concert des Yardbirds de 1968.
1966.
Les Yardbirds viennent de sortir l'album Roger The Engineer
en juin, et prennent la route. Le groupe est alors une des formations
anglaises les plus populaires aux Etats-Unis avec les Rolling Stones
et les Beatles. Depuis le mois d'août 1965, les Yardbirds ont
effectué quatre tournées américaines. Eric Clapton a été
remplacé par un jeune homme surdoué du nom de Jeff Beck à la
guitare lead. Les Yardbirds durcissent progressivement le ton de leur
Blues-Rock, et le succès est là. Le simple « Shapes Of
Things » qui sort en février se classe numéro 3 dans les
classements britanniques et numéro 11 dans les classements US. Avec
ce simple, ils inventent la heavy music psychédélique trois mois
avant les Beatles avec leur simple « Paperback Writer/Rain ».
Pourtant,
le groupe se lézarde. Le rythme est intense pour les cinq
musiciens : Jeff Beck, Chris Dreja à la guitare rythmique,
Keith Relf au chant, Jim McCarthy à la batterie et Paul
Samwell-Smith à la basse. Le bassiste commence à souffrir de la
succession des concerts. Il s'est investi dans la production du
dernier album avec succès, mais quelques jours après la sortie de
l'album, il dérape. Au concert du Queen's College d'Oxford,
Samwell-Smith est ivre mort. Il ne supporte plus les tournées, et le
manque de reconnaissance par rapport au guitariste vedette. Il fait
un scandale, et quitte le groupe. Le set est assuré avec Dreja à la
basse et écourté. Mais surtout, il faut remplacer au plus vite le
bassiste.
Jeff
Beck suggère un nom : Jimmy Page. Le jeune homme est un ami
d'enfance de Beck. Les deux ont appris ensemble la guitare. Page est
aussi et surtout un brillant guitariste de studio, le plus demandé
avec son aîné, Big Jim Sullivan. Jimmy Page n'a que 19 ans
lorsqu'il intègre le milieu feutré des studios. Il a pourtant connu
la fièvre de la route. Il intègre en 1962 les Crusaders du chanteur
Neil Christian. Mais de santé fragile, il contracte une fièvre
mononucléïque, épuisé par les conditions de vie du groupe, les
musiciens entassés dans un van. Le froid, la mauvaise nourriture, la
fatigue ont lieu du frêle jeune homme. Il décide que la vie de
tournée n'est pas pour lui, et devient musicien de studio en 1963,
tout en poursuivant ses études, sans grand intérêt. Rapidement, il
devient un musicien très demandé : son style moderne, très
Rock, font de lui un des favoris des nouveaux groupes anglais
dépourvus de vrais solistes. Le producteur Shel Talmy en fait un de
ses favoris, et Page intervient sur les premiers simples des Kinks et
des Who. Eddy Mitchell, qui enregistre à Londres en 1963, se
souviendra de ce jeune homme timide, mais au son de guitare
démentiel. Page est en effet un des rares guitaristes à maîtriser
le sustain, c'est-à-dire le maintien de la note obtenu grâce au
volume sonore, un échange d'écho et d'électricité entre
l'amplificateur et la guitare. Deux garçons sauront faire pareil un
peu plus tard : Jeff Beck au sein des Yardbirds, qui en enseigna
les rudiments à Page, et Jimi Hendrix. Beck justement, est le
premier guitariste a utilisé sur scène le sustain et la fuzz, dès
1965, pendant que Page concocte cela pour les autres en studio.
Lorsque
Paul Samwell-Smith est débarqué, il faut donc un bassiste
compétent, prêt à prendre la relève au pied levé. Jimmy Page est
un musicien de vingt-deux ans, mais ultra-compétent, capable de
s'adapter à tout au pied levé, comme il le fait depuis trois ans.
Il rejoint donc les Yardbirds, et le groupe finit donc sa tournée
programmée avec soulagement.
Durant
la tournée américaine, à San Francisco, Jeff Beck tombe malade, il
doit être hospitalisé. Il est remplacé au pied levé par Jimmy
Page au Carousel Ballroom le 25 août, échangeant sa basse avec
Chris Dreja. Beck étant mal en point et nécessitant de se remettre,
cette formule en quatuor termine la tournée américaine. Une idée
germe.
Chris
Dreja, guitariste rythmique depuis les débuts de la formation des
Yardbirds en 1963, est bien conscient qu'il est à une place que son
niveau technique ne lui autorise plus. Avoir comme bassiste un
musicien aussi brillant que Jimmy Page à la basse alors que lui est
un modeste rythmicien derrière le prodige Jeff Beck, voilà qui est
totalement incohérent. Page ne demande toutefois rien. Il a intégré
les Yardbirds à la basse pour dépanner et se sortir des studios,
néanmoins il craint pour sa santé, et ne veut pas provoquer de
conflit dans le groupe. Mais la réalité est là : Jimmy Page
se plaît dans les Yardbirds, il apprécie de retrouver la scène, et
avec de bonnes conditions de tournée, sa santé se porte bien. Son
remplacement de Jeff Beck a été brillant. Dreja propose une idée
totalement impossible à refuser : que Page prenne la guitare au
côté de Beck, et faire des Yardbirds le premier groupe à double
guitare lead de l'histoire. Lui resterait à la basse, qu'il juge à
sa portée. L'idée enthousiasme les cinq musiciens. Page lui donne
quelques rudiments supplémentaires de basse, et la formule magique
des Yardbirds prend vie.
Le
groupe ne va pourtant pas enregistrer grand-chose sous cette formule.
Il ne restera qu'une version aménagée de « Train Kept A
Rollin » de Tiny Bradshaw, devenu « Stroll On » avec de
nouvelles paroles, pour éviter les histoires de droits. Ils
apparaissent sur scène dans le film Blow-Up de Michelangelo
Antonioni, jouant « Stroll On » devant un public
apathique. Beck fracasse sa guitare, une Hofner bon marché, car le
groupe initialement prévu pour le tournage était les Who. Jeff Beck
est un garçon timide et introverti, et l'aisance et l'habileté de
son ami Jimmy Page commence à le gêner. Il se sent menacé en tant
que guitariste lead, d'autant plus que Page est bien meilleur
compositeur. Les Yardbirds ouvrent pour la tournée anglaise des
Rolling Stones en 1966. Puis ils rejoignent une tournée organisée
par le DJ radio Dick Clarke, « Caravan Of Stars » au
Texas. Mais arrivé à San Francisco, Beck quitte la tournée pour
retrouver sa petite amie basée là-bas, Mary Hughes, chez qui il
s'était remis de ses soucis de santé durant l'été. A nouveau, les
Yardbirds se retrouvent en quatuor avec Page comme seul guitariste.
Beck revient en novembre, mais le manque de professionnalisme du
guitariste, son tempérament instable, entraînent son licenciement.
Le 30 novembre 1966, Beck quitte le groupe après la tournée
américaine pour créer sa propre formation : le Jeff Beck
Group.
Les
Yardbirds dernière formule sont alors définitivement en place en
quatuor. Toutefois, le dernier simple avec Beck, « Happening
Ten Years Ago », se classe 30ème aux Etats-Unis mais ne se
classe pas en Grande-Bretagne. La formation signe avec le producteur
de Donovan, Mickie Most. Mais le simple « Little Games »
qui sort en mars 1967 ne se classe même pas. Le simple « Goodnight
Sweet Josephine » voit sa parution tout simplement annulée.
Seul le quarante-cinq tours « Ha Ha Said The Clown », une
composition de Tony Hazzard, et sur lequel seul Keith Relf chante, se
classe 44ème dans les charts américains. Désormais, la carrière
des Yardbirds se fera aux Etats-Unis. L'album de compilation The
Yardbirds Greatest Hits,
paru en mars 1967, se classe 28ème des ventes d'albums aux
Etats-Unis. Le disque Little Games, seul album des Yardbirds
en quatuor avec Page à la guitare, ne se classe nulle part. Il ne
sera d'ailleurs que publié aux USA. La formation se lance toutefois
dans une tournée américaine avec un nouveau manager plus
énergique : un certain Peter Grant.
A suivre
A suivre
tous droits réservés
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire