samedi 17 mars 2018

TRESPASS 2018


"C'est un colosse d'acier, un monstre absolu de puissance, de lyrisme, de rebondissements électriques en tous genres."



TRESPASS : Footprints In The Rock 2018

Ils sont increvables, inoxydables. C'est le Momentum. Trespass aura échoué trente-cinq longues années, publiant finalement tous ces enregistrements, démos, simples auto-produits… dans les années 90 et 2000 pour des fanatiques de Heavy-Metal anglais du début des années 80, la fameuse New Wave Of British Heavy-Metal. Il leur faudra pourtant attendre 2015 pour publier un second vrai album, le premier ayant vu le jour en 1993 dans l'indifférence générale. Cette fois-ci, Trespass avait ressuscité ses vieux morceaux étrennés sur la route depuis le début des années 80 pour en délivrer en studio une version à la hauteur de leurs ambitions. D'aucun aurait pu craindre que l'exercice risquait d'être vain, sonnant daté, stérile, dépassé. Pourtant, Trespass dépassa toutes les attentes, transcendant ses vieilles scies musicales en offrant sur disque la quintessence de son esprit et de sa musique. C'est que le groupe s'était réuni autour de son noyau dur : Mark Sutcliffe au chant et à la guitare, Dave Crawte à la guitare et Paul Sutcliffe à la batterie. Ensemble depuis Fusion, trio fondé en 1976, ils formèrent Trespass en 1978. Le groupe baissa les bras en 1982 lorsque le père des frères Sutcliffe, Allan, fervent supporter de ses fils, mourut. Mark Sutcliffe tenta une nouvelle aventure avec Mendes Prey, qui n'eut plus de chance que Trespass. Puis, le trio fondateur se réunit pour créer un groupe de Hard-Metal Glam : Blue Blud, le temps de deux albums cette fois. Pourtant, ce ne fut pas la gloire. Les frères Sutcliffe et Crawte ne se reconnaissaient pas dans ce Metal commercial, bien loin de leur Suffolk originel.

C'est qu'ils étaient des gamins de la campagne, de Sudbury, pas si loin de Londres, sur la côte Est de la Grande-Bretagne, mais déjà trop pour que la scène musicale les aspire. Dans le coin, il n'y eut guère qu'eux. Pourtant, ils y puisèrent l'énergie des gosses de la campagne qui ont des rêves de voyage et d'aventure. Ils posaient comme des teignes sur des carcasses de bagnoles ou sur les quais au bord du canal. Mais ils n'étaient que des ploucs, bien loin de l'enfer industrielle de Birmingham et Sheffield, et de l'agitation culturelle de Londres. Comment le Suffolk aurait pu faire naître un groupe aussi trempé ?

Trespass joua aussi de malchance : il fut la vedette de la compilation du label EMI : « Metal For Muthas II : Cut Loud ». Le premier volume avait révélé rien de moins que Iron Maiden, qui fut d'ailleurs signé sur le dit label. Mais cette fois-ci, le miracle ne se produisit pas. Pourtant, Trespass n'était pas seulement pas puissant, il était incroyablement habile et raffiné. Mais cela, personne ne le vit. Le monde de la musique ne savait plus où donner de la tête. Mais déjà, on cherchait la violence sonore : Iron Maiden, Saxon, Motorhead, Judas Priest, puis Venom, Satan, Walfare…. Ces miraculeux héritiers de UFO et de Thin Lizzy étaient déjà hors course avant d'avoir pu prouver quoi que ce soit. Comme un ressort de l'histoire, c'est le label fondé par le manager d'Iron Maiden, Sanctuary, qui publiera la dernière intégrale en date de Trespass : One Of These Days : Anthology en 2004.

1982, l'affaire était pliée. Trespass n'était plus. Il reviendrait en 1993 à la faveur d'un retour en grâce de la NWOBHM, portée par des fans de premiers : les membres de Metallica eux-mêmes. Trespass publie l'excellent Head en 1993 suite aux très bonnes ventes de leur compilation d'enregistrements ancien : The Works. Le tout est publié sur un label fondé par le groupe lui-même, comme d'habitude, comme ses premiers simples. Head, bien qu'excellent, était trop ambitieux et différent des enregistrements historiques, et ce fut l'échec, une fois encore.

2015 sera donc le retour en grâce : enfin, Trespass publie un album à la hauteur de toutes les attentes et même au-delà, les concerts attirent du monde, il semble qu'enfin Trespass, après quarante ans de galère, vive son petit moment de gloire. Mais malgré les regards complaisants posés sur lui, le retour du groupe nécessitait de reprendre la route dans la camionnette comme toujours, et de se donner sans compter tous les soirs. Ce fut le cas un temps, avant que les organismes cinquantenaires ne commencent à crier à l'aide. Dave Crawte et Paul Sutcliffe se retirèrent, laissant Mark Sutcliffe seul aux commandes. Le triumvirat était pour la première fois brisé au sein de Trespass, était-il possible que le groupe survive à cela ? Mark Sutcliffe réussirait-il à poursuivre la destinée de Trespass sans en sacrifier l'essence ? Footprints In The Rock est la réponse à toutes les questions.

On aurait pu se dire qu'après un excellent album d'enregistrements de titres historiques du groupe, Trespass pouvait s'éteindre paisiblement, le sentiment du devoir accompli. C'est sans doute ce qui traversa l'esprit de Dave Crawte et Paul Sutcliffe lors de leurs départs. L'angoisse du fanatique que je sois fut que le groupe, continuant avec un seul membre original, se perde totalement musicalement, salissant son héritage aussi complexe que passionnant. Quelques accords sympathiques du premier extrait « Momentum » me convainquirent d'acheter ce nouvel album.

Autant faire tomber le suspense : ce nouvel album est un chef d'oeuvre. C'est un colosse d'acier, un monstre absolu de puissance, de lyrisme, de rebondissements électriques en tous genres. C'est un nouveau miracle sonore comme, décidément, on en attendait encore plus de Trespass. Il semble que l'adversité ait forgé un caractère de conquérant à ce groupe. Mark Sutcliffe est décidément un guitariste-chanteur-compositeur d'un immense talent. Il s'est entouré de Jason Roberts à la batterie, Danny B à la basse et Joe Fawcett à la guitare, des musiciens aussi doués que totalement inconnus. On ne sait pas trop comment cette petite équipe s'est constituée. Visiblement, la famille Sutcliffe a quelques contacts dans le petit monde des studios et de la musique. Est-ce que la réputation légendaire de Trespass suffit à attirer les meilleurs ? Sans doute pas, ou alors des fanatiques absolus. Sans doute en sont-ils, finalement, pour jouer dans ce quatuor avec la chance infime de voir le groupe partir en tournée mondiale dans les plus belles salles. A moins que jouer avec Trespass soit un sésame pour de plus rentables destinées. Jouer avec un groupe culte, dont les membres de Metallica portent toujours le blason sur leurs vestes sur les plus grandes scènes du monde, est sans doute la garantie d'une belle carrière. A moins que ce soit tout simplement par pure passion absolue. Qu'importe, ces trois garçons se sont ralliés avec fierté à Mark Sutcliffe pour porter ses chansons et sa musique pour un nouvel album. Danny B était déjà là sur le précédent album, et ce grassouillet et barbu personnage avait fait du bel œuvre en 2015.

Requinqué comme un gang de pirates, Trespass capte une vidéo pour le réseau internet. On ricane du cliché, les quatre musiciens filmés dans une casse auto, Roberts avec son kit de batterie jaune éléphantesque, Mark remuant de la tête comme un possédé, cheveux blancs et clairsemés devant la caméra, campé sur ses baskets de marque sportive. On ricane, car cela sent le clip de Metal éculé, celui des années 80 : Satan en 1983, Trust en 1981… tous dans une casse à cogner de l'acier, du Metal…. On oublierait presque que le morceau est excellent. Il n'a rien de la caricature, du réchauffé de Hard-Rock-Metal des années 70-je vous fais la leçon les jeunes. Des postures de cons, assurément, mais seulement voilà, le dit morceau est fabuleux. « Momentum » est un sommet de Heavy-Metal lyrique, avec sa rythmique décalée, ses riffs puissants. On est entre Thin Lizzy et Judas Priest, avec la voix incroyable de Mark Sutcliffe. L'homme a un timbre grave et râpeux qui n'a presque pas bougé entre 1980 et 2018. Et c'est ce qui est miraculeux. Non seulement Trespass est meilleur techniquement avec les années, mais la voix est à l'avenant de la musique. « Momentum » est une stèle obsédante. Son refrain massif résonne comme un cri.

« Be Brave » évolue sur les terres de Thin Lizzy, influence majeure du Heavy-Metal de Trespass. Il y a cette emphase, ce lyrisme infectieux. C'est celui que l'on trouvait déjà sur le simple « One Of These Days ». Mark Sutcliffe est un orfèvre du Heavy-Metal puissant et émotionnel. Les guitares s'entremêlent en chorus, et Joe Fawcett a su recréer l'alchimie du duo Dave Crawte-Mark Sutcliffe. Le disque est toutefois moins riche en soli de légende. Les morceaux sont concis, les chorus précis, sans développement instrumentaux de taille comme ce fut le cas sur le disque précédent, et avec brio par ailleurs. On sent que Mark Sutcliffe a voulu un disque percutant.

Cela se confirme avec deux superbes morceaux en forme de coups de poing : « Mighty Love » et « Prometheus ». On retrouve la nervosité et l'agressivité de la NWOBHM, et la mélancolie virile sur les refrains, qui parlent tant aux coeurs des hommes blessés. Trespass ne peut se départir de cette âme bleue qui irrigue la quintessence de sa musique. « Mighty Love » me parle tellement, il résonne si fort dans ma tête, touché au but, terrassé par la puissance de ce morceau. « Prometheus » se fait plus teigneux, mystique de mythologie grecque, et de combat fier et guerrier, la référence à Prométhée. Et cette condamnation en Enfer au bout du chemin…

« Footprints In The Rock » est une furie de Heavy-Metal, laisser ses empreintes dans la musique Rock. Il semble que Trespass ait réussi, mais il n'aura pas profité de sa gloire, n'aura jamais connu la fortune, il n'aura fait qu'exister par lui-même, par ses propres moyens. Son combat est exemplaire.

« Little Star » débute par une nappe de synthétiseur vaporeux et un chorus épique. Riff granitique, rythmique brutale, tribale, c'est un bel ouvrage, lacrymal. L'émotion est intense sur ce morceau. Il explose avec un superbe chorus, majestueux, lumineux. « The Green Man » est le morceau fleuve du disque. Ce bonhomme vert, qui est-il ? Un personnage de la Marvel ? Un emblème publicitaire français ? Mark Sutcliffe fait référence à un vieux film de science-fiction de la Hammer. Cet homme est décidément plein de ressources. Habilement, il provoque un écho entre ce personnage fantastique et la vie quotidienne. Superbement ouvragé de twin-guitars, « The Green Man » est une stèle égyptienne.

On retrouve le rythme tribal sur « Dragons In The Mist ». Dans un nuage de poussière, les bêtes de l'Enfer se soulève. « Beowulf And Grendel » est une tornade métallique vrombissante. Superbe morceau à la construction épique, il est le théâtre de magnifiques chorus alternés qui enivrent l'auditeur. « Weed » évoque cette drogue douce si vicieuse. « Music Of The Waves » est un superbe morceau doublé de guitare acoustique, totalement californien, qui sent bon les meilleurs morceaux de Joe Walsh en solo, une merveille.

Décidément, Trespass est éblouissant. Malgré les épreuves, malgré l'adversité, ce groupe aura su maintenir un niveau de qualité et une personnalité éblouissante. Il est bien peu de groupes à la destinée maudite qui ont autant de talent, qui ont su offrir une telle qualité musicale, sans amertume. Que Trespass connaisse enfin la reconnaissance des esthètes, qu'il devienne enfin un groupe respecté.

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