"C'est
un colosse d'acier, un monstre absolu de puissance, de lyrisme, de
rebondissements électriques en tous genres."
TRESPASS :
Footprints In The Rock 2018
Ils
sont increvables, inoxydables. C'est le Momentum. Trespass aura
échoué trente-cinq longues années, publiant finalement tous ces
enregistrements, démos, simples auto-produits… dans les années 90
et 2000 pour des fanatiques de Heavy-Metal anglais du début des
années 80, la fameuse New Wave Of British Heavy-Metal. Il leur
faudra pourtant attendre 2015 pour publier un second vrai album, le
premier ayant vu le jour en 1993 dans l'indifférence générale.
Cette fois-ci, Trespass avait ressuscité ses vieux morceaux étrennés
sur la route depuis le début des années 80 pour en délivrer en
studio une version à la hauteur de leurs ambitions. D'aucun aurait
pu craindre que l'exercice risquait d'être vain, sonnant daté,
stérile, dépassé. Pourtant, Trespass dépassa toutes les attentes,
transcendant ses vieilles scies musicales en offrant sur disque la
quintessence de son esprit et de sa musique. C'est que le groupe
s'était réuni autour de son noyau dur : Mark Sutcliffe au
chant et à la guitare, Dave Crawte à la guitare et Paul Sutcliffe à
la batterie. Ensemble depuis Fusion, trio fondé en 1976, ils
formèrent Trespass en 1978. Le groupe baissa les bras en 1982
lorsque le père des frères Sutcliffe, Allan, fervent supporter de
ses fils, mourut. Mark Sutcliffe tenta une nouvelle aventure avec
Mendes Prey, qui n'eut plus de chance que Trespass. Puis, le trio
fondateur se réunit pour créer un groupe de Hard-Metal Glam :
Blue Blud, le temps de deux albums cette fois. Pourtant, ce ne fut
pas la gloire. Les frères Sutcliffe et Crawte ne se reconnaissaient
pas dans ce Metal commercial, bien loin de leur Suffolk originel.
C'est
qu'ils étaient des gamins de la campagne, de Sudbury, pas si loin de
Londres, sur la côte Est de la Grande-Bretagne, mais déjà trop
pour que la scène musicale les aspire. Dans le coin, il n'y eut
guère qu'eux. Pourtant, ils y puisèrent l'énergie des gosses de la
campagne qui ont des rêves de voyage et d'aventure. Ils posaient
comme des teignes sur des carcasses de bagnoles ou sur les quais au
bord du canal. Mais ils n'étaient que des ploucs, bien loin de
l'enfer industrielle de Birmingham et Sheffield, et de l'agitation
culturelle de Londres. Comment le Suffolk aurait pu faire naître un
groupe aussi trempé ?
Trespass
joua aussi de malchance : il fut la vedette de la compilation du
label EMI : « Metal For Muthas II : Cut Loud ».
Le premier volume avait révélé rien de moins que Iron Maiden, qui
fut d'ailleurs signé sur le dit label. Mais cette fois-ci, le
miracle ne se produisit pas. Pourtant, Trespass n'était pas
seulement pas puissant, il était incroyablement habile et raffiné.
Mais cela, personne ne le vit. Le monde de la musique ne savait plus
où donner de la tête. Mais déjà, on cherchait la violence
sonore : Iron Maiden, Saxon, Motorhead, Judas Priest, puis
Venom, Satan, Walfare…. Ces miraculeux héritiers de UFO et de Thin
Lizzy étaient déjà hors course avant d'avoir pu prouver quoi que
ce soit. Comme un ressort de l'histoire, c'est le label fondé par le
manager d'Iron Maiden, Sanctuary, qui publiera la dernière intégrale
en date de Trespass : One Of These Days : Anthology
en 2004.
1982,
l'affaire était pliée. Trespass n'était plus. Il reviendrait en
1993 à la faveur d'un retour en grâce de la NWOBHM, portée par des
fans de premiers : les membres de Metallica eux-mêmes. Trespass
publie l'excellent Head en 1993 suite aux très bonnes ventes
de leur compilation d'enregistrements ancien : The Works.
Le tout est publié sur un label fondé par le groupe lui-même,
comme d'habitude, comme ses premiers simples. Head, bien
qu'excellent, était trop ambitieux et différent des enregistrements
historiques, et ce fut l'échec, une fois encore.
2015
sera donc le retour en grâce : enfin, Trespass publie un album
à la hauteur de toutes les attentes et même au-delà, les concerts
attirent du monde, il semble qu'enfin Trespass, après quarante ans
de galère, vive son petit moment de gloire. Mais malgré les regards
complaisants posés sur lui, le retour du groupe nécessitait de
reprendre la route dans la camionnette comme toujours, et de se
donner sans compter tous les soirs. Ce fut le cas un temps, avant que
les organismes cinquantenaires ne commencent à crier à l'aide. Dave
Crawte et Paul Sutcliffe se retirèrent, laissant Mark Sutcliffe seul
aux commandes. Le triumvirat était pour la première fois brisé au
sein de Trespass, était-il possible que le groupe survive à cela ?
Mark Sutcliffe réussirait-il à poursuivre la destinée de Trespass
sans en sacrifier l'essence ? Footprints In The Rock est
la réponse à toutes les questions.
On
aurait pu se dire qu'après un excellent album d'enregistrements de
titres historiques du groupe, Trespass pouvait s'éteindre
paisiblement, le sentiment du devoir accompli. C'est sans doute ce
qui traversa l'esprit de Dave Crawte et Paul Sutcliffe lors de leurs
départs. L'angoisse du fanatique que je sois fut que le groupe,
continuant avec un seul membre original, se perde totalement
musicalement, salissant son héritage aussi complexe que passionnant.
Quelques accords sympathiques du premier extrait « Momentum »
me convainquirent d'acheter ce nouvel album.
Autant
faire tomber le suspense : ce nouvel album est un chef d'oeuvre.
C'est un colosse d'acier, un monstre absolu de puissance, de lyrisme,
de rebondissements électriques en tous genres. C'est un nouveau
miracle sonore comme, décidément, on en attendait encore plus de
Trespass. Il semble que l'adversité ait forgé un caractère de
conquérant à ce groupe. Mark Sutcliffe est décidément un
guitariste-chanteur-compositeur d'un immense talent. Il s'est entouré
de Jason Roberts à la batterie, Danny B à la basse et Joe Fawcett à
la guitare, des musiciens aussi doués que totalement inconnus. On ne
sait pas trop comment cette petite équipe s'est constituée.
Visiblement, la famille Sutcliffe a quelques contacts dans le petit
monde des studios et de la musique. Est-ce que la réputation
légendaire de Trespass suffit à attirer les meilleurs ? Sans
doute pas, ou alors des fanatiques absolus. Sans doute en sont-ils,
finalement, pour jouer dans ce quatuor avec la chance infime de voir
le groupe partir en tournée mondiale dans les plus belles salles. A
moins que jouer avec Trespass soit un sésame pour de plus rentables
destinées. Jouer avec un groupe culte, dont les membres de Metallica
portent toujours le blason sur leurs vestes sur les plus grandes
scènes du monde, est sans doute la garantie d'une belle carrière. A
moins que ce soit tout simplement par pure passion absolue.
Qu'importe, ces trois garçons se sont ralliés avec fierté à Mark
Sutcliffe pour porter ses chansons et sa musique pour un nouvel
album. Danny B était déjà là sur le précédent album, et ce
grassouillet et barbu personnage avait fait du bel œuvre en 2015.
Requinqué
comme un gang de pirates, Trespass capte une vidéo pour le réseau
internet. On ricane du cliché, les quatre musiciens filmés dans une
casse auto, Roberts avec son kit de batterie jaune éléphantesque,
Mark remuant de la tête comme un possédé, cheveux blancs et
clairsemés devant la caméra, campé sur ses baskets de marque
sportive. On ricane, car cela sent le clip de Metal éculé, celui
des années 80 : Satan en 1983, Trust en 1981… tous dans une
casse à cogner de l'acier, du Metal…. On oublierait presque que le
morceau est excellent. Il n'a rien de la caricature, du réchauffé
de Hard-Rock-Metal des années 70-je vous fais la leçon les jeunes.
Des postures de cons, assurément, mais seulement voilà, le dit
morceau est fabuleux. « Momentum » est un sommet de
Heavy-Metal lyrique, avec sa rythmique décalée, ses riffs
puissants. On est entre Thin Lizzy et Judas Priest, avec la voix
incroyable de Mark Sutcliffe. L'homme a un timbre grave et râpeux
qui n'a presque pas bougé entre 1980 et 2018. Et c'est ce qui est
miraculeux. Non seulement Trespass est meilleur techniquement avec
les années, mais la voix est à l'avenant de la musique.
« Momentum » est une stèle obsédante. Son refrain
massif résonne comme un cri.
« Be
Brave » évolue sur les terres de Thin Lizzy, influence majeure
du Heavy-Metal de Trespass. Il y a cette emphase, ce lyrisme
infectieux. C'est celui que l'on trouvait déjà sur le simple « One
Of These Days ». Mark Sutcliffe est un orfèvre du Heavy-Metal
puissant et émotionnel. Les guitares s'entremêlent en chorus, et
Joe Fawcett a su recréer l'alchimie du duo Dave Crawte-Mark
Sutcliffe. Le disque est toutefois moins riche en soli de légende.
Les morceaux sont concis, les chorus précis, sans développement
instrumentaux de taille comme ce fut le cas sur le disque précédent,
et avec brio par ailleurs. On sent que Mark Sutcliffe a voulu un
disque percutant.
Cela
se confirme avec deux superbes morceaux en forme de coups de poing :
« Mighty Love » et « Prometheus ». On
retrouve la nervosité et l'agressivité de la NWOBHM, et la
mélancolie virile sur les refrains, qui parlent tant aux coeurs des
hommes blessés. Trespass ne peut se départir de cette âme bleue
qui irrigue la quintessence de sa musique. « Mighty Love »
me parle tellement, il résonne si fort dans ma tête, touché au
but, terrassé par la puissance de ce morceau. « Prometheus »
se fait plus teigneux, mystique de mythologie grecque, et de combat
fier et guerrier, la référence à Prométhée. Et cette
condamnation en Enfer au bout du chemin…
« Footprints
In The Rock » est une furie de Heavy-Metal, laisser ses
empreintes dans la musique Rock. Il semble que Trespass ait réussi,
mais il n'aura pas profité de sa gloire, n'aura jamais connu la
fortune, il n'aura fait qu'exister par lui-même, par ses propres
moyens. Son combat est exemplaire.
« Little
Star » débute par une nappe de synthétiseur vaporeux et un
chorus épique. Riff granitique, rythmique brutale, tribale, c'est un
bel ouvrage, lacrymal. L'émotion est intense sur ce morceau. Il
explose avec un superbe chorus, majestueux, lumineux. « The
Green Man » est le morceau fleuve du disque. Ce bonhomme vert,
qui est-il ? Un personnage de la Marvel ? Un emblème
publicitaire français ? Mark Sutcliffe fait référence à un
vieux film de science-fiction de la Hammer. Cet homme est décidément
plein de ressources. Habilement, il provoque un écho entre ce
personnage fantastique et la vie quotidienne. Superbement ouvragé de
twin-guitars, « The Green Man » est une stèle
égyptienne.
On
retrouve le rythme tribal sur « Dragons In The Mist ».
Dans un nuage de poussière, les bêtes de l'Enfer se soulève.
« Beowulf And Grendel » est une tornade métallique
vrombissante. Superbe morceau à la construction épique, il est le
théâtre de magnifiques chorus alternés qui enivrent l'auditeur.
« Weed » évoque cette drogue douce si vicieuse. « Music
Of The Waves » est un superbe morceau doublé de guitare
acoustique, totalement californien, qui sent bon les meilleurs
morceaux de Joe Walsh en solo, une merveille.
Décidément,
Trespass est éblouissant. Malgré les épreuves, malgré
l'adversité, ce groupe aura su maintenir un niveau de qualité et
une personnalité éblouissante. Il est bien peu de groupes à la
destinée maudite qui ont autant de talent, qui ont su offrir une
telle qualité musicale, sans amertume. Que Trespass connaisse enfin
la reconnaissance des esthètes, qu'il devienne enfin un groupe
respecté.
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