"Il
semble que l'album de Black Sabbath Masters Of Reality soit
une référence ultime."
IRON
MAN : The Passage 1994
La
vie est une peau de vache. Alors qu'elle laisse tous les espoirs
permis, elle referme inexorablement ses portes sur les âmes
revêches. Ne pas se plier au modèle social général est une
faiblesse. Vouloir croire que l'on peut vivre en marge et en
ressortir avec la reconnaissance et le respect n'est qu'illusion. Il
faut accepter ou se résigner à errer sans fin dans un monde
hostile. Il faut affronter les multiples obstacles qui se dressent
inexorablement, dont la source unique n'est que l'incompréhension.
Celui qui refuse et s'oppose est un danger à l'équilibre imposé,
implicite.
Des
hommes, uniquement guidés par la passion, décident de défendre
leurs idéaux. Curieusement, le Nord-Est des Etats-Unis regorgent de
ces iconoclastes musicaux : le Maryland, la Virginie, l’État
de Washington DC sont la terre originelle des plus terrifiants et
originaux flingueurs musicaux des quarante dernières années :
Pentagram, The Obsessed, Iron Man.
Tous
sont partis d'une même et unique focale : Black Sabbath. Ils en
sont tous fans, jusqu'à l'obsession. Mais à ce terreau initial
s'ajoute tout ce que la musique Rock va produire d'agressif et de
violent, écumant l'underground du Heavy-Rock psychédélique :
Stray, Sir Lord Baltimore, Budgie, Leaf Hound…. Aucun ne cherche à
s'abreuver de psychédélisme, mais bien de cette hargne brute qui
remue les trips, tout en conservant une certaine forme de spleen
rampant. L'histoire semble avoir ouvert la porte du succès à un
groupe comme Black Sabbath au début des années 70. Il y a donc
forcément de la place pour un descendant, un remplaçant du maître
qui se perd à la fin des années 70 dans des circonvolutions
progressives bien trop audacieuses pour son public initial. Mais la
vérité, c'est que Black Sabbath profita d'une opportunité unique
qui ne se renouvellera pas. En 1970, une forme d'escalade sonore du
Hard-Rock naissant permet au quatuor de Birmingham de devenir
l'aboutissement sonore ultime de cette période musicale, concluant
ainsi les expérimentations de Led Zeppelin et Deep Purple. Black
Sabbath est une révolution musicale en soi, indépassable. Tout le
reste ne peut être que copie et plagiat. Il est tout simplement
impossible de faire plus massif, plus noir, plus menaçant que la
musique de Black Sabbath.
Il
y aura pourtant une suite, plus agressive et plus violente :
Motorhead, Judas Priest, Iron Maiden puis Celtic Frost, Slayer,
Metallica….. Ce nouveau Heavy-Metal s'abreuva de Punk, de
Hard-Rock, de Rock Progressif…. Le nouveau Metal se veut véloce,
vif, tranchant. La matière noire de Black Sabbath sert de point de
départ, mais surtout de modèle dans l'accordage des guitares.
L'agressivité du jeu de Tony Iommi devint une référence,
l'assurance d'avoir un Heavy-Metal puissant et rageur. Mais les tempi
hantés ainsi que les atmosphères lugubres de cathédrales
abandonnées ne vont plus avec l'époque des années 80.
Pourtant,
Pentagram, The Obsessed ou Iron Man vont poursuivre la voie tracée
par Black Sabbath, labourant le sillon d'un Heavy-Metal noir, lourd
et malsain. Ils le gorgent d'une agressivité très spécifique, qui
n'a rien à voir avec la vitesse ou la virtuosité. Il s'agit
d'appuyer encore et encore sur ce sentiment d'écrasement sonore lié
à la guitare et aux riffs de Black Sabbath. La batterie est toujours
plus lourde et massive, la basse pousse les tweeters des
amplificateurs hors de leurs logements, et la guitare se fait
toujours plus sale et grave. Les chanteurs ont un rôle capital à
jouer, devenant les comédiens possédés d'une atmosphère maléfique
alimentée par les symboles sataniques, la science-fiction, les
meurtriers en série, la guerre, et autres réjouissances de
l'histoire de l'Humanité. Malgré cette progression dans la
violence, la musique reste profondément ancré dans ce groove noir
aux racines issues du Blues blanc anglais de la fin des années 60.
il ne s'agit aucunement de perdre ce point de vue, car du Blues vint
la lumière noire de la musique de Black Sabbath.
Cette
musique va désormais s'appeler le Doom-Metal, nom aussi
apocalyptique qu'il a pour référence un morceau de Black Sabbath :
« Hand Of Doom » sur l'album Paranoid de 1970.
Tous vont ramer âprement pour pouvoir jouer en concert et
enregistrer. Leurs destinées sont de longs calvaires dont les
aboutissements sont des albums hors du commun, parfaitement
intemporels, et imprégnés d'une haine profonde. Pentagram débutera
sa carrière en 1971, mais n'enregistrera son premier album qu'en
1985. The Obsessed débutera en 1976, mais ne captera son premier
méfait qu'en 1990 après que son leader Wino Weinrich ait rejoint un
autre démon du riff : Saint Vitus, qui aura lui un peu plus de
chance en n'attendant que cinq années pour enregistrer son premier
disque. Iron Man va publier son premier album en 1993, mais la genèse
de l'homme de fer remonte à 1976. Alfred Morris III, dit Al Morris
est un guitariste du Maryland. Il est décidément un garçon bien
singulier : afro-américain au physique plutôt solide, il ne se
tourne pas naturellement musicalement vers le Funk comme ses
camarades de communauté, mais vers le Heavy-Metal. Il devient un fan
obsessionnel de Black Sabbath, dévotion à laquelle il va sacrifier
son existence de musicien.
Il
monte un groupe du nom de Force, dont la musique est bien évidemment
fortement liée à Black Sabbath. Il va poursuivre l'oeuvre de ses
maîtres, avec toutefois une nouvelle particularité : le chant
est tenue par une jeune femme, Simona Queen. La basse est tenue par
un autre musicien afro-américain, Larry Brown, et la batterie par
Dex Dexter. Le petit équipage rame consciencieusement avant
d'enregistrer un premier EP éponyme en 1981. De nombreuses démos
sont également enregistrées entre 1978 et 1983. Elles feront
surface en 1991 pour l'unique album de Force. Entretemps, Force
deviendra un temps Rat Salad, référence à un morceau de Black
Sabbath sur Paranoid.
Puis
en 1988, lassé de l'ingratitude du public comme des labels pour son
groupe, Al Morris décide de monter un tribute-band à Black Sabbath.
Le succès local est assuré, et Morris pourra s'adonner sans retenue
à la musique qu'il aime. Il est rejoint dans cette tâche par le
bassiste Larry Brown, fidèle lieutenant des aventures musicales du
guitariste. Les postes de chanteur et de batteur oscillent beaucoup.
Le tribute-band s'appelle Iron Man, encore une référence à un
morceau de Black Sabbath sur l'album Paranoid, et la petite
équipe écume les petites salles de concert Rock du Maryland le
week-end. Al Morris et Larry Brown égrènent donc le répertoire du
Sabbat Noir à l'heure où le groupe de Tony Iommi est à l'agonie
depuis le milieu des années 80, et que la scène musicale est dominé
par le Rock-FM à synthétiseurs, le Glam-Metal, puis au début des
années 90, par le Grunge. L'avantage du mouvement musical de Seattle
est de remettre en lumière la musique de Black Sabbath, qui est la
source d'inspiration majeure des riffs de Nirvana et de Soundgarden.
Mais
Al Morris est aussi un compositeur, et ne peut s'empêcher de créer
des riffs originaux à partir de la musique de Black Sabbath. Aussi,
Iron Man devient un groupe à part entière, avec un vrai répertoire,
et le label Hellhound Records, qui est aussi celui de The Obsessed,
signe le groupe. En 1993 sort Black Night,
efficace premier brûlot porté par la voix de Rob Levey. Son chant
s'avère plutôt intéressant, mais manque de puissance. Il est dans
la moyenne du chanteur de Heavy-Metal de l'époque, un peu daté, peu
charismatique. Il manque quelque chose de plus qui rendrait ces
nouveaux morceaux parfaitement passionnants. Le successeur de Levey
va être l'homme providentiel : il s'appelle Dan Michalak.
Bonhomme au physique de catcheur, mâchoire carrée et regard
menaçant, sa voix a autant d'ampleur que ses épaules. Il a ce
timbre très particulier, emphatique et possédé, qui n'est pas sans
rappeler Messiah Marcolin de Candlemass. Il y a presque une pointe
d'opéra dans ce phrasé qui donne à la musique d'Iron Man une
dimension plus dramatique et mélancolique. Vic Tomaso remplace
l'historique batteur Dex Dexter, et les quatre musiciens rejoignent
les studios pour un second album en 1994.
Il
s'appelle The Passage, et il est fascinant. Il est simplement
parfait, porté par la guitare redoutable de Al Morris. Elle est le
sosie quasi-parfait de celle de Tony Iommi, en riff comme en solo,
avec toutefois quelque chose de plus agressif, de plus sale, de
profondément menaçant. Il semble que l'album de Black Sabbath
Masters Of Reality soit une référence ultime. C'est le
disque où Tony Iommi poussa dans ses derniers retranchements sa
guitare, créant un véritable bombardier sonore à la férocité
encore aujourd'hui difficilement dépassable. The Passage est
presque un nouvel opus de Black Sabbath, plus noir, plus urbain, dont
le pouls bat avec une pulsation différente, celle de la province
américaine profonde où règne l'ennui.
Le
Maryland. C'est un état américain réputé pour ses petits ports de
pêche, ses jolies forêts, entre mer et montagne. Les villages de
maisons en bois colorés ont tout du cliché de la maison de campagne
américaine, lorsque le cadre aisé désire quitter l'agitation
new-yorkaise. Mais ce sont aussi de petites bourgades trop calmes,
habitées par une population modeste qui tente de survivre chichement
des ressources locales. C'est un climat plutôt vigoureux, les terres
sont régulièrement battues par des tempêtes de neige, le blizzard,
et la pluie qui rend la campagne si verte. Tous sont de modestes
salariés dont la seule lueur est le concert du samedi soir avec leur
groupe respectif, lorsqu'enfin la vie prend un tour plus excitant,
permettant d'évacuer la frustration et la colère emmagasinées
pendant la semaine.
Lorsqu'Iron
Man sort son second disque, bien des espoirs se dessinent. La
formation a un label, un premier disque de qualité, des concerts
programmés, et un nouveau chanteur prometteur. La quatuor ne perd
pas de temps, et capte ce second set de morceaux originaux en moins
d'un an afin d'entretenir la petite lueur qui vient de s'allumer
après plus de quinze ans à vivoter dans l'anonymat. Toutes ces
années ont aussi fait de Al Morris et Larry Brown de sacrés
musiciens, excellant dans leurs domaines.
Et
cela saute aux oreilles dès l'introductif « The Fury ».
Un riff barbare au grondement souterrain râpe les enceintes. Une
grosse basse élastique vrombit poussée par une batterie agile et
sans concession. Une voix rugissante et emphatique apparaît
au-dessus de ce tapis de bombes sonore. Michalak est un prêcheur
démoniaque, condamnant aux Enfers les pauvres âmes perdues. Les
cloches retentissent, Al Morris tient l'édifice avec fermeté. Ses
riffs grognant emplissent l'espace sonore, ne laissant que peu de
répit à l'auditeur. Le solo tourbillonnant final, gargouillant
malicieusement de wah-wah, est un chef d'oeuvre de lyrisme musical.
« Unjust
Reform » est soutenu par un riff retors et menaçant. Les
paroles sont caractéristiques du travail de Michalak, à savoir des
textes souvent politisés, traitant de la violence, de l'injustice,
sur fond de science-fiction plus ou moins appuyée. On retrouve sur
le pont sonore quelques similitudes avec « Cornucopia »
de Black Sabbath, mais cela est si habilement intégré que l'on ne
peut pas parler de plagiat.
« Harvest
Of Earth » est une vraie merveille, avec sa mélodie vocale
imparable, collant au cortex avec obsession. Le travail est
entièrement dédié à Michalak, Tomaso, Morris et Brown tenant une
solide charpente d'acier trempé au riff simplissime, obsessionnel.
Vic Tomaso tient un tempo impeccable, souple et lourd, qui n'est pas
sans rappeler Joe Hasselvander de Pentagram. Dan Michalak tient la
mélodie de sa voix hantée.
« Iron
Warrior » débute par une cavalcade furieuse de guitare et de
roulements de toms, portant un chant urgent et en alerte. Puis le
tempo gronde furieusement, noir. Il est suivi d'un morceau plus
surprenant dans ses matériaux. Il débute par le bruit d'un coffre
de voiture qui s'ouvre avant que Al Morris fasse grogner sa Gibson SG
Standard. La voix de Michalak est traitée avec un filtre sonore sur
les couplets qui lui donne l'impression d'hurler d'une vieille radio.
La guitare tronçonne d'épaisses tranches de bois dans l'air
ambiant, soutenue par une section rythmique implacable. C'est un
morceau épique, urgent, une course effrénée dans la nuit.
« Waiting
For Tomorrow » débute par une introduction à la guitare
acoustique, délicate et lumineuse. Dan Michalak chante également de
manière feutrée, avant que la Gibson SG rugisse de nouveau. Le
tempo est médium, le riff de guitare tendue comme un étendard sur
le champ de bataille. A nouveau, le désespoir s'installe à la vue
de ce quotidien si noir. L'avenir semble lui aussi compromis,
pourtant, Michalak implore des jours nouveaux, la lumière tant
promise et tant espérée. La ligne de guitare est entêtante,
avançant comme une procession résolue. Il est suivi du lourd et
sombre « Time Of Indecision », qui lui, ne laisse pas
passer le moindre rayon de lumière. La nuit obscurcit l'horizon.
« Tony
Stark » est un hommage au personnage de Marvel nommé Iron Man,
référence culturelle plus évidente pour le public US que le
morceau de Black Sabbath. C'est un instrumental épique, qui ouvre la
voie au final « End Of The World ». C'est une avalanche
de guitare tourbillonnante, au son tranchant et grave. On entend des
cris de foule, et une angoisse monte, avant que le groupe ne
ralentisse le rythme, et que Morris cale son riff. C'est un pur
morceau de Doom mélancolique et menaçant, appuyant sur une
atmosphère pesante et sans espoir. Le titre du morceau est on ne
peut plus explicite. Al Morris décoche de nouveaux chorus puissants
et lyriques. On ne dira jamais assez de bien du jeu de batterie de
Vic Tomaso, magistral de bout en bout, et dont le travail de grosses
caisses, fin et inspiré, apporte un vrai plus au Heavy-Metal d'Iron
Man.
Ce
second disque en deux ans va pourtant être aussi le dernier avant un
long silence de cinq longues années. Des méventes de l'album aux
galères liées aux tournées du groupe qui peine à sortir de son
Maryland originel, Iron Man se met en sommeil et les musiciens
reprennent une activité professionnelle normale et sans relief,
avant que le monstre ne se réveille à nouveau et gronde pour
l'année 1999, un an avant l'Apocalypse annoncée de l'an 2000.
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