"L'album
sort en 1988 sous le nom de Cold Lake, et est un véritable
cataclysme pour les fans de Celtic Frost. "
CELTIC
FROST : Cold Lake 1988
La
trahison est un sentiment épouvantable. Ressentir ce moment où l'un
de vos proches, une personne en qui vous avez pleine confiance, vous
a fait faux bond pour des raisons d'une bassesse consternante est
l'une des expériences humaines les plus violentes qui soit. Il n'est
pas évident de pardonner un tel faux-pas. La religion chrétienne se
veut pleine d'amour et a pour principe le pardon des âmes en
perdition. Mais lorsque l'on n'y croit pas, que reste-t-il, à part
l'amertume et la haine ?
Le
lac gelé, en voilà un drôle de nom pour un album. Pourtant, pour
qui connaît le groupe suisse Celtic Frost, il n'y a rien d'étonnant,
car il est finalement en parfaite phase avec son univers gothique et
hanté. Celtic Frost n'est pas qu'un simple groupe de Heavy-Metal
extrême. Il est bien plus que cela : il est l'un des grands
créateurs d'univers sonores de la Rock Music, aux côtés de Soft
Machine, Black Sabbath, Led Zeppelin, ou King Crimson. C'est une
formation que rien ne fit reculer, jamais, pas même ses fans
irréductibles, au moins aussi intenses et passionnés que ceux de
Motorhead ou AC/DC. L'amateur de Celtic Frost se doit pourtant
d'avoir le coeur bien accroché. En effet, son leader, Thomas Gabriel
Fischer, alias Tom Warrior, est un musicien en permanente ébullition.
Il est secondé par son âme noire, le bassiste Martin Eric Ain. Les
deux entretiennent depuis 1984 une amitié intense, faite d'échanges
artistiques passionnés et de haine philosophique, et dont
l'opposition est le moteur de Celtic Frost.
Celtic
Frost est né sur les cendres de Hellhammer, infernal trio sévissant
entre 1982 et 1984, et dont les bandes de démonstration démoniaques
et ultra-brutales servirent de base à rien de moins que le futur
Black-Metal. Certes, Venom en définit plusieurs ingrédients, à
commencer par le nom, tiré de son second album. Le chant hurlé de
Cronos, les riffs barbelés de Mantas, la rythmique matraquée
d'Abaddon, les thèmes sataniques, le mélange de Heavy-Metal brutal
et de Punk, tout était déjà là. Pourtant, Venom conserve encore
quelques scories de Rock'N'Roll. Il traîne toujours dans un coin un
riff Boogie qui ramène à ce Rock anglais dont Venom est le
descendant fracassé. Hellhammer a balayé toute trace de Rock'N'Roll
et de Blues. C'est un Metal vociférant, mélange sale de Punk et de
Black Sabbath, dégueulé, vomi, absolument sans pitié et sans
aucune retenue. Et tout cela a bien sûr une âme profonde. Si Venom
était avant tout un concept né du cerveau dérangé de Conrad Lant,
Hellhammer a des racines psychiatriques qui sont à chercher au plus
profond de l'âme torturée de Tom Fischer.
Gamin,
il vit dans la campagne à côté de Zurich, en Suisse. Sa mère,
séparée, s'est installée dans un petit village de mille âmes,
Nurensdorf, afin d'y trouver sérénité et bien-être champêtre, et
veut surtout se couper de tout lien avec la famille de son ex-mari,
pilote de moto, resté sur Zurich. Cette femme à l'idéal hippie de
la fin des années soixante cherche la douceur de vivre pour son
enfant, loin du tumulte de la grande ville, cette hydre noire qui
broie les âmes. Elle lui inculque l'idéal de l'époque, l'amour des
autres et de son prochain, le pacifisme, que chaque être humain est
bon et respectueux.
Pourtant, ce petit coin de campagne va se transformer en enfer pour
le jeune Tom. Sa mère arrondit ses fins de mois en faisant de la
contrebande de diamants depuis les pays du Tiers-Monde. Elle a
également développé des psychoses, préférant s'entourer de
dizaines de chats plutôt que de refaire sa vie avec un homme. Elle
laisse donc son fils des jours seul dans la maison au milieu des
chats urinant dans tous les coins de la bâtisse, se vêtant de ce
qu'il trouve dans la maison en désordre, et survivant avec les
maigres moyens à sa disposition. Le jeune garçon, chétif, se fait
brocarder rapidement par ses camarades d'école à cause de ses
habits sales et ses tenues mal assorties. Pire, il dégage une odeur
infecte d'urine de félin, et finit au fond de la cour, seul, entre
deux coups de poing de ses camarades. La petite bourgade tranquille
devient vite invivable pour Tom, d'autant plus qu'à la campagne, les
rumeurs vont vite. Tom et sa mère sont la risée du village. Dans ce
pays déjà très réactionnaire et rigide de tradition, la province
est un monde étouffant, où les êtres faibles agonisent en silence.
Tom Fischer devient un homme en combustion interne, ravagé par un
feu intérieur fait de vengeance et de fuite vers un autre monde à
sa mesure. Il trouve quelques espaces de liberté dans les collines
autour du village, seul, entre les grands conifères, les sommets
abrupts, les fleurs sauvages, et les animaux de la forêt. Là,
personne ne le juge, personne ne le brutalise. Il est seul, petit
humain au milieu de la grandeur des éléments. Il se nourrit
d'Histoire, de science-fiction, et de tout ce qui peut faire fuir son
esprit de son quotidien sordide. Il développe une haine intense pour
l'être humain qui va alimenter toute sa musique à venir.
Il
fomente sa vengeance. Elle sera musicale. Il part en Grande-Bretagne
et découvre la New Wave Of British Heavy-Metal, dont il va
s'abreuver en disques rares. Il va notamment faire l'acquisition du
premier simple de Venom en 1981 : « In League With
Satan ». Esprit audacieux, il essaie de passer le disque sur la
platine de sa mère à la vitesse du 33 tours, et quelque chose se
passe. Les mots de Cronos deviennent pâteux et hantés, les riffs
sont des ondulations électriques d'un autre monde. Le choc se
produit. Hellhammer prend vie. Il durera de 1982 à 1984. C'est une
pulvérisation de napalm sonore, qui carbonise les campagnes
environnantes avec minutie, ainsi que les oreilles des magazines
spécialisées qui en reçoivent les cassettes de démonstration. La
presse anglaise reste partagée, et globalement, Hellhammer ne
suscite pas plus d'enthousiasme que Venom en son temps. Il s'agit de
bruit stérile et hirsute.
Comme
ses prédécesseurs dans les années soixante, la presse Metal
cherche la respectabilité de sa musique. En 1967-1968, la presse
musicale chercha à démontrer que le Rock était bien plus qu'une
musique d'adolescent inepte, et qu'elle avait autant de fond que le
Jazz et le Classique. D'ailleurs les groupes jouèrent avec des
orchestres, et composèrent des concept-albums : Moody Blues,
Frank Zappa, Pink Floyd, Yes, Deep Purple, Who…. Tous cherchaient
la respectabilité. A côté, les énervés en quête de shoot
électrique étaient considérés comme des crétins, rien de moins ;
Led Zeppelin, Black Sabbath, Stooges, Stray, Status Quo…. Tous
furent traités comme des chiens, parce que donnant une image
dégradante du Rock.
En
1982, le Heavy-Metal poursuivait cette même respectabilité. Aussi,
tout ce qui s'apparentait à du concept-album ou du Progressif était
le bienvenu : Rush, Triumph, Journey, Boston, Blue Oyster Cult,
voire Iron Maiden, voilà des groupes qui partageaient virtuosité
instrumentale, textes fouillés, et démarches artistiques.
Hellhammer, comme Venom, n'était qu'un groupe de bourrins vulgaires.
Et les choses ne changèrent pas plus lorsque Ain et Fischer mutèrent
Hellhammer en Celtic Frost. Pourtant, dès le premier EP, Morbid
Tales, le trio noir était d'une tout autre trempe. La musique
n'était pas simplement démoniaque, elle était spectaculaire. Son
complément furieux s'appelle Emperor's Return et sort lui
aussi en 1984. Jamais un groupe n'aura été aussi puissant, massif,
possédé. Là où Venom pouvait presque retourner du second degrés,
il n'en est point question avec Celtic Frost.
Malgré
les costumes à base de cuir, de clous, de casques Moyen-Ageux, et de
maquillages blafards en noir et blanc, plus tard qualifiés de
corpse-paints, il n'est plus permis de prendre Celtic Frost pour des
guignols. Ces trois-là foutent les jetons, définitivement. Ils sont
sérieux, appliqués, et surtout, déterminés. Leurs morceaux sont
impressionnants, implacables de brutalité et de précision. Et rien
ne va les arrêter. To Mega Therion en 1985 est leur premier
album. C'est une comète métallique, illuminée de magie macabre. Le
son boueux mais majestueux laisse place à des enluminures de lave en
fusion. Into The Pandomenium en 1987 est un pas de plus vers
une musique plus élaborée sans toutefois laisser la moindre
concession. Certes, les costumes gothiques laissent place à quelques
effets de permanente capillaire, mais la musique reste d'une violence
indescriptible. Pourtant, le phrasé se fait plus…. Rap. Tom
Fischer est fasciné par la violence du Hip-Hop américain, et
n'hésite pas à composer des instrumentaux à base de boîtes à
rythme et de samples urbains, totalement déconnectés de ce
Heavy-Metal macabre qu'est celui de cette Suisse possédée. Into
The Pandemonium définit vingt ans de Heavy-Metal extrême à
venir, entre son chant plaintif et ses scansions Rap, le tout pétri
de Heavy-Metal saumâtre.
Il
était impossible que ces garçons ne se carbonisent pas à jouer une
telle musique. La tournée mondiale qui suivra l'album deviendra un
enfer. Martin Ain s'en ira, et puis tout le reste de Celtic Frost.
Pendant ce temps, Ain est sur le point de se fiancer avec la belle
Michelle Villanueva. Mais cette dernière tombe en admiration, puis
en amour pour l'esprit torturé de Celtic Frost : Tom Fischer.
Les deux amis, unis comme des frères, se déchirent pour une femme.
Il devient évident que le coeur de Celtic Frost est brisé pour
toujours.
Mais
Fischer ne voit pas les choses de cette manière. Il est un homme
heureux, pour la première fois de sa vie. Il est amoureux d'une
femme magnifique et son groupe a malgré tout atteint un niveau de
respectabilité enviable avec une musique intransigeante. Il
suffirait d'un petit coup de pouce pour que Tom Fischer atteigne
cette reconnaissance artistique et commerciale qu'il désire au plus
profond de lui, comme une vengeance sur son histoire personnelle.
Il
va croiser la route du guitariste Oliver Amberg, ancien membre du
groupe de Thrash-Metal suisse Coroner. Amberg fut un temps pressenti pour être second guitariste lors de la formation de Celtic Frost en 1984, mais il déclina l'offre. Les deux musiciens vont monter
un nouveau projet musical ensemble, qui prend rapidement le nom de
Celtic Frost, celui de l'oeuvre d'une vie. Le bassiste Curt Victor
Bryant est recruté, et Stephen Priestly reprend sa place à la
batterie après être parti en 1985. Oliver Amberg prend pour partie
le contrôle des opérations, tenant la guitare lead et apportant sa
signature à la quasi-totalité du matériau du nouveau disque.
Fischer compose, chante et joue la guitare rythmique.
L'album
sort en 1988 sous le nom de Cold Lake, et est un véritable
cataclysme pour les fans de Celtic Frost. D'abord, les musiciens
s'affichent avec des permanentes et des tenues très Glam-Metal,
genre très en vogue aux Etats-Unis. Fini les maquillages blafards,
les poignets de force cloutés, et les références gothiques. Autre
changement majeur : la musique. Celtic Frost a pris le parti de
flirter avec le Glam-Metal de Motley Crue afin de lorgner clairement
vers la musique en vogue sur les ondes de l'époque. Celtic Frost,
qui fut un pionnier total depuis ses débuts en matière de
Heavy-Metal extrême, est devenu un vulgaire suiveur de mode afin de
faire rentrer l'argent dans les caisses. Si cela aurait fait tordre
du nez de déplaisir le fan de n'importe quel groupe de Heavy-Metal
lambda, pour Celtic Frost, c'est une toute autre affaire. Nous
parlons là des inventeurs du Black-Metal originel, des fondateurs de
l'image, de la musique, de l'esprit du Metal le plus sombre, le plus
brutal, le plus impitoyable depuis sa création à la fin des années
soixante. Hellhammer et Celtic Frost sont à l'origine de la scène
Black-Metal norvégienne, de celle du Death-Metal californien, et de
la seconde vague Thrash. Ils sont considérés comme des références
d'intransigeance artistique, des mentors, des maîtres à penser pour
toute une génération de fans de Metal extrême. Aussi, lorsque la
référence majeure se mut en vulgaire machine à Glam-Metal, les
réactions sont d'une brutalité impressionnante. Celtic Frost est
pendu haut et court, littéralement. Le disque est descendu en
flèche, encore à ce jour. Même Tom Fischer le renie avec la plus
grande violence, au point qu'il est le seul album de Celtic Frost a
n'avoir jamais été réédité car le guitariste-chanteur s'y oppose
avec une vigueur qui n'a d'égal que son dégoût pour cet album
qu'il voudrait n'avoir jamais fait.
La
tournée qui suit sera pourtant l'une des plus importantes depuis les
débuts de Celtic Frost, et Cold Lake sera l'une des
meilleures ventes du groupe aux USA. Ils filmeront même un concert
au prestigieux Hammersmith Odeon de Londres en 1989. Mais Tom Fischer
ne transige pas avec le message et l'âme de sa musique et de son
groupe. Cet album sous perfusion extérieure, guidé par des volontés
bassement mercantiles et par un Tom Fischer se laissant doucement
flotter par les idées de sa compagne (c'est elle la styliste du
groupe à ce moment-là), est une insulte à la philosophie de Celtic
Frost. Il importe donc de ne jamais évoquer ce disque devant Tom
Fischer, ni devant aucun fan du groupe, sous peine de provoquer un
torrent d'insultes et un déchaînements de critiques acerbes. Quant
à Martin Ain, il ricana doucement devant une telle horreur composée
et enregistrée sans sa présence, ce qui tend à prouver qu'il est
une part indispensable de l'esprit originel de Celtic Frost.
Pourtant, à mon sens, la réalité est tout autre.
Il
est indiscutable que les fans de Metal extrême sont absolument
intransigeants envers leurs groupes de référence. Leurs musiques
constituent des tables de la Loi inaliénables, et le moindre écart
de conduite est sévèrement réprimé, comme les gardiens d'un
temple. Celtic Frost ne furent pas les seules victimes. J'ai en tête
le cas de Darkthrone, l'un des groupes quintessentiels du Black-Metal
norvégien. Ceux-ci gravèrent quatre premiers albums qui définissent
une bonne partie de l'essence sonore et visuel du mouvement avec
Mayhem et Emperor. Pourtant, au début des années 2000, ils
abandonnèrent les corpse-paints, et se plongèrent dans un
Punk-Metal des plus retors, mais assurément plus accessible
musicalement que son Black-Metal originel. Les deux derniers albums
sont quant à eux une plongée dans le proto-Black-Metal et la
NWOBHM, la musique des groupes du début des années 80 qui les
inspirèrent : Venom, Celtic Frost, mais aussi Iron Maiden,
Savage…. Là encore, on est toujours loin du vrai Black-Metal, et
les fans restent profondément déçus par l'orientation de ces
mentors, bien qu'il n'y est dans la démarche de Darkthrone aucune
volonté de séduire un public plus large, ceux-ci ne se produisant
plus sur scène depuis 1994.
On
oublie que Celtic Frost ou Darkthrone sont des groupes avant tout
constitués d'hommes, avec leurs doutes et leurs évolutions
psychologiques. Dans le cas de Tom Fischer, on ne peut même pas
blâmer les psychotropes, le guitariste-chanteur ne fumant pas, ne
buvant pas, et ne se droguant pas. La seule force qui anime sa
musique est donc son esprit torturé, mais profondément humain. Cold
Lake n'est donc qu'une étape parmi d'autres dans l'histoire d'un
groupe de musiciens, avec ses défauts, mais aussi ses qualités.
Car
autant le préciser tout de suite, j'apprécie énormément cet
album. Et l'on ne peut pas me blâmer de n'être qu'une vulgaire
pièce rapportée sur l'autel du mage Celtic Frost. Je suis un
inconditionnel du groupe, j'ai une admiration sans bornes pour leurs
trois premiers albums, pour les enregistrements de Hellhammer, et
pour la fantastique odyssée de Tom Fischer et de ses compagnons de
route. Son ouvrage, Only Death Is Real, contant son histoire
et celle de sa musique entre 1981 et 1985 est un chef d'oeuvre
absolue d'intelligence, de lucidité et de poésie romantique.
Pourtant, j'aime aussi ce disque, car il s'agit bien d'un album de
Celtic Frost. Il est proprement impossible de classer Cold Lake
comme un album de Glam-Metal au même titre que ceux de Poison, Ratt,
Warrant ou Motley Crue. On ne refait pas Tom Fischer, son esprit est
indestructible. Aussi, même lorsqu'il laisse entrer des éléments
mélodiques dans son Black-Thrash-Metal, le résultat reste d'une
violence implacable. Il n'y a déjà ici aucune balade sirupeuse
comme savaient si bien les composer Scorpions ou Def Leppard. Tout
est joué sur un tempo général rapide, sorte de cavalcade
d'agression métallique permanente. Le son de la guitare de Fischer
est moins massif, mais reste sale et menaçant. Oliver Amberg est un
soliste spécial, sorte de shredder dissonant, toujours sur le fil du
rasoir de l'agression auditive. La rythmique est compacte et sans
pitié, et le son général est clair mais puissant, grâce au
travail de Tony Platt, qui travailla pour AC/DC et Trust. Il n'y a
pas non plus l'ombre d'un synthétiseur ou du moindre piano. Tom
Fischer a modifié son chant, et tente d'être…. Sexy. Rappelons
que notre homme n'est pas un chanteur au sens où on l'entend à
l'époque. Il est dans l'éructation gutturale, sorte de scansion
malsaine et possédée, que l'on ne peut néanmoins pas encore
qualifier de growl. Cela rend la musique de Celtic Frost malsaine et
violente. Sur Cold Lake, Fischer garde son phrasé si
particulier, mi-chanté, mi-parlé, mais utilise une articulation en
forme de gouaille Punk, teigneuse, nasillarde et nonchalante. Ses
textes évoquent davantage l'amour, mais là encore, le personnage
est incapable de faire dans la niaiserie complète, et il ne peut
s'empêcher de laisser planer une forme de romantisme noir sur un lit
de roses et de sang. La seule vraie différence de ces chansons avec
les précédentes, c'est que l'on peut se surprendre à en fredonner
certains refrains, preuve de leur efficacité.
Fischer
n'a pas abandonné ses expérimentations Hip-Hop avec une
introduction électronique nommée « Human », qui fait
écho à un titre du même nom sur l'album Morbid Tales. La
suite est le percutant et ravageur « Seduce Me Tonight »,
redoutable uppercut de Heavy-Thrash au phrasé presque Rap. Le
refrain colle au cortex avec ténacité. Il en va de même avec le
vengeur « Petty Obsession ». « (Once) They Were
Eagles » débute de manière ultra-Thrashy, avant de se
poursuivre par une cavalcade meurtrière de Heavy-Metal mortel très
imprégné de Iron Maiden.
« Cherry
Orchards » est une merveille de tube sombre, au riff menaçant
et au refrain vicieux. Le chant féminin sur les couplets reconnecte
cet album avec son prédécesseur, beauté froide et gothique sur du
Heavy-Metal roublard. « Juices Like Wine » est un
fulgurant décollage interstellaire, accélération trépidante de
Speed-Metal. Stephen Priestly assure un travail à double
grosse-caisse de premier ordre. Le chant de Fischer sur les couplets
colle à nouveau avec l'album précédents, avant que son timbre
vicieux vienne sussurer sournoisement le refrain. « Little
Velvet » est un très bon Heavy-Metal, implacable et massif,
quant à « Blood On Kisses », il retrouve l'envolée de
« Juices Like Wine ». « Downtown Hanoi » est
le morceau le plus faible du disque, sorte de motif répétitif
retrouvant le tempo massif des premiers albums. Pourtant, le thème
finit par lasser quelque peu, bien qu'il reste d'un niveau de qualité
tout-à-fait convaincant.
L'album
se termine par deux météorites de tout premier niveau. Le premier
est « Dance Sleazy ». Tempo frénétique, guitares
galopantes, Tom Fischer chante avec son timbre le plus nasillard et
arrogant une drôle d'invitation à danser, sexy et malsaine, pleine
de morgue et de vice. La seconde comète finale est « Roses
Without Thorns ». Mortelle morsure dans les chairs, elle est
une synthèse de Heavy-Thrash-Metal ultra acéré. Le tempo est vif,
les guitares créent une chapelle de riffs ardents, tornade de Metal
fatale. Tom Fischer retrouve toute son agressivité vocale, les deux
guitares jouent même une sorte d'harmonie noire sur les ponts entre
les couplets et les refrains. Oliver Amberg s'envole littéralement
vers le ciel avant de faire exploser le vaisseau en plein ciel dans
un fracas de débris d'acier brûlant.
L'album
est complété par deux faces B de simple : « Tease Me »,
embardée de Speed-Metal sans concession, et par la version live de
« Mexican Radio » captée à l'Hammersmith Odeon en 1989.
L'ensemble permet d'avoir un aperçu complet de cette mouture de
Celtic Frost que son géniteur cherche tant à enterrer. Si certes
ils avaient l'air un peu niais avec leurs permanentes, combien de
groupes de Metal eurent des looks idiots dans les années 80 et
firent pourtant de la bonne musique ? Judas Priest avaient-ils
l'air plus malin avec leurs looks cuir et clous ? Et Slayer à
la fin des années 80, en total look skate-football américain ?
Mais on ne pardonne décidément rien à un groupe qui sut initier
autant de vocations et de passions, et dont la légende reste un
mythe. Le génial Tom Fischer n'a fait avec ce disque que révéler
ses failles d'homme, et il osa, un jour composer un simple très bon
disque de Heavy-Thrash-Metal plutôt qu'une nouvelle pierre angulaire
de la musique électrique contemporaine. Sale temps pour les génies.
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