"C’était
le grand retour au Rock’N’Roll."
CRONOS :
Hell
To The Unknown Anthology
2006
Dans
les années 80, des centaines d’albums de Heavy-Metal plus ou moins
Thrash et Speed s’entassent dans les grands bacs des disquaires,
aux côtés de la grande variété internationale à synthétiseur.
Le Heavy-Metal est une case musicale parmi tant d’autres. Lui qui
fut une protubérance turbulente du Rock qui côtoya le Funk et le
Jazz dans les grands festivals musicaux des années 70 est
aujourd’hui un genre à part, avec ses festivals et ses codes
vestimentaires. Et ne parlons pas des chapelles qui se développent
au sein même de la
grande église Heavy-Metal, entre le Glam de Motley Crue, le Hard-FM
de Bon Jovi ou Journey, le Thrash de Slayer ou Metallica, et le
Black-Metal naissant de Celtic Frost ou Venom.
Ces
derniers, après avoir ouvert la voie de la violence musicale et de
l’absence de compromis, sont désormais dépassés en termes
d’agressivité par de nouvelles formations jusqu’au-boutistes :
le Black norvégien de Mayhem, le Grind de Carcass ou le Death de
Cannibal Corpse ou Napalm Death. Au milieu de la polémique que
souleva Venom et sa musique, on oublia ce qu’ils étaient
vraiment : un groupe de Rock. On se focalisa sur l’imagerie
ouvertement sataniste, les déclarations fracassantes de Conrad
Lant, alias Cronos,
et la technique rudimentaire des trois musiciens au sortir de dix
années de Hard-Rock et de Rock Progressif virtuoses. Il y avait bien
eu le Punk et ses trois accords, mais Venom ne semblait pas avoir de
message à faire passer.
Voir
le trio infernal se déliter progressivement à partir du milieu des
années 80 ne semblait pas attrister outre mesure une presse musicale
qui fut rarement d'un
grand
soutien. La première étape de
cette dégringolade fut
une descente en flammes de l’album Possessed
en
1985. La production brutale rebuta une bonne partie de la critique
encore
acquise à la cause,
et le fait que le groupe ne soit de toute façon plus
aux avant-postes de l’ultraviolence Hard-Metal les rendait
parfaitement inintéressant.
Le
départ du guitariste Jeffrey Dunn, alias Mantas, en 1986 au milieu
de l’enregistrement du cinquième album, au titre provisoire de
Deadline,
sembla enterrer physiquement Venom. Débarqué alors qu’il refusait
de voyager pour assurer les concerts hors de la Grande-Bretagne, et
pour son manque de plus en plus flagrant d’intérêt pour la
musique du trio, il fut remplacé non par un, mais par deux
guitaristes : Mick Hickey, un américain, et Jim Clare,
originaire de Grande-Bretagne.
Incapable
de choisir entre les deux, et désireux de lancer Venom sur des
territoires plus ambitieux, Cronos décida de ne pas choisir, et fit
comme Motorhead deux ans auparavant en conservant les deux candidats.
Les premiers concerts eurent lieu en 1986 au Brésil, et furent un
détonateur pour le bassiste, en même temps qu’un sacré
challenge. Car outre leur niveau technique bien plus élevé, les
deux guitares firent sérieusement concurrence à la basse bulldozer
de Lant. D’abord fortement gêné par la place que prenaient les
deux nouveaux venus, il finit par s’en accommoder, et par trouver
deux partenaires d’écriture extrêmement talentueux.
Le
contenu du projet Deadline
fut jeté à la poubelle en quasi-totalité, et de nouveaux morceaux
furent conçus, fusionnant le son revêche du Venom des précédents
disques et un Heavy-Thrash mélodique où s’entremêlent des
guitares en harmonie. Le résultat de ce travail ardu sera Calm
Before The Storm
qui paraît en 1987. Dire que l’accueil public comme critique fut
frais est un doux euphémisme. Dans un total accès de paranoïa, on
reprocha à Venom de s’être trop adouci, d’avoir réalisé un
ouvrage trop bien fait. D’un autre côté, il était trop dur pour
attirer les fans de Glam-Metal, et trop teigneux pour séduire
l’amateur de Thrash-Metal mélodique américain. Ce qui est
évident, c’est que tout le monde passa à côté de cet album, et
qu’il fut une immonde balafre sur l’image déjà pas vraiment
reluisante de Venom.
Intérieurement, le groupe était en équilibre extrêmement
instable. Si Cronos, Mantas et Abaddon trouvèrent un temps chacun
leur place, rapidement, les aspirations musicales posèrent problème,
tout
comme
le niveau technique. Désireux de toujours avancé, Cronos, joua
encore et encore, composa de plus en plus, et définit l’esprit de
Venom. Mantas participa un temps à l’écriture, adhérant
totalement aux idées de son bassiste-chanteur, avant de se
désintéresser des idées de ce dernier pour aspirer à une vie
tranquille et profiter de l’argent gagné. Abaddon s’impliqua lui
aussi un temps avant de se contenter de venir jouer entre deux verres
au pub. Si Cronos progressait et souhaitait
faire évoluer le groupe, il n’en était plus
rien
des deux autres.
Mantas
parti, l’autre membre historique commença à s’interposer face à
la domination artistique de plus en plus évidente du bassiste,
soutenu par les deux nouvelles recrues. Autre point d’accrochage,
le niveau du batteur était désormais
clairement
insuffisant, et son implication dans la musique ne faisait rien pour
arranger la situation. Désertant de plus en plus rapidement les
répétitions tout en critiquant ouvertement les nouvelles
compositions, arguant qu’il ne s’agissait pas du vrai Venom, il
se retrouvera
rapidement isolé. La tournée au Japon en 1988 fut la dernière de
Venom, avant que le groupe ne se disloque définitivement. Abaddon
reformera une nouvelle mouture de Venom avec Mantas en 1989, avec un
nouveau bassiste-chanteur, Tony Dolan, mais le résultat ne
retrouvera pas l’esprit du groupe original, et n’atteindra
musicalement pas le niveau des disques précédents. Et force était
de constater que le vrai moteur de Venom était désormais seul et
parti
vers d'autres horizons.
Basé
à New York, Conrad Lant est rejoint par les deux guitaristes Jim
Clare et Mick Hickey. Chris Patterson, un batteur américain,
complète le quatuor. Ce dernier devait d’abord s’appeler….
Venom. Encouragé par son manager, le rouquin maléfique n’avait
pour l’heure d’autre objectif que de poursuivre la musique du
groupe qu’il portait alors totalement. Mais le patronyme était
devenu bien trop pénible à porter, de par le passé, les attentes
du public comme de la presse.
Lant
céda le nom de Venom à Abaddon et Mantas, et notre homme forma son
propre groupe : Cronos. D’intenses répétitions d’abord
basées sur le matériau de l’album Calm
Before The Storm
se poursuivirent durant l’année 1989, entrecoupés de quelques
concerts aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Le sort brisa un temps
l’élan du quatuor. Alors qu’il retournait sur New York en
voiture, Conrad Lant fut percuté par le véhicule d’une femme
ivre. Notre homme bascula dans le talus, et se retrouva sur le toit.
Un temps inconscient, il reprit connaissance alors que sa voiture
prenait feu. Il eut le temps de sortir par la vitre arrière, et
d’extraire le conducteur de l’autre véhicule avant que les
flammes de
l'Enfer ne
dévorent les deux carcasses. Le bilan médical n’est pas très
reluisant pour Lant : le poignet et l’épaule brisée, et de
multiples coupures de verre sur le visage et le corps. L’aventure
américaine se termine sur ce drame.
Revenu
en Grande-Bretagne, il reprend contact avec les studios du label
historique de Venom, Neat Records, et son producteur, Keith Nicholls.
Ce dernier est prêt à laisser Conrad Lant et son nouveau groupe
enregistrer leurs nouveaux morceaux, même si ceux-ci ne sont pas
dans la veine du Venom historique. Clare, Hickey et Patterson
rejoignent donc Lant sur place, et Cronos, le groupe, capte sur
bandes leur premier album, Dancing
In The Fire,
en 1990. Désormais affranchi de son passé musical un peu trop
encombrant, Lant et ses hommes poursuivent la voie d’un
Heavy-Thrash mélodique dans la veine de Calm
Before The Storm.
On retrouve des uppercuts métalliques dans la lignée de Venom, mais
aussi une musique plus ambitieuse, et au chant moins sauvage. Il
n’est toutefois pas question de Hard-FM ou d’une quelconque
tentative de Rock commercial. Cronos reste un groupe sans concession,
saignant tout en étant accrocheur. A bien des égards, il est même,
en 1990, l’un des groupes de Heavy-Metal les moins consensuels de
la scène musicale. Mais à ce moment-là, le groupe de l’ancien
bassiste de Venom n’avait pas beaucoup d’écho. A l’heure du
Black
Album
de Metallica, de Slayer, de Megadeth, et de Dr
Feelgood
de Motley Crue, Cronos était totalement inaudible. Venom faisait
partie d’un passé lointain qui avait certes quasiment tout établi,
mais que l’on préférait oublier, tant les successeurs étaient à
ce point bien plus fréquentables.
Conrad Lant voulait qu’il soit avant tout un groupe de Heavy-Metal.
Fini les oripeaux et les textes satanistes. C’était le grand
retour au Rock’N’Roll.
Les
albums de Cronos, le groupe, sont considérés comme totalement
anecdotiques, que ce soit dans l’histoire de Venom, et davantage
dans celle du Rock en général. N’apportant strictement rien dans
une période absolument portée sur ce genre de Heavy-Metal, Cronos
n’avait que peu de chance d’attirer une quelconque attention ni
reconnaissance, même tardive. L’époque est à la variété à
synthétiseurs comme Phil Collins ou Rod Stewart, et aux premiers
groupes de Dance européens. 1991 va connaître un sursaut de la
scène Rock avec l’arrivée en tête des classements internationaux
du Grunge de Nirvana et Pearl Jam ou de la fusion Rap-Metal de Rage
Against The Machine. Ce retour salutaire aux guitares ne va pas se
faire à l’avantage de l’arrière-garde Heavy-Metal, se
retrouvant totalement démodée du jour au lendemain par ce nouveau
son. Black Sabbath, Ozzy Osbourne, Deep Purple, Iron Maiden, puis
Metallica vont avoir toutes les peines du monde à retrouver
l’intérêt du public durant toute les années 92-96.
Le
second disque de Cronos paraît en 1993 : il s'appelle
Rock'N'Roll
Disease.
Il est dans la parfaite continuation du premier, avec toutefois des
velléités de Heavy-Metal anglais plus classique, comme cette
reprise de « Bad Reputation » de Thin Lizzy, ou le
splendide « Midnight Eye », sur laquelle Lant est
méconnaissable vocalement, tant il chante merveilleusement bien dans
un registre mélodique. La suite va être plus complexe. Le succès
très limité de ces albums contraint les musiciens à faire des
choix. Jim Clare décide de partir pour devenir professeur de
guitare.
Ian MacCormack fait de même, remplacé par l'ancien batteur de
Cathedral Chris Wharton. Le troisième disque se fera en trio, et se
nommera… Venom.
A l'initiative du nouveau batteur, fan du trio démoniaque, Cronos
réenregistre plusieurs classiques de Venom. Le troisième album, qui
paraît en 1994, est donc un mélange de reprises et de nouvelles
compositions. Très réussi, il arrive au moment où des pourparlers
entre les trois musiciens du Venom original débutent. L'objectif est
de reformer le groupe afin de profiter de la réputation flatteuse
dont il jouit auprès de la nouvelle génération Metal, et notamment
dans le Black-Metal norvégien.
Celle-ci
se concrétisera en 1995 et 1996 pour quelques concerts dans de
grands festivals européens, puis pour un nouvel album en 1998.
L'ambiance s'envenimera rapidement, et dès 1999, Abaddon est
débarqué. Depuis Venom existe toujours, enregistrant et tournant
avec de nouveaux musiciens. Mike Hickey remplacera Mantas en 2004
pour deux albums, dont l'excellent Metal
Black
en 2006, référence à peine voilée au mythique album Black
Metal
de 1982.
Cette
anthologie publiée en 2006 permet d'écouter dans des versions
rafraîchies par Lant lui-même l'ensemble de la musique enregistrée
par Cronos. Les morceaux des trois disques sont mélangés pour une
question de cohérence musicale. Ce qui pourrait être fâcheux pour
suivre le fil historique du groupe permet de constater la qualité
constante de la production de ce projet solo, l'ensemble des titres
formant un fabuleux double album seulement perturbé par les démos
du groupe de 1989 au son plus brut.
Inutile
de chercher ici du Heavy-Metal technique, progressif ou
ultra-novateur. Cronos est une excroissance brutale de la scène
anglaise, une sorte de Motorhead Thrash auquel se mêle l'influence
d'Iron Maiden et de Judas Priest. C'est implacable, saignant, sans
concession, mais terriblement réjouissant. La musique a aussi plutôt
bien vieilli, et s'écoute avec beaucoup de plaisir sans être gêné
par de quelconques effets de production vintage des années 90. Peu
de disques de cette époque ont passé à ce point l'épreuve du
temps. Cronos, c'est du bon Heavy-Metal viril, rigolard, et fier. Ce
qu'a toujours été Conrad Lant, son leader, en somme.
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