lundi 15 août 2016

BLACKFOOT 1983

"Blackfoot va être d'évidence séduit par la prestation de Budgie sur la scène du Festival de Reading."


BLACKFOOT : Siogo 1983

En 1982, Blackfoot est le plus grand groupe de Rock sudiste. Il vient d'enregistrer trois albums aux pochettes animalières entre 1979 et 1981, tous impeccables, et suant autant le Hard-Rock que le Blues du Bayou. Un disque en direct nommé Highway Song Live fut capté durant la triomphale tournée européenne du quartet en 1982. Blackfoot croise le fer avec la fine fleur du Heavy-Metal de l'époque. Ils feront la première partie de Scorpions et Iron Maiden, et seront de l'affiche du prestigieux Festival de Reading de cette année-là après avoir été à celle des Monsters Of Rock l'année précédente. Ils partagent l'affiche avec, outre Iron Maiden, Diamond Head, Budgie, Y&T, Tygers Of Pan Tang, Gary Moore et Trust. Le quatuor connaît une immense reconnaissance internationale auprès de l'ensemble de la scène Rock, et peu de formations se hasardent à les choisir comme première partie tellement ils sont bons.

Seulement voilà, le Dieu Dollar n'est pas satisfait. Tout cela est bien beau, mais les ventes de disques de Blackfoot à l'internationale ne sont pas exceptionnelles. Aux Etats-Unis, le groupe est au minimum dans le Top 40, et il vient de percer dans le Top 30 anglais avec Marauder. Voilà qui semble de bonne augure, mais dans l'esprit du manager et producteur Al Nalli, Blackfoot est en train de louper le coche. Le son Heavy-Blues sudiste est mort et enterré avec Lynyrd Skynyrd, les autres ne sont que des survivances de cette fin des années 70 qui se consume avec le Rock AOR, ou Hard-FM. Journey, Boston, Foreigner ou Heart sont les nouveaux champions Rock des classements internationaux. A cela s'ajoute le nouveau Glam-Metal porté par Quiet Riot et Motley Crue. Alors le vieux Hard-Rock Southern à jeans et santiags de Blackfoot n'a aucune chance, c'est obligatoire. C'était oublié que l'un des plus gros vendeurs de disques dans le domaine du Hard-Rock s'appelle AC/DC, et en Europe, il s'agit de Motorhead. Bref, aucun des deux n'est du genre à donner dans le sexy et le consensuel. Mais comme Al Nalli est mariée avec la responsable du label ATCO, qui a signé Blackfoot, il a sans aucun doute raison.

Il faut procéder à une modernisation d'urgence du groupe. Blackfoot opte donc pour l'apport d'un clavier. Bien évidemment, nos gaillards ne vont pas opter pour des rois du synthétiseur, mais plutôt pour des orfèvres de l'orgue Hammond. Deux noms paraissent évidents : Jon Lord, mythique organiste de Deep Purple, mais il est en poste au sein de Whitesnake depuis 1978. L'autre s'appelle Ken Hensley. Ancien clavier et guitariste de Uriah Heep, il a quitté son vaisseau en 1980, et s'est lancé dans une modeste carrière solo sans grande envergure. C'est ce deuxième nom qui s'impose, mais il reste à le contacter. Et il est difficile à approcher, le bougre. Tous les circuits classiques n'apportent rien, Hensley est injoignable. Il faudra passer par un de ces amis, qui va être chargé de lui transmettre une fausse annonce pour un orgue Hammond B3. Ce rare instrument de qualité intéresse le pianiste qui appelle le numéro, et tombe donc sur Al Nalli. L'équipe réussit à le convaincre de se joindre à Blackfoot pour le prochain album et la tournée qui suit. En échange, il aura droit à l'orgue Hammond B3 ayant servi d'alibi.

Blackfoot renforcé par Ken Hensley se retrouve à Ann Arbor près de Detroit pour travailler sur le nouveau disque. Rapidement, des clans se créent : d'un côté le guitariste Charlie Hargrett et le bassiste Greg T Walker, de l'autre le batteur Jakson Spires secondé par le guitariste-chanteur Ricky Medlocke et Hensley. Les premiers poursuivent leur écriture orientée vers un Hard-Rock bluesy, les autres vers un Heavy-Metal mélodique et chromé plus en vogue. Le résultat va être pour le moins surprenant.

Rapidement classé album Hard-FM commercial, trente-trois tours de vendus, Siogo n'est pas l'album putassier tel que l'on a bien voulu le réduire. C'est en fait un fantastique disque de Heavy-Metal, d'une férocité et d'une finesse exceptionnelles. Ce qui dérange finalement, c'est qu'il n'a strictement rien à voir avec ses prédécesseurs. Les traces du passé sudiste sont rares, à part sur le fin « White Man's Land » et l'ébouriffant « Driving Fool ». Tous les autres morceaux sont construits sur de redoutables chapelles de riffs héroïques et lyriques, soutenus par un orgue Hammond plutôt discret dans l'ensemble.

La réputation de Siogo va en fait se faire sur ses deux titres phares qui serviront de base aux deux vidéo clips utilisés pour la chaîne musicale MTV : « Send Me An Angel » et « Teenage Idol ». Tous deux sont d'abord introduits par des nappes de synthétiseur typiques des années 80. Et leurs accroches mélodiques flirtent avec le Hard-Rock de Journey. Pourtant, et à mon sens, il ne s'agit pas vraiment de la bonne référence. A l'écoute de ce disque dans son ensemble, la référence musicale frappante ayant servi pour ce nouvel album est … Budgie.

En 1982, Budgie cherche lui aussi à percer de manière massive sur le marché européen, après dix albums et autant d'opportunités ratés. La maisons de disques RCA encourage ses poulains à se tourner vers le Hard-Rock mélodique afin de séduire un plus large public. Après une tentative Heavy-Funk avec Impeckable en 1978 pour séduire le marché américain, Budgie revient en Grande-Bretagne fracasser de la gencive avec le redoutable Power Supply en 1980, sans doute l'album le plus violent de la New Wave Of British Heavy-Metal avec le premier Iron Maiden. Le suivant en 1981, Nightflight, est une première approche vers un Heavy-Metal plus chromé et mélodique, mais reste sévèrement massif. Le coup de poker se joue avec Deliver Us From Evil en 1982. Budgie intègre un clavier, Duncan MacKay, un ancien du groupe progressif Camel, pour ajouter de l'orgue et des synthétiseurs sur les nouveaux morceaux mélodiques du trio. L'album est même concept, puisque tournant autour des thématiques du Bien et du Mal. Comme pour Nightflight, le producteur et ingénieur du son américain Don Smith officie derrière la console, et donne à Budgie un son puissant mais très produit, prompt à séduire les radios. Bien évidemment, ce nouveau disque ne fera guère mieux que les précédents, accédant à une laborieuse 62ème place dans les classements britanniques, avec pourtant le soutien inconditionnel de la presse musicale. Il faut dire que Budgie reste Budgie, et malgré de très claires concessions vers une approche plus mélodique, la musique reste vive et massive, bien loin des standards du grand public. Il n'y avait donc aucune chance que cet album ne puisse faire un quelconque carton dans les classements : incapable de séduire le grand public, il s'aliène aussi une partie de ses fans historiques, qui le trouvent trop consensuel.

Blackfoot va être d'évidence séduit par la prestation de Budgie sur la scène du Festival de Reading. Le trio joue pour la première fois en tête d'affiche, et s'offre un spectacle digne de cette position sur l'affiche, avec guitare géante descendant du ciel, fumigènes à gogo et uniformes futuristes en cuir noir, rouge et blanc. Mais il est évident qu'aucun n'est à l'aise avec tous ces oripeaux suggérés avec insistance par la maison de disques. Le bassiste-chanteur Burke Shelley abandonne le pantalon de son uniforme une heure avant le set pour un bon vieux jean, trop mal à l'aise. On ne les refera pas, et Blackfoot non plus. Ces derniers vont d'évidence trouver génial cette approche, qui leur paraît à la fois assez commerciale, mais encore très Heavy. Sauf que cela ne marchera pas, comme Budgie. En prenant un virage musical encore plus brutal que le trio gallois, ils vont perdre leur ancien public sans en convaincre de nouveau. L'album n'accroche qu'une modeste 82ème place dans les classements américains, et une encourageante 28ème place en Grande-Bretagne.

Je serai comme bien d'autres, à avoir d'abord rejeté en bloc ce disque trop ouvragé et pas assez brut pour mes oreilles d'adolescent avide de décibels. Pourtant, je me souviens que le morceau d'ouverture, le majestueux « Send Me An Angel » m'avait terriblement plu. Je le trouvai puissant et accrocheur, formidablement mélancolique. Cette cavalcade de guitare sur ses harmonies de guitares en tierce, inspirées de Thin Lizzy, soutenue par cette batterie puissante, m'avait littéralement transporté. Pourtant, ce n'était pas Blackfoot, mais une trahison. Mon esprit plus ouvert de trentenaire me poussa à découvrir au-delà de cette pourtant formidable première chanson.

Et il faudrait être sourd pour ne pas fondre devant la violence amère de « Crossfire ». Un riff rugissant, une rythmique puissante, un solo carbonisant, un chant magnifique, un refrain addictif, tout est parfait. Ce morceau se hisse au niveau du nom moins somptueux Slide It In de Whitesnake Le groupe de David Coverdale servira aussi de référence à Blackfoot, bien que cet album du serpent blanc, lui aussi plus accrocheur, paraîtra seulement à la fin de l'année 1983.

« Heart's Grown Gold » débute par un riff doublé de grandes nappes de synthétiseur digne des meilleurs films américains de l'époque, Rocky et compagnie, et a tendance à gâcher la chanson plus qu'à l'améliorer. Sa mélodie très accessible suffisait bien largement pour ne pas appuyer davantage avec des claviers. « We're Going Down » est un brutal retour à un Heavy-Metal d'une agressivité totale. Il semble même que Blackfoot n'ait jamais été aussi violent musicalement auparavant. On retrouve une couleur très Deep Purple/Whitesnake. Mais ce morceau rappelle également « Don't Cry » de Budgie sur Deliver Us From Evil. Le duel guitare-orgue y contribue notamment, et se montre redoutable chez Blackfoot comme chez Budgie.

« Teenage Idol » devait être le tube de l'album, mais il n'en sera rien. C'est pourtant une excellente chanson, au refrain accrocheur et fédérateur, qui devait marcher en radio, c'était inéluctable. Il n'en sera rien, à cause de la voix rugueuse et puissante de Medlocke, loin des standards des hurleurs de l'époque de David Lee Roth à Steve Perry. Et une fois encore, la brigade de l'industrie lourde a fait son office : Hargrett, Walker et Spires bétonnent massivement derrière la voix de Medlocke et les synthétiseurs de Hensley. Pourtant, quelle chanson, mes aïeux, majestueuse et efficace à souhait. Le vidéo clip aura aussi fait des blessés. Celui de « Send Me An Angel » avec ses stripteaseuses ultra délurées ne devait pas être du goût de MTV, mais celui de « Teenage Idol » est presque une blague. Medlocke en jeune homme de la campagne cherchant fortune dans la musique à la grande ville est presque crédible, jusqu'à ce que ses trois comparses aux looks sudistes se pointent pour faire les choeurs à l'écran et fassent tourner le clip à la boutade complète. Il est évident que Blackfoot n'est pas à l'aise dans l'exercice, et que seul Medlocke semble y trouver son compte, largement mis en avant.

« Going In Circles » est une autre Hard song Purple-Whitesnake-Budgie redoutable, au refrain entêtant. « Run For Cover » fait dans le même registre, en un peu moins efficace toutefois. « White Man's Land » est une curieuse réminiscence du passé sudiste de Blackfoot. On retrouve le mordant de Marauder, avec des paroles tout aussi fracassantes évoquant le sort des Indiens aux Etats-Unis. Le riff est original et bien trouvé, finaud, à la tonalité très indienne, rappelant une incantation de cérémonie avant d'exploser sous les coups de boutoir des guitares. Il n'y a rien à redire, on est juste heureux de rentrer à la maison avec Blackfoot.

La suite est une pure merveille de Heavy-Metal mélodique, directement inspiré de Budgie : « Sail Away ». Le riff est redoutable, le son luisant de chrome, la batterie puissante poussent vers les cieux une atmosphère amère et mélancolique, désenchantée, et qui ne trouve la lumière que sur le refrain. Les chorus de Hargrett et Medlocke sont superbes, luisant comme des diamants noirs sous la lune. Cette superbe pépite mérite à elle seule l'achat du disque. Ce dernier se termine par le furieux « Driving Fool », symbolisant la folie de la vitesse sur les highways américaines. On retrouve en filigrane le Blackfoot sudiste de Marauder, une fois encore, mais que l'orgue de Hensley camoufle quelque peu. C'est une redoutable pièce de Hard-Metal sans concession, et qu'il est définitivement difficile de classer dans la catégorie Hard-FM.

Siogo sera à l'origine de terribles conflits au sein de Blackfoot. Charlie Hargrett déplore ce choix artistique qu'il trouve stupide, alors qu'il est convaincu que ce qui plaît au public de Blackfoot, c'est leur nature férocement Hard-Blues sudiste sans concession, étanche à la mode. Le fait de courir après un hypothétique succès commercial, en suivant les chimères du Hard-FM alors qu'aucun d'entre eux n'en a le moindre soupçon d'attribut autant physique que musical, lui est purement et simplement absurde. Et les résultats commerciaux de Siogo ne feront que confirmer l'échec de la tentative. Mais pour Al Nalli, Blackfoot n'est pas allé assez loin d'une part, et Hargrett a un look et un jeu trop vieille école pour séduire le jeune public de Van Halen. Il réussit à convaincre les autres musiciens de cette situation et va isoler le guitariste jusqu'à son départ forcé. Hargrett fera pourtant bien des efforts, allant jusqu'à céder à la mode des pantalons en spandex comme Medlocke et Walker. Son seul achat se soldera le soir même par un pantalon largement déchiré à l'entrejambe après un grand saut extatique en plein solo. Hargrett finira la chanson en se cachant l'intimité derrière sa guitare avant de sauter dans un jean entre deux morceaux derrière les amplificateurs.


Le départ du guitariste précipitera Blackfoot à l'échec le plus total. Le disque suivant, Vertical Smiles, est un épouvantable étron de Rock synthétique sans âme et aux sonorités affreusement datées. Il semble peu à peu évident à Spires et Walker que Nalli œuvre pour que Medlocke entame une carrière solo, ce dernier étant le seul à avoir le charisme et le physique nécessaire pour en faire une Rock-Star de vidéo clip. Ce sera un nouvel échec cuisant, mais qui aura précipité à la perte d'un des plus fabuleux groupes de Rock américain. Siogo aura été un disque de transition aussi différent de ses prédécesseurs que brillant dans sa qualité sonore et mélodique, une sorte de pinacle avant l'implosion.

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4 commentaires:

Anonyme a dit…

Plus trop de souvenirs de "Siogo", à l'exception de "Send Me a Angel" (une réussite). Cependant, la K7 a souvent été joué (même si on regrettait tous la "période animalière").
Blackfoot avait réussi à faire du Rock FM non sirupeux, sans vraiment renier son passé. Au contraire de "Vertical Smiles" (terme qui désigne ... les petits minous).

Au sujet de Ken Hensley, on avait pu lire que son aptitude à jouer de la guitare, a fortiori de la slide, avait été déterminant.

Julien Deléglise a dit…

Pour Vertical Smiles, le groupe était au bord de la mort, coupé en deux. Hensley n'a pas eu tant d'impact que cela sur la composition. Le producteur Al Nalli a poussé Medlocke pour qu'il devienne une star, parce qu'il était la belle gueule du groupe. Il visait le genre Bon Jovi. Mais Ce qui faisait la force du groupe, c'était les quatre musiciens soudés. Dès le guitariste Charlie Hargrett parti, l'équilibre a été rompu. D'ailleurs, les disques sans lui ont été des échecs commerciaux cuisants.

Anonyme a dit…

Medlocke en Bon Jovi ... on a de la peine à l'imaginer ; ça semble inconcevable. D'ailleurs, certains ont regretté son incorporation au sein de Lynyrd Skynyrd parce qu'il l'estimait trop "Hard-Rock", trop bourrin.

On parle souvent de "Medecine Man" (avec Neal Casal) comme de la dernière réussite de Blackfoot ; un dernier sursaut. Cependant, le disque est difficile à trouver.

Julien Deléglise a dit…

Les deux derniers sont albums au début des années 90 sont un retour au Hard bluesy. C'est de bonne facture, un peu plan plan et ça sonne parfois gros son US. Néanmoins, c'est largement meilleur que "Vertical Smiles".
Il y a une tentative Bin Jovi : l'album Rick Medlocke's Blackfoot de 1987. le clip "Saturday Night" est une bouse FM intersidérale, un ramassis de clichés navrant au milieu duquel notre apache en veste à franges et guitare Ibanez tente de faire le beau gosse rebelle. La zone quoi.