mardi 13 octobre 2015

HEAT 2014

"La scène Stoner de Berlin est particulièrement vivace en ce moment."


HEAT : Labyrinth 2014

            La musique moderne est actuellement largement dominée par l'Electro et le Rap. Ces deux genres musicaux sont largement dominés par l'utilisation de samples, c'est-à-dire des extraits de morceaux existants que l'on assemble à la manière d'un collage. Le principe permet ainsi de faire un morceau de musique sans musicien ni technique instrumentale particulière. Il a aussi permis a une myriade d'incompétents de faire des disques et d'envahir les ondes ainsi qu’internet sans créer quoi de que ce soit de nouveau. On peut s'inquiéter du principe, car si faire de la musique aujourd'hui consiste à pomper celles des autres et à tourner des boutons sur une console en levant les bras en l'air, il est bon de s'inquiéter de l'avenir. Car le principe revient à vouloir comparer un scrapbook et tableau de maître. Cette absence de créativité couplée à celle de l'émergence massive de l'hyper-technologie a abouti à une vague de nostalgie, une mode du rétro que l'on retrouve à plusieurs niveaux, de la décoration à la publicité en passant par le cinéma et bien sûr la musique. Mais tout cela est bien évidemment largement digéré. Ainsi, quelques esprits arrogants aiment à sélectionner ce qu'il est bon de se souvenir ou non, et sous quelle forme. Quarante ou cinquante ans plus tard, la patine du temps et la mémoire se perd, laissant le champ libre à une petite dictature du bon goût.
            Sur cette vague surfe ce que l'on qualifie de musique psychédélique. Tous les groupes dont les musiciens jouant ensemble avec des instruments en bois dans un vrai studio un Rock-Pop inspiré de la musique anglaise et américaine des années 1966-1968 est considéré comme psychédélique. Même si le trait est tellement forcé que l'on frise la caricature. Car si l'esprit est plutôt louable, les ventes de disques et les sirènes de la célébrité internationale viennent tôt ou tard polir les belles aspérités d'une musique un peu moins pré-mâchée que la moyenne. Tame Impala et son leader Kevin Parkers sont les exemples de cette démarche qui n'a de psychédélique que le nom, et dont la musique n'a plus grand chose avec ce style musical. Curieusement, là ou les groupes de ce genre sont encensés, les formations Heavy-Rock Stoner sont classés irrémédiablement dans la case passéiste, et sont considérés comme inutiles. Cette critique à la dent dure ne s'applique curieusement pas à d'autres genres ou formations à la réputation installée.
            La scène Stoner de Berlin est particulièrement vivace en ce moment. De nombreux groupes talentueux ont émergé, produisant depuis cinq ans une musique Heavy-Psyché de haut vol : Samsara Blues Experiment, Kadavar, Zodiac.... Parmi les noms qui circulent sous le manteau depuis quelques années se trouve le groupe Heat. Réunion de musiciens expérimentés de la scène, ayant tous appartenu à un groupe notoire de ce chaudron artistique, ce quintet berlinois produit un premier album d'excellente facture du nom de Old Sparky en 2011. Il ne sera d'abord produit qu'en vinyle, mais son édition se vend tellement bien chez les amateurs que Electric Magic, label du guitariste Samsara Blues Experiment, en sort la version cd en 2012. Heat avait au départ refusé, car considérant le pressage vinyle seul capable de retranscrire toute la qualité analogique de l'enregistrement. Etonnante démarche, aussi puriste que totalement anti-commercial, qui privait néanmoins nombre de fans potentiels à travers l'Europe. Toujours est-il que Old Sparky délivrait une mixture hautement goûteuse des premiers enregistrements de Pentagram et de Black Sabbath, fort logiquement, mais aussi de tout un pan de Heavy Music aussi pointue que brillante. Ainsi se mêle les noms de Leaf Hound, Sir Lord Baltimore, Dust et de toute une scène Hard et Heavy du début des années 70 aussi énergique que maladroite, dont les albums étaient souvent des enregistrements bruts, sans concession, à la précision musicale toute relative, mais à l'efficacité réelle. Leur musique traversant les âges sous le manteau, car capable d'aller chercher sur leur terrain les grands maîtres que sont Led Zeppelin ou Black Sabbath, sans toutefois totalement l'égaler. Tout le monde ne pouvait pas être Jimmy Page ou Robert Plant, et le Punk vint prouver plus tard que le brio technique ne faisait pas forcément la qualité d'un bon disque. Aussi, ces groupes furent aussi un peu une partie du Proto-Punk, et le temps a su leur rendre toute leur valeur.
            Heat pioche ainsi allégrement dans ces références pointues, ainsi que dans une autre source rarement citée, mais réelle : les premiers albums de Jethro Tull, mêlant le Folk britannique et le Heavy-Blues. Si cette influence était moins palpable sur Old Sparky, elle est plus évidente du ce second album paru en 2014 :  Labyrinth . Le quintet original n'a pas changé. On retrouve donc Ingo Börner et Marco Rischer aux guitares, Marcus Töpfer à la batterie, Patrick Fülling au chant,et Richard Behrens à la basse. Ce dernier quitta par ailleurs cette même année son poste au sein de Samsara Blues Experiment pour se consacrer totalement à Heat. Les ambitions sont donc affichées avec ce second disque, qui tient le quintet sur la route depuis maintenant un an.
            Autant l'afficher nettement, Labyrinth est un album de très grande qualité, supérieur en tous points à son pourtant très bon prédécesseur. L'interprétation est de haut niveau, les compositions sont plus ambitieuses, et le son de l'enregistrement est parfait. Son que l’on doit à Charlie Paschen qui s’est chargé du mixage. Un regard extérieur est toujours bon à prendre. On retrouve toutefois tout ce qui faisait la qualité du premier album : un son Heavy-Rock vintage, la voix possédée de Fülling, et les influences précédemment citées. Le chant a toutefois gagné en mordant, et les guitares se font plus agressives.
            Le morceau d’entrée, « Siamese Smile », est une épaisse tranche de Heavy-Blues sombre de presque six minutes. On retrouve tout ce qui a fait la magie du son de Heat depuis ses débuts, mais aussi bien plus : un son percutant, un mordant dans les compositions que l’on ne trouvait pas sur le premier opus. Le riff de « Siamese Smile » est redoutable d’efficacité, rappelant les meilleures pièces de Pentagram période seventies, celui de « Forever My Queen ». Il s’agit bien d’un son très axé sur le Hard-Rock, et non du Stoner-Doom, même vintage. La comparaison la plus juste serait davantage à creuser du côté de Stray finalement. Car si Pentagram fut à l’origine un groupe de Heavy-Rock moins dark qu’il ne le sera à partir de la fin des années 70, on retrouve le tempo et les méandres progressifs du quatuor du guitariste Del Bromham, mais aussi ce sens de la mélodie alliées à la science du riff redoutable, flirtant autant avec le Jazz-Blues et le Psychédélisme de la fin des années 60, que du Heavy-Blues de Led Zeppelin et du Jeff Beck Group. Une mixture de Heavy Music pas si simple finalement, malgré l’efficacité immédiate de la musique de Heat. C’est cette richesse qui lui donne sa densité, qui fait que chaque chorus, chaque changement de climat a cette saveur magique immédiate, celle des grands disques oubliés du genre. Une Hard Music intelligente finalement, qui donne autant son quota d’adrénaline que d’évasion sonore. « Siamese Smile » est une sacrée pièce de Rock, portée par un chorus introductif redoutable emballé par un tempo d’enfer, rapidement ralenti par un riff massif. Le chant est précis, puissant, à la limite de la rupture. Fülling fait parler la poudre, lui qui avait ce timbre si particulier des chanteurs de Hard-Rock justes mains ne poussant pas leurs voix. Notre homme fait exception à la règle, dans un tonnerre de décibels. Le son de la batterie est organique, mettant en valeur le son des caisses, ce qui ne s’était pas entendu aussi nettement depuis la fin des années 60. Töpfer est un sacré batteur, pas foncièrement technique, mais efficace, au roulement de toms précis sans être frimeur. La tonalité au bon endroit au bon moment en somme.
            La joute guitaristique se poursuit sur « Free World », à la teinte presque funky, soutenu à partir du second couplet par un orgue Hammond faisant surgir les fantômes de Uriah Heep ou Lucifer’s Friend, ces généreux disciples de Deep Purple. Le swing initial se précipite vers un tempo plus rapide et Rock rappelant une certaine autoroute vers les étoiles aux tonalités pourpres. Le décollage du solo de guitare ajoute à cette sensation, mais il n’a rien de l’homme en noir, et se veut plus Blues et massif, bien ancré dans sa Les Paul Gibson. Heat poursuit son voyage avec un morceau épique de presque neuf minutes appelé « The Golden Age ». Tempo binaire, massif, et encore un beau chorus de guitare avant qu’un intermède de guitare acoustique accompagné de mellotron vienne introduire la seconde partie du morceau, Un Power-Blues diabolique entre Led Zeppelin et Jethro Tull soutient un second chorus magique, avant que des arpèges électriques s’envolent sur un tempo de batterie rapide et souple, ouvrant la voie au rêve. Un break tribal ramène l’auditeur sur des terres plus noires, avant une dernière explosion en forme de Blues lent, et un dernier rebondissement sur le riff initial.
            C’est dans un larsen furieux, suivi d’un riff menaçant, que Heat entreprend de raconter le mythe de « Barbarossa ». les six-cordes se font twin-guitars sur le pont suivant le couplet, et Fülling n’hésite pas à mettre à contribution ses cordes vocales. On y sent le feeling des albums de Thin Lizzy, avec des chansons comme « Massacre », ces thèmes guerriers gaelliques qu’affectionnaient tant Phil Lynott. Une influence de plus parfaitement assimilée, Heat produisant une chanson originale et forte. D’ailleurs, n’ayant pas décidé de laisser de répit à l’auditeur, le groupe produit une nouvelle déclaration du nom de « Masquerade ». Violente Hard Song, incisive et sans concession, elle affirme clairement la volonté du quintet d’offrir un Hard de fer. Mais il ne dévie pas de sa ligne de conduite vintage, et l’on se sent toujours bien avec ce Rock vigoureux.
            « Loving Devotion » commence par un riff raide comme un tord-boyau, mais malgré son efficacité, ses guitares serrées, son tempo brutal, la ligne de chant est un peu trop convenu pour se montrer exactement à la hauteur de ses prodigieux prédécesseurs. Il serre de percutant préambule au sublime morceau éponyme. Superbe odyssée de guitares cosmiques, au riff aérien, et au chant teintée d’urgence psychédélique, il met en valeur toutes les immenses qualités du quintet : inventivité, feeling, concision. On retrouve toutes les saveurs du meilleur Heavy-Rock psychédélique en une synthèse magique et inspirée. Tourbillonnant autour des cymbales de la batterie et des grands accords ouverts des guitares, poussé par une basse épaisse et implacable, « Labyrinth » enivre par son électricité chatoyante. Il clôt merveilleusement un disque sublime, à la fois riche des plus belles références du Heavy Psyché des années 70 qui raviront les connaisseurs, et suffisamment bien écrit pour satisfaire tous les amateurs de Rock en général.
            Si Labyrinth se tourne clairement vers le Hard-Rock, il n’a pas perdu ni son identité, ni son brio musical. Peut-être plus abordable musicalement sans pour autant céder à la facilité, Heat vient d’enregistrer un excellent disque qu’il serait bon de ne pas juger que sous le seul angle de ses références vintage.
tous droits réservés

2 commentaires:

AlexM a dit…

Heat !! J'ai vraiment aimé ce groupe ! Merci pour la découverte ! le rock 70' semble revenir petit à petit.
J'en profite pour rendre hommage à ton blog. Toujours extrêmement bien écrit, très fouillé, complet, une vraie encyclopédie poétique du rock'n roll ! chapeau !

Julien Deléglise a dit…

Merci à toi pour ces compliments.