"La scène Stoner de Berlin
est particulièrement vivace en ce moment."
HEAT : Labyrinth 2014
La musique
moderne est actuellement largement dominée par l'Electro et le Rap. Ces deux
genres musicaux sont largement dominés par l'utilisation de samples,
c'est-à-dire des extraits de morceaux existants que l'on assemble à la manière
d'un collage. Le principe permet ainsi de faire un morceau de musique sans
musicien ni technique instrumentale particulière. Il a aussi permis a une
myriade d'incompétents de faire des disques et d'envahir les ondes ainsi qu’internet
sans créer quoi de que ce soit de nouveau. On peut s'inquiéter du principe, car
si faire de la musique aujourd'hui consiste à pomper celles des autres et à tourner des
boutons sur une console en levant les bras en l'air, il est bon de s'inquiéter
de l'avenir. Car le principe revient à vouloir comparer un scrapbook et tableau
de maître. Cette absence de créativité couplée à celle de l'émergence massive
de l'hyper-technologie a abouti à une vague de nostalgie, une mode du rétro que
l'on retrouve à plusieurs niveaux, de la décoration à la publicité en passant
par le cinéma et bien sûr la musique. Mais tout cela est bien évidemment
largement digéré. Ainsi, quelques esprits arrogants aiment à sélectionner ce
qu'il est bon de se souvenir ou non, et sous quelle forme. Quarante ou cinquante
ans plus tard, la patine du temps et la mémoire se perd, laissant le champ
libre à une petite dictature du bon goût.
Sur cette
vague surfe ce que l'on qualifie de musique psychédélique. Tous les groupes
dont les musiciens jouant ensemble avec des instruments en bois dans un vrai
studio un Rock-Pop inspiré de la musique anglaise et américaine des années
1966-1968 est considéré comme psychédélique. Même si le trait est tellement
forcé que l'on frise la caricature. Car si l'esprit est plutôt louable, les ventes
de disques et les sirènes de la célébrité internationale viennent tôt ou tard
polir les belles aspérités d'une musique un peu moins pré-mâchée que la
moyenne. Tame Impala et son leader Kevin Parkers sont les exemples de cette
démarche qui n'a de psychédélique que le nom, et dont la musique n'a plus grand
chose avec ce style musical. Curieusement, là ou les groupes de ce genre sont
encensés, les formations Heavy-Rock Stoner sont classés irrémédiablement dans
la case passéiste, et sont considérés comme inutiles. Cette critique à la dent
dure ne s'applique curieusement pas à d'autres genres ou formations à la
réputation installée.
La scène
Stoner de Berlin est particulièrement vivace en ce moment. De nombreux groupes
talentueux ont émergé, produisant depuis cinq ans une musique Heavy-Psyché de
haut vol : Samsara Blues Experiment, Kadavar, Zodiac.... Parmi les noms
qui circulent sous le manteau depuis quelques années se trouve le groupe Heat.
Réunion de musiciens expérimentés de la scène, ayant tous appartenu à un groupe
notoire de ce chaudron artistique, ce quintet berlinois produit un premier
album d'excellente facture du nom de Old Sparky en 2011. Il ne sera
d'abord produit qu'en vinyle, mais son édition se vend tellement bien chez les
amateurs que Electric Magic, label du guitariste Samsara Blues Experiment, en
sort la version cd en 2012. Heat avait au départ refusé, car considérant le
pressage vinyle seul capable de retranscrire toute la qualité analogique de
l'enregistrement. Etonnante démarche, aussi puriste que totalement
anti-commercial, qui privait néanmoins nombre de fans potentiels à travers
l'Europe. Toujours est-il que Old Sparky délivrait une mixture hautement
goûteuse des premiers enregistrements de Pentagram et de Black Sabbath, fort
logiquement, mais aussi de tout un pan de Heavy Music aussi pointue que
brillante. Ainsi se mêle les noms de Leaf Hound, Sir Lord Baltimore, Dust et de
toute une scène Hard et Heavy du début des années 70 aussi énergique que
maladroite, dont les albums étaient souvent des enregistrements bruts, sans
concession, à la précision musicale toute relative, mais à l'efficacité réelle.
Leur musique traversant les âges sous le manteau, car capable d'aller chercher
sur leur terrain les grands maîtres que sont Led Zeppelin ou Black Sabbath,
sans toutefois totalement l'égaler. Tout le monde ne pouvait pas être Jimmy
Page ou Robert Plant, et le Punk vint prouver plus tard que le brio technique
ne faisait pas forcément la qualité d'un bon disque. Aussi, ces groupes furent
aussi un peu une partie du Proto-Punk, et le temps a su leur rendre toute leur
valeur.
Heat pioche
ainsi allégrement dans ces références pointues, ainsi que dans une autre source
rarement citée, mais réelle : les premiers albums de Jethro Tull, mêlant
le Folk britannique et le Heavy-Blues. Si cette influence était moins palpable
sur Old Sparky, elle est plus évidente du ce second album paru en
2014 : Labyrinth . Le quintet original n'a pas changé.
On retrouve donc Ingo Börner et Marco Rischer aux guitares, Marcus Töpfer à la
batterie, Patrick Fülling au chant,et Richard Behrens à la basse. Ce dernier
quitta par ailleurs cette même année son poste au sein de Samsara Blues
Experiment pour se consacrer totalement à Heat. Les ambitions sont donc
affichées avec ce second disque, qui tient le quintet sur la route depuis
maintenant un an.
Autant
l'afficher nettement, Labyrinth est un album de très grande qualité,
supérieur en tous points à son pourtant très bon prédécesseur. L'interprétation
est de haut niveau, les compositions sont plus ambitieuses, et le son de
l'enregistrement est parfait. Son que l’on doit à Charlie Paschen qui s’est
chargé du mixage. Un regard extérieur est toujours bon à prendre. On retrouve
toutefois tout ce qui faisait la qualité du premier album : un son
Heavy-Rock vintage, la voix possédée de Fülling, et les influences précédemment
citées. Le chant a toutefois gagné en mordant, et les guitares se font plus
agressives.
Le morceau
d’entrée, « Siamese Smile », est une épaisse tranche de Heavy-Blues
sombre de presque six minutes. On retrouve tout ce qui a fait la magie du son
de Heat depuis ses débuts, mais aussi bien plus : un son percutant, un
mordant dans les compositions que l’on ne trouvait pas sur le premier opus. Le
riff de « Siamese Smile » est redoutable d’efficacité, rappelant les
meilleures pièces de Pentagram période seventies, celui de « Forever My
Queen ». Il s’agit bien d’un son très axé sur le Hard-Rock, et non du
Stoner-Doom, même vintage. La comparaison la plus juste serait davantage à
creuser du côté de Stray finalement. Car si Pentagram fut à l’origine un groupe
de Heavy-Rock moins dark qu’il ne le sera à partir de la fin des années 70, on
retrouve le tempo et les méandres progressifs du quatuor du guitariste Del
Bromham, mais aussi ce sens de la mélodie alliées à la science du riff
redoutable, flirtant autant avec le Jazz-Blues et le Psychédélisme de la fin
des années 60, que du Heavy-Blues de Led Zeppelin et du Jeff Beck Group. Une
mixture de Heavy Music pas si simple finalement, malgré l’efficacité immédiate
de la musique de Heat. C’est cette richesse qui lui donne sa densité, qui fait
que chaque chorus, chaque changement de climat a cette saveur magique
immédiate, celle des grands disques oubliés du genre. Une Hard Music intelligente
finalement, qui donne autant son quota d’adrénaline que d’évasion sonore.
« Siamese Smile » est une sacrée pièce de Rock, portée par un chorus
introductif redoutable emballé par un tempo d’enfer, rapidement ralenti par un
riff massif. Le chant est précis, puissant, à la limite de la rupture. Fülling
fait parler la poudre, lui qui avait ce timbre si particulier des chanteurs de
Hard-Rock justes mains ne poussant pas leurs voix. Notre homme fait exception à
la règle, dans un tonnerre de décibels. Le son de la batterie est organique, mettant
en valeur le son des caisses, ce qui ne s’était pas entendu aussi nettement
depuis la fin des années 60. Töpfer est un sacré batteur, pas foncièrement
technique, mais efficace, au roulement de toms précis sans être frimeur. La
tonalité au bon endroit au bon moment en somme.
La joute guitaristique
se poursuit sur « Free World », à la teinte presque funky, soutenu à
partir du second couplet par un orgue Hammond faisant surgir les fantômes de
Uriah Heep ou Lucifer’s Friend, ces généreux disciples de Deep Purple. Le swing
initial se précipite vers un tempo plus rapide et Rock rappelant une certaine
autoroute vers les étoiles aux tonalités pourpres. Le décollage du solo de
guitare ajoute à cette sensation, mais il n’a rien de l’homme en noir, et se
veut plus Blues et massif, bien ancré dans sa Les Paul Gibson. Heat poursuit
son voyage avec un morceau épique de presque neuf minutes appelé « The
Golden Age ». Tempo binaire, massif, et encore un beau chorus de guitare
avant qu’un intermède de guitare acoustique accompagné de mellotron vienne
introduire la seconde partie du morceau, Un Power-Blues diabolique entre Led
Zeppelin et Jethro Tull soutient un second chorus magique, avant que des
arpèges électriques s’envolent sur un tempo de batterie rapide et souple,
ouvrant la voie au rêve. Un break tribal ramène l’auditeur sur des terres plus
noires, avant une dernière explosion en forme de Blues lent, et un dernier
rebondissement sur le riff initial.C’est dans un larsen furieux, suivi d’un riff menaçant, que Heat entreprend de raconter le mythe de « Barbarossa ». les six-cordes se font twin-guitars sur le pont suivant le couplet, et Fülling n’hésite pas à mettre à contribution ses cordes vocales. On y sent le feeling des albums de Thin Lizzy, avec des chansons comme « Massacre », ces thèmes guerriers gaelliques qu’affectionnaient tant Phil Lynott. Une influence de plus parfaitement assimilée, Heat produisant une chanson originale et forte. D’ailleurs, n’ayant pas décidé de laisser de répit à l’auditeur, le groupe produit une nouvelle déclaration du nom de « Masquerade ». Violente Hard Song, incisive et sans concession, elle affirme clairement la volonté du quintet d’offrir un Hard de fer. Mais il ne dévie pas de sa ligne de conduite vintage, et l’on se sent toujours bien avec ce Rock vigoureux.
« Loving
Devotion » commence par un riff raide comme un tord-boyau, mais malgré son
efficacité, ses guitares serrées, son tempo brutal, la ligne de chant est un
peu trop convenu pour se montrer exactement à la hauteur de ses prodigieux
prédécesseurs. Il serre de percutant préambule au sublime morceau éponyme.
Superbe odyssée de guitares cosmiques, au riff aérien, et au chant teintée
d’urgence psychédélique, il met en valeur toutes les immenses qualités du
quintet : inventivité, feeling, concision. On retrouve toutes les saveurs
du meilleur Heavy-Rock psychédélique en une synthèse magique et inspirée.
Tourbillonnant autour des cymbales de la batterie et des grands accords ouverts
des guitares, poussé par une basse épaisse et implacable,
« Labyrinth » enivre par son électricité chatoyante. Il clôt
merveilleusement un disque sublime, à la fois riche des plus belles références
du Heavy Psyché des années 70 qui raviront les connaisseurs, et suffisamment
bien écrit pour satisfaire tous les amateurs de Rock en général.
Si Labyrinth se tourne clairement vers le
Hard-Rock, il n’a pas perdu ni son identité, ni son brio musical. Peut-être
plus abordable musicalement sans pour autant céder à la facilité, Heat vient
d’enregistrer un excellent disque qu’il serait bon de ne pas juger que sous le
seul angle de ses références vintage.
tous droits réservés
2 commentaires:
Heat !! J'ai vraiment aimé ce groupe ! Merci pour la découverte ! le rock 70' semble revenir petit à petit.
J'en profite pour rendre hommage à ton blog. Toujours extrêmement bien écrit, très fouillé, complet, une vraie encyclopédie poétique du rock'n roll ! chapeau !
Merci à toi pour ces compliments.
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