"Le trio n’aura de cesse de
gagner en intensité."
ROBIN TROWER : « State To
State – Live Across America 1974-1980 » 2013
Robin Trower fut pour moi
un flash d’adrénaline prodigieux, dès les premières notes.
C’était l’album « For Earth Below » et « Live ».
Ce dernier enregistrement en concert possédait la magie de
l’improvisation et de l’énergie de la scène. Totalement
possédé, Robin Trower transcendait une musique qui l’était déjà
sur disque. Mais elle gagnait encore en folie et en rage, tout en
gardant intacte la puissance de sa guitare caractéristique et l’âme
intense de la voix de Jimmy Dewar.
Avec le temps, je devins un
admirateur transi de tout ce que le Robin Trower Band fit paraître
entre 1973 et 1983, en particulier toute chanson dotée de la voix de
Dewar. « Long Misty Days », « In City Dreams »
ou le fabuleux « Victims Of The Fury », tous possédaient
de somptueux morceaux dont je rêvais secrètement ouïr une version
en concert. Et puis ce live officiel de 1976 me parut trop court. A
l’heure où tous les grands groupes faisait paraître au moins un
double album en concert, voir deux dans la décennie, comme des
bilans, Robin Trower, malgré la qualité incroyable de sa musique
sur scène et son succès commercial durant les années 70, ne fit
paraître de disque en concert que bien des années plus tard, en
2007. L’homme avait gardé son talent intact, et son groupe
possédait suffisamment de qualités pour interpréter avec brio les
vieux classiques. Mais il y avait un vide irréparable dans cette
discographie, que ce double album vient combler en partie.
Le Robin Trower Band est
tellement bon que ce n’est pas un double cd qu’il aurait fallu
faire paraître, mais un coffret d’une dizaine de disques au moins.
On se contentera de cette offrande, que même la totalité des
enregistrements à la BBC n’avait pas égalé. Ici l’on retrouve
un florilège de concerts entre 1974 et 1980, tous captés en terre
US.
Rappelons que Robin Trower
fut le guitariste du groupe Procol Harum, magnifique quintet dirigé
par Gary Brooker, qui offrit non seulement l’inusable slow « A
Whiter Shade Of Pale », mais aussi quelques très beaux albums
de Rock soyeux comme « Home » ou « A Salty Dog ».
Trower se sent progressivement à l’étroit dans cette formation.
Il désire composer et s’exprimer davantage avec sa guitare. Il
admire à la fin des années 60 la liberté d’expression des
power-trios que furent Cream et le Jimi Hendrix Experience.
Mais au début des années
70, cette formule musicale a fait son temps en Europe. Le Rock en est
au Progressif orchestral, au glam-rock de Bowie, et encore un peu au
Heavy-Metal de Led Zeppelin et Deep Purple. Le Blues-Rock ne fait
plus recette en Albion, et seuls les Etats-Unis sont encore réceptifs
à ce type de musique. A un tel point que certains groupes anglais
trouvent refuge de l’autre côté de l’Atlantique, faute de
succès probant en Europe. Ainsi Humble Pie, Jeff Beck, Black
Sabbath, Ten Years After, et Robin Trower y tournent intensément et
trouvent le public réceptif qu’ils cherchaient.
Les cinq concerts ici
captés sur six ans montrent combien le Robin Trower Band s’y
exprime avec liberté et plaisir.
La première tournée date
de 1974. Elle fut historique à plus d’un titre. En effet, elle
regroupait Robin Trower, King Crimson et Ten Years After. Les trois
jouaient dans cet ordre d’apparition, et dans l’ordre inverse de
leur succès commercial respectif, le second album de Robin Trower,
« Bridge Of Sighs » atteignant le Top 5 US. Bien que les
trois groupes aient une approche fort différente du Rock, il n’était
pas rare à cette époque de voir ce type d’affiche décalée,
montrant l’éclectisme des programmateurs et du public. On verra
même se croiser sur la même scène Crosby, Stills, Nash And Young,
Miles Davis et Grateful Dead à la fin des années 60. Alors que King
Crimson engage sa dernière carte pour enfin percer sur le marché
américain, Robert Fripp, au bord de la dépression, reçoit de
précieux cours de guitare par Robin Trower qui lui permettront de
faire un pas de géant dans son approche musicale et créative. Il
avouera même en 1996 que le virtuose du Blues lui avait sauvé la
vie. Pas moins.
On retrouve à Philadelphie
et en Californie de superbes versions pleine d’emphase et d’énergie
de « Lady Love », « Too Rolling Stoned » ou
« Little Bit Of Sympathy ». Les chorus de Trower sont
imprégnés de grâce et de feeling. Les Blues « I Can’t Wait
Much Longer » et « Bridge Of Sighs » atteignent des
sommets de mélancolie cancéreuse, de désespoir intérieur. On est
entre la folie du Blues possédé d’Humble Pie et le sortilège
doom de Black Sabbath. Ecouter un disque de Robin Trower est et reste
une expérience unique. Je ressens toujours cette brûlure intense de
puissance et de poésie totalement intacte. Il est nécessaire
d’inspirer profondément après les premiers accords, le cœur
comme soulevé par l’émotion. La voix de Dewar, les roulements de
toms et les friselis de cymbales cloutées de Lordan, et la guitare
de Trower sont un alliage parfait, un sommet unique de virtuosité et
de lyrisme artistique.
Le trio n’aura de cesse
de gagner en intensité. « For Earth Below » et « Long
Misty Days » contiennent ce que le groupe produira de plus beau
émotionnellement parlant, alors que les deux premiers disques
semblaient déjà insurpassables. En 1976 , même les vieux
classiques atteignent la stratosphère, comme cette version
miraculeuse de neuf minutes de « Too Rolling Stoned »
enregistrée dans l’Illinois. Les chorus de Trower sont d’une
autre planète, poussé dans ses derniers retranchements par sa
section rythmique totalement en embuscade. Il en est de même pour
« I Can’t Wait Much Longer », chanté ici la mâchoire
serrée par la douleur, et carbonisé par la pureté du riff,
tourbillonnant à l’entêtement. Mais il y aussi cette superbe
version de « Sailing ». Ce morceau initialement
enregistré par Gavin Sutherland devint un tube mondial grâce à Rod
Stewart en 1975. On pouvait s’interroger sur l’utilité que
pouvait avoir le Robin Trower Band d’en enregistrer une reprise en
1976. la version studio balaya rapidement tous les doutes et cette
version en concert encore davantage. Si le trio ne connut pas le même
succès que Rod The Mod, il est parfaitement indiscutable de dire que
la version de Robin Trower est d’une beauté romantique à couper
le souffle.
Sur scène, en 1976, dans l’Illinois, le guitariste
égrène des arpèges sursaturés tombant en pluie d’étincelles.
Dewar chante avec emphase, et l’émotion est telle que le bassiste
semble s’envoler en chantant et au début du troisième couplet, il
s’étrangle presque d’un sanglot. Les trois hommes atteignent un
pinacle d’intensité qui ne se clôt que sur un dernier accord
rageur et saturé.
L’enregistrement en
Oklahoma de 1977 présentent une version du Robin Trower Band jamais
entendu en concert sur disque, ainsi que deux morceaux de l’album
« In City Dreams » tout aussi rares. Jimmy Dewar a
abandonné sa basse pour se consacrer uniquement au chant, laissant
les quatre cordes à Rustee Allen, ancien bassiste de Sly And The
Family Stone. On le dit peu, mais « In City Dreams » est
un magnifique album. Plus délicat que ses prédécesseurs, il ne
connaîtra pas tout à fait le même succès commercial, bien qu’à
nouveau disque d’or aux USA, s’éloignant du Heavy-Blues
original. L’écoute de « Somebody Calling » et
Bluebird » est littéralement trancendante. Le Funk y est
obsédant, la mélodie lumineuse.
Robin Trower poursuit dans
cette voie avec « Caravan To Midnight » en 1978, mais
l’album n’ouvre pas sur une tournée mondiale. Le Robin Trower
Band est en difficulté. Le disque se vend mal à l’heure du Punk,
du disco, et du Rock AOR. Rustee Allen part, laisse le groupe sous la
forme du trio initial. La Grande-Bretagne est alors secouée de
soubresauts Rock avec la New Wave Of British Heavy-Metal. De jeunes
lames comme de vieux couteaux reprennent les commandes de la scène
musicale : Diamond Head, Iron Maiden, mais aussi Motorhead,
Black Sabbath ou Budgie. Robin Trower revient à ce qu’il sait
faire : du Heavy-Blues. « Victims Of The Fury »
paraît début 1980, et le trio se lance dans une campagne
internationale qui passe par le Missouri. La setlist fait la part
belle aux nouveaux morceaux, tous taillés pour la scène. Brûlants
d’électricité incandescente, « The Ring », « Jack
And Jill » ou « Mad House » pulvérisent
l’auditoire. Même la tentative plus New Wave qu’est la chanson
éponyme et son riff fantomatique gagne en intensité. Le chant
engagé de Dewar pousse au firmament la mélodie du morceau.
Il s’agira de la dernière
tournée de Robin Trower avant cinq ans de silence scénique. Malgré
deux albums avec Jack Bruce, et un dernier en 1983 avec Jim Dewar,
aucun ne conduira le guitariste et son groupe sur la route. La santé
déclinante de Dewar stoppera leur collaboration, Trower entrera dans
une période musicale perturbée créativement parlant, le musicien
se dirigeant vers des sonorités plus commerciales qui l’éloigneront
un temps de sa vraie couleur musicale.
Indiscutablement, le Robin
Trower Band fut un grand groupe de scène. Bien que peu démonstratif
sur scène, la qualité intrinsèque de ses compositions et de ses
musiciens domina de plusieurs têtes la production Rock de l’époque.
Il est à espérer que Chrysalis, qui a la faculté de dévoiler des
enregistrements d’archives live de grande qualité de ses artistes,
nous offre bien d’autres albums de ce genre.
Il est en tout cas certain
que celui ou celle qui ne connaît pas Robin Trower n’a pas encore
compris ce que puissance de la musique veut dire.
tous droits réservés
3 commentaires:
Robin Trower... à mon sens, un des meilleurs. J'ai pratiquement tout de lui (j'ai fait l'impasse sur sa période allant de 1983 à 1990).
Son style est ici bien décrit ; il me paraît par ailleurs faire le pont entre une certaine tradition et quelque chose de franchement avant-gardiste, tout en se servant de l'héritage d'Hendrix comme tremplin. Trower est encore aujourd'hui une influence majeure pour un grand nombre de guitaristes talentueux actuels. Je retrouve même parfois son souffle dans Samsara Blues Experiment.
Et... Bonne Année (Pace è Salute)
Salut l'ami. Bonne année à toi également.
Effectivement, il y a des similitudes entre Samsara et Trower, mais je dirais plus généralement que l'influence de Trower sur le Doom est plus proéminente que l'on veut bien le croire. Samsara est très bluesy dans son approche, et le son se rapproche des "Bridge Of Sighs" ou "I Can't Wait Much Longer". A mon sens, Black Sabbath n'est pas la seule influence pour Kadavar, The Machine ou même High On Fire. La caractéristique, c'est le son de la guitare, indéniablement.
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