mardi 16 décembre 2014

ROBIN TROWER STATE TO STATE

 "Le trio n’aura de cesse de gagner en intensité."
ROBIN TROWER : « State To State – Live Across America 1974-1980 » 2013

Robin Trower fut pour moi un flash d’adrénaline prodigieux, dès les premières notes. C’était l’album « For Earth Below » et « Live ». Ce dernier enregistrement en concert possédait la magie de l’improvisation et de l’énergie de la scène. Totalement possédé, Robin Trower transcendait une musique qui l’était déjà sur disque. Mais elle gagnait encore en folie et en rage, tout en gardant intacte la puissance de sa guitare caractéristique et l’âme intense de la voix de Jimmy Dewar. 
Avec le temps, je devins un admirateur transi de tout ce que le Robin Trower Band fit paraître entre 1973 et 1983, en particulier toute chanson dotée de la voix de Dewar. « Long Misty Days », « In City Dreams » ou le fabuleux « Victims Of The Fury », tous possédaient de somptueux morceaux dont je rêvais secrètement ouïr une version en concert. Et puis ce live officiel de 1976 me parut trop court. A l’heure où tous les grands groupes faisait paraître au moins un double album en concert, voir deux dans la décennie, comme des bilans, Robin Trower, malgré la qualité incroyable de sa musique sur scène et son succès commercial durant les années 70, ne fit paraître de disque en concert que bien des années plus tard, en 2007. L’homme avait gardé son talent intact, et son groupe possédait suffisamment de qualités pour interpréter avec brio les vieux classiques. Mais il y avait un vide irréparable dans cette discographie, que ce double album vient combler en partie.
Le Robin Trower Band est tellement bon que ce n’est pas un double cd qu’il aurait fallu faire paraître, mais un coffret d’une dizaine de disques au moins. On se contentera de cette offrande, que même la totalité des enregistrements à la BBC n’avait pas égalé. Ici l’on retrouve un florilège de concerts entre 1974 et 1980, tous captés en terre US.
Rappelons que Robin Trower fut le guitariste du groupe Procol Harum, magnifique quintet dirigé par Gary Brooker, qui offrit non seulement l’inusable slow « A Whiter Shade Of Pale », mais aussi quelques très beaux albums de Rock soyeux comme « Home » ou « A Salty Dog ». Trower se sent progressivement à l’étroit dans cette formation. Il désire composer et s’exprimer davantage avec sa guitare. Il admire à la fin des années 60 la liberté d’expression des power-trios que furent Cream et le Jimi Hendrix Experience.
Mais au début des années 70, cette formule musicale a fait son temps en Europe. Le Rock en est au Progressif orchestral, au glam-rock de Bowie, et encore un peu au Heavy-Metal de Led Zeppelin et Deep Purple. Le Blues-Rock ne fait plus recette en Albion, et seuls les Etats-Unis sont encore réceptifs à ce type de musique. A un tel point que certains groupes anglais trouvent refuge de l’autre côté de l’Atlantique, faute de succès probant en Europe. Ainsi Humble Pie, Jeff Beck, Black Sabbath, Ten Years After, et Robin Trower y tournent intensément et trouvent le public réceptif qu’ils cherchaient.
Les cinq concerts ici captés sur six ans montrent combien le Robin Trower Band s’y exprime avec liberté et plaisir. 
La première tournée date de 1974. Elle fut historique à plus d’un titre. En effet, elle regroupait Robin Trower, King Crimson et Ten Years After. Les trois jouaient dans cet ordre d’apparition, et dans l’ordre inverse de leur succès commercial respectif, le second album de Robin Trower, « Bridge Of Sighs » atteignant le Top 5 US. Bien que les trois groupes aient une approche fort différente du Rock, il n’était pas rare à cette époque de voir ce type d’affiche décalée, montrant l’éclectisme des programmateurs et du public. On verra même se croiser sur la même scène Crosby, Stills, Nash And Young, Miles Davis et Grateful Dead à la fin des années 60. Alors que King Crimson engage sa dernière carte pour enfin percer sur le marché américain, Robert Fripp, au bord de la dépression, reçoit de précieux cours de guitare par Robin Trower qui lui permettront de faire un pas de géant dans son approche musicale et créative. Il avouera même en 1996 que le virtuose du Blues lui avait sauvé la vie. Pas moins.
On retrouve à Philadelphie et en Californie de superbes versions pleine d’emphase et d’énergie de « Lady Love », « Too Rolling Stoned » ou « Little Bit Of Sympathy ». Les chorus de Trower sont imprégnés de grâce et de feeling. Les Blues « I Can’t Wait Much Longer » et « Bridge Of Sighs » atteignent des sommets de mélancolie cancéreuse, de désespoir intérieur. On est entre la folie du Blues possédé d’Humble Pie et le sortilège doom de Black Sabbath. Ecouter un disque de Robin Trower est et reste une expérience unique. Je ressens toujours cette brûlure intense de puissance et de poésie totalement intacte. Il est nécessaire d’inspirer profondément après les premiers accords, le cœur comme soulevé par l’émotion. La voix de Dewar, les roulements de toms et les friselis de cymbales cloutées de Lordan, et la guitare de Trower sont un alliage parfait, un sommet unique de virtuosité et de lyrisme artistique. 
Le trio n’aura de cesse de gagner en intensité. « For Earth Below » et « Long Misty Days » contiennent ce que le groupe produira de plus beau émotionnellement parlant, alors que les deux premiers disques semblaient déjà insurpassables. En 1976 , même les vieux classiques atteignent la stratosphère, comme cette version miraculeuse de neuf minutes de « Too Rolling Stoned » enregistrée dans l’Illinois. Les chorus de Trower sont d’une autre planète, poussé dans ses derniers retranchements par sa section rythmique totalement en embuscade. Il en est de même pour « I Can’t Wait Much Longer », chanté ici la mâchoire serrée par la douleur, et carbonisé par la pureté du riff, tourbillonnant à l’entêtement. Mais il y aussi cette superbe version de « Sailing ». Ce morceau initialement enregistré par Gavin Sutherland devint un tube mondial grâce à Rod Stewart en 1975. On pouvait s’interroger sur l’utilité que pouvait avoir le Robin Trower Band d’en enregistrer une reprise en 1976. la version studio balaya rapidement tous les doutes et cette version en concert encore davantage. Si le trio ne connut pas le même succès que Rod The Mod, il est parfaitement indiscutable de dire que la version de Robin Trower est d’une beauté romantique à couper le souffle. 
Sur scène, en 1976, dans l’Illinois, le guitariste égrène des arpèges sursaturés tombant en pluie d’étincelles. Dewar chante avec emphase, et l’émotion est telle que le bassiste semble s’envoler en chantant et au début du troisième couplet, il s’étrangle presque d’un sanglot. Les trois hommes atteignent un pinacle d’intensité qui ne se clôt que sur un dernier accord rageur et saturé. 
L’enregistrement en Oklahoma de 1977 présentent une version du Robin Trower Band jamais entendu en concert sur disque, ainsi que deux morceaux de l’album « In City Dreams » tout aussi rares. Jimmy Dewar a abandonné sa basse pour se consacrer uniquement au chant, laissant les quatre cordes à Rustee Allen, ancien bassiste de Sly And The Family Stone. On le dit peu, mais « In City Dreams » est un magnifique album. Plus délicat que ses prédécesseurs, il ne connaîtra pas tout à fait le même succès commercial, bien qu’à nouveau disque d’or aux USA, s’éloignant du Heavy-Blues original. L’écoute de « Somebody Calling » et Bluebird » est littéralement trancendante. Le Funk y est obsédant, la mélodie lumineuse.
Robin Trower poursuit dans cette voie avec « Caravan To Midnight » en 1978, mais l’album n’ouvre pas sur une tournée mondiale. Le Robin Trower Band est en difficulté. Le disque se vend mal à l’heure du Punk, du disco, et du Rock AOR. Rustee Allen part, laisse le groupe sous la forme du trio initial. La Grande-Bretagne est alors secouée de soubresauts Rock avec la New Wave Of British Heavy-Metal. De jeunes lames comme de vieux couteaux reprennent les commandes de la scène musicale : Diamond Head, Iron Maiden, mais aussi Motorhead, Black Sabbath ou Budgie. Robin Trower revient à ce qu’il sait faire : du Heavy-Blues. « Victims Of The Fury » paraît début 1980, et le trio se lance dans une campagne internationale qui passe par le Missouri. La setlist fait la part belle aux nouveaux morceaux, tous taillés pour la scène. Brûlants d’électricité incandescente, « The Ring », « Jack And Jill » ou « Mad House » pulvérisent l’auditoire. Même la tentative plus New Wave qu’est la chanson éponyme et son riff fantomatique gagne en intensité. Le chant engagé de Dewar pousse au firmament la mélodie du morceau.
Il s’agira de la dernière tournée de Robin Trower avant cinq ans de silence scénique. Malgré deux albums avec Jack Bruce, et un dernier en 1983 avec Jim Dewar, aucun ne conduira le guitariste et son groupe sur la route. La santé déclinante de Dewar stoppera leur collaboration, Trower entrera dans une période musicale perturbée créativement parlant, le musicien se dirigeant vers des sonorités plus commerciales qui l’éloigneront un temps de sa vraie couleur musicale.
Indiscutablement, le Robin Trower Band fut un grand groupe de scène. Bien que peu démonstratif sur scène, la qualité intrinsèque de ses compositions et de ses musiciens domina de plusieurs têtes la production Rock de l’époque. Il est à espérer que Chrysalis, qui a la faculté de dévoiler des enregistrements d’archives live de grande qualité de ses artistes, nous offre bien d’autres albums de ce genre.
Il est en tout cas certain que celui ou celle qui ne connaît pas Robin Trower n’a pas encore compris ce que puissance de la musique veut dire.
tous droits réservés

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Robin Trower... à mon sens, un des meilleurs. J'ai pratiquement tout de lui (j'ai fait l'impasse sur sa période allant de 1983 à 1990).
Son style est ici bien décrit ; il me paraît par ailleurs faire le pont entre une certaine tradition et quelque chose de franchement avant-gardiste, tout en se servant de l'héritage d'Hendrix comme tremplin. Trower est encore aujourd'hui une influence majeure pour un grand nombre de guitaristes talentueux actuels. Je retrouve même parfois son souffle dans Samsara Blues Experiment.

Anonyme a dit…

Et... Bonne Année (Pace è Salute)

Julien Deléglise a dit…

Salut l'ami. Bonne année à toi également.
Effectivement, il y a des similitudes entre Samsara et Trower, mais je dirais plus généralement que l'influence de Trower sur le Doom est plus proéminente que l'on veut bien le croire. Samsara est très bluesy dans son approche, et le son se rapproche des "Bridge Of Sighs" ou "I Can't Wait Much Longer". A mon sens, Black Sabbath n'est pas la seule influence pour Kadavar, The Machine ou même High On Fire. La caractéristique, c'est le son de la guitare, indéniablement.