samedi 31 août 2013

ELDER

" Je ressens toute la confusion dans mon esprit. "
ELDER : « Dead Roots Stirring » 2011

Il est des enfers plus noirs que le quotidien. Ce soir, je t’ai quitté. Mon âme était devenue un abysse de malédiction et de rage. Le petit whisky du soir, trop fréquent et trop lourd, est devenu la catharsis de ma colère. J’ai lâché les chiens, sans ménagement. Je t’ai tout dit, tout ce qui me passait par la tête, parfois trop. Pourtant, je t’ai aimé, tellement. J’ai aimé ta silhouette ronde, ta petite culotte blanche sortant de ton short, ces caresses tendres sur ton dos.... Ce soir, je te hais. Tellement. Je brûle de fureur incontrôlée. Je suis un torrent de lave incandescente. Je suis injuste, impartial, égoïste. Ce soir, tu me détestes tellement. Tu sauras aussi trouvé les critiques qui blessent.
Je m’excuserai de mes propos un peu trop déments, tu ne le feras pas. Deux jours plus tard. Je ne t’en veux pas. Il est trop tard. J’ai pris ma décision. Tu pars. Je te quitte. Tu me hais. Mais nous avons un lien de sang à jamais, une petite fille. Et il nous faudra être intelligents, ne serait-ce que quelques minutes par jour. Pour la petite, pour ne pas être cet énième couple de connards irresponsables qui inondent nos écrans télévisuels.
Je t’ai aimé, mais depuis des mois, je ne te vois plus comme avant. Je ne te désire plus. Nous sommes devenus de lointains amis. Cela te convient. Pas moi. Pas à 34 ans. J’ai envie de rentrer chez moi, de serrer la femme que j’aime dans mes bras, de lui faire un tendre baiser dans le cou ou sur la joue, de simplement lui dire qu’elle m’a manqué et que je l’aime. Profondément. Et de la prendre dans mes bras dans notre lit, de me dire que même si il ne se passe rien, je la désire. Rien que de caresser sa joue, doucement, mourir d’envie de l’embrasser. Simplement. Ces douceurs que je ne ressens plus depuis bien longtemps. Je désire rentrer chez moi, mourant d'impatience de la retrouver.
Et puis toutes ces rancoeurs accumulées, cette haine sourde qui éclate le jour de la rupture. Je t’aime, mais tu ferais mieux de crever. Je t’ai quitté, et je me sens mieux. Je n’ai plus envie de fumer, de boire ou de manger. Parfois, je sens le regret de cette doucereuse vie de famille si établie me bouffer les tripes. Et puis, en te parlant quelques mots, je sens les regrets fondre au soleil. Il y a de la haine au fond de ta gorge. Malgré le fait que tu tentes de traduire un amour profond pour mon être, je sens que l’aigreur est palpable sous quelques mots. Ton sec, voix amère. Tu me reproches d’être méchant. Je l’ai été. Furieux même. Mais mes excuses ne suffiront pas, car nous nous séparons ce soir. Alors je suis le pire des débris, des inconscients, des frustrés de toute la Terre. Et tu as sans doute raison.
Mais je t’ai aimé. Je t’ai désiré. Mais ce soir, c’est la fin. Je t’en ai tant dit, et toi aussi. Mais plus rien n’est conciliable, parce que je ne te perçois que comme une vouivre qui bouffe mon énergie en me répétant que les problèmes ne viennent que de moi. Ce soir, je suis persuadé que non. Tu m'as fait souffrir, en vivant ta vie au détriment de la mienne, dans ton coin, sans te soucier de mes angoisses ou de mes envies. Tu ne m'apporta que de la résignation ou du dédain. C'est comme cela, il faut faire avec. Moi je vais bien, c'est toi qui a un problème. Alors, nous sommes dans une impasse. Tu cherches encore la sortie, mais je le sais, nous sommes au bout. Il n’y a plus d’issue. Je suis alcoolique, irresponsable, je suis un con. Et toi..... Je n’ai plus la force de répondre. Cela me dégoûte. M’est égal. Je suis désormais un paria, tu me hais.
Je tente d’être digne, j’ai décidé tout cela d’un coup de tête un peu alcoolisé. Après des semaines de haine larvée. Je ne veux pas te haïr. Juste offrir le meilleur pour notre fille. Mais je le sais, je suis le poison.
Aujourd'hui, je suis apaisé, malgré cette boule d'angoisse qui me ronge le ventre. J'ai peur de cette inconnue, des mois qui vont venir : pension alimentaire, garde de l'enfant, vente de nos biens communs. Et nos glaciaux échanges sur le quotidien de notre fille lorsque nous devrons la déposer chez l'un ou chez l'autre. Mais en même temps, je me sens libéré d'un poids immense. Je me sens libre, malgré la solitude. Je me sens revenir à moi-même. Je suis redevenu calme avec ma fille, je peux enfin profiter d'elle. Je sens une violence sourde s'enfuir. Sauf lorsque je dois t'affronter au téléphone ou physiquement. Je sens cette angoisse me remonter dans les tripes. J'ai du mal à m'en remettre une fois que tu t'en vas. J'ai l'impression d'avoir plongé mes mains dans des buissons ardents. Je tourne en rond quelques minutes, sans but, mon cœur battant frénétiquement de colère. Je comprend alors, lorsque mes esprits me reviennent, que tu m'as sans doute fait beaucoup de mal aussi, mais je préfère ne plus trop y réfléchir. Je veux allé de l'avant, trouver quelque de bien, un jour. Quelqu'un qui m'aimera pour ce que je suis, simplement. Qu'importe le temps qu'il faudra.
J'ai arrêté de fumer, de boire, et d'écouter de la musique depuis une semaine. Je m'alimente péniblement. Je dors mal. Malgré le fait que je sois, comme tu le dis en position de force, je suis perturbé. Pourtant, ce soir, j'ai eu envie de mettre un disque. Et me servir un petit fond de whisky irlandais.
Cet album est sans doute le plus grand torrent d’émotions qu’un album n’ait jamais produit en moi. Et il me suit depuis déjà quelques temps. Je souffre, je respire avec lui depuis trois mois. Je ressens toute la confusion dans mon esprit.Tout tourbillonne alors dans mon esprit, comme la musique de Elder. Cela ne m’était pas arrivé depuis le « Live At Leeds » des Who, le « II » de Led Zeppelin, et « Dead Black Wings » de High On Fire.
J’y ressens en tout cas toute la fureur émotionnelle que je vis. Les visages se succèdent, les mots, les gestes, les envies, les frustrations, tout est dans ce fabuleux album.
Formé en 2006 à Faihaven dans le Massachussets, il comprend depuis le début Nick Disalvo à la guitare et au chant, Jack Donovan à la basse et Matt Couto à la batterie.
Initialement un groupe de Doom dans la lignée de Sleep, le trio se distingue rapidement par une approche beaucoup plus psychédélique de son Doom-Metal, loin derrière le côté implacable de la bande à Matt Pike et Al Cisneros. Le premier album garde donc dans l’esprit ses influences, paru en 2009, mais démontre déjà les qualités d’improvisation hors normes du trio.
« Dead Roots Stirring » est le second disque du trio, paru en 2011. Il est la démonstration totale de ce que ces trois gaillards sont capables. Chaque morceau fait en moyenne dix minutes, et il y en a cinq. La voix de DiSalvo a laissé tomber ses accents doom-death pour une voix rocailleuse plus naturelle et surtout plus convaincante.
Présenté dans une pochette énigmatique sans nom de groupe ou d’album, mystérieuse, ou règne la mort et un romantisme noir, cet album n’est pas un disque gothique.
Bruit d'interrupteur, grésillement. Un riff rêche emplit l'atmosphère. La basse gronde, soutenue par une batterie impeccable. Jamais une batterie n'avait aussi bien sonné sur un disque depuis... John Bonham de Led Zeppelin. Son mat de la caisse claire et de la grosse caisse, cymbales rutilantes, proximité de l'instrumentiste et de l'auditeur. « I'm Coming Home » chante DiSalvo sur « Gemini ». Le riff est à a fois sombre et sourdant d'un espoir infime dans une limbe de désespoir. Mais comme tous les morceaux de Elder, chacun est composé de rebondissements multiples, faisant justement rebondir l'âme de l'auditeur dans un tourbillon de sentiments totalement écorchés vifs. On passe du désespoir à la colère, de la haine à l'espoir fou d'une vie meilleure. Tout cela en quelques minutes, avec une fluidité incroyable. Sur ce disque, DiSalvo use d'arpèges saturés qui donnent à chaque morceau une atmosphère de désespoir et de fuite qu'aucun disque de Black ou de Death n'obtiendra jamais. Les solis sont concis et fins, mêlés dans la musique globale du morceau, sans démonstration aucune. Ils ne sont que des respirations de lumière dans un ciel de cendres.
« Dead Roots Stirring » semble ouvrir une voie plus lumineuse. En apparence. « Dead Roots Stirring » débute par de brutaux accords de basse saturée. La guitare coule quelques notes à peine saturées. Ces racines poussent comme la rosée sur les arbres de la forêt des Monts D’Arrhée, liquide et mystérieuse. L’écho produit une fausse impression d’espoir, une sorte d’éclaircie sur la plage après la tempête. Lorsque les nuages s’écartent pou laisser place aux premiers rayons de soleil, on allume une cigarette. Mais l’électricité reprend le dessus, et le riff du morceau carbonise cette ambiance presque délétère.
« III » est un morceau aux accents acoustiques typiquement sabbathiens. On ressent toute la poésie de Tony Iommi dans ces morceaux que personne n’écoutait, cette folie gothique qui furent aussi la part d’ombre maléfique de Black Sabbath. Elder produit ici un premier morceau mêlant ce génie du Sabbath avec une forme de nostalgie celtique issu du Folk acoustique britannique de la fin des années 60. Et puis éclate l’électricité, la fureur et la colère.
« The End » est un monument de désespoir urbain. Dés les premiers accords en demi-teinte, on plonge dans un océan de tourments. Mais la rythmique s’emballe, et le tempo se fait étrangement rapide, urgent. La fin. Tout est urgent dans ces cas-là. Up-tempo violent, « The End » est une source jaillissante de fureur. Alors que son titre annonce le désespoir, la musique est d’une énergie impitoyable. Celle de la mort imminente, celle de l’envie de survivre. Les riffs, la rythmique, tout est implacable, majestueux, jusqu’à ces accords luisants de Blues qui surnagent sur la colère. Le solo est brillant, totalement épique, comme toujours sur cet album.
Et puis l’on atteint le pinacle. « Knot ». Soit « Noeud » en anglais. Soit ce que je ressens depuis un mois dans mes tripes. Riff héroïque, envolée magistrale, up-tempo redoutable, on frise la maestria des premiers albums de Rush. Mais il y a cette colère, ce spleen totalement unique dans ce groupe. Comme un cri de douleur sourd dans le vide. Comme une envie pour une fois d’exister. Le rebondissement Doom est redoutable, sans concession. Mais les arpèges sont totalement poignants. Ils prennent à la gorge. Ils sont capables de vous faire retourner sur vous-mêmes, de tout remettre en cause. Jamais un album de m’aura autant renverser. Je vois son visage, mon tumulte, ma fille, mon ex-compagne, les mots, les gestes. Et puis il y a mon cœur en feu, mes sentiments, mes envies, ce que je crois, ce que j’espère.... Et ses yeux de biche qui me traversent le cerveau, ses hanches délicates qui ne demandent que des caresses. Et puis tout ce que je ne suis pas, et tout ce qui me bloque à jamais. Il est presque impossible de retranscrire tout ce qu'un être doué de sens peut ressentir à l'écoute de ce disque. Je crois que toute ma vie depuis huit mois est inscrite dans ce morceau. Les paroles, la musique, la furie, le doom, le blues. La guitare rugissante d'arpèges et de riffs, la basse grondante, la batterie brûlant des kilomètres de cymbales et de peaux. La puissance émotionnelle de « Knot » est presque indescriptible. Elle porte l'âme des blessés de la vie sur une autre dimension, et leur donne une force inédite. C'est cela, la vraie magie de la musique, comme peu de disques en sont capables.
Et encore et toujours ce nœud dans mes tripes. Je suis malheureux et incertain. Je me laisse aller mais dans quelle voie ? Je crois que..... Je suis enfin seul. Et libre.
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