ELDER : « Dead Roots
Stirring » 2011
Il est des enfers plus noirs que le
quotidien. Ce soir, je t’ai quitté. Mon âme était devenue un
abysse de malédiction et de rage. Le petit whisky du soir, trop
fréquent et trop lourd, est devenu la catharsis de ma colère. J’ai
lâché les chiens, sans ménagement. Je t’ai tout dit, tout ce qui
me passait par la tête, parfois trop. Pourtant, je t’ai aimé,
tellement. J’ai aimé ta silhouette ronde, ta petite culotte
blanche sortant de ton short, ces caresses tendres sur ton dos.... Ce
soir, je te hais. Tellement. Je brûle de fureur incontrôlée. Je
suis un torrent de lave incandescente. Je suis injuste, impartial,
égoïste. Ce soir, tu me détestes tellement. Tu sauras aussi trouvé
les critiques qui blessent.
Je m’excuserai de mes propos un peu
trop déments, tu ne le feras pas. Deux jours plus tard. Je ne t’en
veux pas. Il est trop tard. J’ai pris ma décision. Tu pars. Je te
quitte. Tu me hais. Mais nous avons un lien de sang à jamais, une
petite fille. Et il nous faudra être intelligents, ne serait-ce que
quelques minutes par jour. Pour la petite, pour ne pas être cet
énième couple de connards irresponsables qui inondent nos écrans
télévisuels.
Je t’ai aimé, mais depuis des mois,
je ne te vois plus comme avant. Je ne te désire plus. Nous sommes
devenus de lointains amis. Cela te convient. Pas moi. Pas à 34 ans.
J’ai envie de rentrer chez moi, de serrer la femme que j’aime
dans mes bras, de lui faire un tendre baiser dans le cou ou sur la
joue, de simplement lui dire qu’elle m’a manqué et que je
l’aime. Profondément. Et de la prendre dans mes bras dans notre
lit, de me dire que même si il ne se passe rien, je la désire. Rien
que de caresser sa joue, doucement, mourir d’envie de l’embrasser.
Simplement. Ces douceurs que je ne ressens plus depuis bien
longtemps. Je désire rentrer chez moi, mourant d'impatience de la
retrouver.
Et puis toutes ces rancoeurs
accumulées, cette haine sourde qui éclate le jour de la rupture. Je
t’aime, mais tu ferais mieux de crever. Je t’ai quitté, et je
me sens mieux. Je n’ai plus envie de fumer, de boire ou de manger.
Parfois, je sens le regret de cette doucereuse vie de famille si
établie me bouffer les tripes. Et puis, en te parlant quelques
mots, je sens les regrets fondre au soleil. Il y a de la haine au
fond de ta gorge. Malgré le fait que tu tentes de traduire un amour
profond pour mon être, je sens que l’aigreur est palpable sous
quelques mots. Ton sec, voix amère. Tu me reproches d’être
méchant. Je l’ai été. Furieux même. Mais mes excuses ne
suffiront pas, car nous nous séparons ce soir. Alors je suis le pire
des débris, des inconscients, des frustrés de toute la Terre. Et tu
as sans doute raison.
Mais je t’ai aimé. Je t’ai
désiré. Mais ce soir, c’est la fin. Je t’en ai tant dit, et toi
aussi. Mais plus rien n’est conciliable, parce que je ne te perçois
que comme une vouivre qui bouffe mon énergie en me répétant que
les problèmes ne viennent que de moi. Ce soir, je suis persuadé que
non. Tu m'as fait souffrir, en vivant ta vie au détriment de la
mienne, dans ton coin, sans te soucier de mes angoisses ou de mes
envies. Tu ne m'apporta que de la résignation ou du dédain. C'est
comme cela, il faut faire avec. Moi je vais bien, c'est toi qui a un
problème. Alors, nous sommes dans une impasse. Tu cherches encore la
sortie, mais je le sais, nous sommes au bout. Il n’y a plus
d’issue. Je suis alcoolique, irresponsable, je suis un con. Et
toi..... Je n’ai plus la force de répondre. Cela me dégoûte.
M’est égal. Je suis désormais un paria, tu me hais.
Je tente d’être digne, j’ai
décidé tout cela d’un coup de tête un peu alcoolisé. Après des
semaines de haine larvée. Je ne veux pas te haïr. Juste offrir le
meilleur pour notre fille. Mais je le sais, je suis le poison.
Aujourd'hui, je suis apaisé, malgré
cette boule d'angoisse qui me ronge le ventre. J'ai peur de cette
inconnue, des mois qui vont venir : pension alimentaire, garde
de l'enfant, vente de nos biens communs. Et nos glaciaux échanges
sur le quotidien de notre fille lorsque nous devrons la déposer chez
l'un ou chez l'autre. Mais en même temps, je me sens libéré d'un
poids immense. Je me sens libre, malgré la solitude. Je me sens
revenir à moi-même. Je suis redevenu calme avec ma fille, je peux
enfin profiter d'elle. Je sens une violence sourde s'enfuir. Sauf
lorsque je dois t'affronter au téléphone ou physiquement. Je sens
cette angoisse me remonter dans les tripes. J'ai du mal à m'en
remettre une fois que tu t'en vas. J'ai l'impression d'avoir plongé
mes mains dans des buissons ardents. Je tourne en rond quelques
minutes, sans but, mon cœur battant frénétiquement de colère. Je
comprend alors, lorsque mes esprits me reviennent, que tu m'as sans
doute fait beaucoup de mal aussi, mais je préfère ne plus trop y
réfléchir. Je veux allé de l'avant, trouver quelque de bien, un
jour. Quelqu'un qui m'aimera pour ce que je suis, simplement.
Qu'importe le temps qu'il faudra.
J'ai arrêté de fumer, de boire, et
d'écouter de la musique depuis une semaine. Je m'alimente
péniblement. Je dors mal. Malgré le fait que je sois, comme tu le
dis en position de force, je suis perturbé. Pourtant, ce soir, j'ai
eu envie de mettre un disque. Et me servir un petit fond de whisky
irlandais.
Cet album est sans doute le plus grand
torrent d’émotions qu’un album n’ait jamais produit en moi. Et
il me suit depuis déjà quelques temps. Je souffre, je respire avec
lui depuis trois mois. Je ressens toute la confusion dans mon esprit.Tout tourbillonne alors
dans mon esprit, comme la musique de Elder. Cela ne m’était pas
arrivé depuis le « Live At Leeds » des Who, le « II »
de Led Zeppelin, et « Dead Black Wings » de High On Fire.
J’y ressens en tout cas toute la
fureur émotionnelle que je vis. Les visages se succèdent, les mots,
les gestes, les envies, les frustrations, tout est dans ce fabuleux
album.
Formé en 2006 à Faihaven dans le
Massachussets, il comprend depuis le début Nick Disalvo à la
guitare et au chant, Jack Donovan à la basse et Matt Couto à la
batterie.Initialement un groupe de Doom dans la lignée de Sleep, le trio se distingue rapidement par une approche beaucoup plus psychédélique de son Doom-Metal, loin derrière le côté implacable de la bande à Matt Pike et Al Cisneros. Le premier album garde donc dans l’esprit ses influences, paru en 2009, mais démontre déjà les qualités d’improvisation hors normes du trio.
« Dead Roots Stirring »
est le second disque du trio, paru en 2011. Il est la démonstration
totale de ce que ces trois gaillards sont capables. Chaque morceau
fait en moyenne dix minutes, et il y en a cinq. La voix de DiSalvo a
laissé tomber ses accents doom-death pour une voix rocailleuse plus
naturelle et surtout plus convaincante.
Présenté dans une pochette
énigmatique sans nom de groupe ou d’album, mystérieuse, ou règne
la mort et un romantisme noir, cet album n’est pas un disque
gothique.Bruit d'interrupteur, grésillement. Un riff rêche emplit l'atmosphère. La basse gronde, soutenue par une batterie impeccable. Jamais une batterie n'avait aussi bien sonné sur un disque depuis... John Bonham de Led Zeppelin. Son mat de la caisse claire et de la grosse caisse, cymbales rutilantes, proximité de l'instrumentiste et de l'auditeur. « I'm Coming Home » chante DiSalvo sur « Gemini ». Le riff est à a fois sombre et sourdant d'un espoir infime dans une limbe de désespoir. Mais comme tous les morceaux de Elder, chacun est composé de rebondissements multiples, faisant justement rebondir l'âme de l'auditeur dans un tourbillon de sentiments totalement écorchés vifs. On passe du désespoir à la colère, de la haine à l'espoir fou d'une vie meilleure. Tout cela en quelques minutes, avec une fluidité incroyable. Sur ce disque, DiSalvo use d'arpèges saturés qui donnent à chaque morceau une atmosphère de désespoir et de fuite qu'aucun disque de Black ou de Death n'obtiendra jamais. Les solis sont concis et fins, mêlés dans la musique globale du morceau, sans démonstration aucune. Ils ne sont que des respirations de lumière dans un ciel de cendres.
« Dead Roots Stirring »
semble ouvrir une voie plus lumineuse. En apparence. « Dead
Roots Stirring » débute par de brutaux accords de basse
saturée. La guitare coule quelques notes à peine saturées. Ces
racines poussent comme la rosée sur les arbres de la forêt des
Monts D’Arrhée, liquide et mystérieuse. L’écho produit une
fausse impression d’espoir, une sorte d’éclaircie sur la plage
après la tempête. Lorsque les nuages s’écartent pou laisser
place aux premiers rayons de soleil, on allume une cigarette. Mais
l’électricité reprend le dessus, et le riff du morceau carbonise
cette ambiance presque délétère.
« III » est un morceau aux
accents acoustiques typiquement sabbathiens. On ressent toute la
poésie de Tony Iommi dans ces morceaux que personne n’écoutait,
cette folie gothique qui furent aussi la part d’ombre maléfique de
Black Sabbath. Elder produit ici un premier morceau mêlant ce génie
du Sabbath avec une forme de nostalgie celtique issu du Folk
acoustique britannique de la fin des années 60. Et puis éclate
l’électricité, la fureur et la colère.
« The End » est un
monument de désespoir urbain. Dés les premiers accords en
demi-teinte, on plonge dans un océan de tourments. Mais la rythmique
s’emballe, et le tempo se fait étrangement rapide, urgent. La fin.
Tout est urgent dans ces cas-là. Up-tempo violent, « The End »
est une source jaillissante de fureur. Alors que son titre annonce le
désespoir, la musique est d’une énergie impitoyable. Celle de la
mort imminente, celle de l’envie de survivre. Les riffs, la
rythmique, tout est implacable, majestueux, jusqu’à ces accords
luisants de Blues qui surnagent sur la colère. Le solo est brillant,
totalement épique, comme toujours sur cet album.
Et puis l’on atteint le pinacle.
« Knot ». Soit « Noeud » en anglais. Soit ce
que je ressens depuis un mois dans mes tripes. Riff héroïque,
envolée magistrale, up-tempo redoutable, on frise la maestria des
premiers albums de Rush. Mais il y a cette colère, ce spleen
totalement unique dans ce groupe. Comme un cri de douleur sourd dans
le vide. Comme une envie pour une fois d’exister. Le rebondissement
Doom est redoutable, sans concession. Mais les arpèges sont
totalement poignants. Ils prennent à la gorge. Ils sont capables de
vous faire retourner sur vous-mêmes, de tout remettre en cause.
Jamais un album de m’aura autant renverser. Je vois son visage, mon
tumulte, ma fille, mon ex-compagne, les mots, les gestes. Et puis il
y a mon cœur en feu, mes sentiments, mes envies, ce que je crois, ce
que j’espère.... Et ses yeux de biche qui me traversent le
cerveau, ses hanches délicates qui ne demandent que des caresses.
Et puis tout ce que je ne suis pas, et tout ce qui me bloque à
jamais. Il est presque impossible de retranscrire tout ce qu'un être
doué de sens peut ressentir à l'écoute de ce disque. Je crois que
toute ma vie depuis huit mois est inscrite dans ce morceau. Les
paroles, la musique, la furie, le doom, le blues. La guitare
rugissante d'arpèges et de riffs, la basse grondante, la batterie
brûlant des kilomètres de cymbales et de peaux. La puissance
émotionnelle de « Knot » est presque indescriptible.
Elle porte l'âme des blessés de la vie sur une autre dimension, et
leur donne une force inédite. C'est cela, la vraie magie de la
musique, comme peu de disques en sont capables.
Et encore et toujours ce nœud dans
mes tripes. Je suis malheureux et incertain. Je me laisse aller mais
dans quelle voie ? Je crois que..... Je suis enfin seul. Et
libre.
tous droits réservés
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