" Sixième album de ce groupe formidable, que pouvait-il bien m’offrir de réellement enthousiasmant ? Une pierre angulaire."
HIGH ON FIRE : « De Vermis Mysteriis » 2012
Je tape ma pipe contre ma chaussure afin de faire tomber les cendres. Une jeune femme passe à mes côtés d’un pas pressé. Du haut de ses talons, elle me dévisage d’un air dégoûté, les yeux cachés par une frange brune. Le mépris que j’y lis ne m’atteint plus. Depuis deux semaines, je suis à la fois épris d’une colère sourde, et d’une résignation qui confins à la plus vaste indifférence. J’ai franchi le mur du son. Carbonisé, exsangue, je surnage depuis quelques mois dans des tracas financiers et personnels certes bien anodins, mais pourrissant progressivement ma vie. Des factures qui se succèdent, mon vieux compagnon félin qui se meurt d’un sale crabe, des histoires de jeux dangereux dans l’école de ma fille, là, au milieu de nulle part, dans cette campagne si calme en apparence. Et puis la bêtise humaine, dans tout ce qu’elle a de plus vile. Comme ces dernières annonces de notre nouveau chef de l'Etat, (de gauche, hein, il faut bien le répéter, parce que ça se voit pas trop), festival de langue de bois et de compromission, porte ouverte, une fois de plus, au fascisme et à l'ultra-libéralisme le plus abscons. Paysage désespérant de fin du monde où sombre les plus beaux rêves d’égalité, de fraternité et de bonheur chèrement acquis durant cent ans par nos aînés. Au nom de la crise, au nom de cette finance qui nous fera crever le nez dans la poussière, il ne résonne désormais dans l’air que ces phrases emplies de populisme crasse.
Je ne ressens pourtant plus la douleur. Je suis debout, ma vieille pipe à la main. Je regarde devant moi les squelettes des grues de chantier qui semblent se pencher comme des sorcières vers le sol dévasté de cet univers urbain en permanente reconstruction. J’ai parfois l’impression, dans un éclair d’hallucinations entre deux rayons de soleil, que l’armature métallique semble se déformer sous la folie de ce monde pour rugir de colère. La bête immonde, celle des entrailles de la Terre. Lovecraft. Ils reviendront un jour faire justice, en espérant qu’il ne s’agit pas du fascisme. Car des entrailles des civilisations peuvent sortir le meilleur comme le pire.
C’est comme un réflexe que j’achète chaque album de High On Fire, consciencieusement, après le choc de l’album « Blessed Black Wings » de 2005, en espérant y trouver le même venin. Cette quête sembla insatisfaite. Mais je finis par me faire une raison. Un groupe qui sort un tel album ne peut être que profondément vider de sa substance à moins de faire partie des initiés de la musique, capable de se renouveler avec talent.
« De Vermis Mysteriis » arriva donc dans ma boîte aux lettres presque par automatisme, sans à priori particulier. Sixième album de ce groupe formidable, que pouvait-il bien m’offrir de réellement enthousiasmant ? Une pierre angulaire.
Cela est tellement effarant que la réécoute de « Death Is The Communion » et « Snakes For The Divine » me firent bien meilleure impression que leur première écoute. Sans doute est-ce ma disponibilité psychologique actuelle qui incite à telle pertinence auditive. Mais une chose est certaine, « De Vermis Mysteriis » est largement au-dessus de la mêlée, incroyablement riche, dépassant d’une tête ses deux prédécesseurs pourtant très bons. Il rejoint ainsi le cercle très fermé des grands disques de ma vie, avec à ses côtés « Blessed Black Wings » du même groupe.
High On Fire, pour le néophyte, a été fondé par le guitariste Matt Pike, sur les cendres du fuligineux et miraculeux trio Sleep. Des Kenzel tient la batterie, et plusieurs bassistes se succédèrent, jusqu’à ce Jeff Matz en ligne depuis 2007.
Matt Pike tient également le chant, d’une voix écorchée et furieuse, que certains rapprochent du growl, mais qui n’a en fait aucun rapport. Car Pike chante, mais d’une manière tellement possédée et sauvage que l’on peut la rapprocher du Trash-Metal dont il n’a que faire. Ses influences restent Motorhead, Black Sabbath, Led Zeppelin, et Celtic Frost.
De la colère, du désespoir et de la furie sortit la musique la plus empreinte d’émotion depuis vingt ans. Ne cherchez pas là du Metal US à la Metallica ou à la Slipknot. Ce trio a réellement quelque chose à dire, à exprimer.
Il s’agit là d’un concept-album, puisque l’histoire est en continuité sur tout l’album. L’histoire n’est pas sans rappeler le mélange de mysticisme et de lysergisme génial de « Dopesmoker », la quintessence du groupe Sleep.
Dés « Serums Of Liao », la folie du riff, la voix de Pike, la batterie de Kenzel, tout est en place. Furie ultime, cri de rage.
Mais ce que je ne savais pas, c'est que l'homme a mis un genou à terre. Le fauve de Sleep et de High On Fire, le génie underground du heavy-Stoner Matt Pike a dû se résoudre à entrer en cure de désintoxication début juin pour alcoolisme. Vu au concert de Sleep à la Villette Sonique, soit quelques jours avant son malaise de Barcelone, Pike, bien qu'admirable sur scène, était en fait bouffi par l'alcool. Un tourment qui le travaille depuis de nombreuses années.
On peut sans doute n'y voir que le symbole de plus d'une vie de débauche Rock'N'Roll, fort classique finalement, faite de filles et de party avec d'autre musiciens tous aussi débauchés. Mais le mal est en fait plus profond.
Pike est un garçon fragile qui se cache derrière la façade d'un homme solide et intransigeant, sorte de nouveau Lemmy Kilminster qui fascine le public Rock underground. Mais Matt a connu une enfance difficile, d'abord en tant que délinquant juvénile, voleur d'autoradios, alors que l'école ne l'intéresse absolument pas. Il finit en lycée militaire et en établissement pénitentiaire pour mineurs, avant que son père ne le jette à la rue en rentrant. Sa seule consolation restera sa guitare, dont il apprend à jouer à 8 ans, et qu'il ne cessera de gratter encore et encore, cherchant dans la musique à la fois un échappatoire moral et un moyen de vivre. Il avoue par ailleurs ne trouver de réconfort et de vrai plaisir que dans la pratique de l'instrument, ce qui explique que malgré un état de santé défaillant, l'homme est capable de se surpasser sur scène en s'immergeant dans sa musique. C'est d'ailleurs après la rencontre de Al Cisneros qu'il fonde Sleep et ne quittera plus jamais la route, ne refusant aucun gig afin de pouvoir manger.
De ces années de route et de galère débute une consommation d'acides et d'herbe, puis d'alcool qui s'avérera grandissante, passant du festif et distractif à la dépendance. Car Pike est un homme meurtri au plus profond. Bien que parfaitement conscient de ses propres erreurs de jeunesse, il regrettera de ne pas avoir pu apprendre davantage à l'école. Il compensera cette soif de connaissances en se plongeant dans la lecture et le cinéma. Il se fait sa culture parallèle, faites de livres de science-fiction (Lovecraft, K Dick, Bloch...) et de films policiers (il est un grand fan de Charles Branson), et monte son propre univers, celui-ci même qui constituera la base de ses textes.
On retrouve par ailleurs et ce monde parallèle, et ce besoin d'évasion spirituelle chez de très nombreux musiciens, que ce soit Josh Homme, Lemmy, Steve Harris, ou Tony Iommi. Tous se sont retrouvés en marge de la société, mais ont préféré y rester car cette situation leur offre un atout majeur : la liberté. Ils se développent alors en marge, et deviennent des rebelles, affrontant le système par leur mode de vie hors normes. Mais il est parfois dur d'être en permanence en marge, et les blessures du passé peuvent parfois se raviver, plus fortes, plus douloureuses.
Matt Pike a donc mis un genou à terre. Il est sorti de réhab depuis quelques semaines. Comble du malheur, il s'est fait voler sa guitare Gibson Les Paul Tobacco Sunburst, celle-là même qu'il utilisa sur toute la tournée de Sleep, et sur les concerts récents de High On Fire, abandonnant sa First Act 9-cordes pour un temps. Mais finalement ne fait suite qu'à des déboires dantant de 2010 : la compagne de Pike venait de le quitter pour un ami, avant que celle-ci ne meurt d'une overdose d'héroïne, dont la consommation avait été initiée par son nouveau boyfriend. « How Dark We Pray » sur « Snakes For The Divine » fait référence à ce triste épisode.
Mais déjà et avant d'avoir pris connaissance de ces faits, il m'avait paru que l'état d'esprit de Pike sur ce disque était différent, plus mature. On sentait moins l'homme en colère que celui empli de désenchantement. Certains titres sont incroyablement poignants, profonds mélodiquement. Le symbole en est pour moi « King Of Days », incroyable procession hurlante de douleur, où les soli de basse et de guitare en sont le pinacle émotionnel. L'ensemble s'avère être un concept-album basé sur l'idée que le Christ aurait eu un frère jumeau, Liao, mort dans à la naissance et qui ce serait mué en un voyageur dans le temps maléfique, possédé, drogué. De cette histoire mêlant rejet de la religion, science-fiction et une certaine analyse pessimiste de la société, on sent que Matt Pike a le cœur gros.
Bien sûr, on y retrouve toujours les obus féroces de heavy-metal qui aussi l'apanage de High On Fire. Le disque débute ainsi avec trois de ces pièces métalliques, dont le superbe « Bloody Knuckles ». « Fertile Green », choisi par ailleurs en simple, me paraît trop speed et trop trash bien que très bon. Surtout, je trouve qu'il ne s'immisce pas assez à l'ensemble.
A partir de « Spiral Of An Architect » débute une fantastique succession de quatre morceaux forts différents mais incroyablement complémentaires. Le premier est étourdissant de folie, mélangeant la puissance de High On Fire, et la verve malade de Sleep. Le riff est d'une très grande qualité, typique de Matt Pike. Li'ntroduction de basse et de batterie démontre combien Jeff Matz et Des Kensel ne sont pas que des accompagnateurs, mais deux pièces maîtresses dans le trio. L'atmosphère de « Spiral Of An Architect » est lugubre, menaçante, mais le riff fait s'envoler le titre comme un appel à l'aide. Le solo, mélancolique et désabusé, tout en écho, clôt ce puissant morceau. Suit un superbe instrumental du nom de « Samsara », basé sur un riff de basse entêtant, sur lequel Pike chorusse à l'envie. Son solo, tout en mélodie et en profondeur, révèle combien l'homme n'est plus seulement un chien fou. Il distille de ses doigts un venin noir, celui d'un tourment intérieur.
« Spiritual Rites » est un nouvel obus de Heavy-Metal, mais sa mélodie et ses changements de tempo rappellent le meilleur de « Blessed Black Wings », et notamment le furieux « Cometh Dow Hessian », féroce parade électrique. Cette furia électro-acoustique aboutit sur le majestueux « King Of Days ».
Profondément Doom et Stoner, il est aussi incroyablement mélodique. Celle-ci est d'ailleurs une sorte d'appel à l'aide, sans doute le morceau le plus subtil et le plus poignant qu'ait jamais écrit High On Fire. On y décèle une vraie fêlure, un vrai tourment, et les paroles semblent être en fait le parfait reflet de celui de Pike.
C'est profondément touché que l'on attaque le titre éponyme. Lourd mid-tempo martial, il est un retour en territoire connu. Pas désagréable, il s'avère évidemment en retrait qualitativement parlant par rapport à ses prédécesseurs. Mais il permet de faire la transition avec le dantesque « Romulus And Remus ». Mid-tempo épais, doté d'un riff massif et guerrier, c'est une nouvelle réussite de heavy-metal plus classique. Le refrain est une explosion de colère tourbillonnante. Il est accompagné de « Warhorn », morceau tout aussi guerrier, mais plus doom. Les couplets sont atmosphériques, chant-batterie. Le solo est superbe, plein de mélancolie avant que ne retentisse le final doté d'une cathédrale de riffs digne de... Sleep.
Ce sixième album de Hign On Fire est donc une vraie réussité, de par la qualité de ses chansons, mais surtout par le reflet pâle de la vie de son leader qui s'y dégage. Matt Pike a sans aucun doute une vie compliquée, celle d'un nomade de la route, entre deux hôtels, deux studios, deux concerts. Mais la musique de son groupe est prodigieusement inspirée, dotée de la personnalité forte de son guitariste. Un homme à part, à la vie tumultueuse, comme celles des bluesmen noirs ou des grands noms du Rock des années 70. de ceux qui décidèrent un jour de vivre de leur musique, coûte que coûte. Des rebelles, quoi.
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