jeudi 22 septembre 2011

MONTROSE 1975

"Car loin des stéréotypes à venir de la part des spécialistes qui n’ont pas écouté un quart des disques dont ils parlent, Ronnie Montrose va redresser son groupe vers des cimes une fois de plus uniques."

MONTROSE « Warner Bros Presents Montrose » 1975

Il est une légende tenace qui veut qu’après le départ de Sammy Hagar, Montrose fut un groupe moribond. Cette histoire est par ailleurs régulièrement alimenté par l’intéressé lui-même, qui se considère semble-t-il comme un jalon irremplaçable du quartet Heavy-Rock de Ronnie Montrose. Le premier album, le plus connu des amateurs de Rock, paru en 1973, semble lui donner raison. Le second, déjà un peu moins. « Paper Money » est certes un bon disque, mais les passages planants ou mélodiques rendent le contenu un peu fade. La faute à Ronnie Montrose selon Hagar, qui lui, voulait du Rock. A la vue de la suite, de sa carrière solo à Van Halen dans les années 80, je me permets d’en douter.
C’est par un téléchargement totalement illégal (Ouhhhh ! c’est pas bien !) que je découvris la reprise de « Twenty Flight Rock » par Montrose, issu de l’album « Warner Bros Presents… » de 1975. Cette chanson resta sur mon disque dur des années, en écoute parfaitement systématique. Je lui trouvais une puissance mêlée à un swing et une classe stupéfiante. Il me fallut pourtant des années pour acheter cet album.
Une fois sur ma platine, il ne me quitta plus. Ce disque est exceptionnel. Il est sans doute l’un des meilleurs albums de Heavy-Rock des années 70, largement équivalent à ce premier disque de Montrose hautement mythique.
Mais ici, Montrose a franchi plusieurs caps artistiques. Et cela n’est pas uniquement dû au talent de son leader et guitariste, Ronnie Montrose. C’est pourtant bien lui qui va emmener son équipage vers ce Rock à la fois rude et sophistiqué, qui défriche une fois de plus dix ans de musique à venir.
Car loin des stéréotypes à venir de la part des spécialistes qui n’ont pas écouté un quart des disques dont ils parlent, Ronnie Montrose va redresser son groupe vers des cimes une fois de plus uniques.
« Montrose », paru en 1973, défricha un son et une production qui sera celle des années 80. La compression de la guitare, le riff coup-de-poing, la rythmique épaisse et heurtée, tout annonce ce Heavy-Metal chromé qui sera celui des années à venir. Notamment celui de Van Halen, donc, qui récupérera le producteur, Ted Templeman, et plus tard le chanteur, Sammy Hagar. L’innovation a parfois un prix, celle de la récupération le moment venu.
Une fois de plus, en 1975, Ronnie Montrose et son groupe défriche l’espace. Cela commence par « Matriarch ». Morceau puissant, rapide, boosté, il est soutenu par une grosse caisse que l’on croirait double. Surtout, l’orgue et la guitare font galoper un riff répétitif totalement en désaccord avec le rock de l’époque, des riffs heurtés et complexe du Rock Progressif aux mélodies en arpèges du Rock Californien.
Est-ce un hasard si la seule reprise de ce titre soit celle d’Avenger, quatuor anglais issu de la New Wave Of British Heavy-Metal ? Pas vraiment, puisque la construction de cette chanson annonce quinze de Heavy-Speed-Trash-Metal. La vraie différence, c’est la sensibilité qu’y ajoute Ronnie Montrose, incorporant ce duel clavier-guitare en écho permanent, donnant un effet mélancolique qu’aucun ne reproduira jamais.
Cette tapisserie trépidante ne fait qu’annoncer le meilleur. « All I Need » commence presque comme une ballade niaise à la guitare acoustique. Bob James tient maintenant le micro, et Jim Alcivar les claviers. Connerie. Ronnie Montrose décoche du riff, et Denny Carmassi plombe le rythme. C’est incroyable comme je suis passé à côté de cet homme. Il ne m’avait guère impressionné sur le premier album. Trop linéaire, il lui manquait du punch, du swing. J’ai d’ailleurs trouvé que la production de Ted Templeman avait étouffé la section rythmique, presque inexistante face à la guitare et au chant. Il se rattrapera avec Van Halen. En attendant, Carmassi fait preuve d’un vrai swing, d’une pulsation magique, à la fois épaisse et charnue. Il est largement mieux mis en valeur ici, et dévoile son talent.
Faisons aussi remarquer que Alan Fitzgerald est un sacré bassiste. Embauché dés 1974 sur « Paper Money » en remplacement de Bill Church, le barbu chauve a un sacré groove, imprégné de jazz et de funk. C’est cela qu’il va injecter dans ce « Twenty Flight Rock » explosif. Denny Carmassi n’est pas en reste, avec une pulsation une fois superbe, proche de John Bonham à la même époque. Bob James, de sa voix aiguë, hurle ce bon vieux Rock 50’s des familles.
Encore une fois, le quatrième titre d’un disque est un sommet. Etonnante constatation, à un tel point que cela mériterait un disque que l’on pourrait appeler « The Best Of The Fourth Track ». Et cette Fourth Track s’appelle « Whaler ». A l’époque des ballades californiennes plus ou moins comestibles des Eagles, de Fleetwood Mac ou des Doobie Brothers, flirtant de plus en plus souvent avec la ligne rouge du sirop, on pouvait craindre qu’un musicien aussi affirmé que Ronnie Montrose (il fut musicien de session presque dix ans) voulut tenter sa chance sur ce terrain délicat. Il le tente ici, mais avec une justesse miraculeuse. « Whaler » est une somptueuse ballade mid-tempo, délicatement acoustique. Le jeu de Ronnie Montrose en acoustique mérite à lui seul milles éloges de par sa subtilité très britannique. Inspiré du Folk anglais de Bert Jansch ou John Renbourn, il découpe la mélodie en notes brillantes. La basse et la batterie tapisse un rythme épais et rond, entêtant. Le clavier déroule un tapis d’orgue discret et délicat, avant de s’emporter dans un solo de moog doux et fin, sur fond de rouleaux océaniens. Bob James, de sa voix d’enfant triste, déroule son épopée. On aperçoit le pêcheur, vêtu de sa cote jaune noircie par la graisse des chaînes du chalut, son bonnet crasseux de sueur, d’eau de mer et d’écailles de poissons vissé sur la tête, regardant le soleil se coucher à l’horizon sur la mer, pensant à sa belle. Un solo de violon vient accompagner la houle sous le bateau, poignant, faisant résonner dans votre âme cette solitude de l’homme de la mer, loin de ses proches, de ceux qui l’aime, face au danger.
Votre petit cœur de rocker à peine remis de tant d’émotion, Ronnie, Denny et Alan font gronder l’orage. « Dancin’ Feet » est une rock-song géniale, aérienne, surmontée d’une basse ronflante, funky, qui miroite de petits chorus de guitares luisants de tous leurs chromes. Bob James, une fois encore, hurle de sa voix de gamin en colère, s’éraillant judicieusement dans les aiguës. Si je vous dis que Denny Carmassi abat encore un colossal travail de rythme impeccable, vous n’en douteriez point.
« O Lucky Man » est la seule chanson a être entamé par de l’orgue Hammond, et n’a strictement aucun rapport avec le « Lucky Man » de ELP. Joyeux, lyrique, c’est une chanson à siffler. Bien sûr, James, Montrose et Carmassi emballe le tout sur le refrain avec une bonne dose de hargne qui ne laisse assurément pas cette superbe chanson tomber dans la mièvrerie béate.
« One And A Half » est une très belle improvisation acoustique de Ronnie Montrose. Loin d’être totalement anecdotique, ce titre démontre une fois encore le talent exceptionnel de l’homme en acoustique. D’une maîtrise autant technique qu’émotionnelle impressionnante, il rejoint Leslie West ou Rory Gallagher dans cet exercice périlleux, avec une évidente longueur d’avance.
« Clown Woman » est un excellent titre des Faces. Et ce d’autant plus que ce groupe ne fut pas mauvais, loin de là. James se mut par ailleurs en un Rod Stewart pubère, et Ronnie en un Ron Wood, disons, plus, enfin… bon, mieux quoi…Nan, nan, mais j’aime bien Woodie aussi, mais, bon, ben voilà…
Et puis, je vous avais parlé de « Matriarch », la NWOBHM, tout ça…. Vous pourrez donc rajouter « Black Train » à votre répertoire pré-NWOBHM. Rythmique speedée, la locomotive s’emballe. La batterie claque, la guitare mord le rail. Le clavier rugit, délicat, héroïque. James chante ce putain de train qui ne permet qu’une seule chose : la fuite en avant. Le solo de Ronnie est aussi bon que sans esbrouffe, fin et sans prétention. Le titre finit dans un maelström de guitares lourdes, laissant un âpre goût de Blues dans la bouche de l’auditeur qui se dit qu’en 1975, on faisait encore de bons disques.
Et aussi étonnant que cela puisse paraître, les claviers de Jim Alcivar sont d’une telle discrétion, d’une telle justesse qu’ils ne sont qu’une superbe enluminure là où ils deviendront un boulet pesant chez d’autres.

Et sans aucun doute, j’écoute ce disque avec délice, parce que l’on ne peut rester impuissant devant la qualité d’une telle musique. Et une fois encore, les certitudes de la rock-critique branchée tombent, et c’est tant mieux. Cet album, noyé dans la masse de la production discographique des quarante dernières années, est toujours à ce jour totalement ignoré. Difficilement explicable, tant certains disques devenus des classiques paraissent bien fades.
tous droits réservés

4 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore Ronnie Montrose. J'adore Montrose le 1er opus, et Paper Money, dans une moindre mesure.
J'adore les albums solos du monsieur, de Territory à Bones, où il démontre tout son talent sans jamais trop en faire, sans jamais partir dans délires égocentriques. Mais je suis toujours passé à côté de cet album. Notamment parce qu'il a été malmené par la presse.

Aurélien Malvers a dit…

Bon ben je connaissais pas... merci c'est "juste" fabuleux... L'effet de "whaler" genre de blues celtique totalement divin. ROOOoooh et le "clown woman" et le "black train" sont trés puissant aussi! J'en dirais pas plus de peur de bégayer et d'être maladroit.

Anonyme a dit…

Vrai! "Warner Bros. Presents" est un bon disque même si il n'est pas fabuleux du début à la fin (mais "Paper Money" n'était pas irréprochable non plus!).
le quatrième album de Montrose "Jump On It" a aussi ses bons moments, comme quoi le groupe a survécu au départ de Sammy Hagar!
"Open Fire" le premier album solo instrumental de Ronnie Montrose vaut aussi le coup.

GiO a dit…

Montrose!!!
quel groupe quel son. Je préfère cependant le 1er album que je trouve plus spontané.
Merci pour toutes ces chroniques.