"Ce live en est l’extraction la plus magique, la plus organique, un sirop de l’âme qui est une véritable parenthèse dans l’espace-temps."
STEVE HILLAGE : « Live Herald » 1979
Ce soir je n’ai pas peur. Il flotte dans l’air urbain comme un vent salvateur, une fraîcheur bienfaisante. Ce soir Steve Hillage joue en ville. A l’heure du Punk, Hillage n’est pourtant qu’un vulgaire hippie ringard. Après tout, n’est-il pas que le guitariste top-bab franco-britannique Gong ?
Ce collectif musical fut connu pour ses quelques très bons délires cosmico-progressifs, et puis surtout leurs touches d’allumés notoires. Ah ! Se souvient-on de la compagne du leader Daevid Allen, Gilly Smith, dont le rôle était pour les amateurs de musique de massacrer les envolées lyriques d’Hillage et Didier Malherbe par ses délires cosmiques stridents ?
Est-ce cela qui poussa Hillage à se lancer dans un carrière solo ? Toujours est-il que l’homme sort son premier disque en 1974, c’est-à-dire (pour l’époque) cent ans trop tard par rapport à l’apogée du rock progressif. Car en 1974, on fait du glam-rock.
Mais l’homme est malicieux, et son talent sera de créer une musique à la fois progressive, mais totalement novatrice. Un peu à l’instar d’un Robert Fripp au sein de son King Crimson réactivé au débuts des années 80. Steve Hillage propose en effet une étrange mixture de jazz-rock énergique, de musique électronique, et maestria guitaristique. Car il a du talent, Steve. Et sa carrière solo semble enfin lui laisser toute latitude à son expression musicale.
Ainsi, en pleine ère Punk, il offre au monde abasourdi deux disques merveilleux : « Motivation Radio », et « Green ». Ces deux bijoux déroutent. Oui, c’est progressif, vaguement hippie, mais sacrément élaboré et mélodique. En un mot ? Magique.
Steve Hillage créa à ce moment-là une sorte de bulle électrique au-delà du temps qui semblait tout réconcilier : le rock, les nostalgiques de l’école de Canterbury, et puis ces jeunes Punks qui trouvaient cela plutôt bien, et qui aimait secrètement Hawkwind.
Ces deux disques sont en tout cas l’occasion d’assurer deux longues tournées européennes. Hillage enregistre à cette occasion plusieurs concerts, qui permettront la sortie d’un live que voici.
Plus que tout autre, il est une aventure émotionnelle faramineuse. Ecouter ce disque, c’est se plonger dans un grand bain de synthétiseurs cristallins comme de l’eau en percolation, soutenus et défiés par cette guitare à la fois lumineuse et onirique.
L’horizon s’emplit alors de grands arbres centenaires, de fleurs et d’oiseaux multicolores. De beaux animaux sauvages semblent nous tendre la main, et l’air est plus respirable.
Qui d’autre que Steve Hillage peut commencer un concert avec une chanson du nom de « Salmon Song » (la chanson du saumon) en 1978 ? Atypique, à des années lumières (en apparence) des contingences humaines, déroule comme une sorte de pièce de théâtre musicale où les actes s’entrelacent avec les guitares et les synthés.
On constate souvent que les albums emplis de synthétiseurs vintage sont souvent à la limite de l’écoutable. Ce qui impressionne ici, c’est la modernité de l’utilisation. Aérien, liquide, frais, à la fois obsédant et discret, ils n’alourdissent en rien la musique. On doit cela au très bon Basil Brooks et à Miquette Giraudy, compagne de Steve, et ancienne musicienne du Gong de « Shamal » en 1975.
Le rythme est plutôt enlevé, la guitare légère, rêveuse. Hillage plonge dans plusieurs influences, une sorte de mélange entre le Rock Progressif, le Folk, la World Music et le Jazz. Mais il y a ici quelques chose de totalement en avance sur son temps, comme si certaines sonorités n’avaient éclosent que très récemment.
Ce que j’aime chez cette homme, c’est la poésie, la profondeur de sa musique. Toujours songeuse, comme voulant extirper l’auditeur d’une certaine réalité, pour le plonger dans un monde plus ambitieux, moins terre à terre, l’inciter à s’émerveiller de la beauté des choses plutôt que le plonger dans la sordide réalité.
Ainsi, même cette belle reprise du « Hurdy Gurdy Man » de Donovan possède totalement son empreinte malgré l’air familier. « Light In The Sky » se veut plus Jazz et Heavy-Rock. Une totale réussite pour celui qui aime la guitare de haute volée.
« Searching For The Spark » empreinte des sentiers arabisants à travers le désert et les médinas, un superbe et délicat sillon de mélancolie.
Mais les grands sommets sont les deux suites de cette réédition cd (la version originale comprenait une face studio aujourd’hui incluse sur la réédition de « L »). « Radiom/Lunar Music Suite/Meditation Of The Dragon » est une plongée magique dans le monde de Steve Hillage de plus de quinze minutes laternant les ambiances Jazz et world toujours illuminé de cette guitare fantasmagorique. Le bouquet final est ce définitif « Solar Musick Suite », crépusculaire à souhait, comme ce soleil pâle que l’on aperçoit au loin sur la lande ardéchoise. L’astre rougeoyant s’éteint lentement à l’horizon, le cerveau se perd en pensée doucement mélancolique, point définitif sur ce qu’il y a de sans doute plus important dans la vie. Comme cette beauté brune envoûtante et mystérieuse que l’on aperçoit au détour d’un chemin, et qui vous sourit furtivement, emplissant votre cœur d’une joie et d’une douceur sans commune mesure.

La musique de Steve Hillage est tout cela et bien au-delà. Elle est finalement si définitive qu’il n’en donnera aucune suite. Se plongeant dans la production d’artistes world et dans la musique électronique, il plongera dans l’ombre des autres, laissant derrière quelques très beaux albums, définitivement intemporels. Ce live en est l’extraction la plus magique, la plus organique, un sirop de l’âme qui est une véritable parenthèse dans l’espace-temps.
tous droits réservés
STEVE HILLAGE : « Live Herald » 1979
Ce soir je n’ai pas peur. Il flotte dans l’air urbain comme un vent salvateur, une fraîcheur bienfaisante. Ce soir Steve Hillage joue en ville. A l’heure du Punk, Hillage n’est pourtant qu’un vulgaire hippie ringard. Après tout, n’est-il pas que le guitariste top-bab franco-britannique Gong ?
Ce collectif musical fut connu pour ses quelques très bons délires cosmico-progressifs, et puis surtout leurs touches d’allumés notoires. Ah ! Se souvient-on de la compagne du leader Daevid Allen, Gilly Smith, dont le rôle était pour les amateurs de musique de massacrer les envolées lyriques d’Hillage et Didier Malherbe par ses délires cosmiques stridents ?
Est-ce cela qui poussa Hillage à se lancer dans un carrière solo ? Toujours est-il que l’homme sort son premier disque en 1974, c’est-à-dire (pour l’époque) cent ans trop tard par rapport à l’apogée du rock progressif. Car en 1974, on fait du glam-rock.
Mais l’homme est malicieux, et son talent sera de créer une musique à la fois progressive, mais totalement novatrice. Un peu à l’instar d’un Robert Fripp au sein de son King Crimson réactivé au débuts des années 80. Steve Hillage propose en effet une étrange mixture de jazz-rock énergique, de musique électronique, et maestria guitaristique. Car il a du talent, Steve. Et sa carrière solo semble enfin lui laisser toute latitude à son expression musicale.Ainsi, en pleine ère Punk, il offre au monde abasourdi deux disques merveilleux : « Motivation Radio », et « Green ». Ces deux bijoux déroutent. Oui, c’est progressif, vaguement hippie, mais sacrément élaboré et mélodique. En un mot ? Magique.
Steve Hillage créa à ce moment-là une sorte de bulle électrique au-delà du temps qui semblait tout réconcilier : le rock, les nostalgiques de l’école de Canterbury, et puis ces jeunes Punks qui trouvaient cela plutôt bien, et qui aimait secrètement Hawkwind.Ces deux disques sont en tout cas l’occasion d’assurer deux longues tournées européennes. Hillage enregistre à cette occasion plusieurs concerts, qui permettront la sortie d’un live que voici.
Plus que tout autre, il est une aventure émotionnelle faramineuse. Ecouter ce disque, c’est se plonger dans un grand bain de synthétiseurs cristallins comme de l’eau en percolation, soutenus et défiés par cette guitare à la fois lumineuse et onirique.L’horizon s’emplit alors de grands arbres centenaires, de fleurs et d’oiseaux multicolores. De beaux animaux sauvages semblent nous tendre la main, et l’air est plus respirable.
Qui d’autre que Steve Hillage peut commencer un concert avec une chanson du nom de « Salmon Song » (la chanson du saumon) en 1978 ? Atypique, à des années lumières (en apparence) des contingences humaines, déroule comme une sorte de pièce de théâtre musicale où les actes s’entrelacent avec les guitares et les synthés.
On constate souvent que les albums emplis de synthétiseurs vintage sont souvent à la limite de l’écoutable. Ce qui impressionne ici, c’est la modernité de l’utilisation. Aérien, liquide, frais, à la fois obsédant et discret, ils n’alourdissent en rien la musique. On doit cela au très bon Basil Brooks et à Miquette Giraudy, compagne de Steve, et ancienne musicienne du Gong de « Shamal » en 1975.
Le rythme est plutôt enlevé, la guitare légère, rêveuse. Hillage plonge dans plusieurs influences, une sorte de mélange entre le Rock Progressif, le Folk, la World Music et le Jazz. Mais il y a ici quelques chose de totalement en avance sur son temps, comme si certaines sonorités n’avaient éclosent que très récemment.
Ce que j’aime chez cette homme, c’est la poésie, la profondeur de sa musique. Toujours songeuse, comme voulant extirper l’auditeur d’une certaine réalité, pour le plonger dans un monde plus ambitieux, moins terre à terre, l’inciter à s’émerveiller de la beauté des choses plutôt que le plonger dans la sordide réalité.Ainsi, même cette belle reprise du « Hurdy Gurdy Man » de Donovan possède totalement son empreinte malgré l’air familier. « Light In The Sky » se veut plus Jazz et Heavy-Rock. Une totale réussite pour celui qui aime la guitare de haute volée.
« Searching For The Spark » empreinte des sentiers arabisants à travers le désert et les médinas, un superbe et délicat sillon de mélancolie.
Mais les grands sommets sont les deux suites de cette réédition cd (la version originale comprenait une face studio aujourd’hui incluse sur la réédition de « L »). « Radiom/Lunar Music Suite/Meditation Of The Dragon » est une plongée magique dans le monde de Steve Hillage de plus de quinze minutes laternant les ambiances Jazz et world toujours illuminé de cette guitare fantasmagorique. Le bouquet final est ce définitif « Solar Musick Suite », crépusculaire à souhait, comme ce soleil pâle que l’on aperçoit au loin sur la lande ardéchoise. L’astre rougeoyant s’éteint lentement à l’horizon, le cerveau se perd en pensée doucement mélancolique, point définitif sur ce qu’il y a de sans doute plus important dans la vie. Comme cette beauté brune envoûtante et mystérieuse que l’on aperçoit au détour d’un chemin, et qui vous sourit furtivement, emplissant votre cœur d’une joie et d’une douceur sans commune mesure.La musique de Steve Hillage est tout cela et bien au-delà. Elle est finalement si définitive qu’il n’en donnera aucune suite. Se plongeant dans la production d’artistes world et dans la musique électronique, il plongera dans l’ombre des autres, laissant derrière quelques très beaux albums, définitivement intemporels. Ce live en est l’extraction la plus magique, la plus organique, un sirop de l’âme qui est une véritable parenthèse dans l’espace-temps.
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J’ai donc toujours ce même sentiment lorsque je traverse ce coin de France. A la nuit tombante, le soleil rougeoyant au loin. Le tableau de bord de ma voiture illuminé d’un orange brûlant, le compte-tours et le compteur de vitesse s’emballent. Un train sur la voie ferrée parallèle me double. La lumière de ses wagons illumine l’horizon sous forme de rectangles jaunes. Ces derniers sont les cadres de visages perdus dans le quotidien et la fatigue. Comme cette jeune femme blonde, si jolie. C’est le moment pour une bande-son idéale, celle de la route.
Enfant, dans la voiture de mes parents, je chantais ce que je pensais être du Rock. A la suite de l’écoute prolongée des cassettes de ma sœur, les Bruce Springsteen, Dire Straits, Telephone, ou Police, je m’inventais une bande-son idéale à ces images qui défilaient devant mes yeux.
Et il est le fruit d’une longue quête. Fan transi et absolu du groupe Stray, je cherchai longtemps ce live, réédité en cd il y a de nombreuses années, et totalement indisponible à la vente depuis. Son prix sur certains sites de vente en ligne est totalement prohibitif, et annihile toute passion musicale. Par ailleurs, il est intéressant de constater comme l’argent détruit souvent tout plaisir, aussi simple soit-il. Mes recherches me menèrent néanmoins à une offre de vente à un prix étonnamment bas qui me confirma que le vendeur semblait n’avoir aucune conscience de son article. Qu’importe.
Stray est un quatuor anglais formé en 1967 par le guitariste Del Bromham, le bassiste Gary Giles, et le chanteur Steve Gadd à Londres. Un batteur du nom de Ritchie Cole rejoignit la joyeuse troupe. Alors âgés de 16 ans, les quatre copains d’école se firent la main sur du John Mayall, Cream ou Jimi Hendrix. Le premier album parut en 1970 et est d’entrée un chef d’œuvre, comme tous les disques de Stray par ailleurs.
Leur musique est un alliage assez indescriptible de Hard-Rock, de Blues, et de Rock Progressif. Jouée avec un talent instrumental et une subtilité bluffant, elle dégage une énergie et une rage incroyable. Elle est le son de la sueur et de la colère. Elle est ce charbon ardent qui alimente les locomotives les plus rapides.
Le groupe jette pourtant l’éponge en 1977 (entretemps, Steve Gadd a été remplacé par Peter Dyers en 1975) après ce qui est sans doute leur meilleur album, à savoir « Hearts Of Fire ». Après avoir assuré les premières parties les plus prestigieuses, de Kiss à Rush, d’avoir écumé la Grande-Bretagne en long et en large, le groupe se décide à prendre un management énergique type Peter Grant.
Ils se retrouvent avec un ancien tueur à gage, Charles Cray, certes très rigoureux niveau discipline, mais totalement hors course côté musique. L’anecdote fera même quelques choux gras dans les journaux anglais, bien malgré Stray. Rajouté à cela la vague Punk qui déclare la guerre au Hard-Rock et aux groupes du début des années 70, et vous obtenez la fin programmée d’une formation pourtant exceptionnelle. Ne pouvant obtenir aucun concert, sans réel succès commercial, les quatre garçons se séparent. Pourtant à peine âgés de 26 ans, ils sont déjà de vieux cons. 
Un éclair d’espoir déchire bientôt l’horizon lorsque le Punk moribond mute en New Wave, et que le Heavy-Metal reprend le contrôle des charts anglais en 1980 sous la forme de la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM). Reformé en 1981, Stray sous la forme Bromham-Cole-Giles-Dyers reprend la route. Mais là encore son Rock trop élaboré, trop subtil, ne trouve pas preneur. Il n’est même plus question d’âge, car Thin Lizzy, Judas Priest ou Budgie retrouvent un nouvel élan au milieu de Iron Maiden, Saxon, Def Leppard, Diamond Head, Praying Mantis, ou Angelwitch.
En 1983, Stray est sans aucun doute le dernier grand groupe de Rock anglais avec Motorhead. Le son n’a pas changé. Brut, rugueux. Blues. La vraie différence est même cette production minimale, celle d’un certain Gordon Rowley. Il a capté la substantifique moelle de ce groupe exceptionnel qu’est Stray. Chaque instrument, brillant, est mis en valeur, sans effet. Le public est là, sans éclat grotesque. Combien de disques live ont sombré dans le ridicule par ce public rugissant typé stades américains alors que les dites formations ne remplissent pas le moindre théâtre US.
Réaliste, « Live At The Marquee” retranscrit la réalité : un groupe jouant sa musique pour le plus grand plaisir de son public. Aussi petit soit-il. Plus que tout, ce disque est un résumé presque parfait des meilleurs titres de Stray. L’ouverture par le rugueux « Houdini » est un rêve éveillé. Ce morceau, mêlant riff heavy et chœurs californiens faisant un détour par le West End presque parfaits, ouvre l’horizon musical du public émerveillé. La suite n’est autre que le meilleur titre de Stray, à savoir « One Night In Texas ». Ce morceau épique, entretenant sans cesse la tension émotionnelle, avec son texte gorgée de routes et de filles, le tout décrit avec une subtilité rare, est un sommet de musique électrique.
« After The Storm » est un autre sommet. Symbole de ce Blues-Rock à la fois Heavy et Progressif, il est un vivier sans fin de riffs géniaux et de soli majestueux. Cathédrale de guitare unique en son genre, elle retranscrit avec maestria l’énergie incroyable que l’on peut ressentir après une tempête, qu’elle qu’en soit la nature. Ces arpèges, ces accélérations, ces ralentissements heavy rendant opaque l’horizon. Ce triumvirat de rock’n’roll est déjà un panthéon obscur. Celui de la route. Il faut lui ajouter ce « All In Your Mind » sauvage, débridé, sans faille. Trépidant, mêlant psychédélisme et vitesse, il est sans aucun doute la version ultime de ce titre emblématique du Heavy-Rock Underground des années 70. Celui que rejoue pêle-mêle Iron Maiden ou Queens Of The Stone Age.
Del Bromham est au sommet de son art, inventif, percutant. Soutenu par une section rythmique, Gary Giles et Ritchie Cole, qui n’a sans doute jamais joué aussi bien, il envoie sa musique dans les astres, rendant celle-ci totalement hors-mode, intemporel.
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Steamhammer est un groupe britannique dont le noyau dur sera formé de Martin Pugh à la guitare et Kieran White au chant et à la guitare. Batteur et bassiste changeront à chaque album ou presque. La musique de Steamhammer est d’abord, et fort logiquement, principalement ancré dans le British Blues-Boom, mais fort tardivement, puisque nous sommes déjà en 1969, et Led Zeppelin vient de décocher ses premières salves, mettant à terre ce qu’il reste du mouvement peu de temps après la tornade Cream. Néanmoins, une chanson de ce premier disque ne passera pas inaperçu, puisqu’elle intègre la set-list d’un quatuor anglais qui vient de se mettre au boogie : Status Quo. La chanson en question n’est autre que « Junior’s Wailing ».
La musique du groupe va s’orienter rapidement vers un heavy-blues progressif particulièrement brillant, ce que confirme le second disque, « MK II » en 1969. La voix chaude de White, alliée aux épais chorus brûlants de Pugh trouve sa parfaite synthèse. Le prodigieux batteur Mick Bradley qui vient d’arriver n’y est pas pour rien, et insuffle ainsi un rythme à la fois lourd et jazz. Il trouve son alter-ego à la quatre-cordes en la personne de Steve Davy, et le pinacle du quatuor sera « Mountains » en 1970. Formidable monument à la gloire d’un heavy-blues à la fois rêveur et étrange, sorte d’alliage ésotérique du blues-folk anglais de Pentangle et du heavy-metal noir et gothique du premier Black Sabbath, il est un chef d’œuvre absolu.
Un mystère étrange plane lorsqu’apparaît ce dernier disque du nom de « Speech » en 1972. Le groupe s’est disloqué. Des tensions sont apparues, la faute à des orientations musicales différentes, et mais aussi à cause de l’insuccès commercial de cette pourtant formidable musique.
Que s’est-il passé exactement durant ces 18 mois, entre « Mountains » et « Speech » ? Difficile à dire, mais il s’agit de quelque chose de terrifiant. Car ce disque est encore plus sombre , plus obscur, plus impénétrable, plus terrifiant que le premier Black Sabbath ou « End Of The Game » de Peter Green, pourtant un mètre-étalon en matière de cauchemar émotionnel. On sut que les gaillards de Black Sabbath eurent la vie dure à leurs débuts, provenant de la sombre Birmingham, Iommi perdant ses phalanges sous une presse hydraulique (une Steam Hammer, du nom du pilon qui découpait les épaisses pièces de métal des fonderies ?), les premiers concerts sous amphétamines afin de survivre dans le van dans la neige. Et puis Green, son mauvais trip au LSD à Munich en 1969, et son naufrage mental jusqu’à son départ de Fleetwood Mac en mai 1970.


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David Crosby fait partie de ces garçons géniaux, surdoués même, et qui obtiendra de son génie le succès tant convoité. Il devint ainsi l’auteur des plus mythiques titres psychédéliques des Byrds, défrichant pour les trois années à venir le meilleur de la musique américaine, et ce dés 1966. S’en suit à partir de 1968 l’aventure Crosby, Stills And Nash (CSN), qui deviendra en 1969 Crosby,Stills, Nash And Young (CSNY).
Le trio puis quatuor offrira la quintessence de la musique Rock typée californienne. Majestueuse, aérienne, magique, planante, riche, aux harmonies vocales inégalées, elle sera également le théâtre des plus extraordinaires joutes de guitares de l’histoire du Rock, soit celles entre Stephen Stills et Neil Young. CSNY offrit en deux petites années d’existence une poignée de chansons aussi intemporelles que celles des Beatles à la même période. Ils en sont d’ailleurs devenus l’équivalent aux USA, leur relatif retrait musical vis-à-vis du délire musical psychédélique les rendant plus intemporels que leurs contemporains, à savoir Jefferson Airplane, Grateful Dead ou Quicksilver Messenger Service. 
Mais pour ces camarades, la vie fut plus dure. Chacun sortit son disque solo, à commencer par le premier album éponyme de Stills en 1970, presque parfait. Nash suivit en 1971, mais l’homme n’était pas assez torturé pour être suffisamment intéressant.
Sa séparation d’avec les Byrds fut une première plaie, l’homme se voyant jeter de son propre groupe par Roger MacGuinn et Gene Clark après en avoir écrit les plus belles chansons comme « Eight Miles High ». Il fit également reprendre la chanson « Hey Joe » de Joe South par son groupe, une version qui influença un jeune guitariste noir amateur des Byrds et de la bonne chanson américaine (qui a dit Dylan ?) : Jimi Hendrix. Son caractère épouvantable imbibé de LSD tua tout espoir de compromis, et le fils de cinéaste prit son sac.
« Guinnevere » fut ainsi son hommage à sa compagne disparu, et son envie d’idéal à la fois politique et personnel finit par se mélanger pour donner des chansons à la fois terriblement poignantes et puissantes. « Wooden Ship », « Almost Cut My Hair » parsème son palmarès des fantastiques chansons Rock de l’Histoire. CSNY fut ainsi le véhicule et le catalyseur de ce talent, mais aussi sa tombe.
En 1970, les héros de l’Amérique sont ces jeunes chevelus issus du Blues anglais, ivres de violence et de sexe, faisant renifler au vaste continent ces plus âpres effluves, celles de la guerre du Vietnam, de ces usines automobiles en conflit social, et de cette Guerre Froide qui rend l’air irrespirable. Whisky, acides, bad girls, et Muscle Cars, voilà le rêve américain de la jeunesse en déroute. Et résonne dans les stades Led Zeppelin, Who, Black Sabbath, Rolling Stones, ou Jethro Tull.
David Crosby rassemble ses copains hippies à San Francisco aux Wally Heider Studios. Phil Lesh, Jerry Garcia, Bill Kreutzmann de Grateful Dead, Jorma Kaukonen, Jack Casady, Paul Kantner et Grace Slick de Jefferson Airplane viennent jouer aux côtés de Michael Schrieve et Greg Rollie de Santana, et Neil Young, Graham Nash, Stephen Stills et Joni Mitchell.
Minéral car il va à l’essentiel, avec quelques accords soigneusement choisis. Cancéreux, arides, ils ne dispensent pas la joie de vivre, mais l’introspection. Pourtant, on pourrait s’interroger, en lisant le titre de la première chanson. « Music Is Love ». Y a-t-il plus hippie comme titre ? La douze-cordes de Crosby s’entremêle avec la six-corde de Young, les voix tournoient, et Crosby, de sa voix profonde et mélodieuse implore un cantique comme un prêcheur. Les harmonies sont superbes, mais les accords semblent de déliter dans la poussière peu à peu. Un goût amer émerge peu à peu, comme si cette profession de foi devenait une façade pour exprimer un malaise.
Ce malaise, c’est celui de « Cowboy Movie ». Un accord aride, sec, rebondissant sur une grosse basse ronflante, et quelques friselis de cymbales. Le tempo est épais, pâteux. Huit minutes de films de cowboy. Ou plutôt du mec seul qui erre dans le désert, celui de l’âme. Ce qui ressort de ce titre éprouvant, c’est un sentiment de solitude mortel. C’est l’histoire de la dislocation du quatuor CSNY, les conflits d’égos, les coups bas. Le tout, avec l’aide de l’ensemble des protagonistes.
« Laughing » est à nouveau une sorte de cantique psychédélique. Mais il est incroyablement aride. Constitué de guitares acoustiques, de steel-guitar lointaine, de cymbale légère et d’harmonies vocales angéliques, elle ne fait que renvoyer l’image de l’Homme seul sur ce rocher de granit, seul dans la lande face à son destin. Ou est-ce le désert de Mojave, mais qu’importe, la solitude est le maître-mot, lugubre, sournois. Ce morceau est en tout cas le sommet du disque, majestueux, émouvant.
A la fin du disque, on reste abasourdi par la violence sourde qui règne tout au long de ce disque. C’est sans doute l’album qui enterra définitivement le rock californien première génération, celui plein d’espoir et de liberté de CSNY, mais aussi celui de Jefferson Airplane, Neil Young And Crazy Horse, Hot Tuna, Grateful Dead, ou Quicksilver Messenger Service. La seconde, ce sera celle de Eagles ou Fleetwood Mac. Celle de la coke, de la déchéance dans les paillettes. Celle dans laquelle se trouve David Crosby en somme. Mais plus que sa propre spirale infernale, c’est celle de nos vies qui rôde ici, comme une bande-son du drame quotidien.