lundi 15 septembre 2008

RITCHIE BLACKMORE AND JIMMY PAGE

"Fulminant intérieurement, il se venge sur sa guitare."
Deep Purple European Tour 1993 + Jimmy Page And The Black Crowes Live At The Greek 1999

Comment peut-on continuer lorsque l’on a connu la gloire, la fortune, l’adoration béate et le succès artistique à 25 ans ?
Guitare en bandoulière, arc-bouté sur le manche, les cheveux sur le visage, la chemise ouverte sur un torse en sueur, costumes à paillettes et boots à talons, le guitar-hero est dévoré des yeux par des milliers de jeunes filles en chaleur.
C’était en tout cas le quotidien de ces héros modernes durant les années 70. Les Jimmy Page, Jeff Beck, Eric Clapton, Ritchie Blackmore, Tony Iommi, Michael Schenker, Eddie Van Halen… ont tous laissé une trace immense dans l’histoire du Rock, que ce soit par leurs musiques, ou par les milliards d’anecdotes toutes plus croustillantes les unes que les autres sur, pêle-mêle, la magie noire, le sexe, les concerts, les enregistrements studio, les engueulades entre musiciens, l’alcool, et la drogue.
Mais lorsque cette jeunesse dorée disparaît, lorsque le guitar-hero se réveille à presque quarante ans en sortie de cure de désintox, au milieu du grunge et du rap-hip-hop, que reste-t-il.
Prenons deux cas bien précis : Ritchie Blackmore de Deep Purple et Jimmy Page de Led Zeppelin.
Est sorti il y a quelques mois ce coffret quatre CDs regroupant deux concerts (Stuttgart et Birmingham) de la tournée désastre de Deep Purple en 1993. J’ai toujours eu une profonde appréhension sur cette période de Deep Purple. Bien que grand fan du groupe, j’ai du mal à écouter les disques entre 1987 et 1994.
J’ai souvent pardonné à Blackmore ses errements, mais parfois… Il faut dire que le bonhomme est un cas. C’est en fait lorsqu’il est en difficulté qu’il propose le meilleur de lui-même. Lorsque Ritchie est maître de la situation, c’est un désastre. Souvenez-vous les derniers albums de Rainbow et cet ignoble son FM, où l’atroce « Slave And Masters » de Deep Purple en 1991, suite au départ de Gillan. C’est bien simple, Blackmore se laisse aller à des facilités de composition qui frise le ridicule.
Alors oui, c’est bien la tension qui le rend meilleur. Et ce quadruple live en est un exemple flagrant. Imaginez un peu l’ambiance : Gillan revient dans Purple suite à la pression du management pour réaliser un album et une lucrative tournée du 25ème anniversaire du groupe. Enfin, c’est ce qu’ils pensent là-haut.
Car l’album qui en résulte, « The Battle Rages On », est un album très moyen, bien loin des « Machine Head » et « In Rock ». Ensuite, la partie américaine de la tournée est annulée, faute de réservations. Il reste alors l’Europe et le Japon. D’entrée, les choses commencent mal, d’autant plus que Gillan et Blackmore ne se supportent pas, les deux s’envoyant de petites vannes par presse interposée.
Mais sur scène… En fait, le dilemne, c’est que Ritchie pense, à juste titre, que Gillan n’est plus capable de chanter certains titres classiques, dont « Child In Time ». Bien que ce dernier s’en défendent, les deux hommes s’affrontent littéralement sur scène.
Mais c’est Blackmore qui tire la charge. Furieux, renfermé comme une huître, il ne peut que subir cette tournée. Fulminant intérieurement, il se venge sur sa guitare.
Tout de noir vêtu, encore mince mais affublé d’une espèce de crinière noire genre perruque grand siècle doublée d’une petite moustache de vicomte, l’homme ferme les yeux et joue.
Ce coffret est le digne reflet de cette tournée, donc, car on y découvre le pire et le meilleur. Le pire, ce sera le dernier concert avec Blackmore, à Brimingham, filmé qui plus est. Blackmore débarque au milieu de « Highway Star » après avoir viré le cameraman de la scène parce qu’il n’en voulait pas, un Gillan qui chante faux et qui oublie la moitié des paroles,et des titres raccourcis faute d’inspiration blackmorienne, déjà résigné à partir.
Le meilleur, c’est Stuttgart. Un Blackmore concentré, sortant des notes hyper-serrées, brillantissimes, purgeant un répertoire historique de sa guitare magique, poussant dans ses derniers retranchements un groupe que l’on pensait exsangue. Il faut écouter ce « Child In Time », jouer à l’encontre de Gillan rien que pour le faire chier parce qu’il n’arrive plus à monter dans les aigus. Ritchie se lance dans un duel guitare-clavier avec Jon Lord de plus de cinq minutes, poussant le vieux Lord dans des soli qu’il n’avait pas joué depuis 20 ans. Il y a aussi l’arabisant « Anya » nouveau titre du dernier album en date, sur lequel Blackmore entreprend un solo magique, véritable odyssée mystique de plusieurs minutes. Il y aussi ces bouts d’impros irréelles comme le début de « The Mule », sorte de jam un peu funky, « In The Hall Of The Mountain King », douce mélopée classisante, et la géniale intro de « Smoke On The Water », lente montée en puissance avant l’explosion DU riff.
Blackmore y est brillant, et ce sera bien la dernière fois. Depuis, l’homme est tombé dans les travers des héros rock’n’roll qui ne veulent pas vieillir : marié à une petite blonde de trente ans sa cadette, qui chante vaguement avec lui dans un groupe de musique renaissance qui ressemble plus à de la musique new-age qu’à du folk, toujours avec ses cheveux longs teints au cirage, l’homme a encore de la prestance, mais guère de fierté. Dommage, car le bonhomme avait sûrement bien mieux à faire, d’autant plus que le temps est compté, surtout quand on a soixante balais.
Pour ce qui est de Jimmy Page, les choses sont plus simples. Car l’homme a en fait tout dit avec Led Zeppelin. Il lui a fallu du temps pour le réaliser, mais c’est à soixante ans que l’homme se porte le mieux.
Il faut dire qu’au sortir du Zep, Page est un homme carbonisé. Dévoré par l’héroïne, squelettique, venant de perdre un ami cher (John Bonham), il lui faut récupérer.
Et ce n’est pas The Firm, pet foireux, regroupant tout de même Page et Paul Rodgers, qui fera mieux. Jimmy est à l’ouest, et ne remettra les pieds sur terre que progressivement. Son album solo, « Outrider », est très moyen, et celui avec David Coverdale, agréable, n’est pas un chef d’œuvre non plus.
Pourtant Page fait vendre, quoi qu’il fasse, Led Zeppelin oblige. Et ce sera aussi son malheur. Car Jimmy n’arrive pas à tourner la page. La faute à un Robert Plant parti trop rapidement à sa carrière solo, et qu’il retrouve par ci par là pour des reformations du Zep avec John Paul Jones pour le Live Aid ou des cérémonies.
Il faudra attendre 1995 pour que Plant et Page retravaillent sérieusement ensemble. D’abord avec « Unledded », histoire de clore l’histoire Zep ensemble, puis avec « Walking Into Clarksdale » en 1998, album studio de Page-Plant magnifique, ou Jimmy retrouve son niveau des années 70, et surtout une inspiration nouvelle qui lui permet d’avancer enfin.
Cette thérapie réalisée, Page peut alors se laisser aller à gérer l’héritage Zeppelin. Ici un dvd, là un live inédit, entre cérémonies, et hommages, l’homme savoure enfin ses créations et sa renommée.
Il ne lui reste plus qu’à s’amuser. Et il le fera avec The Black Crowes. Page a déjà croisé le fer avec eux en 1996, comme ça, lors de concerts. Mais là, c’est une tournée commune qui se met en place. Le succès est énorme. D’abord parce que la bande reprend du Zep, ainsi que du Fleetwood Mac (période Peter Green) ou du blues. Que ces gars-là s’amusent, et n’essaient surtout pas de coller à la musique du Zep genre groupe-tribute.
Et le plaisir est palpable. Page retrouve le plaisir de jouer, s’éclate, saute partout. Pour les Black Crowes, croiser le manche avec une icône leur donne des ailes.
Alors Page ressort le théramine sur « Whole Lotta Love », déterre « Ten Years Gone » de 1975 et « Shapes Of Things » de ses années Yardbirds, et joue tout simplement.
Ce live ne devait pas sortir. Uniquement disponible sur internet, il fut finalement commercialisé, la demande et les téléchargements étant tels qu’il fallut compenser.
Et à l’écoute, on sent une musique chaleureuse, et beaucoup de plaisir. Le vrai symbole de ce disque, je crois, c’est cette photo de Page en sueur, les cheveux courts, fumant sa cigarette après le concert, tout sourire.
L’homme semble bien avec lui-même, en paix, et cohérent avec son âge et son travail. Ce qui n’est pas le cas de Blackmore, toujours enfermé dans ses murs, et refusant obstinément de parler de Deep Purple et de Rainbow.
Alors le temps fera-t-il office ? Ces hommes sont aujourd’hui sexagénaires, et se retrouve icônes historiques d’une musique adolescente, et dont le pouvoir est toujours énorme. Mais comme le disait Ian Gillan en 1996, juste après avoir coupé lui aussi son immonde tignasse teinte au cirage : « Si je veux continuer à chanter, il faut que mes textes me ressemblent, parlent de choses qui m’intéressent, des choses de mon âge. Il y en a bien que cela peut intéresser. Et puis, comment pourrais-je encore parler de petites pépés et de gros cubes, comme dans « Highway Star » ? »
Bonne question Ian. Il est souvent difficile de vieillir quand l’histoire et les médias se souviennent éternellement du jeune homme que vous étiez, et que vous n’êtes plus. Mais cela n’enlève rien au talent.

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