mardi 23 septembre 2008

DEEP PURPLE 1969

"Il ressort de ce "Third Album" une impression de fin de siècle, et de jardin anglais incroyablement mélancolique."
DEEP PURPLE « Deep Purple » 1969

Deep Purple, c’est le hard-rock lourd carburant à l’orgue Hammond goudronné. C’est « Smoke On The Water », ce sont les riffs électriques et les soli carbonisés à coup de vibrato de Ritchie Blackmore. C’est la voix hurlante de Gillan, ce sont des soli de toutes sortes, étirant les morceaux en concert sur une bonne dizaine de minutes.
C’est du moins ce que j’ai cru pendant des années avant de découvrir ce disque. L’histoire de Deep Purple ne débute en effet pas avec « In Rock » et le hard, mais en 1968. A l’époque, le groupe est alors composé de Ritchie Blackmore à la guitare, Jon Lord à l’orgue, Ian Paice à la batterie, de Rod Evans au chant, et de Nick Simper à la basse. A l’époque, Jon Lord est plutôt le leader, et le quintet est un groupe à l’origine fondé par un producteur, Tony Coletta, qui désire faire des sous avec la pop music.
Il réunit donc des musiciens expérimentés, et les incite à jouer plutôt commercial. Le répertoire de Deep Purple est alors en grande partie composé de reprises réarrangées dans le style Vanilla Fudge, c’est-à-dire une pop symphonique lourde et virtuose. Les deux premiers albums, « Shades Of Deep Purple » et « The Book Of Taliesyn » révèlent cet aspect. On découvre également les premières compositions, dont les premiers classiques en concert : « Mandrake Root » et « Wring That Neck ». Le second album est par ailleurs déjà fort intéressant, dévoilant de superbes arrangements, et notamment le magnifique morceau « The Shield », ou Blackmore joue une partie acoustique somptueuse. Leur version de « River Deep, Mountain High » est également magistrale.
Avec tout ce bagage en poche, Deep Purple cartonne vite aux USA, mais absolument pas en Grande-Bretagne. Et en 1969, le vent change. Le son s’alourdit, Led Zeppelin dégaine son premier album, et les Stones sortent « Honky Tonk Woman ». Aussi, Blackmore et Lord décident qu’il est temps de changer de direction et de s’affirmer. Blackmore vient d’écrire deux chansons, « Speed King » et « Child In Time », particulièrement puissantes, et pour lesquels Evans et Simper ne conviennent plus.
Ils recrutent donc Roger Glover et Ian Gillan en secret. Les répétitions du mark II débutent même, alors que le mark I tourne toujours ! C’est donc dans cette ambiance que l’enregistrement du troisième album débute.
Je me souviens l’avoir acheté pour la superbe pochette de Jérôme Bosch, et par le fait que ce disque fut un four commercial, dépourvu de tout soutien publicitaire, promo ou tournée.
Et dix ans après sa découverte, je reste persuadé que cet album est un de leur tout meilleur. Car « Deep Purple » est un album magique, vénéneux, sombre. Porté par la voix de crooner de Evans, le quintet déroule une ambiance médiévale, presque gothique, glaciale.
Tout commence par le tribal « Chasing Shadows », décrivant un cauchemar de Lord. Puis le groupe part dans « Blind » et son superbe clavecin, qui explose avec le solo gorgé de fuzz et de wah-wah de Blackmore. La belle reprise de « Lalena » de Donovan est également une pépite, pleine de ce charme troublant typiquement british, comme une longue promenade dans la campagne anglaise un soir d’orage.
Le disque plonge brutalement dans les ténèbres avec « Fault Line ». Instrumental où l’orgue et la batterie sont passés à l’envers, le morceau monte comme une procession infernale digne de la pochette du disque. Blackmore fait monter la tension avec une ligne de guitare emplie de vibrato qui annonce rien de moins que le premier album de Black Sabbath. C’est au bout de cette coulée de goudron brûlant qu’arrive le brillant et étincelant « The Painter ». « Why Didn’t Rosemary » est plus classique, et il faut attendre « The bird Has Flown » pour retrouver l’ambiance hantée du disque. Pour l’anecdote, la version 45T est encore plus tribal et sombre, presque vaudou.
Lorsque l’on en est là, on se dit qu’on a déjà affaire à un sacré album. Mais le disque se clôt sur une longue pièce de musique appelée « April ». Ce titre, censé traduire les impressions du groupe sur cette période de l’année, est un véritable chef d’œuvre. D’abord parce que la mélodie acoustique de départ est tout simplement brillante, et parce que la partie centrale est entièrement classique. Bien que peu enclin à la musique classique, j’ai toujours trouvé ce titre somptueux. Durant de belles minutes, Lord conduit un orchestre symphonique, et inaugure le périlleux alliage entre classique et rock. Pour exemple, le « Concerto For Group And Orchestra » est à moitié raté, alors que ce quart d’heure-ci est purement magique. « April » se clôt dans l’électricité, et Blackmore dégaine sa Gibson, pour un final électrique et mélancolique, où, pour la dernière fois, la voix de Evans fait des merveilles.
Il ressort de ce « Third Album » une impression de fin de siècle, et de jardin anglais incroyablement mélancolique. Deep Purple a effectivement durci le ton, mais pas uniquement avec les décibels. C’est avec la tonalité, et sans doute à cause de cette ambiance sombre entre les musiciens que Deep Purple a dévoilé une belle partie de son âme.
Je me suis souvent dit qu’au lieu de se déguiser en Robin des Bois et de fonder Blackmore’s Night, Blackmore aurait dû faire un disque davantage dans cette veine, où il excelle.
Après cet album, Evans et Simper sont virés en juillet 1969. Simper fondera le très Purplien Warhorse, auteur de deux bons albums. Evans, rejoint un ancien Edgar Winter, Bobby Caldwell, et deux anciens Iron Butterfly, Rhino et Lee Dorman, pour fonder le somptueux Captain Beyond. Ce combo délivrera deux albums prodigieux, avant que Evans, brisé par les tournées et les galères, n’abandonne et reprenne ses études.
Il commettra l’irréparable en participant à une fausse reformation de Deep Purple en 1980, montée de toute pièce par un producteur véreux, et dont les musiciens n’ont jamais eu aucun rapport avec Purple. Seul Evans s’est fait avoir. Ce « Bogus Deep Purple » jouera une poignée de concerts qui tournèrent à l’émeute à chaque fois, avant que les avocats du vrai Deep Purple n’arrête la supercherie. Et prive Evans de tous ses droits sur les trois premiers albums. Evans, ruiné, vit en Californie. Deep Purple connaîtra la gloire internationale avec son hard-rock. Ce troisième album ne fut qu’une transition, mais aussi une parenthèse magique. Comme si, délivré de toute pression, de tout carcan musical, un peu perdu, le combo avait laissé divaguer son imagination. Et offrit cet ovni musical à ses fans, qui reste une pépite noire dans sa discographie. Un peu à l’image du sort de ses anciens membres.

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

moi aussi je ne connaissais pas cette partie de l'histoire du groupe.par contre j' ai pu recupere via le net le concert de deep purple de 1985 filmé a bercy par la télé allemande pour l 'émission rockpalast et c'est du tres bon !!! a+ l' ami

brutor a dit…

Tout à fait d'accord avec toi quant à la qualité du 3ème opus de Deep Purple (et dernier du Mark I). Depuis les 70's, j'ai toujours voué une réelle admiration pour ce disque, qu'effectivement je considère comme un des meilleurs de Purple. (Même à l'époque où j'avais l'impression que "Toys in the Attic" ou "Who's next" étaient des disques relativement acoustiques!). Merci mille fois pour ton commentaire éclairé, qui, j'espère, incitera quelques internautes à poser une oreille attentive sur cette formidable réalisation.