"Webb
traîne surtout dans ces lieux où le Rock sauvage et le Blues
existent encore. "
Du
verre brisée
Le
Harrow Inn, à l'Est de Londres. C'est un pub doté d'une salle de
concert à l'arrière, construite sur un terrain vague. C'est une
bicoque de planches peintes en blanc, avec des fenêtres de
récupération, le genre de salle qui permet à tout le quartier de
profiter de la musique aussi bien que les spectateurs. Le guitariste
Stan Webb et son groupe Chicken Shack y font une halte après un
périple européen revigorant. Le dernier album, 'Imagination Lady',
a eu un grand succès en Allemagne, en Scandinavie et en Italie.
Chicken Shack est un trio dont le line-up a déjà évolué depuis
l'album. Webb tient la guitare et le chant, Bob Daisley la basse, et
Paul Hancox la batterie. John Glascock, qui tenait la potence à
quatre-cordes sur le disque, s'est sauvé pour remplacer
lucrativement Glenn Cornick dans Jethro Tull. Il y restera jusqu'à
sa mort tragique en 1979.
Stan
Webb revient de loin. En 1971, Chicken Shack explose, les
trois-quarts de la formation était en partance pour les
frères-ennemis Savoy Brown, dont la carrière décolle aux
Etats-Unis. Déjà, le scénario avait merdé, lorsque la
pianiste-chanteuse Christine Perfect s'en alla pour se consacra à la
vie de famille avec son mari, John MacVie, bassiste de Fleetwood Mac,
en 1969. Chicken Shack avait flirté avec le succès commercial grâce
à ses deux premiers albums de blues anglais : '40 Blues
Fingers, Freshly Packed, And Ready To Serve', n° 12 en
Grande-Bretagne, et 'OK Ken ?' en 1969, n°9. Le simple 'I'd
Rather Go Blind' fut n°14, et ouvrit le marché européen à Chicken
Shack. Pourtant, Christine choisit de partir à ce moment-là.
Le
coassant et guignolo Stan Webb s'en remet avec une pirouette, et
c'est un petit gars, issu du groupe pop Plastic Penny, qui prend la
relève : Paul Raymond. Seulement voilà, Raymond n'est pas
encore le compositeur affûté de Savoy Brown et de UFO à la fin des
années 70. Discret, appliqué, il joue sa partition, mais n'insuffle
pas l'énergie désirée. Stan, lui, encaisse le départ de
Christine, qu'il ne regardait pas qu'avec les yeux de la partenaire
créative dans un groupe en plein essor. Il l'aimait, Christine,
secrètement. Et lorsqu'elle officialisa sa relation avec John
MacVie, puis quitta le groupe pour se consacrer à son homme, Webb
eut le coeur arraché. Lui, le grand branquignol, drôle,
intelligent, brillant guitariste, qui insista pour que Christine
Perfect se joigne à eux parce qu'il croyait en son talent plutôt
que de s'ennuyer comme vendeuse dans une boutique, était désormais
seul avec un groupe à conduire. Et il n'avait pas plus d'âme que
son désormais leader, déboussolé.
'100
Ton Chicken', sorti en novembre 1969, se veut plus Pop, mais il
ennuie. Cette année-là, il y a tellement plus existant. A commencer
par les copains de Led Zeppelin. Stan Webb et le Chicken Shack
original sont originaires de Birmingham, comme Trapeze avec Glenn
Hughes, Black Sabbath, Judas Priest, mais surtout Robert Plant et
John Bonham. Les 'I' et 'II' ont depuis balayé le Blues plus
appliqué de John Mayall, Savoy Brown et Chicken Shack. Il faut de la
puissance. Webb sait se montrer sauvage, mais cela ne s'entend pas
forcément sur disque.
Il
tente le coup avec l'album suivant : 'Accept' en 1970. Le son
est plus vigoureux, avec le brillant 'Telling Your Fortune'
notamment. Chicken Shack retrouve les plateaux de télévision,
notamment en Allemagne au Beat Club, mais pour jouer des choses plus
sucrées comme 'Tears In The Wind' du disque précédent. Webb donne
tout au Festival de Montreux la même année, mais Chicken Shack est
dans l'impasse. Stan voudrait emballer la machine, mais sa formation
un brin rigide ne le suit pas vraiment. C'est à ce moment précis
que le bassiste Andy Sylvester, l'organiste Paul Raymond, et le
batteur Dave Bidwell sont appelés à renflouer le navire Savoy Brown
qui a vu…. La totalité de ses musiciens se sauver pour former
Foghat, le guitariste-leader Kim Simmonds se retrouvant seul !
Londres
fourmille de bons musiciens à cette époque. Mais Webb traîne
surtout dans ces lieux où le Rock sauvage et le Blues existent
encore. Car en 1971, c'est l'explosion du Glam-Rock. David Bowie est
en pleine ascension, Marc Bolan signe « Ride A White Swan »
et « Get It On ». Slade et Sweet arrivent. La guitare
virtuose et crasseuse n'est déjà plus à la mode.
Chris
Welch du Melody Maker vient partager une pinte avec John Bonham de
Led Zeppelin, et y retrouve également un Stan Webb rigolard mais
dont le moral n'est pas tant au beau fixe qu'il semble vouloir le
montrer. L'après-midi va finir en déconnade survoltée, où les
vieux compères de Birmingham Webb et Bonham vont finir en travestis
dans un restaurant en soirée, mettant une pagaille indescriptible.
Les deux compères se retrouvent alors régulièrement, les bureaux
du manager de Led Zeppelin Peter Grant et ceux de Webb sont situés
dans le même immeuble à Central London, ce qui leur permet de noyer
leur ennui pour l'un, leurs désillusions pour l'autre dans de
grandes pintes de bière brune.
Comme
si cela ne suffisait pas, Webb perd son label. Blue Horizon s'oriente
vers des musiques plus progressives, moins Blues, et Chicken Shack,
pour l'heure quasi-mort, n'est plus forcément le bienvenu malgré
les bons scores du simple 'Tears In The Wind' en Allemagne. Webb
signe avec Deram, la filiale progressive de Decca, qui est aussi le
label de … Savoy Brown.
C'est
sur les conseils de John Bonham, lors d'une de ces virées à Central
London, que Webb recrute le jeune batteur Paul Hancox. Le bassiste
s'appelle John Glascock, et fut membre de Toe Fat, formation dont
l'organiste fut Ken Hensley et le batteur, Lee Kerslake, futurs Uriah
Heep. La formation accueillit même en invité Peter Green. Sous la
forme d'un solide trio, Chicken Shack renaît de ses cendres. Les
concerts font grande impression sur le public, autant des pubs que du
circuit des universités.
Stan
Webb continue son numéro de furieux de la guitare, jouant à genoux,
se promenant dans le public avec un câble de plusieurs dizaines de
mètres, suivi par un roadie. Le son est toutefois de plus en plus
lourd, influencé par Cream et les deux premiers albums de Led
Zeppelin.
Stan
Webb semble vibrer d'une hargne particulièrement retors. Lorsqu'il
capte avec ses nouveaux musiciens le cinquième album de Chicken
Shack, Savoy Brown vient de rentrer dans le Top 100 US avec l'album
'Street Corner Talking'. Une autre formation est en train de monter
dans le coeur des amateurs de rock en Grande-Bretagne : Status
Quo.
Alors
en déroute après deux petits hits psychédéliques en 1968 et 1969,
le Quo décide de revenir à ce qu'il aime : le blues-rock. Fini
les chemises à jabots, les pantalons en satin et la laque pour
cheveux, bonjour les jeans élimés, les cheveux longs, et les
baskets. C'est lors d'une première partie de Chicken Shack à la fin
de l'année 1969 que le guitariste Francis Rossi découvre la recette
du succès scénique du Shack : le boogie. Il va reprendre la
formule, l'amplifier, la simplifier, et peu à peu, Status Quo va
forger son identité sonore. Commencée avec 'Ma Kelly's Greasy
Spoon' en 1970, elle triomphe avec 'Piledriver' en 1972.
Pendant
ce temps-là, Stan Webb fomente un nouveau disque, qui peu à peu
prend des allures d'album définitif. Neil Slaven se charge de la
production, et Chicken Shack enregistre aux Olympic Studios, juste à
côté de Led Zeppelin, qui capte le matériel pour 'The Houses Of
The Holy'. Du fait des liens d'amitié entre Bonham, Plant et Webb,
Led Zeppelin et Chicken Shack passent beaucoup de temps au pub, mais
ne joueront jamais ensemble, même pour le plaisir. Il y a toutefois
à l'écoute des deux disques quelques curieuses similitudes d'axe
mélodique entre 'No Quarter' et 'Poor Boy', entre 'Daughter Of The
Hillside' et 'Dancing Days'.
Chicken
Shack publie 'Imagination Lady' en février 1972, et connaît un
grand succès en Allemagne, en Hollande et en Italie. Le disque
irradie de puissance Blues-Rock. C'est l'album à la hauteur de la
musique de Chicken Shack : puissant, gras, sournois, sans
concession. La pochette, sublime, montre une femme sortir de la tête
d'un Stan Webb en quasi-vicomte anglais, une jolie apparition aux
traits de … Christine Perfect. Avec ce disque, le guitariste règle
ses comptes avec tout le monde : ses anciens musiciens, son
ancien label, cette femme qu'il n'arrive pas à oublier, son parcours
bancal. C'est un feu d'artifice de guitare, de basse grondante et de
batterie vengeresse. Il n'y a que sept titres, dont une nouvelle
version de 'Telling Your Fortune' qui semble enfin à la mesure de ce
que Webb imaginait. Tout est fou, tout est dément, violent,
percutant.
Le
marché anglais est submergé par le glam-rock de Slade, Sweet,
T-Rex, David Bowie, et le rock progressif de Yes, ELP et Genesis.
Toutefois, les chiffres sont bons, et la tournée européenne et
l'une des plus généreuses qu'ait jamais faite Chicken Shack. Le
trio retrouve pourtant ses pubs et ses grises universités en
revenant en Grande-Bretagne, car l'album n'a que moyennement marché.
Aussi, lorsque Ian Anderson, chanteur-flûtiste-fondateur-leader de
Jethro Tull, propose à Glascock de les rejoindre, il n'y aura pas
une seconde d'hésitation.
(à suivre)tous droits réservés
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