jeudi 18 juin 2020

STAN WEBB - CHICKEN SHACK - BROKEN GLASS 1970-1976 PART 1


"Webb traîne surtout dans ces lieux où le Rock sauvage et le Blues existent encore. "




Du verre brisée

Le Harrow Inn, à l'Est de Londres. C'est un pub doté d'une salle de concert à l'arrière, construite sur un terrain vague. C'est une bicoque de planches peintes en blanc, avec des fenêtres de récupération, le genre de salle qui permet à tout le quartier de profiter de la musique aussi bien que les spectateurs. Le guitariste Stan Webb et son groupe Chicken Shack y font une halte après un périple européen revigorant. Le dernier album, 'Imagination Lady', a eu un grand succès en Allemagne, en Scandinavie et en Italie. Chicken Shack est un trio dont le line-up a déjà évolué depuis l'album. Webb tient la guitare et le chant, Bob Daisley la basse, et Paul Hancox la batterie. John Glascock, qui tenait la potence à quatre-cordes sur le disque, s'est sauvé pour remplacer lucrativement Glenn Cornick dans Jethro Tull. Il y restera jusqu'à sa mort tragique en 1979.


Stan Webb revient de loin. En 1971, Chicken Shack explose, les trois-quarts de la formation était en partance pour les frères-ennemis Savoy Brown, dont la carrière décolle aux Etats-Unis. Déjà, le scénario avait merdé, lorsque la pianiste-chanteuse Christine Perfect s'en alla pour se consacra à la vie de famille avec son mari, John MacVie, bassiste de Fleetwood Mac, en 1969. Chicken Shack avait flirté avec le succès commercial grâce à ses deux premiers albums de blues anglais : '40 Blues Fingers, Freshly Packed, And Ready To Serve', n° 12 en Grande-Bretagne, et 'OK Ken ?' en 1969, n°9. Le simple 'I'd Rather Go Blind' fut n°14, et ouvrit le marché européen à Chicken Shack. Pourtant, Christine choisit de partir à ce moment-là.


Le coassant et guignolo Stan Webb s'en remet avec une pirouette, et c'est un petit gars, issu du groupe pop Plastic Penny, qui prend la relève : Paul Raymond. Seulement voilà, Raymond n'est pas encore le compositeur affûté de Savoy Brown et de UFO à la fin des années 70. Discret, appliqué, il joue sa partition, mais n'insuffle pas l'énergie désirée. Stan, lui, encaisse le départ de Christine, qu'il ne regardait pas qu'avec les yeux de la partenaire créative dans un groupe en plein essor. Il l'aimait, Christine, secrètement. Et lorsqu'elle officialisa sa relation avec John MacVie, puis quitta le groupe pour se consacrer à son homme, Webb eut le coeur arraché. Lui, le grand branquignol, drôle, intelligent, brillant guitariste, qui insista pour que Christine Perfect se joigne à eux parce qu'il croyait en son talent plutôt que de s'ennuyer comme vendeuse dans une boutique, était désormais seul avec un groupe à conduire. Et il n'avait pas plus d'âme que son désormais leader, déboussolé.


'100 Ton Chicken', sorti en novembre 1969, se veut plus Pop, mais il ennuie. Cette année-là, il y a tellement plus existant. A commencer par les copains de Led Zeppelin. Stan Webb et le Chicken Shack original sont originaires de Birmingham, comme Trapeze avec Glenn Hughes, Black Sabbath, Judas Priest, mais surtout Robert Plant et John Bonham. Les 'I' et 'II' ont depuis balayé le Blues plus appliqué de John Mayall, Savoy Brown et Chicken Shack. Il faut de la puissance. Webb sait se montrer sauvage, mais cela ne s'entend pas forcément sur disque.


Il tente le coup avec l'album suivant : 'Accept' en 1970. Le son est plus vigoureux, avec le brillant 'Telling Your Fortune' notamment. Chicken Shack retrouve les plateaux de télévision, notamment en Allemagne au Beat Club, mais pour jouer des choses plus sucrées comme 'Tears In The Wind' du disque précédent. Webb donne tout au Festival de Montreux la même année, mais Chicken Shack est dans l'impasse. Stan voudrait emballer la machine, mais sa formation un brin rigide ne le suit pas vraiment. C'est à ce moment précis que le bassiste Andy Sylvester, l'organiste Paul Raymond, et le batteur Dave Bidwell sont appelés à renflouer le navire Savoy Brown qui a vu…. La totalité de ses musiciens se sauver pour former Foghat, le guitariste-leader Kim Simmonds se retrouvant seul !


Londres fourmille de bons musiciens à cette époque. Mais Webb traîne surtout dans ces lieux où le Rock sauvage et le Blues existent encore. Car en 1971, c'est l'explosion du Glam-Rock. David Bowie est en pleine ascension, Marc Bolan signe « Ride A White Swan » et « Get It On ». Slade et Sweet arrivent. La guitare virtuose et crasseuse n'est déjà plus à la mode.
Chris Welch du Melody Maker vient partager une pinte avec John Bonham de Led Zeppelin, et y retrouve également un Stan Webb rigolard mais dont le moral n'est pas tant au beau fixe qu'il semble vouloir le montrer. L'après-midi va finir en déconnade survoltée, où les vieux compères de Birmingham Webb et Bonham vont finir en travestis dans un restaurant en soirée, mettant une pagaille indescriptible. Les deux compères se retrouvent alors régulièrement, les bureaux du manager de Led Zeppelin Peter Grant et ceux de Webb sont situés dans le même immeuble à Central London, ce qui leur permet de noyer leur ennui pour l'un, leurs désillusions pour l'autre dans de grandes pintes de bière brune.


Comme si cela ne suffisait pas, Webb perd son label. Blue Horizon s'oriente vers des musiques plus progressives, moins Blues, et Chicken Shack, pour l'heure quasi-mort, n'est plus forcément le bienvenu malgré les bons scores du simple 'Tears In The Wind' en Allemagne. Webb signe avec Deram, la filiale progressive de Decca, qui est aussi le label de … Savoy Brown.
C'est sur les conseils de John Bonham, lors d'une de ces virées à Central London, que Webb recrute le jeune batteur Paul Hancox. Le bassiste s'appelle John Glascock, et fut membre de Toe Fat, formation dont l'organiste fut Ken Hensley et le batteur, Lee Kerslake, futurs Uriah Heep. La formation accueillit même en invité Peter Green. Sous la forme d'un solide trio, Chicken Shack renaît de ses cendres. Les concerts font grande impression sur le public, autant des pubs que du circuit des universités.


Stan Webb continue son numéro de furieux de la guitare, jouant à genoux, se promenant dans le public avec un câble de plusieurs dizaines de mètres, suivi par un roadie. Le son est toutefois de plus en plus lourd, influencé par Cream et les deux premiers albums de Led Zeppelin.
Stan Webb semble vibrer d'une hargne particulièrement retors. Lorsqu'il capte avec ses nouveaux musiciens le cinquième album de Chicken Shack, Savoy Brown vient de rentrer dans le Top 100 US avec l'album 'Street Corner Talking'. Une autre formation est en train de monter dans le coeur des amateurs de rock en Grande-Bretagne : Status Quo.


Alors en déroute après deux petits hits psychédéliques en 1968 et 1969, le Quo décide de revenir à ce qu'il aime : le blues-rock. Fini les chemises à jabots, les pantalons en satin et la laque pour cheveux, bonjour les jeans élimés, les cheveux longs, et les baskets. C'est lors d'une première partie de Chicken Shack à la fin de l'année 1969 que le guitariste Francis Rossi découvre la recette du succès scénique du Shack : le boogie. Il va reprendre la formule, l'amplifier, la simplifier, et peu à peu, Status Quo va forger son identité sonore. Commencée avec 'Ma Kelly's Greasy Spoon' en 1970, elle triomphe avec 'Piledriver' en 1972.
Pendant ce temps-là, Stan Webb fomente un nouveau disque, qui peu à peu prend des allures d'album définitif. Neil Slaven se charge de la production, et Chicken Shack enregistre aux Olympic Studios, juste à côté de Led Zeppelin, qui capte le matériel pour 'The Houses Of The Holy'. Du fait des liens d'amitié entre Bonham, Plant et Webb, Led Zeppelin et Chicken Shack passent beaucoup de temps au pub, mais ne joueront jamais ensemble, même pour le plaisir. Il y a toutefois à l'écoute des deux disques quelques curieuses similitudes d'axe mélodique entre 'No Quarter' et 'Poor Boy', entre 'Daughter Of The Hillside' et 'Dancing Days'.


Chicken Shack publie 'Imagination Lady' en février 1972, et connaît un grand succès en Allemagne, en Hollande et en Italie. Le disque irradie de puissance Blues-Rock. C'est l'album à la hauteur de la musique de Chicken Shack : puissant, gras, sournois, sans concession. La pochette, sublime, montre une femme sortir de la tête d'un Stan Webb en quasi-vicomte anglais, une jolie apparition aux traits de … Christine Perfect. Avec ce disque, le guitariste règle ses comptes avec tout le monde : ses anciens musiciens, son ancien label, cette femme qu'il n'arrive pas à oublier, son parcours bancal. C'est un feu d'artifice de guitare, de basse grondante et de batterie vengeresse. Il n'y a que sept titres, dont une nouvelle version de 'Telling Your Fortune' qui semble enfin à la mesure de ce que Webb imaginait. Tout est fou, tout est dément, violent, percutant.


Le marché anglais est submergé par le glam-rock de Slade, Sweet, T-Rex, David Bowie, et le rock progressif de Yes, ELP et Genesis. Toutefois, les chiffres sont bons, et la tournée européenne et l'une des plus généreuses qu'ait jamais faite Chicken Shack. Le trio retrouve pourtant ses pubs et ses grises universités en revenant en Grande-Bretagne, car l'album n'a que moyennement marché. Aussi, lorsque Ian Anderson, chanteur-flûtiste-fondateur-leader de Jethro Tull, propose à Glascock de les rejoindre, il n'y aura pas une seconde d'hésitation.
(à suivre)

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