lundi 11 septembre 2017

JOHN LEE HOOKER 1966

"L'enregistrement a été réalisée sur le vif, tel que le conçoit Hooker : en direct en studio. "

JOHN LEE HOOKER : It Serves You Right To Suffer 1966

Nous sommes à la croisée des Mondes. La musique subit actuellement une mutation inédite, impactant jusqu'à ses racines les plus profondes. L'électronique, les logiciels, les platines sont partout. Ils dominent désormais la totalité de la production musicale actuelle, que ce soit dans les musiques populaires comme dans chez les artistes plus branchés. Les instruments électro-acoustiques sont désormais réduits à une fonction quasi-décorative. Les musiques séculaires du 20ème siècle, Jazz, Soul, Blues, Rock, ne réapparaissent que sous formes de gimmicks grossiers ou de samples piqués sur d'antiques albums vinyles. Les musiciens des années 60-70 sont désormais devenus des reliques de l'Ancien Temps qu'on exhibe pour construire une sorte de continuité artistique qui n'existe pas. Rolling Stones, Paul MacCartney, Neil Young cherchent des successeurs pour passer le témoin, l'héritage, mais il est déjà rangé dans le grenier. Il ne peut pas y avoir de successeur, car le monde de la musique, la manière de la faire et de la consommer ont drastiquement changé. Nous sommes à l'heure du zapping, rien ne s'écoute en profondeur, on se contente d'un refrain à chantonner, puis on passe à un autre. L'album, l'oeuvre musicale n'existent plus. Ce sont désormais des objets de nostalgies, des souvenirs que l'on ravive afin de relever les compteurs. Les rééditions sont achetées par les amateurs désormais sexagénaires et par quelques initiés trentenaires. Les générations suivantes se repaissent d'Electro, de musiques urbaines, sonorités de leur époque, sans se soucier si ces musiques disposent d'une âme. On écoute en club, en soirée, sur son smartphone, d'une oreille distraite.

On ne cherche plus le sens profond d'une musique, ce qu'elle peut véhiculer comme sentiments, quelle corde elle fait vibrer en nous. Elle doit être clinquante et dansante, clichesque pour être facilement assimilable. L'écoute de l'album, assis, concentré dans son canapé, avec le casque haute définition sur les oreilles en décortiquant la pochette est terminée. Notre monde est celui de la consommation, et la Soul, le Jazz, le Rock et le Blues ne sont plus qu'une affaire d'initiés barbants et grisonnants. Si le refrain catchy n'arrive pas au bout d'une minute, on s'ennuie et on zappe.

A quoi bon un disque de Blues en 2017 ? C'est une question quasi-philosophique. Je ne peux me résoudre à ce que cette musique finisse dans les abysses de l'oubli avec une telle puissance émotionnelle en elle. Quelle musique moderne a cette force humaine intrinsèque ? Pas beaucoup assurément. Seul le Stoner-Rock et le Doom-Metal poursuivent à leur manière l'oeuvre magique de la musique ancestrale : véhiculer des émotions, faire ressentir la musique au plus profond de l'auditeur, lui parler, aller chercher en lui ses souvenirs, l'interroger, le faire voyager intérieurement. Y a-t-il encore de la place dans le spectre sonore du 21ème siècle pour la voix et la guitare de John Lee Hooker. Ce poète urbain, analphabète, parfait autodidacte en tout, sut atteindre par sa sincérité le coeur des mélancoliques du monde entier. Il y a toujours quelque chose de nous dans la musique comme dans les textes de John Lee Hooker. Ses constats simples, cinglants comme des coups de ceinture sur la chair noire, ces sentiments humains qui se déchirent sous le joux du quotidien, s'entrechoquent avec les joies brèves et illusoires du sexe et de l'alcool. John Lee Hooker avait un coeur immense, et l'oeil acéré pour repérer la situation qui parle au plus grand nombre.

Au début des années soixante, John Lee Hooker est un vieux routard du Blues. Né en 1917, John Lee a cinquante ans, et déjà plusieurs vies derrière lui. De ce pasteur qui lui enseigna les rudiments de la guitare dans un jukejoint d'une plantation de coton vers Tupelo, dans le Mississippi, jusqu'à ses premiers enregistrements à la fin des années quarante, seul avec sa guitare acoustique et son mocassin battant la mesure sur une planchette de bois. Il grave ses premières chansons, devenues de véritables pierres angulaires du Blues : “Boom Boom”, “Boogie Chillen”…. L'historien-musicologue retient souvent cette période, celle où John Lee joue son Blues de la manière la plus pure et la plus dépouillée, directement en provenance du bayou.

Hooker vit de boulots d'ouvriers, entre deux enregistrements pour des labels foireux et quelques sets dans les clubs noirs américains le week-end. A la fin des années cinquante, il ne se fait plus trop d'illusions sur l'éventualité de percer un jour et devenir un musicien professionnel. C'est au cours de cette période, résidant à Detroit, et travaillant dans les usines automobiles de la ville qu'il se convertit à l'électricité. Il branche sa guitare dans un amplificateur, et fixe une capsule de bière sous sa chaussure pour taper plus fort le rythme.

Le Blues revient à la mode en Europe, grâce à quelques initiés anglais, au début des années soixante. Alexis Korner et Cyril Davies convertissent toute une jeune génération de petits anglais à cette musique noire américaine puissante, qui, couplée à la vivacité du Rock des Beatles, pourrait donner des résultats particulièrement percutants. Ainsi vont apparaître les Rolling Stones, les Pretty Things, les Yardbirds, et puis tout le British Blues Boom. John Lee Hooker, par son jeu électrique percussif, séduit les jeunes anglais, tout comme le Blues de Muddy Waters et d'Howlin Wolf, les deux autres références incontournables. John Lee signe avec la major MCA, et se voit confier un groupe de jeune blanc-becs pour l'accompagner. Il poursuit alors l'électrification de sa musique.

Cela va bien évidemment diviser les amateurs, entre les puristes qui trouvent inconcevables que Hooker puisse jouer sa musique avec un groupe blanc sans la dénaturer. D'autres se réjouissent que le bluesman puisse enfin accéder à un plus large public. Et John Lee en est le premier satisfait. Il se voit accompagner par les meilleurs groupes anglais en Europe : les Groundhogs, les Yardbirds, John Mayall…. Il n'en revient tout simplement pas de soulever un tel enthousiasme, lui qui n'est qu'un modeste musicien de Blues survivant de petits boulots.

Si il me fallait choisir un de ces excellents disques MCA, je choisirais incontestablement Serve You Right To Suffer de 1966. Le son est sublime, l'accompagnement simple et juste. John Lee Hooker est particulièrement mis en valeur : sa guitare est prédominante, sa voix également. David Francis tient la batterie et Milt Hinton la basse. Joseph Barry Galbraith vient seconder toute en discrétion le patron. L'enregistrement a été réalisée sur le vif, tel que le conçoit Hooker : en direct en studio. Une journée suffira, le 23 novembre 1965, pour capter ces huit morceaux à New York. Toute les compositions sont de Hooker, excepté un morceau Soul de Berry Gordy : “Money”.

“Shake It Baby” est un superbe Boogie, au tempo impeccable, sur lequel Hooker montre toute l'étendue de sa maîtrise sur ce genre de morceau. Il écrit ici les tables de la loi du Boogie qui serviront aux Rolling Stones, à Status Quo ou à AC/DC. “Sugar Mama” est une autre merveille, plus lente et amère, qui servira de matériau de base à Rory Gallagher pour son trio Taste. Les Blues lents sont tous sublimes : le poignant “Decoration Day”, “Serve You Right To Suffer”… La reprise de “Money” est trépidante. Totalement déconnectée de sa source Soul Motown, Hooker conserve un trombone, mais en fait un dangereux Blues rageur, s'appropriant avec talent le morceau, lui qui rechignait à jouer les chansons des autres. John Lee ne se sentait jamais plus à l'aise qu'avec ses compositions. Il fallait que la chanson lui parle, qu'elle évoque ses souvenirs afin de pouvoir s'y immerger totalement.


Par la suite, les musiciens psychédéliques américains vont venir lui prêter main forte : Canned Heat en 1970, Steve Miller et Al Kooper en 1971, Van Morrison en 1972. John Lee Hooker va connaître une renaissance populaire au cours des années 80 et 90, reconnaissance tardive mais méritée d'un homme qui sut rendre magique chaque disque avec ses chansons, sa voix et sa guitare inimitable.

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1 commentaire:

Malvers a dit…

Moi je n'ai pas trente ans Budgie! J'ai pas les cheveux gris non plus! J'écoute john lee Hooker depuis le lycée... Et cet été j'ai fait danser sur plusieurs de ses chansons ainsi que celle de junior kimbrough!! Faut oser l'imposer... mais ça reste une superbe musique pour danser! Alors certes ça déstabilise certains qui retiennent des chorées automatiques qui vont bien sur toute la merde électronique... Mais pour des gens qui laissent venir les émotions, c'est la meilleure des musiques... et je ne me fais pas de soucis pour le Blues! C'est lui qui résonnera quand on aura plus d'électricité pour maintenir cette aliénation... Et y a pas mieux qu'un couloir d'hôpital pour dégainer son harmonica et secouer d'un air à la little Walter, la mort triste qui y règne au risque de prendre un blâme! Parole d'infirmier! Bon courage Budgie et merci pour tes chroniques....
Pour ma part, de john lee hooker, le morceau dont je ne peux me passer ... tupelo mississippi... sur chill out ( qui contient Talkin' the blues et d'autres merveilles acoustiques...)