"UFO joue crade, la
tête dans les étoiles."
UFO : UFO 1
1970
UFO est pour
toujours le groupe d'un rouquin aux yeux bleus campé sur son pied de
micro, un bassiste grand et élastique la basse sur les genoux, un
batteur frisé planqué derrière ses fûts, et puis un guitariste
élancé et diaphane, courbé sur une guitare en forme de flèche,
une Gibson Flying V. Il y avait aussi un cinquième type à la
guitare rythmique et aux claviers, mais on l’oublie souvent. Ce qui
fit la marque de fabrique absolue, c'était ce fameux guitariste, un
certain Michael Schenker, jeune garçon de Hannovre d'à peine seize
lorsqu'il intégra le groupe en 1973. Son lyrisme musical, que ce
soit dans les compositions comme dans les soli, était unique, et en
fut une influence majeure du Heavy-Metal mondial, copié mais jamais
égalé. Il fut à tel point important dans l'histoire de UFO qu'il
en éclipsa son successeur comme son prédécesseur. Car le groupe
anglais avait déjà une histoire avant 1973, avant l'ange blond.
Formé
en août 1969 par le bassiste Pete Way et le chanteur Phil Mogg, le
groupe a pour but initial de
jouer du Blues-Rock lourd et psychédélique. Rapidement, un
troisième comparse se joint à la batterie : Andy Parker. Le
groupe s'appelle Hocus Pocus, et les guitaristes se succèdent, mais
ne restent pas. Mick Bolton sera le bon. Ils deviennent UFO, en
hommage à la salle de concert mythique de Londres où se produit
tout l'underground Heavy
et psychédélique.
Les quatre musiciens sont des speedfreaks, ils aiment la musique,
l'acide, l'alcool et les filles. Ils n'ont pas beaucoup de technique,
mais ils sont jeunes et ont
de l'énergie à revendre.
D'ailleurs ils se sont tous rencontrés
à des concerts ou à des
fêtes. Ils signent sur une filiale du label DECCA, Beacon Records en
1970, et publie UFO 1
dans la foulée. Le disque est plutôt fraîchement accueilli par la
critique. Considéré comme un ersatz britannique de Grand Funk
Railroad, réputé pour être bruyant mais pas bien fin, le quatuor
essuie les plâtres malgré un disque vigoureux et roboratif. Mais
comparé aux modèles du genre, Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep
Purple, ils sont carrément à la ramasse. Leur boogie hargneux ne
trouve pas d'oreille attentive sur leur terre natale.
UFO pratique
effectivement ce que l'on peut qualifier de Heavy-Rock psychédélique,
ou spatial, c'est-à-dire inspiré des mélodies du psychédélisme
de la fin des années 60, mêlées à un Blues-Rock simplifié et
alourdi, jouées avec les amplificateurs poussés au rouge. On
retrouvera ce type de musique aussi bien chez les Anglais avec
Hawkwind, Pink Fairies, ou Status Quo, que chez les Allemands avec
une partie non négligeable du Krautrock. Nos quatre gaillards sont
des garnements turbulents, jouant pied au plancher un Rock acide,
furieusement addictif. Il n'est même pas question d'essayer d'aller
chercher Led Zeppelin sur leur terrain. Ils ne sont pas des
virtuoses, et n'ont pas de projet musical réfléchi. Ils jouent ce
qu'ils aiment avec une spontanéité et une ferveur qui les rend
incroyablement attachants et sympathiques.
« Boogie For
Georges » débute par un larsen sifflant à travers les
enceintes. La guitare décoche un riff dégueulasse, dégoulinant de
saturation et de wah-wah. UFO joue crade, la tête dans les étoiles.
La basse de Pete Way a un rôle prédominant, comme une guitare
rythmique derrière les envolées de Bolton. Cela est
particulièrement flagrant le furibard « Thimothy » :
Way tient le riff à la basse, la guitare se contentant de balancer
de grands power-chords. Parker matraque une rythmique d'enfer,
presque Punk. Bolton prend aussitôt la relève par un thème
psychédélique sous influence Move. Le groupe joue sur l'énergie,
l'influence des Who est majeure.
« C'Mon
Everybody » va davantage chercher du côté d'un des premiers
grands groupes du Heavy Music : Blue Cheer. Ces derniers avaient
brillé grâce à une reprise du pionnier du Rock'N'Roll, Eddie
Cochran : « Summertime Blues ». UFO se lance dans
une autre reprise du même musicien, là aussi en jouant à fond la
carte d'une interprétation sauvage, matraquant la rythmique, et
usant d’une guitare débordante de distorsion. Cette version,
excellente, est tout à fait dans l'esprit du Rock des années 50,
sans concession, et ne sera battue que par la version ultime proposée
par Humble Pie en 1972 sur Smokin. Une seconde reprise
millésimée apparaît sur cet album : « Who Do You Love »
de Bo Diddley. Il s'agit d'une version fleuve de plus de sept minutes
faisant la part belle aux improvisations psychédéliques de Bolton
sur une rythmique tribale de batterie et de basse. Les chorus sont
sinueux et lysergiques, résultats d'improvisations répétées sur
scène, parfaitement contenues sur cette version en studio.
Si ces deux
emprunts montrent l'attachement clair de UFO au Rock originel des
années 50, d'autres morceaux s'aventurent sur des espaces plus
inspirés par la musique Pop anglaise. Ainsi, « Treacle
People » et sa wah-wah gargouillante, poussée par une basse
épaisse, s'inspire autant de Cream que des premiers albums de Pink
Floyd. « Evil » s'inspire quant à lui des Pretty Things,
formation Rythm'N'Blues anglaise oubliée des années 60 ayant plongé
dans un Rock psychédélique tout à fait mésestimé.
Cet album fait
apparaître clairement les influences qui serviront de matériaux à
l'alliage magique du Hard-Rock mélodique à venir de UFO : du
Rock sans compromis et des mélodies Pop anglaises. Si Michael
Schenker réussira la fusion parfaite, Bolton possède un son plus
cru, plus sale. On sent que tous les instruments sont bien équilibrés
dans le mixage, la production renforçant le côté brut de
décoffrage du disque. Tout ce qui fait le charme de cet album sont
ces saveurs psychédéliques et Heavy-Blues qui rend la musique
ancrée dans leur époque, mais sans concession. L'innocence des
musiciens, leur envie de jouer, l'énergie transcendent les morceaux.
Le successeur à ce premier essai, Flying - UFO 2, ira
encore plus loin dans les improvisations électriques. UFO 1
ne connaîtra pas le succès escompté, et la Grande-Bretagne ne
prêtera guère attention à la musique de UFO, bien trop occupée
par le Hard-Rock, le Rock Progressif, et les débuts du Glam.
Par
miracle, UFO devient populaire en Allemagne et au Japon. Chez les
premiers, « Boogie For
Georges », de UFO 1 se
classe n°30 et « Prince Kajuku », de
Flying – UFO 2,
n°26. Chez les seconds, « C'Mon Everybody » du premier
album est un hit énorme. UFO tournent donc dans de petits clubs dans
l'indifférence générale en Grande-Bretagne, et descend de l'avion
comme les Beatles au Pays du Soleil Levant. Les concerts font
néanmoins partout l'unanimité par la formidable énergie dont ils
font preuve. Véritables envolées d'électricité jaillissante, le
quatuor fait toujours le plein des salles qu'il parcourt.
Afin d'offrir un
témoignage de leur furie scénique, le groupe enregistrera un
concert japonais, devant un public conquis et brûlant. Galvanisés
par cet enjeu, Way et Parker donnent tout, soutenant un Bolton
inspiré et un Mogg flegmatique. Malheureusement, l'album ne sera
publié qu'au Japon, et découragé, Mick Bolton s'en ira. Il sera
remplacé par Larry Wallis, futur Pink Fairies, et Bernie Marsden,
futur Whitesnake, pour quelques mois à chaque fois. Le courant ne
passe pas. Jusqu'à ce concert allemand où UFO est précédé par un
jeune groupe du nom de Scorpions, dont les guitares sont tenues par
deux frères : Rudolph et Michael. Le second émerveille
tellement Way, Parker et Mogg, qu'ils font croire à Schenker que
Marsden est retourné en Grande-Bretagne, les laissant en plan pour
le prochain concert.
En réalité, le rondouillard guitariste vient
de se faire débarquer quelques heures auparavant, ses trois
ex-acolytes étant totalement persuadé que l'adolescent est l'homme
qu'il leur faut. La suite va être l'ascension d'un immense groupe de
Hard-Rock, transfiguré par Michael Schenker, contre toutes attentes,
et conformément au sentiment du reste du groupe.
Néanmoins, ce
premier album engendre une écoute délicieuse, gorgé d’un Rock
revigorant qui fait mouche malgré les maladresses de l’innocence.
Et il montre combien UFO était un groupe efficace dès premiers
enregistrements, réussissant même à créer une passerelle
improbable entre Rock anglais et Krautrock.
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