jeudi 30 juillet 2015

UFO 1970

"UFO joue crade, la tête dans les étoiles."

UFO : UFO 1 1970

UFO est pour toujours le groupe d'un rouquin aux yeux bleus campé sur son pied de micro, un bassiste grand et élastique la basse sur les genoux, un batteur frisé planqué derrière ses fûts, et puis un guitariste élancé et diaphane, courbé sur une guitare en forme de flèche, une Gibson Flying V. Il y avait aussi un cinquième type à la guitare rythmique et aux claviers, mais on l’oublie souvent. Ce qui fit la marque de fabrique absolue, c'était ce fameux guitariste, un certain Michael Schenker, jeune garçon de Hannovre d'à peine seize lorsqu'il intégra le groupe en 1973. Son lyrisme musical, que ce soit dans les compositions comme dans les soli, était unique, et en fut une influence majeure du Heavy-Metal mondial, copié mais jamais égalé. Il fut à tel point important dans l'histoire de UFO qu'il en éclipsa son successeur comme son prédécesseur. Car le groupe anglais avait déjà une histoire avant 1973, avant l'ange blond.
Formé en août 1969 par le bassiste Pete Way et le chanteur Phil Mogg, le groupe a pour but initial de jouer du Blues-Rock lourd et psychédélique. Rapidement, un troisième comparse se joint à la batterie : Andy Parker. Le groupe s'appelle Hocus Pocus, et les guitaristes se succèdent, mais ne restent pas. Mick Bolton sera le bon. Ils deviennent UFO, en hommage à la salle de concert mythique de Londres où se produit tout l'underground Heavy et psychédélique. Les quatre musiciens sont des speedfreaks, ils aiment la musique, l'acide, l'alcool et les filles. Ils n'ont pas beaucoup de technique, mais ils sont jeunes et ont de l'énergie à revendre. D'ailleurs ils se sont tous rencontrés à des concerts ou à des fêtes. Ils signent sur une filiale du label DECCA, Beacon Records en 1970, et publie UFO 1 dans la foulée. Le disque est plutôt fraîchement accueilli par la critique. Considéré comme un ersatz britannique de Grand Funk Railroad, réputé pour être bruyant mais pas bien fin, le quatuor essuie les plâtres malgré un disque vigoureux et roboratif. Mais comparé aux modèles du genre, Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep Purple, ils sont carrément à la ramasse. Leur boogie hargneux ne trouve pas d'oreille attentive sur leur terre natale.

UFO pratique effectivement ce que l'on peut qualifier de Heavy-Rock psychédélique, ou spatial, c'est-à-dire inspiré des mélodies du psychédélisme de la fin des années 60, mêlées à un Blues-Rock simplifié et alourdi, jouées avec les amplificateurs poussés au rouge. On retrouvera ce type de musique aussi bien chez les Anglais avec Hawkwind, Pink Fairies, ou Status Quo, que chez les Allemands avec une partie non négligeable du Krautrock. Nos quatre gaillards sont des garnements turbulents, jouant pied au plancher un Rock acide, furieusement addictif. Il n'est même pas question d'essayer d'aller chercher Led Zeppelin sur leur terrain. Ils ne sont pas des virtuoses, et n'ont pas de projet musical réfléchi. Ils jouent ce qu'ils aiment avec une spontanéité et une ferveur qui les rend incroyablement attachants et sympathiques.
« Boogie For Georges » débute par un larsen sifflant à travers les enceintes. La guitare décoche un riff dégueulasse, dégoulinant de saturation et de wah-wah. UFO joue crade, la tête dans les étoiles. La basse de Pete Way a un rôle prédominant, comme une guitare rythmique derrière les envolées de Bolton. Cela est particulièrement flagrant le furibard « Thimothy » : Way tient le riff à la basse, la guitare se contentant de balancer de grands power-chords. Parker matraque une rythmique d'enfer, presque Punk. Bolton prend aussitôt la relève par un thème psychédélique sous influence Move. Le groupe joue sur l'énergie, l'influence des Who est majeure.
« C'Mon Everybody » va davantage chercher du côté d'un des premiers grands groupes du Heavy Music : Blue Cheer. Ces derniers avaient brillé grâce à une reprise du pionnier du Rock'N'Roll, Eddie Cochran : « Summertime Blues ». UFO se lance dans une autre reprise du même musicien, là aussi en jouant à fond la carte d'une interprétation sauvage, matraquant la rythmique, et usant d’une guitare débordante de distorsion. Cette version, excellente, est tout à fait dans l'esprit du Rock des années 50, sans concession, et ne sera battue que par la version ultime proposée par Humble Pie en 1972 sur Smokin. Une seconde reprise millésimée apparaît sur cet album : « Who Do You Love » de Bo Diddley. Il s'agit d'une version fleuve de plus de sept minutes faisant la part belle aux improvisations psychédéliques de Bolton sur une rythmique tribale de batterie et de basse. Les chorus sont sinueux et lysergiques, résultats d'improvisations répétées sur scène, parfaitement contenues sur cette version en studio.
Si ces deux emprunts montrent l'attachement clair de UFO au Rock originel des années 50, d'autres morceaux s'aventurent sur des espaces plus inspirés par la musique Pop anglaise. Ainsi, « Treacle People » et sa wah-wah gargouillante, poussée par une basse épaisse, s'inspire autant de Cream que des premiers albums de Pink Floyd. « Evil » s'inspire quant à lui des Pretty Things, formation Rythm'N'Blues anglaise oubliée des années 60 ayant plongé dans un Rock psychédélique tout à fait mésestimé.
Cet album fait apparaître clairement les influences qui serviront de matériaux à l'alliage magique du Hard-Rock mélodique à venir de UFO : du Rock sans compromis et des mélodies Pop anglaises. Si Michael Schenker réussira la fusion parfaite, Bolton possède un son plus cru, plus sale. On sent que tous les instruments sont bien équilibrés dans le mixage, la production renforçant le côté brut de décoffrage du disque. Tout ce qui fait le charme de cet album sont ces saveurs psychédéliques et Heavy-Blues qui rend la musique ancrée dans leur époque, mais sans concession. L'innocence des musiciens, leur envie de jouer, l'énergie transcendent les morceaux. Le successeur à ce premier essai, Flying - UFO 2, ira encore plus loin dans les improvisations électriques. UFO 1 ne connaîtra pas le succès escompté, et la Grande-Bretagne ne prêtera guère attention à la musique de UFO, bien trop occupée par le Hard-Rock, le Rock Progressif, et les débuts du Glam.
Par miracle, UFO devient populaire en Allemagne et au Japon. Chez les premiers, « Boogie For Georges », de UFO 1 se classe n°30 et « Prince Kajuku », de Flying – UFO 2, n°26. Chez les seconds, « C'Mon Everybody » du premier album est un hit énorme. UFO tournent donc dans de petits clubs dans l'indifférence générale en Grande-Bretagne, et descend de l'avion comme les Beatles au Pays du Soleil Levant. Les concerts font néanmoins partout l'unanimité par la formidable énergie dont ils font preuve. Véritables envolées d'électricité jaillissante, le quatuor fait toujours le plein des salles qu'il parcourt.

Afin d'offrir un témoignage de leur furie scénique, le groupe enregistrera un concert japonais, devant un public conquis et brûlant. Galvanisés par cet enjeu, Way et Parker donnent tout, soutenant un Bolton inspiré et un Mogg flegmatique. Malheureusement, l'album ne sera publié qu'au Japon, et découragé, Mick Bolton s'en ira. Il sera remplacé par Larry Wallis, futur Pink Fairies, et Bernie Marsden, futur Whitesnake, pour quelques mois à chaque fois. Le courant ne passe pas. Jusqu'à ce concert allemand où UFO est précédé par un jeune groupe du nom de Scorpions, dont les guitares sont tenues par deux frères : Rudolph et Michael. Le second émerveille tellement Way, Parker et Mogg, qu'ils font croire à Schenker que Marsden est retourné en Grande-Bretagne, les laissant en plan pour le prochain concert.
En réalité, le rondouillard guitariste vient de se faire débarquer quelques heures auparavant, ses trois ex-acolytes étant totalement persuadé que l'adolescent est l'homme qu'il leur faut. La suite va être l'ascension d'un immense groupe de Hard-Rock, transfiguré par Michael Schenker, contre toutes attentes, et conformément au sentiment du reste du groupe.
Néanmoins, ce premier album engendre une écoute délicieuse, gorgé d’un Rock revigorant qui fait mouche malgré les maladresses de l’innocence. Et il montre combien UFO était un groupe efficace dès premiers enregistrements, réussissant même à créer une passerelle improbable entre Rock anglais et Krautrock.
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