samedi 4 juillet 2015

BUDGIE 1980

"On sent que ce que joue Budgie est ancré dans leurs tripes, et que cette rage viscérale est celle de ces années de galère sans la moindre reconnaissance."

BUDGIE : Power Supply 1980

Le tournant des années 80 a été une période délicate pour de nombreux groupes à la carrière bien installée. Les excès de la vie sur la route ne sont pas pour aider à maintenir une créativité à toute épreuve après plusieurs albums, et autant de tours du monde. Qu'ils soient particulièrement populaires ou non, beaucoup de formations ont arrêté les frais à l'aube d'une décennie semble-t-il maudite.
Pour ce qui est des formations de Hard-Rock, l'arrivée dans les années 80 oblige un choix entre deux options : foncer tête baissée dans l'usage de synthétiseurs et les refrains mélodiques accrocheurs du hard-fm, ou alors tenter d'aller chercher les petits jeunes sur le terrain de la violence métallique, au risque de se ridiculiser dans un son bourrin mal dégrossi et maladroit. Certains franchiront le pas merveilleusement, comme Black Sabbath, d'autres pataugeront lamentablement, comme Uriah Heep .
Budgie, trio de gallois fondé à la fin des années 60, forge son acier depuis sept albums. Après quatre premiers essais remarqués par les amateurs comme une vraie alternative ultra-violente à Black Sabbath, Budgie semble toucher du doigt le succès avec les excellents In For The Kill en 1974 et Bandolier en 1975, qui se hissent respectivement à la 29ème et à la 36ème place des charts britanniques.
Mais le Pub-Rock puis le Punk naissant vont ratatiner ses fruits balbutiant pourtant cueillis après des années d'un travail acharné à tourner consciencieusement et enregistrer ce qui est déjà une œuvre musicale plus que digne d'intérêt. Déçu mais pas découragé, Budgie repart en studio, et après quelques balbutiements sur Bandolier, décide d'injecter une dose sérieuse de Soul-Music dans son Heavy-Metal. A l'heure où le Disco fait des ravages sur les ondes comme dans la Rock-Music, le trio se révèle totalement crédible, et publie un excellent album : If I Were Britannia, I'd Wave The Rules en 1976. Et alors qu'il semble blacklisté dans une bonne partie des salles anglaises, comme beaucoup de ses camarades heavy comme les Groundhogs ou Stray, il décide de tenter le tout pour le tout et de partir sur le Continent américain afin de ratisser l'Amérique du Nord, plus ouverte aux sonorités dures en cette fin de décennie soixante-dix.
Un second album heavy and soul, Impeckable, poursuit la logique du disque précédent, et le groupe, quatuor sur scène avec un second guitariste dans ses rangs, Myf Isaac, continue ses assauts sur les scènes américaines. Progressivement, il se forge un public, et remplit des théâtres de cinq mille personnes sur son seul nom. Mais les ventes de disques ne suivent pas. Fatigué par dix années sur la route, et désireux de se consacrer à sa famille, Tony Bourge, guitariste historique et forgeron du son Budgie, quitte le groupe. Péniblement remplacé au pied levé par le pourtant talentueux Rob Kendrick, ex-seconde lame du tout aussi talentueux Trapeze, le trio poursuit sa campagne américaine.
Après trois années d'intense labeur non-stop, Budgie revient en Grande-Bretagne épuisé, ruiné, et sans guitariste. Burke Shelley, bassiste-chanteur, est le seul survivant du band original. A ses côtés se tient, fidèle à son poste, le batteur Steve Williams, en charge des fûts depuis 1975. A leur retour en 1979, la Grande-Bretagne a bien changé. Le Punk s'est mué en New Wave aux sonorités synthétiques. Mais la colère de la jeunesse n'est elle pas retombée. Margaret Thatcher a commencé son œuvre, et ce sont des gamins toujours avides de décibels qui viennent se presser dans les salles de concert pour écouter des musiciens... à cheveux longs. Car le Heavy-Metal est de retour.
Une nouvelle vague de groupes, parmi lesquels Iron Maiden, Def Leppard, Saxon ou Tygers Of Pan-Tang, reprennent à leur compte le Heavy des années 70. A leurs côtés, et bénéficiant de ce vent nouveau, de valeureux guerriers profitent de l'occasion pour se faire entendre. Parmi eux, on distingue Judas Priest, Whitesnake, Motorhead, ou encore Thin Lizzy. Si cette nouvelle vague leur permet d'être dans la lumière, aucun d'entre eux ne sera de purs opportunistes, tentant de durcir leur musique et de revêtir un blouson de cuir pour vendre quelques disques de plus. Les faits sont là, leur opiniâtreté a payé, et enfin se distingue pour eux un succès et une reconnaissance bien méritée.
Pour ce qui est de Budgie, il en sera autrement. Eloignés de la Grande-Bretagne, ils ont coupé le contact pendant deux années cruciales. Mais acculés, de la colère et de l'amertume plein la gorge, Shelley et Williams ne pouvaient qu'exploser, eux qui avaient déjà fait résonner les murs de leur Hard féroce.
Après quelques auditions, un guitariste est trouvé : Il s'appelle Big John Thomas, et provient d'un groupe de Hard-Blues teinté de couleurs sudistes, le Georges Hatcher Band. A eux trois, ils signent, humiliation suprême, avec une filiale de leur ancienne maison de disques : MCA. En guise de hors d'oeuvre, ils dégainent un EP de quatre titres au titre aussi poétique qu'évocateur de l'état d'esprit : If Swallowed, Not Induced Vomiting. Sur ce rond de cire daté du mois de juillet 1980, on trouve quatre uppercuts musicaux d'un Heavy-Metal rugueux et sans concession. On y distingue les influences d'AC/DC et de Judas Priest, soit des riffs sans concession sur un tempo d'enfer. Le chant de Shelley s'est teinté d'un voile rauque, lui faisant perdre cette sonorité d'enfant malsain qui était la sienne aux débuts des années soixante-dix. La batterie de Williams est puissante et carrée, et les riffs de Thomas, saignant à souhait.
Mais au grand jamais on ne distingue de quelconque pastiche d'une valeur montante du Heavy. On sent que ce que joue Budgie est ancré dans leurs tripes, et que cette rage viscérale est celle de ces années de galère sans la moindre reconnaissance. Le trio a resserré les boulons, et a décidé de pratiquer un Hard puissant et sauvage, nettoyé de ses velléités progressives ou soul passées. Ce EP arrive en tout cas juste à temps pour permettre à Budgie de participer à l'édition 1980 du Festival de Reading, délivrant un set décapant. Cette édition historique verra la New Wave Of British Heavy-Metal prendre le contrôle avec Angel Witch, Iron Maiden, Praying Mantis ou Samson.
Budgie se lance également à l'assaut des salles anglaises, notamment en première partie du Blizzard Of Ozz d' Ozzy Osbourne, et se forge à la force du poignet un nouveau public. Ils sont aidés en cela par plusieurs des nouveaux chevaliers métalliques, dont beaucoup sont en fait des fans devenus musiciens, comme Steve Harris d'Iron Maiden.
Un nouvel album est enregistré, et son nom ne laisse aucun doute sur les aspirations du trio : Power Supply. Il paraît le 10 octobre 1980. Et il est parfaitement dans le lignée du EP qui servit de hors d'oeuvre. Dés « Forearm Smash », l'auditeur est pris à la gorge par un riff sale et méchant, à la tonalité très australienne. John Thomas le coiffe d'un superbe solo de slide parfaitement Blues et du plus bel effet. Cinq minutes et quarante secondes d'un trépignement frénétique, où la batterie puissante et précise de Steve Williams enfonce le clou.
Non content d'avoir confirmé leur penchant pour un Hard-Rock des plus agressifs, Budgie décide d'aller encore plus loin dés le second morceau. « Hellbender » est un intense brûlot de Heavy-Metal d'une méchanceté alors encore rarement atteinte. Dans la droite lignée de Judas Priest, avec une petite touche de folie meurtrière en plus, le trio opte pour la politique de la terre brûlée. Mid-tempo, s'emballant sous les coups d'accélérateur, « Hellbender » ronfle comme une grosse cylindrée. Ou plutôt comme un orage particulièrement menaçant. Le pourtant décapant British Steel de Judas Priest vient de se trouver un sérieux concurrent dans le registre de la brutalité. Le riff préfigure le Thrash à venir, y compris au niveau du solo, dont on sent poindre l'influence de Randy Rhoads. Budgie a en tout cas largement participer à accoucher ce qui sera le nouveau Metal des années 80, définitivement coupé de ses racines Blues.
Puisque du quintet clouté de Birmingham il fut question avec le morceau précédent, on en retrouve aussi un sérieux prétendant avec « Heavy Revolution ». Riff overdosé et tendu, tempo carré, massif, comme le pratique Dave Holland, et refrain hurlé montant dans les aigus, se dessinent toutes les caractéristiques du Heavy-Metal de Birmingham. Pourtant, le morceau carbure de tous ses cylindres, sans que l'on ait la sensation d'un mauvais pastiche avec une moue de dégoût. Bien au contraire, Budgie a parfaitement assimilé le nouveau son, et c'est ce dont il est question dans les paroles, cette révolution Heavy qui balance aux orties Punk et Disco, ces genres musicaux qui barrèrent la route au trio.
« Gunslinger » leur permet de retrouver une approche qui leur est plus personnelle : l'alternance de douceur et de violence. Mais une douceur toute relative, amère. La guitare électrique vient sonner la première semonce, avec un pont électrique épique avant l'emballement général dans un larsen fulgurant. Thomas se lance dans une cavalcade des plus lyriques, un solo magnifique, tenant autant de ZZ Top que d'AC/DC. Williams et Shelley maintiennent un feu nourri derrière la six-corde, avant que les trois musiciens stoppent brutalement la machine.
Il est alors temps de retourner le 33 tours vinyl. Après quatre morceaux aussi furieux, on aurait pu s'attendre à un répit. Mais il n'en est aucunement question. « Power Supply » est un nouveau missile envoyé à vive allure, tempo rapide, et riff martelé, aucun temps mort, et encore un chorus des plus savoureux de la part de John Thomas.
« Secret In My Head » permet aux trois musiciens de se lancer à nouveau dans un morceau plus ambitieux, sous forme d'alternance de tempos rapide et mid, et au riff aussi ambitieux que sauvage. On retrouve ce tempérament de sale gosse mélancolique qui faisait la saveur des premiers albums de Budgie. Mais avec une colère démultipliée. Le groupe a l'esprit vengeur, et ne se laisse pas longtemps abattre. Il reste menaçant et noir. Ce lyrisme dans l'émotion n'est pas sans rappeler une version métallique de Rory Gallagher. C'est aussi cette influence qui se dessine en filigrane derrière ce que l'on qualifiera de ballade de l'album : « Time To Remember ». Car si le trio ralentit un peu le rythme et les décibels sur les couplets, le refrain reste explosif. Le morceau semble hanté par « A Million Miles Away » du live Irish Tour 74, et transpire de toute l'amertume de la mélodie du bluesman irlandais. Budgie ne tombe pas dans l'ornière de la chanson sentimentale pour danser le slow. Il est un maître dans ces morceaux maniant avec subtilité l'électricité et les climats.
De Blues, il en est encore question en filigrane derrière le lourd « Crime Against The World ». Une fois encore, c'est AC/DC qui sert d'influence, et particulier les albums Highway To Hell et Back In Black. Au point que ce morceau aurait presque pu y figurer tant il est à la fois Hard-Blues et délectable. Néanmoins, le son de la guitare s'avère plus lourd et métallique, sale et teigneux, si cela était encore possible. Le refrain est particulièrement contagieux, et fait de ce dernier morceau un hymne de scène parfait.
Pétri de colère, et revigoré par la nouvelle scène Heavy-Metal anglaise, Budgie offre un album en tous points parfaits, qui a su tirer tout le venin de ses nouvelles influences pour l'injecter dans sa propre musique. Malheureusement, le disque ne se classe pas dans les charts anglais. Toujours ignoré de la critique, il est considéré comme un groupe has-been en quête de reconnaissance et tentant de se raccrocher au wagon de la New Wave Of British Heavy-Metal. Alors qu'il est un contemporain de Thin Lizzy et Judas Priest, il ne bénéficiera pas du même retentissement médiatique. Par la suite, le groupe va injecter davantage de mélodie dans son Heavy-Metal, ce qui, couplé à un écumage en règle des salles, lui ouvrira à nouveau les portes des classements britanniques, fort modestement. La salve de canons que fut Power Supply a néanmoins permis à Budgie de revenir au premier plan musical et de prouver qu'il était toujours l'un des gangs les plus dangereux du pays.
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