"Cactus, c'est la bonne adresse que l'on
se refile entre camés de la musique heavy, et ce depuis les années
70."
CACTUS : « Restrictions »
1971
Appel au calme, tolérance, le vivre
ensemble, le respect.... les hommes politiques et les médias n'ont
que cela à nous rabâcher, avec leurs tronches de premier de la
classe. Et puis ces phrases philosophiques à deux balles que l'on se
refile sur les réseaux sociaux, maximes de moralité de supermarché
qui fleurent bon la démagogie mais bien peu le bon sens. Et pendant
ce temps-là, continuent la guerre au Moyen-Orient, le terrorisme, et
la violence que l'on ne voit pas, sociale, qui exploite, qui délaisse
des millions de gens en France et dans le monde, pour une poignée de
connards plein aux as et qui n'en ont jamais assez. Vous savez, les
mêmes qui appellent à la tolérance et au respect de la liberté.
Ras le bol de cette moralité de merde, deux coups de poing dans la
gueule oui !
Ca se réglait comme ça dans les
manifs, entre communistes et fachos, ou dans les bars du Sud de la
Floride ou du Texas. Deux claques et le débat était réglé. Il
semble que certains fins limiers de la bonne parole en mériteraient,
des coups de latte, ça permettrait de remettre les choses en place.
Mais comment peut-on tenir un discours
aussi radical, aussi violent ? La parole et la discussion avant
tout ! Le débat ! La violence ne résout rien ! Ben
si, disons que parfois un rapport de force s'impose. L'homme est
ainsi fait, des bonnes paroles plein la bouche, et pas un sou de
moral en poche.
En 1971, dans le milieu du Rock, le
respect de la parole donnée était le ciment essentiel de tout
accord, la plupart verbaux. Peu de contrats écrits, une poignée de
main suffisait. Et le promoteur qui avait le malheur de se tirer avec
la caisse et de se faire rattraper en prenait deux sur le coin de la
pomme. Pareil pour les vols de guitares. Toujours un fan pour
balancer le voleur, les roadies se chargeaient du reste. Tim Bogert
et Carmine Appice connaissaient bien cela, eux qui venaient de New
York, et dont le groupe, Vanilla Fudge, était en fait managé par la
mafia locale. Le quatuor bénéficiait ainsi par magie de matériel
neuf, de contrats et de tournées de prestige avec les plus grands,
eux qui étaient totalement inconnus en 1967 à leurs débuts.
Tim Bogert et Carmine Appice étaient
la section rythmique la plus redoutable de la fin des années 60, les
terrifiants rivaux des Keith Moon-John Entwistle des Who et John
Bonham-John Paul Jones de Led Zeppelin. Il fut un temps pressenti que
le nouveau Jeff Beck Group serait monté avec eux, mais Beck, fan de
vitesse, s'écrasa contre un arbre avec sa voiture de sport en 1970,
l'écartant de la scène pour une année particulièrement cruciale
pour la musique. Le futur Group ne vit donc pas le jour,et Bogert et
Appice prospectèrent des musiciens pour former un gang de
Heavy-Blues. New York s'allia alors avec la redoutable Detroit,
Motor-City. Jim MacCarty, guitariste des Detroit Wheels de Mitch
Ryder, et Rusty Day, chanteur des Amboy Dukes de Ted Nugent,
rejoignirent la brutale paire de Long Island.
Un contrat fut rapidement signé avec
Columbia, et Cactus publia deux albums redoutables, réponse
américaine à Humble Pie et Led Zeppelin. J'aurais pu commencer par
ces deux disques tant ils sont bons, mais mon cœur me dicta de
commencer par ce troisième et ultime disque du quatuor original. Et
ce pour la présence de deux fantastiques morceaux :
« Restrictions », et « Evil » de Howlin'
Wolf. Je découvris Cactus via une compilation, il y a bien des
années, leurs albums n'étant pas réédités. Et le premier morceau
était ce « Evil ». Je fus tellement impressionné par ce
morceau qu'il resta en écoute en boucle pendant plusieurs jours.
Comme « Whole Lotta Love » de Led Zeppelin. Une claque
dans la gueule, une vraie. Moi qui était à la recherche de musique
tord-boyaux virile, je fus judicieusement servi.
Cactus, c'est la bonne adresse que
l'on se refile entre camés de la musique heavy, et ce depuis les
années 70. Avec Johnny Winter, Montrose ou Budgie, ils faisaient
partie de ces gangs que l'on conseillait quand les albums de Led
Zeppelin et Humble Pie ne suffisaient plus. De ces disques de
hard-blues fulgurants, d'une évidente qualité, d'une puissance
incommensurable que tous ceux qui vibraient aux sons des guitares qui
rugissent et des batteries qui percutent savaient apprécier à leur
juste valeur. C'est ce qui réunit Bernie Bonvoisin et Norbert Krief
pour former Trust en 1977.
Dans les encyclopédies hard et heavy,
les mots pour décrire la qualité de leur hard-blues et l'ampleur de
l'injustice de leur insuccès ne se comptent plus. Pour les dandys
new-wave et punk branchouilles, par contre, ce sont de bons gros
ploucs barbus qui n'ont rien compris à l'essence du Rock engagé et
artistique. Mais comme à la vue des premiers, les seconds leur
auraient enfoncé la tronche à coups de bottes, on peut comprendre
le léger décalage culturel.
Cactus est un fantastique quatuor,
composés de quatre musiciens d'exception, et à la hargne décuplée
par la haine qu'ils se vouent en cette fin 1971. Car après deux
années ensemble, la plupart du temps sur la route ou en studio, les
musiciens ne se supportent plus. Et en particulier MacCarty et
Bogert. Le guitariste est au bord de la combustion totale. Il n'en
peut d'abord plus du jeu du bassiste, qui ne fait pas que suivre la
ligne rythmique, mais improvise en permanence, un peu comme Jack
Bruce dans Cream. Et il le fait en jouant plus fort que MacCarty. Le
guitariste doit donc assurer rythmique et solos sur scène. Afin de
l'aider dans cette tâche, un second guitariste, Ron Leejack, est
embauché, mais cela ne marche guère, l'égo et le brio de MacCarty
ne laissant guère de place à un second bretteur. Il fera une
modeste apparition sur ce disque à la slide sur « Token
Chokin' ».
Le guitariste ne supporte également
plus l'insuccès du groupe qui donne tout, et la consommation
grandissante de came de Rusty Day, qui de surcroît tient des
discours hautement politiques qui commencent à gêner sérieusement
la police. Au point que tout le monde est parti en taule à
l'aéroport en août pour la traditionnelle possession de dope,
prétexte à une petite mise au frais, Appice et Bogert n'étant pas
en reste non plus. C'est donc un groupe au bord du gouffre qui entre
en studio à l'Electric Lady de New York.
Pourtant c'est Jim MacCarty qui va
piloter ce nouvel album. En vrai puriste du Blues, il va faire en
sorte que Cactus se recentre sur ses fondations, et donnent le
meilleur de lui-même. La musique reprend donc sa place, le but étant
d'enregistrer avec le feeling et l'inspiration du moment. Et la magie
va opérer. L'ambiance est même excellente en studio. Day écrit
d'excellents textes d'inspiration politique, et les trois
instrumentistes improvisent à l'envie pour accoucher de très bons
morceaux, dont certains s'avèrent plutôt ambitieux et très écrits,
comme « Restrictions » ou « Guiltless Guilder ».
Le titre éponyme est ce que Cactus a
enregistré de plus proche de Led Zeppelin en terme d'écriture et
d'intensité. Mais le quatuor américain était un gang plus brutal,
avec des influences américaines propres à leurs origines :
Blues, Country, Rythm'N'Blues. Et contrairement à Led Zeppelin,
Cactus n'avaient pas vécu cela de loin, mais de très près, soit au
bord de la scène en spectateur, soit directement comme musiciens
dans les formations du genre. Ainsi, MacCarty avait joué avec les
Detroit Wheels. Bogert et Appice avaient tourner deux fois à travers
les USA avec Vanilla Fudge aux côtés du Jimi Hendrix Experience.
Rusty Day chantait dans des groupes de Blues, et fréquentait les
White Panthers du MC5. Bref, un cocktail détonnant et pas chiqué,
là ou les hommes du Led Zeppelin avaient vécu cela en petits
britanniques érudits, certes passionnés, mais ayant vu tout cela
par procuration via le British Blues Boom. Ils ne découvrirent cette
richesse musicale qu'en venant tourner aux USA. Et ne négligeons pas
l'apport incontestable du Folk britannique sur la musique de Page,
totalement absent chez Cactus. Led Zeppelin alla donc plus loin en
terme d'écriture, là où Cactus un quarteron de dangereux boogiemen
proches de leurs racines musicales. En cela, Cactus était un peu
entre le Zep et Humble Pie, ce dernier s'étant lui aussi perdu à
vouloir trop coller à ses inspirations soniques initiales.
Pour l'heure, MacCarty est conscient
que jouer du bon hard-blues puissant ne suffit plus dans un univers
musical envahi par le Rock progressif et le Hard-Rock de Led Zeppelin
comme de Deep Purple. Il va donc tenter de pousser son groupe à
offrir un disque à la fois proche de ses valeurs, et montrant
davantage d'ambition artistique. Ce qui sera le cas. MacCarty utilise
notamment sur cet album sa technique guitaristique à fond afin de
créer des sonorités originales. Il fut d'ailleurs considéré comme
le Hendrix de la Les Paul Gibson. En particulier en la branchant dans
un petit ampli Fender, lui même ré-amplifié sur une rampe de
Marshall 100W. Ce qui lui permettait d'obtenir ses chorus saturés et
aigus, modulant à l'envie les notes de sa guitare sans perdre en
précision, ce qui était le cas de la Les Paul, au gros son gras et
au sustain naturel excellent pour obtenir un gros son, mais manquant
un peu de précision pour les esthètes un brin maniaques comme
Ritchie Blackmore, Jeff Beck ou Rory Gallagher. MacCarty sut garder
la puissance de la Gibson, tout en obtenant de la précision dans les
aigus quand il le désirait. Mais même sans son petit ampli l'homme
était un sacré virtuose, au feeling Blues désarmant, dans la
lignée d'un Johnny Winter.
Que dire de la section rythmique,
absolument increvable. Bogert, en fait un chouïa moins niveau
esbrouffe, et se fond mieux dans les morceaux, ce qui apportent de la
profondeur. La voix rugueuse de Rusty Day, et ses interventions
d'harmonica, en fond un frontman sous-estimé, mais qui marqua les
esprits, puisque l'homme fut un temps pressenti pour remplacer
l'irremplaçable Bon Scott en 1980. Mais ses déboires judiciaires
pour trafic de drogues, qui le conduirent d'ailleurs lui et son fils
dans la tombe à la suite d'une fusillade en 1982, stoppèrent son
intégration. Mais il était clair que son talent au sein de Cactus
avait attiré l'oreille des frères Young lorsque Bon Scott leur fit
découvrir les disques du quartet américain à la fin des années
70.
« Restrictions », donc,
ouvre le disque. C'est un mid-tempo puissant, montant en puissance,
alternant tension et électricité. Les choeurs sur le refrain sont
excellents, car caractéristique intéressante, Bogert et Appice
tenaient le micro au sein de Vanilla Fudge, et sont donc des
chanteurs compétents. MacCarty s'offre une petite embardée à la
slide sur le pont central. Le solo le voit incorporé en soutien un
riff funk du plus bel effet. « Token Chokin » est pour ma
part le point faible du disque, un country-blues un braillard pas
suffisamment inspiré par rapport au reste du disque, bien que
plaisant.
« Guiltless Glider » est
une longue pièce de presque neuf minutes, lourde, noire, menaçante,
qui voit Cactus varier les tempos et les climats, tout en tension,
lançant chaque musicien dans des improvisations inspirées. On y
trouve un peu l'influence de certaines jams brillantes du Allman
Brothers Band, comme « Whipping Post ». MacCarty se
montre impérial de bout en bout.
Et puis vient l'obus du disque :
« Evil ». Cette reprise déstructure le morceau de
départ, et vous colle à chaque coups de caisse claire de grandes
taloches dans la gueule. Appice abat un travail de percussion
foudroyant : roulements de toms, arrêts et redémarrage du
tempo. MacCarty et Bogert repartent au quart de tour, et Rusty Day
hurle le Blues comme le vieux loup. Le solo suraigu de guitare vous
vrille avec délice les oreilles, véritable tornade sonique, avant
de vous broyer en calcinant le riff. C'est pour ma part la meilleure
reprise de ce morceau de toute l'histoire de la musique, lui
conservant à la fois son identité et lui donnant toute la furie
nécessaire.
On trouve aussi les fameuses
influences country-Blues typiques des groupes américains du genre :
le cool « Alaska » ou « Mean Night In Cleveland »
et son bel harmonica en sont les preuves caractéristiques. Quant à
« Bag Drag » et « Sweet Sixteen », ce sont
deux boogie puissants et moites, typiques du Heavy-Blues de l'époque,
en droite ligne de Mountain, ZZ Top et Humble Pie. Cactus était à
ce niveau, mais n'aura pas réussi à accéder à ce statut, sans
doute à cause des textes engagés contre la Guerre du Vietnam de
Rusty Day, pas très bien venues en cette époque Nixonienne.
La tournée qui suit la sortie de
l'album fut l'occasion d'enregistrer plusieurs gigs en vue de
réaliser un album live. Le groupe connaissant un fort succès sur
scène, et Humble Pie et le Allman Brothers Band ayant percé dans
les charts grâce à ce type d'albums, Cactus se dit qu'il s'agit là
de sa dernière chance, après les ventes encore modestes de
« Restrictions ». Mais les tensions sont à nouveau
telles que Jim MacCarty et Rusty Day s'en iront début 1972, juste
avant une prestation au Mary Y Sol Festival de Puerto Rico. Bogert et
Appice assemble un nouveau line-up une semaine avant le concert, et
une partie de cette prestation permettra d'assembler le très bon
« Ot'N'Sweaty ». Mais cela est déjà une autre histoire.
A ce moment-là, le quatuor magique qui produisit « Restrictions »
et ses deux prédécesseurs avait disparu, et avec naissait la
légende d'un groupe injustement mésestimé.
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4 commentaires:
Jamais compris pourquoi ce groupe n'est pas connu
C'était un groupe trop brut, pas assez consensuel. Ils n'ont rien révolutionné non plus, et ne faisait pas de scandale particulier. Ils étaient un quatuor compétent, ultra efficace, mais cela ne suffisait pas pour faire la différence. D'autres nazes comme Gary Glitter se sont faits remarquer avec des paillettes mais pas beaucoup de talent.
Le meilleur de Cactus, avec la 1ère face de "Ot'n' Sweaty".
Et en parlant d'affirmer (ou d'appuyer) ses propos par les poings, Tim Bogert (malgré son air vaguement "baba") était un adepte du genre.
Un fichu caractère ; il pouvait partir au quart de tour (surtout lorsque l'on lui demandait de baisser le volume de son ampli) et monter rapidement dans l'rouge (au point de tenter s'affirmer physiquement).
Sa réputation le desservit pour sa carrière (alors que Carmine, lui, a pu jouer avec pratiquement tout le gratin).
Ah ce bon vieux Bogert ! Hormis Appice, on aura beau dire, tous talentueux mais tous de sacrées têtes de cons ah ah
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