vendredi 13 février 2015

SABBAT

 "« The Dwelling » est véritablement audacieux."
SABBAT : « The Dwelling » 1996

La lumière s'est éteinte. Les mains tâtent le sol et les murs à la recherche d'un repère. Mais ces derniers semblent si loin. L'angoisse monte, la tête tourne. Perdu. Le bruit du vent qui s'engouffre dans l'espace, ce froid glacial qui tombe sur les épaules. Et puis tout d'un coup, de furtives silhouettes blanchâtres traversent l'air, frôlant le visage, dans un courant d'air glacé. Elles tourbillonnent, et dans un silence pesant juste ponctué des sourds grommellements du vent, on perd l'équilibre, comme ivre. C'est la peur, une angoisse extatique, fulgurante, qui traversent les tripes. La fin prochaine approche , dans la solitude totale. C'est un cri de détresse face à la mort, un dernier sursaut de vie, comme un animal pris au piège qui tente de s'enfuir. La survie, coûte que coûte, rien d'autre ne compte.
Se faire peur face à ses angoisses. Celle de l'enfance qui disparaît, celle d'une société qui ne vous accepte pas telle que vous êtes. Conjurer la solitude, retrouver la force, la puissance que l'on a pas face à l'élite, le pouvoir : un professeur, les costauds de la classe, le patron, des collègues qui vous écrasent et vous harcèlent....
Le Hard-Rock et le Heavy-Metal s'est nourri de ces générations de kids qui avaient besoin d'exister et de se retrouver alors que la société ne leur laissait pas de place. Mais cette dernière sait fagociter ce qui lui résiste. Aujourd'hui, on peut acheter un tee-shirt Motorhead ou AC/DC chez H&M. Ces deux groupes signifiaient bien autre chose en 1980. Ils inspiraient le dégoût aux parents, et à la plupart des adolescents du lycée, idolâtrant davantage le disco mourant ou Indochine. Le grand public aime la variété. Ecouter AC/DC à cette époque, c'est être un vrai rebelle, le boutonneux au fond de la classe. Comme en 1970 avec Black Sabbath.
Mais durant les années 80, ce fut l'escalade. La New Wave Of British Heavy-Metal en Grande-Bretagne, et le Glam-Metal aux USA popularisèrent le Heavy-Metal aux oreilles du grand public, et le genre en lui-même ne faisait plus vraiment peur. Si Iron Maiden et Judas Priest gardaient leur public masculin pubère avec blousons en jeans à patches, Def Leppard et Motley Crue attiraient de la gamine en fleur à la recherche du frisson. Ils continuaient en cela la voie ouverte par le hard-mélodique de la fin des années 70, celui de Journey, Boston, Foreigner, ou Rainbow.
Aussi, le vrai amateur de Heavy-Metal a tenté de protéger sa communauté des ignares et des incultes. Et des musiciens surent à merveille souffler sur les braises de l'anti-conformisme et de la lutte contre l'uniformisation grand public. Les premiers furent les anglais de Venom, véritable fondateur du Metal dit extrême, les futurs Trash et Black Metal. Et puis ce fut la course à travers la planète : il y eut d'abord les suisses de Hellhammer, qui devinrent Celtic Frost. Aux USA, le Trash apparut, véritable filon de groupes notables, comme Slayer, Metallica, Metal Church ou Megadeth, suivi du Death-Metal avec Obituary ou Death. Et en Norvège apparut le Black-Metal avec Mayhem et Darkthrone. Peu à peu, il fallut jouer plus vite, plus fort, chanter plus furieusement, dans les aigus ou les graves, le growl. La production devait la plus crade possible, et l'imagerie, la plus sataniste et la plus gore. Au point de perdre de vue la musique et de plonger dans la folie la plus totale. On retint surtout du Black les têtes de porc écorchés, les églises en bois brûlées, les meurtres et les références plus ou moins obscènes avec certaines théories pangermanistes ayant abouti au nazisme.
Durant les années 90, en bon adolescent solitaire et frustré, j'ai tenté de comprendre le genre Black-Metal. Moi qui était fasciné par Black Sabbath et Venom, les théories occultes d'Aleister Crowley et les recueils sorciers de Claude Seignolle, je tentai d'aimer cette musique. En vain. Tout cela me parut inepte du début jusqu'à la fin. Marduk, Emperor, Immortal, Dimmu Borgir, Cradle Of Filth, la musique de ces groupes me gênait. Les blasts de double-grosse caisse, les riffs en trémolo permanent, le chant de gargouille plus ou moins hystériques, ce trépignement permanent me satura. Je ne trouvais pas cela agressif ou effrayant, juste ridicule. Je n'y distinguai aucune puissance, aucun charisme, juste une bande d'allumés jouant au vampire pour faire peur à la voisine. Je ne trouvai pas de mélodie, pas de voix sortant de l'ordinaire, de musiciens hors-pair, pas de riff qui me faisait irrésistiblement secouer la tête. Pour moi, celui de « Paranoid » était bien plus puissant que n'importe quoi d'Immortal.
Ce qui me parut encore plus stupide, c'est que la référence absolue, Venom, était mille fois plus furieuse, plus puissante, plus métallique que tous ces groupes qui se revendiquaient du trio anglais. Sans compter qu'aucun ne présentait la moindre trace de sens de l'humour. Je posai donc ma limite sonique à Venom et au Trash américain du début des années 80. Le reste, écouté en long en large et en travers, n'avait aucun intérêt. Jusqu'à Sabbat.
Preuve de l'internationalisme du Metal, Sabbat est un groupe.... japonais. Fondé en 1983 sous le nom de Evil par le bassiste chanteur Masaki Tachi alias Gezol, il vivra par l'entremise d'une myriade de simples auto-produits aujourd'hui cultissimes. Je vous épargne la liste des musiciens qui vont se succéder pendant presque dix années aux côtés du seul Gezol, car cela n'a guère d'importance. Retenons que l'écoute de certains morceaux du milieu des années 80 prête à sourire, comme « Black Fire ». Le chanteur maîtrisant pauvrement l'anglais, on n'entend qu'un charabia aux fortes consonances nipponnes. Néanmoins, la musique interpelle déjà entre heavy-trash et des accélérations annonçant le black-metal. Ce sera d'ailleurs le fil conducteur : le groupe étant né dans le début des années 80, il conserve ses racines post-70's, et donc une certaine idée de la musicalité et de la mélodie. Sabbat ne plonge donc jamais dans la surenchère gratuite, et garde ses ancrages heavy-metal issu de Black Sabbath et de la NWOBHM. Pour ce qui est des costumes de scène, cartouchières, bracelets de force et compagnie, les racines sont identiques, tendance Venom en 1984, et pour Gezol en particulier, le slip en peau de bête de Cronos. Sauf que notre ami nippon est plutôt tendance string clouté du meilleur effet, d'un mauvais goût parfaitement assuré, et là, on retrouve aussi un peu de Anvil et de WASP.
La carrière du groupe prend une tournure plus sérieuse en 1991 avec la sortie d'un premier vrai album, « Envenom ». Le désormais trio compte le batteur Zorugelion et un vrai guitariste stable en la personne de Temis Osmond. Le temps n'ayant aucune prise sur sa musique, Sabbat est resté totalement étanche à l'évolution autour de lui, que ce soit le Death et le Black de la fin des années 80 comme l'arrivée du grunge aux USA. Poursuivant sa voie en totale autarcie, les albums d'excellente facture se succèdent jusqu'à celui-ci.
« The Dwelling » est véritablement audacieux. Il est en effet composé d'un morceau unique de 59 minutes : « The Melody Of Death Mask ». Curieusement, et ce n'est que pure coïncidence, paraît la même année la version écourtée de « Dopesmoker », « Jerusalem », l'album à morceau unique du titan sonique Sleep. « The Melody Of Death Mask » est une odyssée sonore aux multiples rebondissements, tableaux et changements d'ambiance métalliques : doom, heavy-metal, trash et accélérations black. C'est un monument, une cathédrale de riffs, de soli. Le chant de Gezol passe du timbre éraillé et punk à l'hystérie du possédé. La batterie, malgré des tempos parfois furieux, restent dan son jeu parfaitement ancré dans le heavy-metal des années 80, dont les racines sont bien celles du Rock des années 70. Pas d'esbrouffe, pas de débauche de matériel ni d'effet sonore. Preuve que ces garçons ont bon goût musicalement parlant, Gezol joue sur une bonne vieille basse Gibson EB3, la même que Jack Bruce. Et Osmond utilise, outre sa Jackson, des Gibson Flying V ou Les Paul Custom.
Mais si les instruments utilisés dénotent incontestablement des références musicales plus riches qu'il n'y paraît, cela n'enlève en rien le talent intrinsèque de ces trois musiciens. Sabbat est incontestablement un magistral pionnier de la scène trash-black, une de ces plus brillantes formations, et aussi une de ces plus ignorées. Force est de constater que le métal nippon a toujours prêté à sourire, même quand la reconnaissance semble poindre, comme pour Loudness au début des années 80. On se plaît à en rire, les considérant comme un public de passionnés mais aussi comme de mauvais ersatzs des grands groupes anglo-saxons, un peu comiques, avec leurs yeux bridés.
 Car si à partir de 1983, le Metal s'internationalise, avec les Danois de Mercyful Fate, les suédois de Candlemass, les brésiliens de Sarcofago ou Sepultura, ou les allemands de Destruction, tous ont.... des physiques européens. Les japonais.... bon.... difficile de s'identifier quoi..... Les meilleurs musiciens de l'île sont donc condamnés à rester dans l'ombre de ce monde du Rock qu'ils adulent mais qui les toisent d'un air hautain et arrogant. Leur ouverture d'esprit et leur passion sans limite pour le Rock font pourtant de leur musique l'une des plus riches en références visuelles et auditives. Church Of Misery est sans aucun doute l'un des meilleurs groupes de Doom 70's au monde, qui en a compris tous les codes, y compris les plus subtils.
Comme ces derniers, Sabbat continue, uniquement animé par la passion de la musique, pour un noyau de fans extrêmement restreint, mais qui a compris toute la qualité de leurs disques. « The Dwelling » surpassent de deux têtes tout ce qu'a pu sortir la quasi-totalité du Death-Black-Grind en terme de richesse sonore.
Malgré une musique que je qualifierai de hautement audible, il reste ce sentiment d’attirance/répulsion lié à ce genre, entre fascination de la noirceur et de la puissance de la musique, et un dégoût certain pour l’apparence outrancièrement vulgaire de ses musiciens.
On frissonne à l’entame de ce disque, avant de se laisser happer et laisser se décharger l’adrénaline noire qui nous consume. Un disque obscur assurément, un grand disque de Heavy-Metal dans tous les cas.
tous droits réservés

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Ouch ! J'me suis flingué une zoreille (ma curiosité me perdra). C'est pas mon truc, bien que j'avais bien aimé le 1er Metal Church. (j'étais plus jeune aussi...).

Mais pour en revenir aux nippons et l'injustice dont ils souffrent dans le monde musicale, je voudrais évoquer Savoy-Truffle. Un groupe de Southern-rock assez musclé (entre Gov't Mule et les Allman 90's) qui demeure, à mon sens, un des meilleurs du genre (tous pays confondus, et aussi bon en studio qu'en live) avec des opus sans fautes de goût, sans déchets. Mieux, ils peuvent battre sur leur terrain bon nombre d'"amerloques". Et sans forcer.

Julien Deléglise a dit…

Ça change de Rainbow hein ? Ah ah

Anonyme a dit…

Effectivement : pratiquement le jour et la nuit.

Anonyme a dit…

"(..) j'ai tenté de comprendre le genre Black-Metal (...) je tentai d'aimer cette musique. En vain. Tout cela me parut inepte du début jusqu'à la fin. Marduk, Emperor, Immortal, Dimmu Borgir, Cradle Of Filth, la musique de ces groupes me gênait. Les blasts de double-grosse caisse, les riffs en trémolo permanent, le chant de gargouille plus ou moins hystériques, ce trépignement permanent me satura. Je ne trouvais pas cela agressif ou effrayant, juste ridicule. Je n'y distinguai aucune puissance, aucun charisme, juste une bande d'allumés jouant au vampire pour faire peur à la voisine. Je ne trouvai pas de mélodie, pas de voix sortant de l'ordinaire, de musiciens hors-pair, pas de riff qui me faisait irrésistiblement secouer la tête. Pour moi, celui de « Paranoid » était bien plus puissant que n'importe quoi d'Immortal".

Anonyme a dit…

Lorsqu'on lit de telles inepties, on se dit que le Black Métal n'est pas fait pour vous. Que ce soit une musique difficile d'accès est une chose, qu'il y'ait des daubes et des clowns est un fait mais résumer ce style divers aux adjectifs que vous employez est délirant.
D'autant plus en se basant sur les noms cités. Certains étaient ultra mélodiques et plus accessibles comme Dimmu et Cradle qui faisaient la part belle aux guitares heavy et aux atmosphères envoutantes et ne blastaient pas à tout va..
D'autres plus brutaux comme Marduk se montraient plus sauvages mais en même temps parfaitement produit sans que cela ne ressemble à une bouillie indéfinissable.
Enfin Emperor, au style encore different et qui reçoit les mêmes adjectifs. Sérieusement comment peut-on oser dire "inepte ridicule et pour faire peur"?! Il n'y a pas besoin de plusieurs écoutes, ni même d'être initié au Black, pour ne pas saisir la grandeur et la majesté de ce groupe, ses atmosphères uniques, son originalité en terme de guitares et d'orchestrations. Ils sont unanimement reconnus comme étant un des groupes les plus ultimes qui soient et ce, bien au-delà de la scène black métal. De toutes façons, bien qu'ils appartiennent à la même famille, comparer des groupes comme ceux là dénotent une véritable incapacité à maîtriser le sujet (Dusk and her Embrace ça ressemble à Nightwing selon vous?).
Et pas de musiciens hors-pairs? Allons donc! Certains sont reconnus comme étant les meilleurs dans leur domaine, mais vous avez raison Ihsahn ou Trym ou encore Silenoz ne sont pas des virtuoses... Bref, de la part d'un allergique au métal passe encore mais de la part de qqun sur déclarant amateur de Sabbath jusqu'à Venom en passant par le Thrash allemand, cela fait halluciner. Cela n'a pas besoin de devenir votre sous-genre favori mais de grâce ne sortez pas de telles âneries qui déjà n'étaient plus possible dès 1996/1997 période à laquelle nombre de chef-d'œuvres étaient sortis et ou les groupes commençaient à se faire un nom hors des cercles de l'underground uniquement grâce à l'extrême qualité de leurs œuvres. M'enfin quand on préfère Sabbat à Emperor on peut tout simplement se demander si il y a encore de l'espoir. À ce titre le Sabbat Anglais avec Martin walkyer était bien plus intéressant... Si vous aimez les Japonais écouter plutôt Sigh, le meilleur groupe nippon de black métal, novateur ayant tjs remporté les suffrages. mais vous devez sûrement ne pas connaître....
Comment peut-on, alors que l'on s'en donne la peine, ne pas faire la différence entre les groupes, saisir les nuances en feeling, atmosphères et harmonies et penser que c'est pour jouer au grand méchant, surtout quand on a déjà un background métal?!!!! Mais oui vous avez raison, In the Nightside Eclipse, Cruelty and the Beast ou encore Spiritual Black Dimensions ne sont que des élucubrations d'ados attardés jouant à se faire peur.... Par pitié, réfléchissez avant d'écrire cela, sachant que même si on peut ne pas aimer car il faut avoir une disposition particulière pour, cela reste un style ayant enfanté certains des disques les plus fabuleux du métal. Je ne vous salue pas.

Julien Deléglise a dit…

Voilà un commentaire pour le moins long et virulent.
Ce que j'expose dans ma chronique, ce sont mes goûts, mon appréciation personnelle et mes goûts musicaux. Vous n'êtes pas obligés de les partager, comme j'ai le droit de ne pas m'extasier devant Emperor ou Immortal.
Je tiens également à vous dire que je n'aime pas non plus le Black Album de Metallica, ni The Wall de Pink Floyd, alors qu'ils ont été unanimement salués.
Tout ça pour dire que je donne mon avis, qui m'est propre, et que vous n'avez pas l'obligation d'y adhérer, car je ne prétends pas avoir le monopole du bon goût.
Dans ces pages, vous trouverez également des commentaires de lecteurs fidèles qui partagent mes goûts, mais ne comprennent pas mon enthousiasme pour Venom par exemple. Ils me le disent, ils en ont tout à fait le droit. Ça s'appelle le dialogue.
Je ne me sens donc pas obligé de trouver certains grands classiques du Black-Metal extraordinaires sous prétexte que beaucoup trouvent cela formidable. Je sais, c'est totalement fou.