"Sans doute que l'homme en
noir était bien plus inquiet qu'on ne le croit par rapport à sa
capacité à survivre à son départ de Deep Purple en 1975."
RAINBOW : « Straight
Between The Eyes » 1981
Ritchie Blackmore a
toujours exercé chez moi une fascination hors-normes. Prototype du
guitar-hero des années 70, il avait tout pour lui : le talent,
un style unique, un physique plutôt avantageux et une personnalité
ombrageuse laissant toutes les rumeurs courir. Avec Deep Purple puis
avec Rainbow, il construisit un hard-rock unique, mélangeant blues,
rock progressif et influences classiques. Les concerts étaient
toujours détonnants et furieux, portés par sa guitare, qu'il se mit
à prendre plaisir à fracasser sur scène régulièrement selon
l'humeur. L'homme était un spectacle à lui tout seul,tant sonore
que visuel, et bien peu se risquèrent à émettre le moindre doute
sur sa musique et ses prestations, bien peu ne souffrant de la
critique.
Mais Blackmore avait un
complexe. Son Rainbow à lui n'arrivait pas à briller aux USA. Lui
qui avait connu le succès mondial avec Deep Purple quelle qu'en soit
la mouture, le voilà bloquer aux frontières de la vieille Europe.
Certes, le succès y est assuré : de la Grande-Bretagne à
l'Allemagne, les salles sont pleines et les disques figurent dans les
Top 10 nationaux. Mais l'Amérique résiste au hard-rock furieux de
Blackmore. C'est à n'y rien comprendre, car la mouture première
avec Ronnie James Dio au chant fut qualifiée rapidement de véritable
successeur musical de Deep Purple, confortant l'idée que Blackmore
était bien le seul garant de la personnalité du quintet mythique.
Mais rien n'y fit, malgré une énorme tournée US en 1977 chargée
d'enfoncer le clou définitif.
Nonobstant des affinités
musicales et culturelles évidentes entre Dio et Blackmore, que ce
soit dans les références moyen-âgeuses fantasy des textes comme
des influences médiévales de la musique, les deux hommes stoppent
toute collaboration fin 1978.
Blackmore embauche Graham
Bonnet, dont il admirait la voix sur une chanson des Marbles en 1969.
Bonnet a un look plus moderne, veste de costard blanche, cheveux
courts peignés en arrière. Sa voix puissante se prête aussi bien
aux grands classiques de Rainbow comme à ces nouvelles chansons plus
accrocheuses que sont « All Night Long » ou « Since
You've Been Gone » sur le nouvel album, « Down To
Earth », qui paraît en 1979. Il a donc le double avantage de
ne pas choquer les fans historiques attachés à Deep Purple et au
hard-rock, tout en accrochant plus facilement les radios, notamment
américaines. David Coverdale connaîtra le même dilemme au début
des années 80 avec son Whitesnake.
Ce choix n'est pas
uniquement guidé par l'admiration initiale de Blackmore pour Bonnet.
Il s'avère que les Etats-Unis sont à la fin des années 70 dans
l'ère du rock dit FM, ou AOR pour Adult Oriented Rock. Tout groupe
de hard-rock désirant briller dans les charts US se doit de se
montrer complaisant mélodiquement parlant. Et si le physique d'un ou
plusieurs musiciens pouvaient accrocher la rétine des jeunes fans
féminines, ce serait un plus non négligeable. Ainsi, des groupes de
hard-rock américains historiques comme Blue Oyster Cult ou Kiss ont
clairement pris ce virage commercial, le premier avec « Don't
Fear The Reaper », le second avec « I Was Made For Loving
You ».
Mais il y a pire, si j'ose dire. Car de nouvelles
formations sont ouvertement déclarées Hard-FM : Boston,
Journey ou Foreigner sont les nouveaux héros Rock américains en
1979 : des mélodies commerciales, l'utilisation de
synthétiseurs, et des looks ultra-étudiés. Journey a enfin percé
grâce à l'arrivée de Steve Perry au chant en 1978, avec ses futals
blancs, son port de micro digne de Sacha Distel, et sa belle gueule.
Foreigner a décroché la timbale avec Lou Gramm, l'album « 4 »
et ses tubes du style « Urgent ». Blackmore rêve
secrètement de s'orienter vers ce Rock plus mélodique,aux refrains
efficaces, et à la couleur plus héroïque.
Graham Bonnet est viré à
la fin de la tournée en 1980 pour incompatibilité d'humeur avec
Blackmore. Cozy Powell part rejoindre le Michael Schenker Group et
laisse la place derrière les fûts à Bobby Rondinelli. Don Airey
prend les claviers, et Roger Glover a récupéré la basse en 1979
après une réconciliation entre anciens de Deep Purple après la
brouille historique de 1973. Il reste à trouver un chanteur. Fidèle
à son idée, Blackmore cherche un chanteur dans le style de Steve
Perry et Lou Gramm, dont le physique pourrait aussi être un plus.
Un jeune chanteur semble
faire l'affaire : il s'appelle Joe Lynn Turner. Il fait partie
d'un groupe du nom de Fandango, qui tente de percer dans le genre
AOR, sans succès. Et signe du destin, le guitariste de Fandango se
nomme …. Rick Blakemore.
Le garçon est du style
soucieux de son physique, limite gay : brushing blond décoloré,
sourcils épilés, bronzage aux UV, et attitude scénique un brin
danseuse. Il va subir toutes les moqueries possibles de la part des
musiciens de Rainbow et de son staff, mais le garçon a la protection
papale, celle de Blackmore.
Car la collaboration entre
Turner et Blackmore s'avère vite fructueuse. « Difficult To
Cure » qui paraît en 1981 atteint la tête des classements
anglais et perce dans les charts US, notamment par la chanson « I
Surrender »... qui n'est pas de Rainbow mais d'un compositeur à
succès, un certain Russ Ballard, comme « Since You’ve Been
Gone » sur « Down To Earth » d’ailleurs.
D'entrée, on constate un son plus léger, moins heavy. L'album
divise. Les fans historiques se tournent vers le hard-blues de
Whitesnake ou le hard-rock à orgue Hammond de Gillan. Mais un
nouveau public découvre Rainbow, appréciant les mélodies tout en
frissonnant à l'idée d'écouter un groupe catégorisé hard-métal.
Scéniquement, Rainbow ne baisse pas la garde, et joue lourd. Dans
tous les cas, les fans de Ritchie Blackmore restent fidèles, car la
guitare magique est toujours bel et bien là. Cela n'empêche pas
Rainbow de poursuivre dans cette voie, et ainsi paraît « Straight
Between The Eyes » en 1982.
Don Airey a été remplacé
par un autre beau gosse aux claviers, un certain David Rosenthal. Le
nom de l'album s'inspire d'une phrase de Jeff Beck à Ritchie
Blackmore décrivant la musique de Jimi Hendrix en 1967. La pochette
du disque fera du bruit, entre esthétisme hard-rock eighties criard
et esprits chagrins amateurs du style Hypgnosis des pochettes de Pink
Floyd. Virtuellement, il n'y a plus grand chose à attendre de ce
nouvel album. Les fans de Deep Purple et du Rainbow avec Dio sont
déjà partis en courant, les vrais amateurs de heavy-metal écoute
Iron Maiden, Judas Priest et Motorhead, et les amateurs de hard-AOR
jettent leurs dévolus sur Foreigner, Journey et bientôt Def
Leppard. Il reste à Rainbow à trouver sa place là-dedans.
Si « Difficult To
Cure » décontenança, il cache en fait par les à-prioris la
qualité de ce nouveau disque. Car « Straight Between The
Eyes » est en fait un album bien plus Rock que son
prédécesseur. La production y est plus crue. On y distingue bien
tous les instruments, captés sans effet superflu.
Le disque s'ouvre sur le
trépidant « Death Alley Driver ». Rainbow se reconnecte
au hard-rock de « Kill The King », mais avec la voix de
Turner qui rend la chanson plus accessible malgré les multiples
embardées de guitare et de vibrato de Blackmore. On pourrait croire
ce retour au hard-metal un peu téléphoné, mais sans être
profondément original, on sent que ce nouveau line-up de Rainbow,
qui restera miraculeusement à peu près stable pour les deux années
à venir (moyennant Rondinelli remplacé par Chuck Burgi en 1983), a
de l'agressivité à revendre.
En fait la vraie qualité
de ce nouveau Rainbow réside dans la musique mélodique. « Stone
Cold » mérite à lui seul l'achat de cet album. Un tempo de
batterie rapide, puissant et fin, un orgue léger et lointain, une
basse souple, une guitare enluminant la mélodie, et la voix affirmée
et claire de Turner. L'homme force peu. Il n'est pas un as des aigus.
Il chante, simplement, en suivant la ligne mélodique. Et « Stone
Cold » est une merveille, entre tristesse et mélancolie. Pour
atteindre l'émotion Blackmore usa longtemps de la grandiloquence :
de « Child In Time » avec Deep Purple à « Catch
The Rainbow » avec Rainbow, il fallut que l'homme en noir
appuya là où cela faisait mal avec insistance pour justifier son
propos. Agé de 37 ans en 1982, Blackmore est un homme mûr, qui a
déjà vécu plusieurs vies. La souffrance se fait lucide, tout en
réserve, pour ne pas réveiller de sales souvenirs. « Stone
Cold » permettra à Rainbow de décrocher un hit aux USA et
ainsi tourner en tête d'affiche dans les plus grandes salles. Ainsi,
Rainbow retrouve le statut qui fut celui de Deep Purple en 1974 avec
« Burn » et ses huit millions d'exemplaires vendus.
« Straight Beetween
The Eyes » est un disque plutôt rentre-dedans donc. Plusieurs
titres sont directs, sans fioritures, malgré une accroche mélodique
évidente, et la voix de Turner, calibrée pour les radios.
Curieusement, on retrouve même des colorations Blues-Rock :
ainsi « Tite Squeeze », « Tearin' Out My Heart »
et ses réminiscences de « Mistreated ». A ne pas
confondre avec « Miss Mistreated » qui figure sur cet
album, et dont la teinte est résolument New-Wave tendance heavy.
C'est par ailleurs une réussite, à la mélodie fouillée, et au
refrain héroïque contagieux.
« Power » est
un puissant hard-rock un peu bluesy. Le son du riff y est d'une
pureté incroyable, sans fioriture. Parlons-en de la guitare. Ritchie
Blackmore est brillant de bout en bout. Ayant abandonné les longues
improvisations, ils se concentrent sur des riffs impeccables, des
enluminures à base de petits chorus ponctuant les couplets, et des
solos courts mais redoutablement bien écrits, laissant autant la
part à sa virtuosité qu'à l'émotion.
Même dans les chansons les
plus évidentes comme ce simili-boogie qu'est « Rock Fever »,
tout est parfaitement en place. La production claire de Roger Glover,
désormais producteur attitré de Rainbow depuis son retour aux côtés
de Blackmore en 1979, met parfaitement en évidence chaque
instrument, et ne tombe surtout pas dans la surenchère des effets
stéréophoniques, laissant davantage parler les musiciens.
L'album se clôt sur
l'arabisant « Eyes Of Fire », résonnant de l'écho de
« Gates Of Babylon ». Son rythme rapide en forme de
cavalcade, ses arrangements de violons et de claviers en
arabesques....Bien que là encore, le Rock mélodique soit une
évidence, la complexité des arrangements et de la musique démontre
que Rainbow est toujours bien plus qu'un simple groupe de hard-rock à
tendance AOR. La puissance de la guitare de Blackmore y est sans
doute pour beaucoup, l'homme ayant trouvé un écrin parfait pour sa
six-corde. On le sent à l'aise, inspiré, fertile dans ce groupe à
la hauteur, et enfin reconnu à sa juste valeur.
Sans doute que l'homme en
noir était bien plus inquiet qu'on ne le croit par rapport à sa
capacité à survivre à son départ de Deep Purple en 1975. Si
l'homme, bravache, avait chanté que son ancien groupe ne lui
survivrait pas (ce qui fut finalement vrai, un an à peine après),
il ne savait pas si les fans le suivraient, et s’il serait capable
de former un groupe à la hauteur de Deep Purple. Il fit de superbes
étincelles d'entrée, mais ne retrouva la gloire internationale que
sept années plus tard. On est d'ailleurs en droit de se demander si
finalement la reformation de Deep Purple en 1984 fut une si bonne
idée que cela....
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3 commentaires:
Tiens !? Voilà un album que je ne m'attendais à trouver ici. "Rising" ne m'aurait guère surpris (superbe disque), voire un autre de la période Dio. Mais John Lynn Turner... j'aurais cru que ce n'était pas le style de la maison ("look limite gay", c'est certain).
"Straight between the eyes", album inégal mais sauvé par quelques perles.
Je me souviens que "Death Alley Driver" avait fait un petit tabac (du moins chez les amateurs de musique Heavy), soutenu par une vidéo. Haaa... super. On peut enfin voir la trogne de Blackmore à la téloche. Justice était rendue. Des potes avaient enregistré le clip sur VHS afin de décortiquer le solo du maître image par image.
Sacré clip effectivement, avec un Joe Lynn Turner superbement viril sur sa moto ahah.
Il y en avait eu d'autres, depuis l'album "Long Live Rock'N'Roll.
Je te donne le lien d'un site de fans, il y a tous les clips dans la rubrique vidéos.
http://www.rainbowfanclan.com/
Merci. Je ne connaissais pas ce site. Occasion de redécouvrir des clips bien kitchs (et d'autres jamais vus), avec des donzelles "excellentes" actrices...
Quel poseur ce Turner
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