lundi 2 février 2015

RAINBOW 1982

 "Sans doute que l'homme en noir était bien plus inquiet qu'on ne le croit par rapport à sa capacité à survivre à son départ de Deep Purple en 1975."
RAINBOW : « Straight Between The Eyes » 1981

Ritchie Blackmore a toujours exercé chez moi une fascination hors-normes. Prototype du guitar-hero des années 70, il avait tout pour lui : le talent, un style unique, un physique plutôt avantageux et une personnalité ombrageuse laissant toutes les rumeurs courir. Avec Deep Purple puis avec Rainbow, il construisit un hard-rock unique, mélangeant blues, rock progressif et influences classiques. Les concerts étaient toujours détonnants et furieux, portés par sa guitare, qu'il se mit à prendre plaisir à fracasser sur scène régulièrement selon l'humeur. L'homme était un spectacle à lui tout seul,tant sonore que visuel, et bien peu se risquèrent à émettre le moindre doute sur sa musique et ses prestations, bien peu ne souffrant de la critique.
Mais Blackmore avait un complexe. Son Rainbow à lui n'arrivait pas à briller aux USA. Lui qui avait connu le succès mondial avec Deep Purple quelle qu'en soit la mouture, le voilà bloquer aux frontières de la vieille Europe. Certes, le succès y est assuré : de la Grande-Bretagne à l'Allemagne, les salles sont pleines et les disques figurent dans les Top 10 nationaux. Mais l'Amérique résiste au hard-rock furieux de Blackmore. C'est à n'y rien comprendre, car la mouture première avec Ronnie James Dio au chant fut qualifiée rapidement de véritable successeur musical de Deep Purple, confortant l'idée que Blackmore était bien le seul garant de la personnalité du quintet mythique. Mais rien n'y fit, malgré une énorme tournée US en 1977 chargée d'enfoncer le clou définitif.
Nonobstant des affinités musicales et culturelles évidentes entre Dio et Blackmore, que ce soit dans les références moyen-âgeuses fantasy des textes comme des influences médiévales de la musique, les deux hommes stoppent toute collaboration fin 1978.
Blackmore embauche Graham Bonnet, dont il admirait la voix sur une chanson des Marbles en 1969. Bonnet a un look plus moderne, veste de costard blanche, cheveux courts peignés en arrière. Sa voix puissante se prête aussi bien aux grands classiques de Rainbow comme à ces nouvelles chansons plus accrocheuses que sont « All Night Long » ou « Since You've Been Gone » sur le nouvel album, « Down To Earth », qui paraît en 1979. Il a donc le double avantage de ne pas choquer les fans historiques attachés à Deep Purple et au hard-rock, tout en accrochant plus facilement les radios, notamment américaines. David Coverdale connaîtra le même dilemme au début des années 80 avec son Whitesnake.
Ce choix n'est pas uniquement guidé par l'admiration initiale de Blackmore pour Bonnet. Il s'avère que les Etats-Unis sont à la fin des années 70 dans l'ère du rock dit FM, ou AOR pour Adult Oriented Rock. Tout groupe de hard-rock désirant briller dans les charts US se doit de se montrer complaisant mélodiquement parlant. Et si le physique d'un ou plusieurs musiciens pouvaient accrocher la rétine des jeunes fans féminines, ce serait un plus non négligeable. Ainsi, des groupes de hard-rock américains historiques comme Blue Oyster Cult ou Kiss ont clairement pris ce virage commercial, le premier avec « Don't Fear The Reaper », le second avec « I Was Made For Loving You ».
Mais il y a pire, si j'ose dire. Car de nouvelles formations sont ouvertement déclarées Hard-FM : Boston, Journey ou Foreigner sont les nouveaux héros Rock américains en 1979 : des mélodies commerciales, l'utilisation de synthétiseurs, et des looks ultra-étudiés. Journey a enfin percé grâce à l'arrivée de Steve Perry au chant en 1978, avec ses futals blancs, son port de micro digne de Sacha Distel, et sa belle gueule. Foreigner a décroché la timbale avec Lou Gramm, l'album « 4 » et ses tubes du style « Urgent ». Blackmore rêve secrètement de s'orienter vers ce Rock plus mélodique,aux refrains efficaces, et à la couleur plus héroïque.
Graham Bonnet est viré à la fin de la tournée en 1980 pour incompatibilité d'humeur avec Blackmore. Cozy Powell part rejoindre le Michael Schenker Group et laisse la place derrière les fûts à Bobby Rondinelli. Don Airey prend les claviers, et Roger Glover a récupéré la basse en 1979 après une réconciliation entre anciens de Deep Purple après la brouille historique de 1973. Il reste à trouver un chanteur. Fidèle à son idée, Blackmore cherche un chanteur dans le style de Steve Perry et Lou Gramm, dont le physique pourrait aussi être un plus.
Un jeune chanteur semble faire l'affaire : il s'appelle Joe Lynn Turner. Il fait partie d'un groupe du nom de Fandango, qui tente de percer dans le genre AOR, sans succès. Et signe du destin, le guitariste de Fandango se nomme …. Rick Blakemore.
Le garçon est du style soucieux de son physique, limite gay : brushing blond décoloré, sourcils épilés, bronzage aux UV, et attitude scénique un brin danseuse. Il va subir toutes les moqueries possibles de la part des musiciens de Rainbow et de son staff, mais le garçon a la protection papale, celle de Blackmore.
Car la collaboration entre Turner et Blackmore s'avère vite fructueuse. « Difficult To Cure » qui paraît en 1981 atteint la tête des classements anglais et perce dans les charts US, notamment par la chanson « I Surrender »... qui n'est pas de Rainbow mais d'un compositeur à succès, un certain Russ Ballard, comme « Since You’ve Been Gone » sur « Down To Earth » d’ailleurs. D'entrée, on constate un son plus léger, moins heavy. L'album divise. Les fans historiques se tournent vers le hard-blues de Whitesnake ou le hard-rock à orgue Hammond de Gillan. Mais un nouveau public découvre Rainbow, appréciant les mélodies tout en frissonnant à l'idée d'écouter un groupe catégorisé hard-métal.
Scéniquement, Rainbow ne baisse pas la garde, et joue lourd. Dans tous les cas, les fans de Ritchie Blackmore restent fidèles, car la guitare magique est toujours bel et bien là. Cela n'empêche pas Rainbow de poursuivre dans cette voie, et ainsi paraît « Straight Between The Eyes » en 1982.
Don Airey a été remplacé par un autre beau gosse aux claviers, un certain David Rosenthal. Le nom de l'album s'inspire d'une phrase de Jeff Beck à Ritchie Blackmore décrivant la musique de Jimi Hendrix en 1967. La pochette du disque fera du bruit, entre esthétisme hard-rock eighties criard et esprits chagrins amateurs du style Hypgnosis des pochettes de Pink Floyd. Virtuellement, il n'y a plus grand chose à attendre de ce nouvel album. Les fans de Deep Purple et du Rainbow avec Dio sont déjà partis en courant, les vrais amateurs de heavy-metal écoute Iron Maiden, Judas Priest et Motorhead, et les amateurs de hard-AOR jettent leurs dévolus sur Foreigner, Journey et bientôt Def Leppard. Il reste à Rainbow à trouver sa place là-dedans.
Si « Difficult To Cure » décontenança, il cache en fait par les à-prioris la qualité de ce nouveau disque. Car « Straight Between The Eyes » est en fait un album bien plus Rock que son prédécesseur. La production y est plus crue. On y distingue bien tous les instruments, captés sans effet superflu.
Le disque s'ouvre sur le trépidant « Death Alley Driver ». Rainbow se reconnecte au hard-rock de « Kill The King », mais avec la voix de Turner qui rend la chanson plus accessible malgré les multiples embardées de guitare et de vibrato de Blackmore. On pourrait croire ce retour au hard-metal un peu téléphoné, mais sans être profondément original, on sent que ce nouveau line-up de Rainbow, qui restera miraculeusement à peu près stable pour les deux années à venir (moyennant Rondinelli remplacé par Chuck Burgi en 1983), a de l'agressivité à revendre.
En fait la vraie qualité de ce nouveau Rainbow réside dans la musique mélodique. « Stone Cold » mérite à lui seul l'achat de cet album. Un tempo de batterie rapide, puissant et fin, un orgue léger et lointain, une basse souple, une guitare enluminant la mélodie, et la voix affirmée et claire de Turner. L'homme force peu. Il n'est pas un as des aigus. Il chante, simplement, en suivant la ligne mélodique. Et « Stone Cold » est une merveille, entre tristesse et mélancolie. Pour atteindre l'émotion Blackmore usa longtemps de la grandiloquence : de « Child In Time » avec Deep Purple à « Catch The Rainbow » avec Rainbow, il fallut que l'homme en noir appuya là où cela faisait mal avec insistance pour justifier son propos. Agé de 37 ans en 1982, Blackmore est un homme mûr, qui a déjà vécu plusieurs vies. La souffrance se fait lucide, tout en réserve, pour ne pas réveiller de sales souvenirs. « Stone Cold » permettra à Rainbow de décrocher un hit aux USA et ainsi tourner en tête d'affiche dans les plus grandes salles. Ainsi, Rainbow retrouve le statut qui fut celui de Deep Purple en 1974 avec « Burn » et ses huit millions d'exemplaires vendus.
« Straight Beetween The Eyes » est un disque plutôt rentre-dedans donc. Plusieurs titres sont directs, sans fioritures, malgré une accroche mélodique évidente, et la voix de Turner, calibrée pour les radios. Curieusement, on retrouve même des colorations Blues-Rock : ainsi « Tite Squeeze », « Tearin' Out My Heart » et ses réminiscences de « Mistreated ». A ne pas confondre avec « Miss Mistreated » qui figure sur cet album, et dont la teinte est résolument New-Wave tendance heavy. C'est par ailleurs une réussite, à la mélodie fouillée, et au refrain héroïque contagieux.
« Power » est un puissant hard-rock un peu bluesy. Le son du riff y est d'une pureté incroyable, sans fioriture. Parlons-en de la guitare. Ritchie Blackmore est brillant de bout en bout. Ayant abandonné les longues improvisations, ils se concentrent sur des riffs impeccables, des enluminures à base de petits chorus ponctuant les couplets, et des solos courts mais redoutablement bien écrits, laissant autant la part à sa virtuosité qu'à l'émotion.
Même dans les chansons les plus évidentes comme ce simili-boogie qu'est « Rock Fever », tout est parfaitement en place. La production claire de Roger Glover, désormais producteur attitré de Rainbow depuis son retour aux côtés de Blackmore en 1979, met parfaitement en évidence chaque instrument, et ne tombe surtout pas dans la surenchère des effets stéréophoniques, laissant davantage parler les musiciens.
L'album se clôt sur l'arabisant « Eyes Of Fire », résonnant de l'écho de « Gates Of Babylon ». Son rythme rapide en forme de cavalcade, ses arrangements de violons et de claviers en arabesques....Bien que là encore, le Rock mélodique soit une évidence, la complexité des arrangements et de la musique démontre que Rainbow est toujours bien plus qu'un simple groupe de hard-rock à tendance AOR. La puissance de la guitare de Blackmore y est sans doute pour beaucoup, l'homme ayant trouvé un écrin parfait pour sa six-corde. On le sent à l'aise, inspiré, fertile dans ce groupe à la hauteur, et enfin reconnu à sa juste valeur.
Sans doute que l'homme en noir était bien plus inquiet qu'on ne le croit par rapport à sa capacité à survivre à son départ de Deep Purple en 1975. Si l'homme, bravache, avait chanté que son ancien groupe ne lui survivrait pas (ce qui fut finalement vrai, un an à peine après), il ne savait pas si les fans le suivraient, et s’il serait capable de former un groupe à la hauteur de Deep Purple. Il fit de superbes étincelles d'entrée, mais ne retrouva la gloire internationale que sept années plus tard. On est d'ailleurs en droit de se demander si finalement la reformation de Deep Purple en 1984 fut une si bonne idée que cela....
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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tiens !? Voilà un album que je ne m'attendais à trouver ici. "Rising" ne m'aurait guère surpris (superbe disque), voire un autre de la période Dio. Mais John Lynn Turner... j'aurais cru que ce n'était pas le style de la maison ("look limite gay", c'est certain).
"Straight between the eyes", album inégal mais sauvé par quelques perles.
Je me souviens que "Death Alley Driver" avait fait un petit tabac (du moins chez les amateurs de musique Heavy), soutenu par une vidéo. Haaa... super. On peut enfin voir la trogne de Blackmore à la téloche. Justice était rendue. Des potes avaient enregistré le clip sur VHS afin de décortiquer le solo du maître image par image.

Julien Deléglise a dit…

Sacré clip effectivement, avec un Joe Lynn Turner superbement viril sur sa moto ahah.
Il y en avait eu d'autres, depuis l'album "Long Live Rock'N'Roll.
Je te donne le lien d'un site de fans, il y a tous les clips dans la rubrique vidéos.
http://www.rainbowfanclan.com/

Anonyme a dit…

Merci. Je ne connaissais pas ce site. Occasion de redécouvrir des clips bien kitchs (et d'autres jamais vus), avec des donzelles "excellentes" actrices...
Quel poseur ce Turner